Lot Essay
SARCOPHAGE ANTRHOPOMORPHE DES NKUNDU/NGATA par François Neyt
Nord-Ouest de la R.D.Congo, région de Mbandaka.
Au coeur des forêts subéquatoriales, il est de ces sculptures intrigantes, rares, de qualité exceptionnelle. Elles récapitulent en elles-mêmes, à travers des signes inoubliables, l'imaginaire de tout un peuple sur le sens de la vie et de la mort. Le sarcophage Nkundu/Ngata qui a si longtemps orné la demeure de Marthe et Willy Mestach, étonnant plus d'un visiteur, fait partie de ces objets-phares et invite à en savoir davantage à plusieurs points de vue: De quel univers a jailli cette sculpture d'une beauté mystérieuse? Quel est le contexte culturel qui a favorisé l'éclosion d'une telle production et pourquoi a-t-elle suscité une telle surprise en Occident? Quelle place cette oeuvre tient-elle dans l'histoire politique et sociale de la région? Art, culture et histoire vont guider cette enquête; celle-ci implique un regard panoramique sur les traditions de l'Afrique centrale.
Des reliquaires aux sarcophages
Le culte des ancêtres est constitutif des peuples d'Afrique centrale, locuteurs bantous qui gardaient précieusement les crânes et les os longs de leurs ancêtres. Dès les XVIIIème et XIXème siècles, des visages et des effigies sont sculptés, protégeant les ancêtres réputés ou dangereux au Gabon, au Congo-Brazzaville et au Congo-Kinshasa. Les reliquaires des Mbédé, au nord du Congo septentrional, creusant un tronc d'arbre, lui donnant des allures humaines, y déposant les ossements sacrés, apportent un premier point de comparaison avec les peuples de la région de Mbandaka. En effet, certaines de ces sculptures sont taillées de telle manière qu'un caisson s'ouvre dans le dos pour y placer des ossements humains, peut-être utilisées dans des danses funéraires. La comparaison mérite d'être soulignée et appelle sans doute une étude comparative. Car, des figures semblables, plus petites que les sarcophages, existent chez les Nkundu/Ngata et appellent des études plus fouillées.
D'autres peuples sculptaient des gardiens de reliquaires, tels les Fang, les Tsogo et les Kota, usant tantôt de bois, tantôt de métal, cuivre, laiton, fer. Dans le moyen et le bas-Congo, les Téké privilégièrent le culte ancestral tandis que les Congo favorisaient la royauté et les rites divinatoires. Les Bwendé et les Bembé façonnent des effigies-reliquaires en tissu. Chez les premiers, après avoir été soumis à un processus de dessiccation par fumigation, le cadavre est couvert de nattes, de fibres végétales et de tissus pour être ensuite placé dans un reliquaire géant, sarcophage proprement dit, pouvant atteindre trois mètres sur quatre, porté en procession, enterré dans une fosse profonde, ce sont les Niombo. Chez les Bembé, les statues-reliquaires sont en tissu et leur taille, d'environ 45 cm, contient quelques reliques; ce sont les Muzidi. Parallèlement, des sculptures en bois, contenant des reliques et enveloppées de tissus noués par des fibres et des cordelettes sont honorées.
Les usages diffèrent d'un groupe humain à l'autre. La formule la plus simple demeure l'ensevelissement du défunt dans une natte ou dans un panier tressé dans lequel le défunt est enveloppé de pétioles de jeunes palmiers. Cet usage est pratiqué par les Nkundu et porte le nom de bombai, réalisé par l'association des Bonsago. Une autre pratique consistait à placer le défunt dans un panier en position assise. Le notable ou le chef défunt pouvait porter sur la tête une coiffe ornée de plumes, rappelant son statut social.(1)
Dans la région de Mbandaka, anciennement Coquilhatville, se rencontrent plusieurs types de sarcophages en bois sculptés. Les uns sont anthropomorphes, d'autres combinent sur l'assemblage de deux pirogues des éléments géométriques et zoomorphes stylisés. Le bois des sarcophages anthropomorphes est souvent arrosé du sang d'un chien sacrifié pour écarter tout maléfice de la tombe.
