René Magritte (1898-1937)
René Magritte (1898-1937)

Deux nus dans un paysage

Details
René Magritte (1898-1937)
Deux nus dans un paysage
huile sur toile
65.5 x 54.2 cm.
Peint en 1921-22

oil on canvas
25¾ x 21 3/8 in.
Painted in 1921-22
Provenance
Edouard-Léon-Théodore Mesens, Bruxelles (avant 1965).
Vente, Sotheby's, Londres, 26 mars 1980, lot 59.
Collection particulière, Bruxelles.
Galleria Marescalchi, Bologne.
Collection particulière, Paris (au début des années 1980).
Literature
D. Sylvester et S. Whitfield, René Magritte, Catalogue raisonné, Londres, 1992, vol. I, p. 139, no. 29 (illustré).

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Anika Guntrum
Anika Guntrum

Lot Essay

Aux prémices de sa carrière de peintre, débutée à l'Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles en 1916, René Magritte tâtonne à la recherche d'une personnalité artistique propre, alors que les avant-gardes, à la fois sources d'inspiration et astreintes esthétiques, bouillonnent en Europe. Son oeuvre semble alors tiraillé entre les influences des touts jeunes courants Dada, Puriste et Constructiviste mais aussi des mouvements déjà plus établis tels que le Fauvisme, l'Expressionnisme, le Futurisme ou encore le Cubisme. Se procurant un exemplaire de l'ouvrage tout juste publié d'Albert Gleizes, Le Cubisme et les moyens de le comprendre, et ayant reçu en cadeau le catalogue d'une exposition futuriste, le peintre oriente son style plus nettement dans ces deux dernières directions au début des années 1920. Alors qu'il ne parvient ni à trancher en faveur de l'une de ces deux esthétiques, ni à concilier leurs divergences au sein d'un nouveau style distinct, Magritte conserve dans les premières années de la décennie une facture alternant de l'une à l'autre au gré des oeuvres. Deux caractéristiques fondamentales pour le reste de sa carrière émergent toutefois au cours de cette période: le rejet de l'abstraction d'une part, et la prédilection pour le nu féminin d'autre part. Ainsi, si deux ou trois toiles de jeunesse empruntent aux courants abstraits venus de Hollande, d'Allemagne ou de Russie, passée cette brève période d'expérimentation l'artiste se dévoue entièrement à la figuration, à laquelle son approche du surréalisme sera par la suite une ode. Comme il le confie d'ailleurs au journaliste Jan Walravens en 1962: "Ma peinture doit ressembler au monde pour pouvoir en évoquer le mystère" (cité in R.-M. Jongen, René Magritte ou la pensée imagée de l'invisible: réflexions et recherches, Bruxelles, 1994, p. 142). Le nu féminin acquiert quant à lui une place prépondérante. Comme le souligne Pierre Bourgeois dans un article publié dans 7 arts en 1923: "Le cas de René Magritte est curieux. [...] Imprégné d'art moderne, il fait toujours l'effet d'un 'irrégulier' parmi les tentatives modernistes. [...] Le voici curieux de l'éternel nu féminin et exprimant, avec un insistant amour, sa passion fiévreuse: pour intensifier la signification rythmique des corps, des triangles et des nappes colorées constituent un décor simple et chantant derrière eux. Une vie passionnée et cérébrale, grâce à lui, affirme son inquiétude hardie" (cité in D. Sylvester, Magritte, Bruxelles, 1992, p. 64).
Avec Jeune fille, peint en 1922, Magritte franchit une étape décisive, alors que la volupté atteint son paroxysme grâce à l'emploi d'une stylisation extrême du corps féminin et des compositions géométriques sur lesquelles il est apposé. L'artiste l'évoque avec émotion dans une lettre adressée à son camarade Charles Alexandre: "Je tiens à te faire remarquer que, depuis la Jeune fille que tes yeux virent avec plaisir chez moi la dernière fois que nous nous vîmes, la conscience avec laquelle j'ai exécuté cette oeuvre (ma première oeuvre) ne s'est pas éteinte et je crois grâce à elle être en possession du métier personnel qui peut exprimer mon individu - or je tiens à te faire remarquer que les individus qui s'expriment d'une façon personnelle sont des génies...?!?" (cité in ibid., p. 62). Deux nus dans un paysage est à rapprocher de Jeune fille et s'inscrit nettement dans cette période au cours de laquelle le peintre fait émerger une première version de son propre style. Ici les deux corps semblent comme en lévitation dans le paysage hautement coloré et rythmé d'éléments géométriques. Les bras tendus et écartés des deux femmes, évoquant des ailes déployées comme un écho aux oiseaux nichés en haut à droite, s'opposent aux formes exagérément courbes de la silhouette centrale, et ajoutent au dynamisme de la composition. Selon toute vraisemblance, l'artiste a d'abord travaillé le fond, ensuite ajouté les personnages puis, comme le suggèrent les craquelures intrinsèques à la technique employée et la signature recouverte en bas à droite, retravaillé l'ensemble sur une peinture encore fraîche. Ceci pourrait expliquer l'impression d'apesanteur qui se dégage de la composition, renforcée par le traitement en clair-obscur des corps, qui allège les silhouettes aux rondeurs pourtant fortement prononcées. L'accentuation étonnante des contours pourrait selon le catalogue raisonné de David Sylvester et Sarah Whitfield suggérer la possible participation d'un autre peintre à cette oeuvre, à l'instar du Récital, exécuté conjointement à la même époque avec l'artiste Karel Maes. Néanmoins, alors que dans le cas de ce dernier tableau, l'inhabituelle collaboration est clairement détaillée dans deux lettres de l'artiste à ses amis Pierre Flouquet et Edouard-Léon-Théodore Mesens, aucun courrier ou document ne corrobore la thèse de la participation d'un artiste tiers à l'exécution de la présente oeuvre, en dépit de la correspondance abondante entretenue par Magritte avec son entourage. Par ailleurs, aucune preuve n'est venue étayer cette supposition depuis la parution du catalogue raisonné, en 1992. Catalogué comme 'René Magritte: Femmes Nues (très tôt)' dans un inventaire des oeuvres du peintre surréaliste détenues par Edouard-Léon-Théodore Mesens - son ami proche et marchand, comptant parmi ses plus grands collectionneurs - Deux nus dans un paysage constitue l'un des rares témoignages de la première époque, fondamentale, du maître.

