Figure de reliquaire Fang
Fang reliquary figure
Figure de reliquaire FangFang reliquary figure

Gabon

Details
Figure de reliquaire Fang
Fang reliquary figure
Gabon
Socle par Kichizô Inagaki (1876-1951), Paris
Hauteur: 55 cm. (21 ¾ in.)
Provenance
Paul Guillaume (1891-1934), Paris, n° d'inventaire 546
Ader-Rheims, Ancienne collection Paul Guillaume, Art Nègre, 9 novembre 1965, lot 150 (ill.)
André Fourquet (1928-2001), Paris, acquise lors de cette vente
Collection privée
Literature
« Album » Paul Guillaume,n° d'inventaire 546, vers 1930
Perrois, L., "La statuaire Fang du Gabon",in Arts dAfrique Noire, Automne 1973, n.7, p.29, fig.9
Perrois, L., Arts du Gabon, éd. Arts d’Afrique Noire, Arnouville, 1979, fig. 79
Falgayrettes-Leveau, C., Fang, Musée Dapper, Paris, 1991, p.143
Bacquart, J-B., Art tribal de lAfrique Noire, Paris, 1998, p.126
Perrois, L., Fang, Cinq Continents, Visions d’Afrique, 2008, pl.26
Exhibited
Paris, Fang, Musée Dapper, 21 novembre 1991 – 15 avril 1992

Lot Essay

CHEF-D'OEUVRE DE L'ART FANG DE LA COLLECTION ANDRE FOURQUET
Par Louis Perrois

Dans les archives privées d’André Fourquet (aimablement communiquées à L. P. par M. Daniel Marchesseau), le célèbre collectionneur avait ainsi commenté la statue Fang de Paul Guillaume acquise en novembre 1965 à la vente de l’Hôtel Drouot : « Figure masculine de reliquaire byéri / Superbe exemplaire à patine laquée suintante noire. De par son style, ce byéri est à rapprocher du célèbre grand byéri de la collection Jacob Epstein, actuellement propriété du Musée Dapper à Paris - il en a la puissance et l’élégance. Une autre figure de byéri, extrêmement proche de celle-ci, se trouve dans les collections du Museum of Mankind (British Museum), Londres: même style, même jambes écartées, même visage avec les yeux en rondelles de cuivre, même coiffure, même patine, etc…. Seuls les bras manquent ici. Ces sculptures sont très possiblement de la même main. »

On sait que parmi les arts africains, la statuaire ancestrale des Fang de l’Afrique équatoriale a fasciné les artistes et intellectuels d’avant-garde du début du XX°siècle. Beaucoup de ces effigies de bois, à la patine noire, parfois suintante et huileuse comme ici, ont été rapportées du Congo français, et notamment du Nord Gabon, mais aussi de Guinée espagnole, avant 1920, certaines à l’instigation même de Paul Guillaume, alors tout jeune antiquaire à Paris, qui les achetait aux courtiers de produits coloniaux, parfois au sortir même des bateaux en provenance d’Afrique.

Les sombres « fétiches » des Pahouins, l’ancienne dénomination coloniale des Fang-Beti, ont quelque peu envahi les vitrines des boutiques de « curiosités » de Paris et parfois des expositions de galeries d’art, comme celles de New York en 1914 (« Galerie 291 », Marius de Zayas et Alfred Stieglitz, « Statuary in wood by African Savages : The Roots of Modern art ») ou de Paris en 1917 (Galerie Paul Guillaume, faubourg Saint-Honoré) [cf. Jean-Louis Paudrat in Le Primitivisme dans l’art du 20ème siècle, Flammarion, Paris 1987, p. 152 et 154]. Dans l’emblématique ouvrage « Negerplastik » de l’historien d’art Carl Einstein, paru dès 1915 à Leipzig, ce ne sont pas moins de huit sculptures fang (têtes seules et statues) qui figurent parmi la centaine d’illustrations proposées !