Le sarcophage anthropomorphe des Nkundu/Ngata
L'exemplaire présenté est d'un caractère unique par sa dimension, les proportions, la qualité de la sculpture et de la décoration. Taillé probablement dans le Ricinodendron, bois mi-lourd, le personnage masculin, en posture hiératique, aux traits hyperlongiformes, mesure 254 cm de hauteur. La forme générale du sarcophage est d'allure parallélépipédique aux angles droits légèrement arrondis; le caisson conçu pour contenir les restes du défunt est taillé dans le dos de la figure masculine. L'usage de cette oeuvre magistrale sera examiné plus loin. Ses traits étirés à l'extrême, avec un art consommé, peuvent évoquer les perspectives du sculpteur Giacometti. Ils sont encore accentués par le visage et la barbe, les bras pendants le long du corps tenant dans la main gauche le couteau à lame courbe, dit "couteau d'exécution", le sexe étiré, tombant, les membres inférieurs en posture debout.
La tête imposante, d'allure sphérique, repose sur un cou anguleux et massif. Le visage est découpé en forme de coeur comme il est de tradition dans les zones forestières habitées par les locuteurs bantou. Les yeux ajourés, en amande (contenant une petite rondelle de bois représentant la pupille) reposent sur le plan concave qui court de la base du nez, le long des arcades sourcilières, le long des joues, le plan buccal ovale, largement ouvert, aux douze dents sculptées en bois séparément et implantées. L'appendice nasal est triangulaire s'inscrivant avec harmonie dans l'espace facial. Les oreilles à l'hélix curviligne et au tragus triangulaire (surmonté d'un élément en biais à droite et de l'anthélix plus accentué à gauche) sont saillantes, légèrement tournées vers l'avant. Trois rangées d'incisions parallèles se relèvent sur les tempes. Les scarifications "en crête de coq", pratiquées par les populations septentrionales, comme les Ngbaka, s'inscrivent sur le front au-dessus du nez. La ligne du front est soulignée par deux rangées de cordelettes tressées, remontant jusqu'au sommet du crâne au milieu du front et se relevant de même derrière les oreilles. Sur le crâne lisse se découvrent des traces noires de résine végétale. Enfin sous le menton aux angles rectilignes une barbiche est suggérée par des cordelettes tressées et disposées en carré.
Le plan des épaules est arrondi suivant la position des bras tombants le long du corps, parallèle au tronc taillé lui aussi sous des formes épannelées. Les isométries longiformes se reconnaissent des épaules jusqu'à la ligne décorée sous les mains, de ce point jusqu'au-dessus du sexe, et ensuite jusqu'à la plante des pieds, soit une division tripartite, à laquelle il convient d'ajouter un élément intermédiaire qui se reconnaît dans la hauteur de la tête et du cou, à partir des zones peintes et du nombril comme point de référence. Les proportions épousent ainsi des séquences bien définies qui rythment harmonieusement la sculpture et la décoration. Faut-il entrer dans les détails descriptifs? Notons simplement les bras légèrement repliés vers l'arrière, les paumes des mains posées à plat près du corps. Celle de gauche tenant le couteau d'exécution. Les seins et l'ombilic sont sculptés en pastille saillante, soulignant la grande sobriété de la sculpture, sinon les surfaces peintes: teinture d'un rouge brun moucheté de points blancs sur tout le corps avec des rehauts de teinture blanche courant sur la base du thorax et sur le haut du ventre. Ces surfaces blanches sont ponctuées de motifs losangés d'un bleu indigo.
Le dos s'ouvre sur un caisson rectangulaire. En haut, deux clous rappellent la planche disparue qui devait fermer le cercueil qui était surélevé par deux éléments en bois; en bas, une fente arrondie délimite le bas du fessier. L'espace global paraît étroit pour contenir la dépouille du défunt. Toutefois, il faut considérer les pratiques en usage: la dessiccation du corps pendant plusieurs mois au sens littéral du mot sarcophage "celui qui mange les chairs". Et le fait que l'on brise des articulations pour faire entrer de force la dépouille dans l'espace creusé. Dans la figure étudiée, il n'y a pas trace de quelque relique que ce soit. Les membres inférieurs implantés vers l'avant tombent droit, de façon réaliste, mollets et pieds sculptés de façon réaliste. Oeuvre grandiose, expression d'un sculpteur maître de son art.
L'atelier de sculpture et le style
Par souci de clarification des données ethnographiques, distinguons simplement deux types de sarcophages sculptés:
-Les sarcophages composés de deux pirogues superposées et décorées d'éléments géométriques et zoomorphes, sculptés par les Eleku, résidant le long du fleuve. C'est en effet, en 1960 que G. Hulstaert(2) publia une étude sur les cercueils anthropomorphes de la région de Mbandaka. Il distingua ceux qui étaient en usage chez les Eleku, riverains et ceux qui étaient utilisés par les Nkundu résidant plus loin. Chez les premiers, le cercueil, mesurant 3m10, prend des formes stylisées, pouvant évoquer la forme générale d'une pirogue, celle d'un cormoran ou de quelque oiseau apparent ainsi que les nageoires d'un poisson(3).
