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Au seuil des années 1890, Renoir affirmait que, « En littérature aussi bien qu'en peinture, on ne reconnaît le véritable talent qu'aux figures de femmes » (in Renoir, cat. exp., Hayward Gallery, Londres, 1985, p.16). À ses débuts, le nu ne fait pourtant que des apparitions ponctuelles dans l'œuvre du peintre. Ce n'est qu'après son retour d'un voyage en Italie en 1881 que le corps féminin devient son sujet de prédilection. Inspiré par les fresques de Raphaël à Rome et l'art pompéien qu'il a pu voir à Naples, Renoir se met à peindre des nus monumentaux dans des décors arborescents. Ils deviennent bientôt l'un des motifs privilégiés des trente dernières années de sa carrière. Dans Les Grandes Baigneuses, composition magistrale qu'il achève en 1887 (Daulte, no. 514; coll. The Philadelphia Museum of Art), Renoir tente de conjuguer l'impressionnisme au langage de la peinture classique, optant pour un certain réalisme aux consonances ingresques, notamment dans le tracé précis des silhouettes. Or cette nouvelle tendance expressive laisse le public dubitatif ; une réticence qui l'encourage à renouer avec une démarche plus spontanée dans les années 1890. Ses nus se font alors plus impulsifs, plus enlevés, comme en témoigne la présente sanguine dont les contours vaporeux évoquent presque le sfumato.
L'une de ses œuvres sur papier les plus monumentales en main privée, et certainement la sanguine la plus aboutie jamais proposée à la vente, cette Baigneuse réalisée vers 1898 atteste toute la virtuosité de Renoir dans ce registre. L'artiste y rend hommage aux peintres qu'il admire tant, en particulier Antoine Watteau ou Pierre Paul Rubens, tous deux salués pour leurs talents en matière de sanguine. Renoir pousse ici le support vers de nouveaux champs d'expression, il en explore toutes les nuances de lumière et de texture, rehaussant et atténuant tour à tour les teintes rousses à l'aide de craie blanche. Le résultat s'avère spectaculaire, tant l'artiste parvient à fusionner les leçons tirées des maîtres (à la fois en termes de technique et de traitement du corps féminin) avec la vivacité, la modernité et les effets de lumière propres à ses racines impressionnistes. Si ses précurseurs réservaient la sanguine à leurs seuls dessins préparatoires, Renoir signe au contraire une composition ambitieuse et pleinement accomplie. Véritable prouesse graphique, cette Baigneuse s'impose comme un chef-d'œuvre à part entière. Héritière de Rubens, la peau veloutée de la figure y paraît presque palpable tant elle est modelée par le détail et baignée de riches contrastes que vient exalter le blanc de la craie. Contrairement à une autre sanguine de Renoir au format tout aussi imposant, Baigneuse accorde une place essentielle à ces notes laiteuses. Celles-ci viennent non seulement définir l'étoffe opulente dans la partie inférieure droite, mais théâtralisent aussi l'éclairage de l'ensemble, intensifiant la présence du modèle et la sensation d'immédiateté.
Rendue par cet alliage inédit de sanguine et de craie, une jeune femme assise sur un drapé, les cheveux coiffés en chignon, se sèche le pied à l'aide d'une serviette blanche : un thème qui apparaît dans d'autres œuvres de Renoir comme Baigneuse se coiffant (1893 ; National Gallery of Art, Washington), Baigneuse (1895 ; musée de l'Orangerie, Paris) ou Après le bain. Si le sujet, fondamentalement classique, ponctue l'histoire de l'art de l'Antiquité à la Renaissance et du Baroque à l'impressionnisme, la présente Baigneuse évoque tout particulièrement les tableaux de Rubens tels la Venus Frigida réalisée en 1611 (Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers), ou son interprétation du récit biblique de Suzanne et les vieillards. Renoir, lui, dépouille néanmoins sa scène de toutes références historiques, mythologiques ou religieuses. Ne s'encombrant guère de décor, il porte toute son attention sur le corps de son modèle, qu'il assoit sur un simple tissu blanc. Le choix de la sanguine lui permet d'obtenir des tonalités chaudes semblables à sa palette rosée si distinctive qu'il se plaît à décliner, notamment, sur la chair de ses baigneuses. Si l'on se fie par ailleurs à la ressemblance entre le modèle du présent dessin et le personnage à la chevelure brune qui habite de nombreuses toiles de la fin des années 1890, on en déduit qu'il s'agit sans doute de Gabrielle Renard. La jeune femme s'était installée chez les Renoir en tant que nourrice en 1894, à l'âge de quinze ans. Le fils de l'artiste, Jean, se souvient que ce fut sa mère qui eut l'idée de faire poser Gabrielle. Ce jour-là, la fameuse « Boulangère » à la crinière rousse – le modèle nu préféré du peintre – était indisposée et Renoir hésitait à engager une remplaçante à la réputation douteuse. « [Gabrielle] était dans la fleur de l'âge. Elle avait tellement l'habitude de voir ses amies poser nues qu'elle accueillit la suggestion avec le plus grand naturel » (in Renoir, My Father, New York, 1958, p. 365).