In 1906, at the start of his career as a painter which had begun at the Académie Royale des Beaux-Arts in Brussels, René Magritte was experimenting to find his own artistic identity. Meanwhile, the avant-gardes, both a source of inspiration and of esthetic constraints, were gaining momentum accross Europe. Magritte's work seemed torn between the influences of the young dada, purist and constructivist movements but also of the more established ones such as fauvism, expressionism or cubism. At the beginning of the 1920s, having acquired a copy of the recently published Le Cubisme et les moyens de le comprendre by Albert Gleizes, and received the catalogue of a futurist exhibition the artist turned his style more clearly in those two directions. Unable to decide clearly between these two aesthetic approaches or to reconcile their differences in a new distinct style, during the first year of that decade Magritte maintained a style which would go from one to the other, depending on a specific work. However, two fundamental elements emerged during this period: the rejection of abstraction on one hand and a predilection for female nudes on the other. Thus, if two or three of his earliest canvases borrow from abstract trends happening in Holland, Germany or Russia, following this brief period of experimentation the artist dedicated himself to figuration. His subsequent approach to surrealism was an elegy to this decision; as he reflected to the journalist Jan Walrvens in 1962: "My painting must resemble the world in order to evoke its mystery" (quoted in R.-M. Jongen, René Magritte ou la pensée imagée de l'invisible: réflexions et recherches, Brussels, 1994, p. 142). The female nude became central to his work. Pierre Bourgeois underlined in an article published in 7 arts in 1923: "The case of René Magritte is curious [...] Immersed in modern art, he always seems somehow like an "outsider" among modernist experiments [...] Here he is curious of the female nude expressing his fevered passion with insistent love: to intensify the rhythmic meaning of bodies, coloured triangles and tablecloths create a simple and musical background behind them. With him, a passionate and mental world comes to life, daringly expressing its anxiety" (quoted in D. Sylvester, Magritte, Brussels, 1992, p. 64).
With
Jeune fille, painted in 1922, Magritte made a critical move, reaching a summit of voluptuousness through extreme stylization of the female body and of the geometric compositions which form its background. The artist mentioned this movingly in a letter to his friend Charles Alexandre "I want you to note that since La jeune fille which you saw with pleasure the last time we met, the conscience with which I executed this work (my first work) has not died down and I think that thanks to this, I am in possession of a personal skill which can express what I am - and I want you to note that those who express themselves in a personal manner are geniuses...?!?" (quoted in ibid., p. 62). Deux nus dans un paysage should be considered in light of Jeune fille as clearly belonging to this period where the painter is generating a first version of his personal style. Here, the two bodies seem to be levitating in a highly coloured landscape with rhythmical geometrical elements. The extended and outspread arms of the two women, evoking spread wings and echoing the birds nested in the top right hand corner, contrast with the exaggeratedly curvaceous forms of the central figure, and add to the dynamism of the composition. In all likelihood, the artist worked first on the background and then added the figures, then, as suggested by the cracks inherent to his technique and the covered-over signature lower right, reworked the whole work while the initial paint was still fresh. This could explain the feeling of weightlessness emerging from the composition, accented by the chiaroscuro treatment of the bodies, which lightens the figures in spite of their strong curves. According to David Sylvester's and Sarah Whitfield's catalogue raisonné, the surprising emphasis on the contours could suggest the participation of another painter in this work, as for Récital, jointly executed with Karel Maes at the same time. However, whereas for Récital this unusual collaboration is clearly mentioned in two letters from the artist to his friends Pierre Flouquet and Edouard-Léon-Théodore Mesens, no letter or document corroborates the theory of another artist participating in the present work, in spite of Magritte's abundant correspondence with his entourage. Furthermore, no new concrete elements have come to light to substantiate this hypothesis since the publication of the catalogue raisonn in 1992. Catalogued as "René Magritte: Femmes Nues (very early)" in an inventory of works by the surrealist painter belonging to Edouard-Léon-Théodore Mesens - his close friend and dealer, and one of his main collectors - Deux nus dans un paysage is a rare testimony of the first and fundamental period of the master.

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