Lot Essay
Yseult Riopelle a confirmé l'authenticité de cette oeuvre.
L'œuvre sera incluse aux addenda du tome 2 du catalogue raisonné de l'œuvre de Jean-Paul Riopelle à l'adresse www.riopelle.ca. sous le no. 1955.046H.
« Les jeunes américains vont sans doute être après votre peau ! » écrit, non sans malice, Pierre Matisse à Jean Paul Riopelle dans une lettre du 7 janvier 1954. Cette jeune avant-garde à laquelle il fait référence a pour noms Rothko, De Kooning, Kline ou encore Pollock. L’aventure qui unit l’artiste au galeriste débute un an plus tôt par l’entremise du critique d’art et poète Georges Duthuit, qui n’est autre que le gendre d’Henri Matisse. Cette rencontre est véritablement décisive pour Riopelle car elle lui ouvre les portes de New York et de l’Amérique et par là-même une reconnaissance internationale. Il se rappelle d’ailleurs ses premiers échanges avec le marchand qui fait alors partie des plus importants de new York : « Quand il y a eu je ne sais plus quelle crise économique et que tous les marchands de tableaux ne lisaient plus que les journaux de Bourse, Pierre Matisse est venu me voir et m’a dit : - J’achète tout. Me voyant étonné, il ajouta : - Je suis fils de peintre, je ne connais pas d’autre métier que celui de marchand. Si vous coulez, je coulerai avec vous. ». Sans titre - que Riopelle peint en 1955 - ne fut cependant pas vendu par Pierre Matisse. En effet, il le conserva au contraire afin de l’offrir à sa fille Jacqueline et à son gendre Bernard Monnier pour leur nouvel aménagement en 1956, boulevard de Clichy, suite à leur mariage. Ce cadeau souligne également à quel point Matisse a compris très tôt la force et l’intérêt du peintre qu’il fait entrer dans la collection personnelle de sa famille tout autant que dans celles de ses clients.
La première exposition à laquelle Riopelle participe chez Pierre Matisse a lieu en 1953 et le galeriste prend le risque de présenter ce jeune artiste au milieu des stars qui fréquentent ses murs : Braque, Picasso, Matisse, Miró ou encore Giacometti. Quelque mois plus tard, ses œuvres rentrent pour la première fois au Guggenheim Museum grâce à l’exposition collective Younger European Painters qui voyage par la suite à travers toute l’Amérique, lui assurant une visibilité sans précédent jusqu’ici. Lorsque Matisse écrit à Riopelle en janvier 1954, il vient tout juste d’inaugurer sa toute première exposition personnelle aux Etats-Unis. Le catalogue de l’exposition est accompagné d’un texte du complice Georges Duthuit qui est traduit par Samuel Beckett. La reconnaissance est en marche et le succès l’a suit de prés. Ses toiles rentrent progressivement dans les meilleures collections des clients de Pierre Matisse et Riopelle est choisi cette année-là pour représenter le Canada à la Biennale de Venise. 1955 marque alors un tournant. Fort de son succès, le peintre oublie les heures difficiles des années précédentes. Il s’installe dans un nouvel appartement du seizième arrondissement et surtout déménage son atelier à Vanves, dans une salle des fêtes réaffectée qui lui offre un espace de travail sans communes mesures. Une nouvelle exposition en mars chez Pierre Matisse rencontre un nouveau franc succès. Alfred Barr, le directeur du MoMA, a beaucoup apprécié sa peinture et la Galerie Nationale du Canada vient de réserver trois de ses toiles. La vie de Riopelle s’accélère, sa carrière explose. C’est également à ce moment-là qu’il fait une rencontre décisive tant pour sa vie personnelle que pour sa peinture, celle de Joan Mitchell qu’il surnomme rapidement Joan of Art. Il tiendra secrète cette liaison naissante pendant près de trois ans avant de la révéler à ses proches.