-Les sarcophages anthropomorphes relèvent surtout des Nkundu-Tomba, auxquels on peut joindre quelques-uns de leurs sous-groupes (les Lifumba, les Bombwanja, les Bonkoso, les Tomba de la région d'Ingendé et les Bofidji(4)). La sculpture Ngata se rattache à ce dernier type.
La zone nucléale de la sculpture des sarcophages anthropomorphes est incontestablement située sur le territoire des Nkundu dans la région de Bikoro sur le territoire de Mbandaka. La date avancée par un informateur de G. Hulstaert remonte aux années 1880. Ces sarcophages n'auraient plus été sculptés après les années 1940(5). Ceux-ci sont rares et conservés surtout au Musée Royal de l'Afrique centrale à Tervuren. Il est donc exceptionnel qu'une telle oeuvre, une des plus belles, soit présentée chez Christie's. Si le sarcophage provient des Nkundu/Ngata, il aurait pu être réalisé par un sculpteur Nkundu se rattachant à l'association des Bokongo.
Les pratiques culturelles
Celles-ci sont longuement décrites dans plusieurs articles par le Père G. Hulstaert et reprises globalement par J. Volper qui évoque d'autres usages possibles.
-La tradition rapporte incontestablement l'usage du cercueil anthropomorphe destiné aux funérailles des notables; ce sarcophage portait le nom de "grand efomba". Les rituels ont été longuement décrits depuis la mort du personnage, du temps nécessaire à traiter le corps pour le conserver et sculpter le bois, la célébration publique au village, l'ensevelissement réservé aux membres de l'association(6).
-Il est évoqué aussi la possibilité de sacrifices humains, femmes ou esclaves accompagnant le défunt dans la tombe. On rapporte que le haut de la sculpture et les membres inférieurs étaient coupés, placés dans la tombe dans les bras des deux victimes étourdies au préalable.
-Le sculpteur appartenait à l'association des Bonganga qui avait ses rites et ses interdits. La sculpture demandait plusieurs mois de travail et se faisait dans un enclos protégé (esata).
-Souvent en Afrique, des objets utilitaires, comme les sièges, herminettes, lances, couteaux et tant d'autres exemples qui pourraient être cités, deviennent des objets de prestige et ne répondent plus à l'usage initial. Il n'est donc pas étonnant qu'à un certain moment de l'histoire des Nkundu, le sarcophage ait été considéré à son tour comme un signe de prestige, une figure commémorative. Déjà en 1897, lors de l'exposition internationale de l'Etat indépendant du Congo, T. Masui avait soulevé cette hypothèse, reprise par G. Hulstaert: "Il existe une variante du sarcophage anthropomorphe, destinée à garder le souvenir du défunt"(7). Dans le même esprit, des bustes et des statues traditionnelles sont sculptés. Celles-ci s'éloignent nettement du sarcophage. Dans les danses bobongo, relève J. Volper, des figures sculptées, au dos creusé comme les sarcophages (emumu), interviennent. Peut-être pourra-t-on aussi établir certains rapprochements avec les traditions sculptées des Mbédé du Gabon qui sculptent aussi un caisson dans le dos de leurs sculptures funéraires, comme cela a été signalé au début de ce document.
-Publié par W. Mestach, dans L'intelligence des formes, 2007, p.183, cat. 067, le sarcophage, écrit l'auteur, évoque l'image de la pirogue et des ossements du défunt, après les secondes funérailles, confiées aux eaux du fleuve. Cette idée du collectionneur est reprise par Evan Maurer, opus citatus, 1991, p.96 fig. 80. Elle ne correspond pas à la réalité des renseignements de terrain. Le sarcophage n'est jamais porté par les eaux du fleuve; il est enterré dans le sol après la fracture de la tête et des membres inférieurs.
L'histoire de la région et la localisation du sarcophage
Sur le Moyen-Congo, dans la partie septentrionale du Congo-Brazzaville, aux abords de l'Oubangui, les villages s'organisèrent entre eux, dès le XIVème siècle pour se protéger des incursions militaires du nord-est. Ce sont les Ngbandi, de langue non bantoue, qui établirent la règle de la succession patrilinéaire et qui constituèrent petit à petit le principe de la primogéniture et d'une véritable dynastie. Dans la zone de confluence de l'Uélé et du Bomu, des royaumes surgirent avec des dirigeants ngbandi(8). Peu à peu, aux XVIIème et XVIIIème siècles, les Ngbandi se déployèrent le long de l'Oubangui, imposant leur langue et leur culture. Les Ngombé, influencés aussi par les Ngbaka(9), se renforcèrent en s'unissant sous un ancêtre commun. Militarisés comme les Ngbandi, ils usaient d'épées, de couteaux de jets et de lances. Mais ils furent forcés de se replier vers le sud et l'ouest tandis qu'au sud-est, sur l'Itimbiri, les Mbuja résistèrent aux Ngbandi.