La statue de l’ancienne collection Fourquet, issue du fonds Paul Guillaume, est un parfait exemple de ces objets qui ont enchanté les artistes et poètes européens du début du XX° siècle. Voilà un ancêtre de lignage ou de clan, l’image votive d’un important père de famille (ésa) détenteur d’un byeri et de ses crânes, portraituré en majesté pour l’éternité, dans sa nudité originelle, si on excepte sa coiffe postiche à crête (nlo-o-ngo). Car si personne ne sait plus aujourd’hui de qui il s’agit, la mémoire s’en étant perdue, il n’en était pas de même dans les villages fang de la période précoloniale. Chaque statue faisait référence, de façon allusive par des détails de décor (par exemple la forme de la coiffe, comme ici avec sa frange de tresses), à des défunts plus ou moins connus ou à leur lignage, de même que les crânes conservés dans les coffre-reliquaires qui étaient des repères généalogiques essentiels, notamment pour la vie sociale et les alliances matrimoniales. Les ancêtres étaient en effet vus à la fois dans la foule fantomatique et anonyme des générations passées, mais aussi perçus comme des défunts familiaux qu’on avait connus et auxquels il fallait rendre un hommage régulier.

Rappelons que les « Fang » de l’Afrique équatoriale se répartissent en plusieurs sous-ensembles, l’un installé au Sud du Cameroun (comprenant les peuples Ewondo, Eton, Bene – constituant le groupe « Béti », ainsi que les Bulu autour d’Ebolowa, les Ngumba vers Lolodorf sur la Lukundjé, les Mabéa au sud de Kribi sur la côte, enfin les Fang proprement dits parfois désignés comme « Fang-Fang ») ; l’autre localisé au Nord du Gabon ( comprenant les Betsi sur le moyen Ogooué et autour de l’estuaire du Gabon, les nombreux Ntumu du plateau du Woleu-Ntem et le petit groupe des Mvaï, dans la vallée du Ntem, sans omettre les « Osyeba » à l’est vers l’Ivindo ) ; enfin, un ultime ensemble installé en Guinée équatoriale continentale, c’est-à-dire la province du Rio Muni, parmi lesquels on trouve les Okak du fleuve Utamboni, mais aussi des Balengi et Mabea côtiers (les « Playeros » de la littérature ethnographique espagnole), enfin des Ntumu (ceux qui ont été étudiés par G. Tessmann en 1909), les mêmes que ceux de Bitam au Gabon. Selon les informateurs de H. Deschamps (1962, p. 83), certains noms de sous-groupes sont en fait des surnoms tels que les « Ntumu » (du nom de la canne de chef, ntum, portée comme symbole de grade lors des palabres), les Betsi (de ntsi, celui ou ceux qui « s’en vont sans rien dire », sans se faire remarquer), les Nzaman (de nzam, « un met savoureux »), etc.

Les traditions orales d’origine des Fang sont à peu près les mêmes dans les différents groupes, du moins au Gabon : bousculés par les Mvélé du Cameroun central (c’est-à-dire les « étrangers », peut-être les Bassa ou des peuples de l’Adamawa, « à cheval »), ils sont venus d’une région de plateau dépourvue de grande forêt située loin au Nord-Est de leur habitat actuel ; en cours de route, ils ont dû, aidés par les Pygmées, « percer l’arbre adzap », puis « traverser une grande rivière appelée Yom (le Nyong ?) sur le dos d’un serpent géant » ; plus loin, ils furent attaqués par les Nzem de la vallée du Djah vers la Sangha. C’est au Nord-Est du Gabon que les différents courants se dispersèrent entre le XVII° et le XVIII° siècle. Certains se déplacèrent directement d’est en ouest vers la côte atlantique, d’autres en faisant un grand tour d’abord vers le sud puis vers l’Ouest, pour remonter au Nord à la fin du XIX° siècle.

Au plan spirituel et métaphysique, si on ne se souciait en rien d’une divinité créatrice telle que Dieu (Nzambe), une entité vague et lointaine, en revanche on demandait beaucoup aux ancêtres de sa propre famille, les bi-mvam ou be-kon et cela par l’intermédiaire des reliques osseuses du byeri (byer ou biéti, selon les régions) : la fécondité des femmes, le succès à la chasse, les richesses, la chance à la guerre, la guérison des maladies, la protection envers les sorciers maléfiques. Les crânes prélevés des défunts illustres (guerriers et notables mais aussi des femmes prolifiques) étaient considérés comme le réceptacle de la force vitale des individus : ceux de ses propres parents (en descendance paternelle), mais aussi ceux de valeureux ennemis tués au combat ou capturés et sacrifiés, et parfois ceux qu’on pouvait razzier à des groupes voisins. Si certains « fétiches » pouvaient être constitués de reliques animales, seuls les crânes et autres mâchoires des ancêtres du lignage étaient conservés dans les reliquaires d’écorce (nsekh byeri) et gardés magiquement par les effigies anthropomorphes de bois. Ces crânes familiaux étaient régulièrement honorés par des offrandes de nourriture. Ils étaient solennellement exhibés et nommés aux jeunes garçons au cours de l’initiation, un rite au cours duquel le candidat devait avaler une décoction d’alan (une plante dont l’ingestion avait des effets hallucinatoires) et rester la nuit face aux reliquaires du byeri et leurs effigies aux yeux de cuivre. Sous l’effet stupéfiant de la plante, l’impétrant « voyait » en rêve ses parents morts et recevait d’eux son vrai nom, parfois un surnom et ses interdits personnels.