En parallèle, sa peinture a évolué, s’est transformé progressivement depuis 1953. Sans titre en offre un formidable exemple. Désormais, la touche par empâtement, morcellement de la surface en une mosaïque savamment composée, remplace les explosions de coulures des années passées. Riopelle fait son premier vol transatlantique en 1954 et la vision parcellaire du sol qu’il lui offre semble s’imprégner dans sa rétine. Une sorte de vision intérieure caléidoscopique de sa propre perception des forces en présence dans la nature semble être à l’œuvre ici. Il convoque la profondeur des noirs pour mieux révéler la lumière qui se dégage du tableau à travers les juxtapositions de blancs incandescents, de verts multiples et de bleus iridescents. Ainsi que l’écrit Georges Duthuit : « La vie vient d’ouvrir les paupières mais ne sait pas encore choisir ce qui s’engouffre à travers elle, ou bien elle ne le veut plus : déséquilibre crépusculaire d’avant le réveil ou d’après le sommeil. ».
“The young Americans will be after your skin, be in no doubt!” wrote Pierre Matisse in a mischievous letter to Jean Paul Riopelle on 7th January 1954. The young avant garde artists he was referring to were Rothko, De Kooning, Kline and probably Pollock too. The adventure which linked the artist with the gallery owner had started a year earlier through the intermediary of the art critic and poet Georges Duthuit who was in fact Henri Matisse’s son-in-law. Their meeting was truly decisive for Riopelle, opening the doors of New York and America to him and leading him to international recognition. He also recalls his first exchanges with the man who was then one of the most important dealers in New York: “When some economic crisis or other was going on and picture dealers were all reading nothing but stock market reports, Pierre Matisse came to see me and said “I’ll buy everything”. Seeing my surprise, he added “I’m a painter’s son. The only work I know how to do is picture dealing. If you run, I’ll run with you”.
The first exhibition in which he participated at Pierre Matisse’s gallery took place in 1953 and the gallery took the risk of presenting the young artist’s work surrounded by the stars which adorned its walls: Braque, Picasso, Matisse, Miró and Giacometti. A few months later, his works entered the Guggenheim Museum for the first time thanks to the group exhibition Younger European Painters which later travelled all over America, giving him hitherto unprecedented visibility. When Matisse wrote to Riopelle in January 1954, he had just inaugurated his very first personal exhibition in the United States. The exhibition’s catalogue included an article by the cunning Georges Duthuit, translated by Samuel Beckett. Recognition was on its way, swiftly followed by success. His canvases gradually entered the finest collections of Pierre Matisse’s customers and, that year, Riopelle was chosen to represent Canada at the 1955 Venice Biennale. Thus, 1955 marked a turning point for him. Encouraged by his success, the painter forgot the difficulties of his previous years. He took a new apartment in the sixteenth arrondissement of Paris and, more importantly, moved his studio to a reassigned reception room in Vanves which offered him an enormous space in which to work. A further exhibition in March in Pierre Matisse’s gallery brought him another undoubted success. Alfred Barr, the director of MoMA, greatly admired his painting and the National Gallery of Canada had just reserved three of his canvases. Riopelle’s life accelerated; his career exploded. At that time too he met someone who decisively influenced both his private life and his painting, Joan Mitchell, whom he quickly nicknamed Joan of Arc. He kept their burgeoning relationship secret for nearly three years before revealing it to those close to him.
At the same time, his painting evolved and became progressively transformed after 1953. Sans titre [Untitled] offers an outstanding example. From then on, his impasto technique, fragmenting the surface into a cleverly composed mosaic, replaced the explosions of colour of his previous years. Riopelle made his first transatlantic flight in 1954 and the view he saw of the land divided into plots seems to have impregnated his retina. A kind of interior kaleidoscopic view of his own perception of the forces present in nature seems to have been at work here. He summoned up the depth of blacks so as better to display the light which emerges from the picture through the juxtaposition of incandescent whites, numerous greens and iridescent blues. As Georges Duthuit wrote: “Life has just opened its eyes but does not yet know how to choose what it is engulfing, or perhaps life is no longer willing to do it: the crepuscular imbalance one feels before waking or after sleep”.