Sur le plan artistique, les Ngbaka, dont les langues se rattachent aux parlers camerounais, sculptent des masques taillés en réserve en forme de coeur. Des incisions ou scarifications apparaissent sur la crête nasale, le front et les tempes. Ils façonnent aussi des pipes anthropomorphes. Les Ngbandi et leurs voisins possèdent aussi des statues d'ancêtres, honorant les fondateurs des lignes dominantes. Chez les Budja, comme chez les Mongo de la Tshuapa, les femmes façonnent depuis des siècles de merveilleuses poteries.
La présence des scarifications frontales et temporales du sarcophage étudié relie la sculpture aux traditions des Ngbaka et des peuples septentrionaux. Le couteau à lame courbe, couteau d'exécution, utilisé jadis comme arme ou monnaie, est devenu au cours des ans un couteau cérémoniel porté par les notables ou les chefs. Il était fabriqué par les forgerons, en usage dans toute la région de l'Ubangi. Le côté tranchant est à l'extérieur de la courbe à la différence de celui qui est un emblème de prestige chez les Bembé orientaux dont le côté tranchant est à l'intérieur comme une serpe. Quant à l'usage de la teinture rouge et blanche, liée à des rites de passage entre la vie et la mort, il est manifeste et éclate avec force sur le sarcophage. Les bandes blanches peuvent aussi évoquer des vêtements portés sur la poitrine et le ventre; celles-ci pouvaient être faites de rangées de cauris(10). La décoration des losanges, pouvant être un signe de fécondité, relevant chez les Luba de la lune unie à la terre, lors de la nouvelle lune, est sujet aussi bien des interprétations, de même que le décor moucheté pouvant évoquer des félins et le caractère mystérieux du temps au coucher et au lever du jour(11). Sans vouloir aller trop loin, il est incontestable que cette sculpture anthropomorphe est hautement symbolique et récapitule les signes de l'autorité des chefs Ngata. Elle apporte une dimension historique à la connaissance de la région. J. Maes localise les sarcophages Ngata à l'embouchure de la rivière Ruki. Cette rivière se jette dans le fleuve Congo sous la ville actuelle de Mbandaka (autrefois Coquilhatville). Au nord de la Ruki, le long des berges du fleuve Congo habitent les Eleku. A l'embouchure de la Ruki dans le fleuve, côté sud, résident plusieurs groupes Kundu. C'est probablement là qu'il faut localiser l'atelier qui a sculpté le sarcophage étudié.
L'arrivée de l'oeuvre en Europe et sa datation
Le sarcophage de la collection W. Mestach a été acquis chez un antiquaire de Bruxelles, après la guerre 1940-45. Il est très probable que cet antiquaire soit G. Dehondt. Ce dernier vendit au Musée de l'Homme à Paris le sarcophage efomba Nkundu, présentement au Musée du Quai Branly sous le numéro 73.1992.0.1. A ce propos, Mademoiselle Huguette Van Geluwe du Musée Royal de l'Afrique centrale à Tervuren écrit à Madame Delange dans une lettre datée du 19 novembre 1970 que le sarcophage provient de cet antiquaire bien connu et qu'il a été photographié par le R.P. Boelaert en 1940. Deux autres sarcophages, ajoute-t-elle, sont au Musée de Tervuren et avaient été photographiés avant 1896 et publiés dans les Annales du musée de Tervuren(12). Ces sarcophages anthropomorphes, acquis par le Musée Royal de l'Afrique centrale, ont été récoltés à la fin du XIXème siècle et présentés à l'exposition Bruxelles-Tervuren en 1897 et collectés par C. Lemaire en 1891 et offerts au musée en 1893(13).Le sarcophage de Willy Mestach se rattache sur le plan stylistique et culturel à cette première génération des sculptures, spécialement au sarcophage anthropomorphe référencé MRAC 42798. Celui-ci, collecté par Mr Stasse et offert au musée par son épouse en 1909, présente des correspondances morphologiques et des dessins analogues (teinture sombre mouchetée de points blancs). La comparaison souligne combien le sarcophage de W. Mestach est de loin le plus remarquable, oeuvre quasi unique et d'une rare qualité plastique. Il convient de le dater au tournant du siècle après 1890 et avant 1909.