John House a souligné les résonances entre ces nus de Renoir et la peinture classique : « L'impressionnisme du milieu des années 1870 s'était chargé de fusionner le fond et la figure, traitant les personnages comme une partie intégrante du paysage ; un procédé que Renoir contredit sciemment dans ses tableaux de baigneuses, pour se réconcilier au contraire avec une approche humaniste traditionnelle qui place la figure au centre même de la démarche du peintre. De quoi redéfinir, du même coup, la position de son art dans la lignée figurative de la peinture européenne » (J. House, Renoir, cat. exp., The Arts Council of Great Britain, 1985, p. 259). Au fil du temps, les nus bucoliques de Renoir vont se métamorphoser en de colossales créatures dont les corps robustes et vigoureux inspireront notamment Pablo Picasso. Le Nu assis s'essuyant le pied que l'Espagnol signe en 1921 témoigne d'un intérêt marqué pour le travail de son prédécesseur, dont il possède quelques œuvres parmi lesquelles un grand dessin de nu acquis en 1919 par le biais d'Ambroise Vollard. La dense matérialité des figures féminines de Renoir et, de manière plus générale, sa technique aux zébrures douces et duveteuses auront aussi un impact retentissant sur le peintre surréaliste René Magritte. Sa production des années 1941 à 1947 est d'ailleurs surnommée, à juste titre, « la période Renoir ».
Renoir fait lui-même cette remarque à propos du classicisme : « Les sujets les plus simples sont éternels. Qu'une femme nue sorte des flots ou de son lit, qu'elle s'appelle Vénus ou Nini [Lopez, l'un de ses modèles préférés], on ne peut rien inventer de mieux » (in G. Adriani, Renoir, cat. exp., Kunsthalle, Tubingue, 1996, p. 265).
In the early 1890s, Renoir commented that "in literature as well as in painting, talent is shown only by the treatment of the feminine figures" (quoted in Renoir, exh. cat., Hayward Gallery, London, 1985, p.16). The painter had occasionally depicted the female nude during the early years of his career, but it was not until he returned from a tour of Italy in 1881 that he made it the principal theme of his art. Inspired by Raphael's frescoes in Rome, and the Pompeian frescos that he saw in Naples, Renoir began to execute the single, monumental nude figures in outdoor settings that remained a mainstay in his oeuvre through the last three decades of his career. In his seminal composition Les grandes baigneuses, completed in 1887 (Daulte, no. 514; coll. The Philadelphia Museum of Art), Renoir had hoped to ‘classicize’ Impressionism: there is a greater sense of realism overall in the way his figures are so precisely drawn, recalling that of Ingres. Yet this new direction in the artist’s oeuvre was not well received by the public, prompting Renoir to return to a more spontaneous approach and more broadly executed nudes in the 1890s, as illustrated in the present sanguine drawing, defined by its almost sfumato outlines.