L'œuvre sera incluse aux addenda du tome 2 du catalogue raisonné de l'œuvre de Jean-Paul Riopelle à l'adresse www.riopelle.ca. sous le no. 1955.046H.
« Les jeunes américains vont sans doute être après votre peau ! » écrit, non sans malice, Pierre Matisse à Jean Paul Riopelle dans une lettre du 7 janvier 1954. Cette jeune avant-garde à laquelle il fait référence a pour noms Rothko, De Kooning, Kline ou encore Pollock. L’aventure qui unit l’artiste au galeriste débute un an plus tôt par l’entremise du critique d’art et poète Georges Duthuit, qui n’est autre que le gendre d’Henri Matisse. Cette rencontre est véritablement décisive pour Riopelle car elle lui ouvre les portes de New York et de l’Amérique et par là-même une reconnaissance internationale. Il se rappelle d’ailleurs ses premiers échanges avec le marchand qui fait alors partie des plus importants de new York : « Quand il y a eu je ne sais plus quelle crise économique et que tous les marchands de tableaux ne lisaient plus que les journaux de Bourse, Pierre Matisse est venu me voir et m’a dit : - J’achète tout. Me voyant étonné, il ajouta : - Je suis fils de peintre, je ne connais pas d’autre métier que celui de marchand. Si vous coulez, je coulerai avec vous. ». Sans titre - que Riopelle peint en 1955 - ne fut cependant pas vendu par Pierre Matisse. En effet, il le conserva au contraire afin de l’offrir à sa fille Jacqueline et à son gendre Bernard Monnier pour leur nouvel aménagement en 1956, boulevard de Clichy, suite à leur mariage. Ce cadeau souligne également à quel point Matisse a compris très tôt la force et l’intérêt du peintre qu’il fait entrer dans la collection personnelle de sa famille tout autant que dans celles de ses clients.
La première exposition à laquelle Riopelle participe chez Pierre Matisse a lieu en 1953 et le galeriste prend le risque de présenter ce jeune artiste au milieu des stars qui fréquentent ses murs : Braque, Picasso, Matisse, Miró ou encore Giacometti. Quelque mois plus tard, ses œuvres rentrent pour la première fois au Guggenheim Museum grâce à l’exposition collective Younger European Painters qui voyage par la suite à travers toute l’Amérique, lui assurant une visibilité sans précédent jusqu’ici. Lorsque Matisse écrit à Riopelle en janvier 1954, il vient tout juste d’inaugurer sa toute première exposition personnelle aux Etats-Unis. Le catalogue de l’exposition est accompagné d’un texte du complice Georges Duthuit qui est traduit par Samuel Beckett. La reconnaissance est en marche et le succès l’a suit de prés. Ses toiles rentrent progressivement dans les meilleures collections des clients de Pierre Matisse et Riopelle est choisi cette année-là pour représenter le Canada à la Biennale de Venise. 1955 marque alors un tournant. Fort de son succès, le peintre oublie les heures difficiles des années précédentes. Il s’installe dans un nouvel appartement du seizième arrondissement et surtout déménage son atelier à Vanves, dans une salle des fêtes réaffectée qui lui offre un espace de travail sans communes mesures. Une nouvelle exposition en mars chez Pierre Matisse rencontre un nouveau franc succès. Alfred Barr, le directeur du MoMA, a beaucoup apprécié sa peinture et la Galerie Nationale du Canada vient de réserver trois de ses toiles. La vie de Riopelle s’accélère, sa carrière explose. C’est également à ce moment-là qu’il fait une rencontre décisive tant pour sa vie personnelle que pour sa peinture, celle de Joan Mitchell qu’il surnomme rapidement Joan of Art. Il tiendra secrète cette liaison naissante pendant près de trois ans avant de la révéler à ses proches.