D'autres sarcophages sont apparus dans les années 1940 et récemment de nombreux faux circulent en Europe. Il faut dater le sarcophage étudié de la même époque que ceux de Tervuren, sinon au début du XXème siècle. Comme des Nkundu du groupe Ntomba résidaient dans le village de Wangata wa Ibonga, le sarcophage a été attribué aux Ngata. Le sculpteur est probablement Kundu comme l'a souligné J. Volper.
(1): Les sarcophages des Nkundu/Ngata ont surtout été étudiés par le Père G. HULSTAERT qui a vécu longtemps dans la région. De 1937 à 1985, il est revenu souvent sur le sujet, surtout dans la revue Aequatoria. Voir déjà "Coutumes funéraires des Nkundu" dans Anthropos, vol.XXXII, n.3-4, p.502-527 et n.5-6, p.729-742, 1937.
J. VOLPER, Exquise vanité. Les sarcophages des Nkundu, dans Tribal Art, n.61, 2011, p.108-117, en donne la liste complète ainsi qu'une biographie détaillée, p.117.
(2): Les cercueils anthropomorphes, dans Aequatoria, n.4, p.123-129.
(3): MAESEN Albert, Umbangu, pl.50, fig.56.27.1.
(4): Cité par Julien VOLPER, Exquise vanité. Les sarcophages des Nkundu, Tribal Art, n.61, 2011, p.111 se référant à G. HULSTAERT, Les cercueils anthropomorphes, Aequatoria, vol. XXIII, n.4, 1960, p.121-129.
(5): Selon Bokoko, informateur du P. Hulstaert, cité par J. Volper, cité plus haut, p.111-112.
(6): La sculpture est aux mains d'une association secrète et du prêtre-devin, le Nganga. Le sculpteur était rarement pressé et prenait son temps pour sculpter tandis que le corps était traité de manière à le conserver: décomposition du corps reposant sur des poutres, au-dessus d'une couche de sable dans une fosse; elle-même couverte d'écorces d'arbres et de terre. D'autres modes de dessiccation, telle la fumée, étaient utilisés. La cérémonie comprenait une procession dans le village, des chants, des pleurs, la mise du corps dans le cercueil par des initiés sous la direction du Nganga, des nattes étaient offertes aux initiés. Au moment de l'ensevelissement, la tête et les jambes étaient coupées, déposées sur les genoux de deux esclaves sacrifiés quand il s'agissait du cadavre d'un homme.
(7): HULSTAERT G., 1960, p.127 ; VOLPER, p.112.
(8): Vers 1600, VANSINA, 1991, p.148, note 41.
(9): Ibidem, p.149, note 46. Dans l'extrême nord, ils furent influencés par les Ngbaka; les Ngombé de Budjala étaient clients des Ngbandi.
(10): GROOTAERS, Umbangi, Art et Cultures au coeur de l'Afrique, Berg-en-Dal, 2007,fig.6.9, p.269, femme Manga ou Banda.
(11): Par contre, sur les sarcophages eleku, ce motif évoque le cormoran ou le grand martin-pêcheur.
(12): Volume Les Arts. Les Religions, 1902-1906, p.180.
(13): MRAC EO.0.0.37340; photo Meunier 1897 (voir J. VOLPER, cité plus haut, p.108 et 109). La datation et l'attribution de la collecte des sarcophages sont longuement discutées par ce dernier auteur. Ainsi J. MAES évoque le nom de A. Van Gele qui aurait collecté un sarcophage en 1882 et donné au musée avant son existence en 1885.
BIBLIOGRAPHIE:
C.COQUILHAT, Sur le haut Congo, Bruxelles, 1888.
M. LEIRIS et J. DELANGE, Afrique noire. La création plastique, Paris, 1967, p.357, fig.418.
Meubles et décors, Editions Benelux, novembre 1970.
K.F. SCHAEDLER, Afrikanische Kunst, Munich, 1975, p.246, fig.361
Actualité des Arts, n.3, novembre 1973, couverture.
Fr. NEYT, Arts traditionnels et histoire au Zaïre, Louvain-la-Neuve, 1981, p.25, fig.I.5.
E.M. MAURER, The Intelligence of Forms. An Artist Collects African Art, Minneapolis Institute of Arts, 1991, p.96, fig.80.
Nord-Ouest de la R.D.Congo, région de Mbandaka.
