Lot Essay
D’épais aplats viennent morceler la toile, en faire miroiter la surface par la multiplicité des touches que l’artiste est venu apposer, juxtaposant les strates de couleurs comme pour mieux y enfouir profondément le regard du spectateur, l’immergeant totalement dans cette Composition que Nicolas de Staël achève en 1951. Année décisive pour la maturation de sa peinture, l’artiste produit peu de toiles – à peine une cinquantaine – mais toutes reflètent un engagement qui prend de plus en plus les aspects d’une implication sans compromis. En effet, progressivement, Staël choisit de réintroduire le réel dans sa peinture. Le recours à ses carreaux de matière en est un des premiers exemples qui trouvent bientôt leur matérialisation définitive sous le titre Les Toits aujourd’hui conservé dans les collections du Centre Pompidou.
Avec Composition, Staël offre une des plus belles illustrations de sa maîtrise de la couleur. Sa palette de verts et de gris si subtils est magnifiée par des touches ponctuelles et incisives de bleu, de rouge ou de jaune mordoré. Il semble faire ici la synthèse entre les impressions de la réalité perçues ou reçues et l’abstraction qui ouvre des voies infinies à son expression. Au cours de ces mois décisifs, Staël a notamment beaucoup regardé l’œuvre de Vincent van Gogh, La Plaine d’Auvers, il y admire la superposition des couleurs pures, ce travail de composition par touche, où chaque tonalité apposée indépendamment crée l’harmonie générale de l’œuvre. Souvent, les mots du peintre reflètent les sensations qui l’animent. C’est ainsi qu’il écrit : « J’ai besoin d’élever mes débats à une altitude unique, ne fût-ce que pour les donner en toute humilité, et cela implique beaucoup de familiarité avec tout ce qui se passe dans le ciel, va-et-vient des nuages, ombres, lumière, composition fantastique, toute simple, des éléments. » (Lettre à Olga de Staël, 19 août 1951).
Cette même année, Staël prépare sa toute première exposition personnelle à Londres, prévue à la Matthiesen Gallery pour le mois de février 1952. Composition figure parmi les vingt-six œuvres présentées dans ce contexte nouveau pour l’artiste. La réception critique et publique y est mitigée. Précurseur, Staël se situe en décalage avec l'abstraction qui semble triompher un peu partout dans les scènes artistiques. Sa démarche est mal perçue. Ne rejetant pas la figuration, il tend au contraire à la faire ressurgir progressivement dans sa peinture. Cependant, certains critiques, à l’instar de John Russell, perçoivent l’aspect novateur et singulier de sa peinture. L’artiste y fait d’ailleurs référence dans une lettre touchante à sa fille : « Il y avait beaucoup de monde pour voir mes tableaux, beaucoup de chapeaux sur les dames, maman très belle comme d’habitude, la plus belle évidemment. Je t’envoie le catalogue et tu diras à tante Olga que, dimanche, un jeune critique a fini son article comme cela : « These are paintings in which the painter risks everything : it is for us to risk and enhance one hour of irrecoverable life by going to see them.. [Ce sont des peintures dans lesquelles le peintre risque tout: c’est à nous de prendre le risque et de magnifier une heure de vie irremplaçable] » (Lettre à Anne de Staël, Paris, fin février 1952).
Atemporelle, Composition conserve aujourd’hui encore cette force pour laquelle Staël a tout risqué et qui nous offre toujours la possibilité, si nous la saisissons, de magnifier notre temps en la contemplant.
In this Composition completed by Nicolas de Staël in 1951, the canvas is split up into areas of thick colour, where the surface gleams with the multitude of strokes applied by the artist, and the strata of colours are juxtaposed as though to draw the viewers' gaze still more deeply into the painting, and totally immerse them. 1951 was a decisive year for the maturity of his painting, when the artist produced few canvases – barely 50 – but all of them reflect a commitment that increasingly reflected his uncompromising involvement. Staël gradually decided to reintroduce reality into his painting. The use of these chequered materials is one of the first examples, which would soon be materialised in Les Toits, now in the collections of the Centre Pompidou.
With Composition, Staël provides a stunning illustration of his mastery of colour. His palette of highly subtle greens and greys is enhanced by the odd incisive touch of blue, red and bronze-yellow. Here he seems to synthesise the impressions of perceived or received reality with an abstraction that opens up infinite channels for his expression. During these critical months, Staël constantly looked at a work by Vincent van Gogh, La Plaine d’Auvers, admiring the superimposition of pure colours, and the construction of the composition stroke by stroke, where each, though applied independently, created a work of overall harmony. The painter's words often reflected the sensations that drove him. For instance, he wrote, "I need to take my musings to a unique height, if only to render them in all humility, and that implies a great deal of familiarity with everything that happens in the sky: the passing clouds, shadows, light – the fantastic, very simple composition of the elements." (Letter to Olga de Staël, 19 August 1951).
The same year, Staël prepared his very first solo exhibition in London, planned at the Matthiesen Gallery for February 1952. Composition was one of the twenty-six works presented in this new context for the artist. It had a mixed reception from the critics and the public. As a trailblazer, Staël's position was out of step with the abstraction that seemed to prevail in every art scene. He did not reject figuration; on the contrary, he tended to make it emerge progressively in his painting. However, some critics, like John Russell, were aware of the singular, pioneering nature of his painting. The artist in fact referred to him in a touching letter to his daughter: "There were a lot of people who came to see my paintings, a lot of hats on the ladies; mummy very beautiful, as usual – the most beautiful of them all, obviously. I am sending you the catalogue and you can tell Aunt Olga that on Sunday, a young critic ended his article like this: 'These are paintings in which the painter risks everything: it is for us to risk and enhance one hour of irrecoverable life by going to see them.'" (Letter to Anne de Staël, Paris, late February 1952).