En parallèle, sa peinture a évolué, s’est transformé progressivement depuis 1953. Sans titre en offre un formidable exemple. Désormais, la touche par empâtement, morcellement de la surface en une mosaïque savamment composée, remplace les explosions de coulures des années passées. Riopelle fait son premier vol transatlantique en 1954 et la vision parcellaire du sol qu’il lui offre semble s’imprégner dans sa rétine. Une sorte de vision intérieure caléidoscopique de sa propre perception des forces en présence dans la nature semble être à l’œuvre ici. Il convoque la profondeur des noirs pour mieux révéler la lumière qui se dégage du tableau à travers les juxtapositions de blancs incandescents, de verts multiples et de bleus iridescents. Ainsi que l’écrit Georges Duthuit : « La vie vient d’ouvrir les paupières mais ne sait pas encore choisir ce qui s’engouffre à travers elle, ou bien elle ne le veut plus : déséquilibre crépusculaire d’avant le réveil ou d’après le sommeil. ».
“The young Americans will be after your skin, be in no doubt!” wrote Pierre Matisse in a mischievous letter to Jean Paul Riopelle on 7th January 1954. The young avant garde artists he was referring to were Rothko, De Kooning, Kline and probably Pollock too. The adventure which linked the artist with the gallery owner had started a year earlier through the intermediary of the art critic and poet Georges Duthuit who was in fact Henri Matisse’s son-in-law. Their meeting was truly decisive for Riopelle, opening the doors of New York and America to him and leading him to international recognition. He also recalls his first exchanges with the man who was then one of the most important dealers in New York: “When some economic crisis or other was going on and picture dealers were all reading nothing but stock market reports, Pierre Matisse came to see me and said “I’ll buy everything”. Seeing my surprise, he added “I’m a painter’s son. The only work I know how to do is picture dealing. If you run, I’ll run with you”.
The first exhibition in which he participated at Pierre Matisse’s gallery took place in 1953 and the gallery took the risk of presenting the young artist’s work surrounded by the stars which adorned its walls: Braque, Picasso, Matisse, Miró and Giacometti. A few months later, his works entered the Guggenheim Museum for the first time thanks to the group exhibition Younger European Painters which later travelled all over America, giving him hitherto unprecedented visibility. When Matisse wrote to Riopelle in January 1954, he had just inaugurated his very first personal exhibition in the United States. The exhibition’s catalogue included an article by the cunning Georges Duthuit, translated by Samuel Beckett. Recognition was on its way, swiftly followed by success. His canvases gradually entered the finest collections of Pierre Matisse’s customers and, that year, Riopelle was chosen to represent Canada at the 1955 Venice Biennale. Thus, 1955 marked a turning point for him. Encouraged by his success, the painter forgot the difficulties of his previous years. He took a new apartment in the sixteenth arrondissement of Paris and, more importantly, moved his studio to a reassigned reception room in Vanves which offered him an enormous space in which to work. A further exhibition in March in Pierre Matisse’s gallery brought him another undoubted success. Alfred Barr, the director of MoMA, greatly admired his painting and the National Gallery of Canada had just reserved three of his canvases. Riopelle’s life accelerated; his career exploded. At that time too he met someone who decisively influenced both his private life and his painting, Joan Mitchell, whom he quickly nicknamed Joan of Arc. He kept their burgeoning relationship secret for nearly three years before revealing it to those close to him.
At the same time, his painting evolved and became progressively transformed after 1953. Sans titre [Untitled] offers an outstanding example. From then on, his impasto technique, fragmenting the surface into a cleverly composed mosaic, replaced the explosions of colour of his previous years. Riopelle made his first transatlantic flight in 1954 and the view he saw of the land divided into plots seems to have impregnated his retina. A kind of interior kaleidoscopic view of his own perception of the forces present in nature seems to have been at work here. He summoned up the depth of blacks so as better to display the light which emerges from the picture through the juxtaposition of incandescent whites, numerous greens and iridescent blues. As Georges Duthuit wrote: “Life has just opened its eyes but does not yet know how to choose what it is engulfing, or perhaps life is no longer willing to do it: the crepuscular imbalance one feels before waking or after sleep”.