La variante stylistique des okak (sud du Rio Muni)
Parmi les « Fang du Sud », les communautés de la région méridionale du Rio Muni (bassin du fleuve Utamboni) et des confins du Gabon voisin, sont des Fang-Fang et des Okak. Vers Médouneu au Gabon (région des Monts de Cristal), ces Fang-Fang sont connus sous le nom de Mekèny ou Mekè, des groupes avancés de la masse des Betsi du Haut-Como et de l’Abanga du Nord Gabon. Ce sont des voyageurs et missionnaires espagnols (par exemple les Claretianos) qui ont, dès les années 1880, trouvé et collecté chez les Okak et les Mekè des effigies de bois de petite taille (environ 35 à 40 cm) ou parfois de dimension plus imposante (60 à 80 cm), d’une facture assez particulière mais toutes ayant en commun une robustesse affirmée des volumes, contrastant avec les statues longilignes des Ntumu voisins. Cette facture est caractérisée par un modelé du corps soigneusement sculpté, tendant parfois à un relatif réalisme (torse avec des pectoraux marqués pour les hommes ou des seins volumineux et arrondis pour les femmes ; épaules et bras de volumes pleins et arrondis ; tête très massive avec un large front et de grands yeux de laiton). Les traits du visage sont souvent accentués avec une bouche prognathe et une barbe en tenon, rappelant une facture ngumba (cf. Perrois, 2006, Fang, planches 16 à 20).

Le byeri suintant de l’ancienne collection André Fourquet
Bien que maintes fois publiée, cette représentation d’un ancêtre, d’une stature épurée et majestueuse, nappée d’une remarquable chape de patine noire et suintante, s’impose à celui qui la contemple comme une des œuvres majeures de l’art sculptural des Fang de l’Afrique équatoriale Atlantique. De morphologie exacerbée, tout en minceur, avec des épaules galbées mais des bras grêles (dont il manque les avant-bras et les mains, peut-être mutilés intentionnellement au moment de la collecte afin de désacraliser l’effigie), le personnage, en position demi-assise et les jambes fièrement écartées (la cheville droite ayant conservé un lien de rotin ayant dû servir au maintien sur la boîte reliquaire), juché sur un pédoncule postérieur de fixation (monoxyle) destiné à le solidariser de sa boîte à crânes, offre une allure hiératique, comme désincarnée. L’ancêtre est discrètement mais explicitement sexué. Certains détails de facture, tels que l’enflure de l’abdomen au niveau du nombril, la rotondité des cuisses et le relief biconique des mollets, rattachent bien l’œuvre dans les canons traditionnels et caractéristiques de la statuaire fang dans son ensemble. Au plan des proportions, la statue se décompose en trois tiers, la tête très importante, un tronc mince relativement court que prolonge le cou cylindrique et des membres inférieurs de même ampleur. L’intention du sculpteur a bien été de privilégier la tête, qui avec ses grands yeux brillants et sa magnifique coiffe d’apparat, symbolise la toute puissance de l’ancêtre protecteur.

La tête et la coiffe
La tête, de face comme de profil, impose un schéma parfaitement maîtrisé de courbes convexes et contre-courbes concaves, du front d’abord, en quart de sphère bordé d’un bandeau de fines tresses longitudinales disposées en frange, articulées sur le creux de la longue face en « cœur », aux vastes orbites arrondies et au nez allongé, avec une large bouche aux lèvres minces étirée vers l’avant, juste au dessus du menton galbé et orné d’une « barbe » monoxyle de volume en tenon ; mais aussi de la coiffe à crête axiale, déjetée en arrière du front, et retombant en catogan sur la nuque. Les oreilles, en léger relief stylisé, sont en arrière des joues, à la base du bandeau frontal. A noter l’orifice transversal perçant le haut de la crête, ayant permis la fixation d’un bouquet de plumes d’aigle ou de touraco. Ce qui impressionne le plus dans cet ensemble, ce sont les grands yeux faits de rondelles de cuivre, maintenus par de la résine et des clous formant les pupilles. Il semble que les artistes fang aient à ce égard développé deux façons de représenter les yeux : par des rondelles de cuivre rapportées, plutôt dans les variantes du Nord, et par des yeux en amande, plus ou moins volumineux et étirés, sculptés dans la masse du visage, dans les variantes du Sud.