Au coeur des forêts subéquatoriales, il est de ces sculptures intrigantes, rares, de qualité exceptionnelle. Elles récapitulent en elles-mêmes, à travers des signes inoubliables, l'imaginaire de tout un peuple sur le sens de la vie et de la mort. Le sarcophage Nkundu/Ngata qui a si longtemps orné la demeure de Marthe et Willy Mestach, étonnant plus d'un visiteur, fait partie de ces objets-phares et invite à en savoir davantage à plusieurs points de vue: De quel univers a jailli cette sculpture d'une beauté mystérieuse? Quel est le contexte culturel qui a favorisé l'éclosion d'une telle production et pourquoi a-t-elle suscité une telle surprise en Occident? Quelle place cette oeuvre tient-elle dans l'histoire politique et sociale de la région? Art, culture et histoire vont guider cette enquête; celle-ci implique un regard panoramique sur les traditions de l'Afrique centrale.
Des reliquaires aux sarcophages
Le culte des ancêtres est constitutif des peuples d'Afrique centrale, locuteurs bantous qui gardaient précieusement les crânes et les os longs de leurs ancêtres. Dès les XVIIIème et XIXème siècles, des visages et des effigies sont sculptés, protégeant les ancêtres réputés ou dangereux au Gabon, au Congo-Brazzaville et au Congo-Kinshasa. Les reliquaires des Mbédé, au nord du Congo septentrional, creusant un tronc d'arbre, lui donnant des allures humaines, y déposant les ossements sacrés, apportent un premier point de comparaison avec les peuples de la région de Mbandaka. En effet, certaines de ces sculptures sont taillées de telle manière qu'un caisson s'ouvre dans le dos pour y placer des ossements humains, peut-être utilisées dans des danses funéraires. La comparaison mérite d'être soulignée et appelle sans doute une étude comparative. Car, des figures semblables, plus petites que les sarcophages, existent chez les Nkundu/Ngata et appellent des études plus fouillées.
D'autres peuples sculptaient des gardiens de reliquaires, tels les Fang, les Tsogo et les Kota, usant tantôt de bois, tantôt de métal, cuivre, laiton, fer. Dans le moyen et le bas-Congo, les Téké privilégièrent le culte ancestral tandis que les Congo favorisaient la royauté et les rites divinatoires. Les Bwendé et les Bembé façonnent des effigies-reliquaires en tissu. Chez les premiers, après avoir été soumis à un processus de dessiccation par fumigation, le cadavre est couvert de nattes, de fibres végétales et de tissus pour être ensuite placé dans un reliquaire géant, sarcophage proprement dit, pouvant atteindre trois mètres sur quatre, porté en procession, enterré dans une fosse profonde, ce sont les Niombo. Chez les Bembé, les statues-reliquaires sont en tissu et leur taille, d'environ 45 cm, contient quelques reliques; ce sont les Muzidi. Parallèlement, des sculptures en bois, contenant des reliques et enveloppées de tissus noués par des fibres et des cordelettes sont honorées.
Les usages diffèrent d'un groupe humain à l'autre. La formule la plus simple demeure l'ensevelissement du défunt dans une natte ou dans un panier tressé dans lequel le défunt est enveloppé de pétioles de jeunes palmiers. Cet usage est pratiqué par les Nkundu et porte le nom de bombai, réalisé par l'association des Bonsago. Une autre pratique consistait à placer le défunt dans un panier en position assise. Le notable ou le chef défunt pouvait porter sur la tête une coiffe ornée de plumes, rappelant son statut social.(1)
Dans la région de Mbandaka, anciennement Coquilhatville, se rencontrent plusieurs types de sarcophages en bois sculptés. Les uns sont anthropomorphes, d'autres combinent sur l'assemblage de deux pirogues des éléments géométriques et zoomorphes stylisés. Le bois des sarcophages anthropomorphes est souvent arrosé du sang d'un chien sacrifié pour écarter tout maléfice de la tombe.
Le sarcophage anthropomorphe des Nkundu/Ngata
L'exemplaire présenté est d'un caractère unique par sa dimension, les proportions, la qualité de la sculpture et de la décoration. Taillé probablement dans le Ricinodendron, bois mi-lourd, le personnage masculin, en posture hiératique, aux traits hyperlongiformes, mesure 254 cm de hauteur. La forme générale du sarcophage est d'allure parallélépipédique aux angles droits légèrement arrondis; le caisson conçu pour contenir les restes du défunt est taillé dans le dos de la figure masculine. L'usage de cette oeuvre magistrale sera examiné plus loin. Ses traits étirés à l'extrême, avec un art consommé, peuvent évoquer les perspectives du sculpteur Giacometti. Ils sont encore accentués par le visage et la barbe, les bras pendants le long du corps tenant dans la main gauche le couteau à lame courbe, dit "couteau d'exécution", le sexe étiré, tombant, les membres inférieurs en posture debout.