This timeless Composition still evinces this force for which Staël risked everything, and still offers us the opportunity, if we choose to take it, to enhance our time by looking at it.
Avec Composition, Staël offre une des plus belles illustrations de sa maîtrise de la couleur. Sa palette de verts et de gris si subtils est magnifiée par des touches ponctuelles et incisives de bleu, de rouge ou de jaune mordoré. Il semble faire ici la synthèse entre les impressions de la réalité perçues ou reçues et l’abstraction qui ouvre des voies infinies à son expression. Au cours de ces mois décisifs, Staël a notamment beaucoup regardé l’œuvre de Vincent van Gogh, La Plaine d’Auvers, il y admire la superposition des couleurs pures, ce travail de composition par touche, où chaque tonalité apposée indépendamment crée l’harmonie générale de l’œuvre. Souvent, les mots du peintre reflètent les sensations qui l’animent. C’est ainsi qu’il écrit : « J’ai besoin d’élever mes débats à une altitude unique, ne fût-ce que pour les donner en toute humilité, et cela implique beaucoup de familiarité avec tout ce qui se passe dans le ciel, va-et-vient des nuages, ombres, lumière, composition fantastique, toute simple, des éléments. » (Lettre à Olga de Staël, 19 août 1951).
Cette même année, Staël prépare sa toute première exposition personnelle à Londres, prévue à la Matthiesen Gallery pour le mois de février 1952. Composition figure parmi les vingt-six œuvres présentées dans ce contexte nouveau pour l’artiste. La réception critique et publique y est mitigée. Précurseur, Staël se situe en décalage avec l'abstraction qui semble triompher un peu partout dans les scènes artistiques. Sa démarche est mal perçue. Ne rejetant pas la figuration, il tend au contraire à la faire ressurgir progressivement dans sa peinture. Cependant, certains critiques, à l’instar de John Russell, perçoivent l’aspect novateur et singulier de sa peinture. L’artiste y fait d’ailleurs référence dans une lettre touchante à sa fille : « Il y avait beaucoup de monde pour voir mes tableaux, beaucoup de chapeaux sur les dames, maman très belle comme d’habitude, la plus belle évidemment. Je t’envoie le catalogue et tu diras à tante Olga que, dimanche, un jeune critique a fini son article comme cela : « These are paintings in which the painter risks everything : it is for us to risk and enhance one hour of irrecoverable life by going to see them.. [Ce sont des peintures dans lesquelles le peintre risque tout: c’est à nous de prendre le risque et de magnifier une heure de vie irremplaçable] » (Lettre à Anne de Staël, Paris, fin février 1952).
Atemporelle, Composition conserve aujourd’hui encore cette force pour laquelle Staël a tout risqué et qui nous offre toujours la possibilité, si nous la saisissons, de magnifier notre temps en la contemplant.
In this Composition completed by Nicolas de Staël in 1951, the canvas is split up into areas of thick colour, where the surface gleams with the multitude of strokes applied by the artist, and the strata of colours are juxtaposed as though to draw the viewers' gaze still more deeply into the painting, and totally immerse them. 1951 was a decisive year for the maturity of his painting, when the artist produced few canvases – barely 50 – but all of them reflect a commitment that increasingly reflected his uncompromising involvement. Staël gradually decided to reintroduce reality into his painting. The use of these chequered materials is one of the first examples, which would soon be materialised in Les Toits, now in the collections of the Centre Pompidou.
With Composition, Staël provides a stunning illustration of his mastery of colour. His palette of highly subtle greens and greys is enhanced by the odd incisive touch of blue, red and bronze-yellow. Here he seems to synthesise the impressions of perceived or received reality with an abstraction that opens up infinite channels for his expression. During these critical months, Staël constantly looked at a work by Vincent van Gogh, La Plaine d’Auvers, admiring the superimposition of pure colours, and the construction of the composition stroke by stroke, where each, though applied independently, created a work of overall harmony. The painter's words often reflected the sensations that drove him. For instance, he wrote, "I need to take my musings to a unique height, if only to render them in all humility, and that implies a great deal of familiarity with everything that happens in the sky: the passing clouds, shadows, light – the fantastic, very simple composition of the elements." (Letter to Olga de Staël, 19 August 1951).
The same year, Staël prepared his very first solo exhibition in London, planned at the Matthiesen Gallery for February 1952. Composition was one of the twenty-six works presented in this new context for the artist. It had a mixed reception from the critics and the public. As a trailblazer, Staël's position was out of step with the abstraction that seemed to prevail in every art scene. He did not reject figuration; on the contrary, he tended to make it emerge progressively in his painting. However, some critics, like John Russell, were aware of the singular, pioneering nature of his painting. The artist in fact referred to him in a touching letter to his daughter: "There were a lot of people who came to see my paintings, a lot of hats on the ladies; mummy very beautiful, as usual – the most beautiful of them all, obviously. I am sending you the catalogue and you can tell Aunt Olga that on Sunday, a young critic ended his article like this: 'These are paintings in which the painter risks everything: it is for us to risk and enhance one hour of irrecoverable life by going to see them.'" (Letter to Anne de Staël, Paris, late February 1952).
This timeless Composition still evinces this force for which Staël risked everything, and still offers us the opportunity, if we choose to take it, to enhance our time by looking at it.