Au plan stylistique, cette œuvre de grande qualité sculpturale, combine des éléments Okak, comme les proportions en trois tiers, le volume de la tête et les membres inférieurs en position écartée et tendue, mais aussi Ntumu, par la minceur du cou cylindrique et du tronc ainsi que les bras décollés du corps. Depuis les études de G. Tessmann qui a travaillé de 1904 à 1909 au Rio Muni, on sait que les groupes Okak et Ntumu étaient à la fois voisins et en contact culturel, du fait de l’exuiguïté de cette région de la Guinée Equatoriale.

Cette impressionnante et majesteuse statue d’ancêtre, aux traits épurés et graves, dont les brillances noires nous fascinent, est l’archétype des œuvres immémoriales des Fang Okak ou Ntumu de la région occidentale de la grande forêt équatoriale.

Œuvres de comparaison, les visages fang « à grands yeux de cuivre »
En comparant un grand nombre d’œuvres fang, on a pu remarquer qu’un détail de facture revenait avec récurrence dans les productions des Fang du Sud, notamment celles des Okak du Rio Muni et des Betsi du Nord Gabon: ce détail est celui des grands yeux de cuivre, rapportés, collés et cloutés. On identifie de type d’yeux sur beaucoup de sculptures désormais connues et publiées, telles que le grand byeri du musée Dapper mentionné par André Fourquet (ancienne collection G. De Miré et Jacob Eptein, 70 cm), la statue du British Museum (don Margaret Plass 1956, 60 cm), une statue de l’ancienne collection Pierre et Claude Vérité (vente de juin 2006, n° 199, 71 cm), mais aussi une tête fang exceptionnelle à barbe en tenon d’André Fourquet (38 cm, in Perrois Fang 2006, planche 5) ou une autre, à long pédoncule de l’ancienne collection Jacob Epstein puis Carlo Monzino (58 cm, exposée à New York en 1986), enfin un buste Fang de l’ancienne collection du Dr Chadourne (Musée Dapper, 29 cm) et la grande tête dite « de Chinchoa » (coll. P. Amrouche, provenance Gouv. Louis Ormières 1904, 56 cm, exposée récemment à Milan).

Concernant l’opinion d’André Fourquet qui pensait que son byeri 55 cm provenait peut-être d’une « même main » que les statues du musée Dapper et du British Museum, je ne le suis pas sur ce terrain. Qu’il y ait eu des « ateliers » dans la région Okak, c’est très probable mais il faut tout de même plus d’éléments de convergence (structure, proportions, détails remarquables, etc.) pour avancer une telle hypothèse.

J’ai pu en retrouver d’autres exemples d’effigies à grands yeux de cuivre dans les collections espagnoles, notamment dans le fonds Fang du Musée d’anthropologie de Madrid, provenant toutes du Rio Muni (Inv. Ref/ n°1136, 59 cm ; Inv. Ref./405-11081, 39.5 cm, collecté en # 1890 ; Inv. Ref/ n°1255, 116 cm. in Catalogue « Tallas y mascaras en el Museo nacional de Etnologia », Marta Sierra Delage, 1980 et doc. du NMA, Madrid, cf. ill. ci-dessous). André Fourquet avait d’ailleurs déniché dans les années 80, une intéressante et curieuse sculpture à grands yeux de cuivre et pourvue d’une ample coiffure à grosses tresses, chez les missionnaires Claretianos de Barcelone, rapportée de Guinée espagnole vers 1900 (91 cm avec un coffre-reliquaire, ex coll. Fourquet puis Arman NY, 91 cm, in catalogue « Byeri fang, Sculptures d’ancêtres en Afrique », Marseille 1992, p. 188-189.)
C’est à ces multiples renvois à toutes les grandes collections « d’art primitif » internationales, qu’elles soient privées ou publiques, qu’on mesure rétrospectivement l’étendue de l’érudition « fang » d’André Fourquet qui, en quelques décennies avait pu non seulement trouver mais aussi étudier l’ensemble des productions majeures de ce peuple, si emblématique de l’épopée étonnante de la créativité sculpturale africaine.












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