La tête imposante, d'allure sphérique, repose sur un cou anguleux et massif. Le visage est découpé en forme de coeur comme il est de tradition dans les zones forestières habitées par les locuteurs bantou. Les yeux ajourés, en amande (contenant une petite rondelle de bois représentant la pupille) reposent sur le plan concave qui court de la base du nez, le long des arcades sourcilières, le long des joues, le plan buccal ovale, largement ouvert, aux douze dents sculptées en bois séparément et implantées. L'appendice nasal est triangulaire s'inscrivant avec harmonie dans l'espace facial. Les oreilles à l'hélix curviligne et au tragus triangulaire (surmonté d'un élément en biais à droite et de l'anthélix plus accentué à gauche) sont saillantes, légèrement tournées vers l'avant. Trois rangées d'incisions parallèles se relèvent sur les tempes. Les scarifications "en crête de coq", pratiquées par les populations septentrionales, comme les Ngbaka, s'inscrivent sur le front au-dessus du nez. La ligne du front est soulignée par deux rangées de cordelettes tressées, remontant jusqu'au sommet du crâne au milieu du front et se relevant de même derrière les oreilles. Sur le crâne lisse se découvrent des traces noires de résine végétale. Enfin sous le menton aux angles rectilignes une barbiche est suggérée par des cordelettes tressées et disposées en carré.
Le plan des épaules est arrondi suivant la position des bras tombants le long du corps, parallèle au tronc taillé lui aussi sous des formes épannelées. Les isométries longiformes se reconnaissent des épaules jusqu'à la ligne décorée sous les mains, de ce point jusqu'au-dessus du sexe, et ensuite jusqu'à la plante des pieds, soit une division tripartite, à laquelle il convient d'ajouter un élément intermédiaire qui se reconnaît dans la hauteur de la tête et du cou, à partir des zones peintes et du nombril comme point de référence. Les proportions épousent ainsi des séquences bien définies qui rythment harmonieusement la sculpture et la décoration. Faut-il entrer dans les détails descriptifs? Notons simplement les bras légèrement repliés vers l'arrière, les paumes des mains posées à plat près du corps. Celle de gauche tenant le couteau d'exécution. Les seins et l'ombilic sont sculptés en pastille saillante, soulignant la grande sobriété de la sculpture, sinon les surfaces peintes: teinture d'un rouge brun moucheté de points blancs sur tout le corps avec des rehauts de teinture blanche courant sur la base du thorax et sur le haut du ventre. Ces surfaces blanches sont ponctuées de motifs losangés d'un bleu indigo.
Le dos s'ouvre sur un caisson rectangulaire. En haut, deux clous rappellent la planche disparue qui devait fermer le cercueil qui était surélevé par deux éléments en bois; en bas, une fente arrondie délimite le bas du fessier. L'espace global paraît étroit pour contenir la dépouille du défunt. Toutefois, il faut considérer les pratiques en usage: la dessiccation du corps pendant plusieurs mois au sens littéral du mot sarcophage "celui qui mange les chairs". Et le fait que l'on brise des articulations pour faire entrer de force la dépouille dans l'espace creusé. Dans la figure étudiée, il n'y a pas trace de quelque relique que ce soit. Les membres inférieurs implantés vers l'avant tombent droit, de façon réaliste, mollets et pieds sculptés de façon réaliste. Oeuvre grandiose, expression d'un sculpteur maître de son art.
L'atelier de sculpture et le style
Par souci de clarification des données ethnographiques, distinguons simplement deux types de sarcophages sculptés:
-Les sarcophages composés de deux pirogues superposées et décorées d'éléments géométriques et zoomorphes, sculptés par les Eleku, résidant le long du fleuve. C'est en effet, en 1960 que G. Hulstaert(2) publia une étude sur les cercueils anthropomorphes de la région de Mbandaka. Il distingua ceux qui étaient en usage chez les Eleku, riverains et ceux qui étaient utilisés par les Nkundu résidant plus loin. Chez les premiers, le cercueil, mesurant 3m10, prend des formes stylisées, pouvant évoquer la forme générale d'une pirogue, celle d'un cormoran ou de quelque oiseau apparent ainsi que les nageoires d'un poisson(3).