As one of the most monumental works on paper by Renoir in private hands, and most certainly the most elaborately executed sanguine drawing ever to be offered at auction, Baigneuse of circa 1898 epitomizes Renoir’s unparalleled mastering of the sanguine technique. He pays tribute to the Old Masters he admired so, the likes of Antoine Watteau or Peter Paul Rubens, renowned for their draughtsman’s skill particularly with this medium. Yet there is no doubt that Renoir takes this technique further in exploring its full spectrum of expressive, textural and lighting nuances, heightening and sometimes mixing the sanguine with white chalk. The result is truly spectacular as Renoir fuses his assimilation of Old Masters, both in terms of the classical female nude subject and the sanguine technique, with the liveliness and contemporaneity of his Impressionist roots and the lessons learned about light effects. As opposed to the Old Masters, for whom sanguine remained very much a medium employed for preparatory sketches and outlines, Renoir here produces a very complete and elaborate composition, making his Baigneuse a unique stand-alone masterpiece of Renoir’s draughtsmanship. The female Rubenesque nude’s velvety skin is almost palpable given its detailed modelling and the rich contrast of light and shadow, accentuated by the use of white chalk. In contrast with another monumental sanguine female nude drawing realized by Renoir, the white chalk has a much more prominent role in Baigneuse, defining the opulent drapery in the lower right corner, but also dramatizing the light effects and hence offering a sense of presence and immediacy to his female model.
This unprecedented example of the use of sanguine and white chalk depicts a young woman with her hair tied up in a bun, seated on a drapery as she dries her foot with a white towel, a theme that appears in other works, such as Baigneuse se coiffant, 1893 (National Gallery of Art, Washington), Baigneuse, 1895 (Musée de l'Orangerie, Paris) and Après le bain. Moreover, it is a quintessential classical subject, from Antiquity to the Renaissance, from Baroque art to Impressionism, yet the present Baigneuse particularly brings to mind Rubens’ paintings, namely Venus Frigida painted in 1611 (Royal Museum of Fine Arts, Antwerp) and his depictions of the biblical theme Susanna and the Elders. The difference here is that Renoir’s bather is stripped of any historical, mythological or biblical reference. Renoir’s sole focus was the female nude’s body, having omitted a background or setting by simply seating the nude on the white drapery. Opting for sanguine as the main medium for the work meant that Renoir could achieve similar warm tonal effects as that of his signature pink and white colours often used for his female bathers’ flesh. By comparing Renoir’s model in the present Baigneuse with the raven-haired lady in other of his paintings from the late 1890s, one can only presume that the sitter is Gabrielle Renard. This young woman had joined the Renoir household as a nursemaid in 1894 at the age of fifteen. The artist's son Jean, recalled that it was his mother who suggested the idea of using Gabrielle as a model, when the russet-haired "La Boulangère," Renoir's favorite nude model, was ill, and the artist was reluctant to hire a local substitute with a dubious reputation. "[Gabrielle] was in the flower of youth. She was so accustomed to seeing her friends pose in the nude that she took the suggestion as a matter of course" (in Renoir, My Father, New York, 1958, p. 365).
Commenting on Renoir's link between these nudes and artistic tradition, John House has written, "The Impressionism of the mid-1870s had fused figure with ground, treating it as if it was part of the landscape; in the Bather paintings, Renoir was deliberately rejecting this process, by reinstating the traditional humanistic view of the figure as the painter's prime object of attention, at the same time as he was re-establishing the links between his own art and the figurative tradition in European painting" (J. House, Renoir, exh. cat., The Arts Council of Great Britain, 1985, p. 259). Over the years, Renoir's sylvan nudes morphed into the colossal, vital female figures that inspired Pablo Picasso, whose emblematic Nu assis s'essuyant le pied, 1921 reflects the latter’s purchase of works by Renoir, including a seated bather and a large drawing of a nude, through Ambroise Vollard in 1919. Renoir’s heavily textured female nudes, and more generally, his soft ‘feathery’ technique also influenced Surrealist artist René Magritte, whose body of works painted between 1941 and 1947 is referred to as the ‘Renoir’ period.
Remarking on classicism, Renoir stated, "The simplest themes are the eternal ones. A nude woman is Venus or Nini [Lopez, one of Renoir's favorite models], whether she is emerging from the waves of the sea or rising from her bed. Our imagination can conceive of nothing better" (quoted in G. Adriani, Renoir, exh. cat., Kunsthalle, Tübingen, 1996, p. 265).