-Les sarcophages anthropomorphes relèvent surtout des Nkundu-Tomba, auxquels on peut joindre quelques-uns de leurs sous-groupes (les Lifumba, les Bombwanja, les Bonkoso, les Tomba de la région d'Ingendé et les Bofidji(4)). La sculpture Ngata se rattache à ce dernier type.
La zone nucléale de la sculpture des sarcophages anthropomorphes est incontestablement située sur le territoire des Nkundu dans la région de Bikoro sur le territoire de Mbandaka. La date avancée par un informateur de G. Hulstaert remonte aux années 1880. Ces sarcophages n'auraient plus été sculptés après les années 1940(5). Ceux-ci sont rares et conservés surtout au Musée Royal de l'Afrique centrale à Tervuren. Il est donc exceptionnel qu'une telle oeuvre, une des plus belles, soit présentée chez Christie's. Si le sarcophage provient des Nkundu/Ngata, il aurait pu être réalisé par un sculpteur Nkundu se rattachant à l'association des Bokongo.
Les pratiques culturelles
Celles-ci sont longuement décrites dans plusieurs articles par le Père G. Hulstaert et reprises globalement par J. Volper qui évoque d'autres usages possibles.
-La tradition rapporte incontestablement l'usage du cercueil anthropomorphe destiné aux funérailles des notables; ce sarcophage portait le nom de "grand efomba". Les rituels ont été longuement décrits depuis la mort du personnage, du temps nécessaire à traiter le corps pour le conserver et sculpter le bois, la célébration publique au village, l'ensevelissement réservé aux membres de l'association(6).
-Il est évoqué aussi la possibilité de sacrifices humains, femmes ou esclaves accompagnant le défunt dans la tombe. On rapporte que le haut de la sculpture et les membres inférieurs étaient coupés, placés dans la tombe dans les bras des deux victimes étourdies au préalable.
-Le sculpteur appartenait à l'association des Bonganga qui avait ses rites et ses interdits. La sculpture demandait plusieurs mois de travail et se faisait dans un enclos protégé (esata).
-Souvent en Afrique, des objets utilitaires, comme les sièges, herminettes, lances, couteaux et tant d'autres exemples qui pourraient être cités, deviennent des objets de prestige et ne répondent plus à l'usage initial. Il n'est donc pas étonnant qu'à un certain moment de l'histoire des Nkundu, le sarcophage ait été considéré à son tour comme un signe de prestige, une figure commémorative. Déjà en 1897, lors de l'exposition internationale de l'Etat indépendant du Congo, T. Masui avait soulevé cette hypothèse, reprise par G. Hulstaert: "Il existe une variante du sarcophage anthropomorphe, destinée à garder le souvenir du défunt"(7). Dans le même esprit, des bustes et des statues traditionnelles sont sculptés. Celles-ci s'éloignent nettement du sarcophage. Dans les danses bobongo, relève J. Volper, des figures sculptées, au dos creusé comme les sarcophages (emumu), interviennent. Peut-être pourra-t-on aussi établir certains rapprochements avec les traditions sculptées des Mbédé du Gabon qui sculptent aussi un caisson dans le dos de leurs sculptures funéraires, comme cela a été signalé au début de ce document.
-Publié par W. Mestach, dans L'intelligence des formes, 2007, p.183, cat. 067, le sarcophage, écrit l'auteur, évoque l'image de la pirogue et des ossements du défunt, après les secondes funérailles, confiées aux eaux du fleuve. Cette idée du collectionneur est reprise par Evan Maurer, opus citatus, 1991, p.96 fig. 80. Elle ne correspond pas à la réalité des renseignements de terrain. Le sarcophage n'est jamais porté par les eaux du fleuve; il est enterré dans le sol après la fracture de la tête et des membres inférieurs.
L'histoire de la région et la localisation du sarcophage
Sur le Moyen-Congo, dans la partie septentrionale du Congo-Brazzaville, aux abords de l'Oubangui, les villages s'organisèrent entre eux, dès le XIVème siècle pour se protéger des incursions militaires du nord-est. Ce sont les Ngbandi, de langue non bantoue, qui établirent la règle de la succession patrilinéaire et qui constituèrent petit à petit le principe de la primogéniture et d'une véritable dynastie. Dans la zone de confluence de l'Uélé et du Bomu, des royaumes surgirent avec des dirigeants ngbandi(8). Peu à peu, aux XVIIème et XVIIIème siècles, les Ngbandi se déployèrent le long de l'Oubangui, imposant leur langue et leur culture. Les Ngombé, influencés aussi par les Ngbaka(9), se renforcèrent en s'unissant sous un ancêtre commun. Militarisés comme les Ngbandi, ils usaient d'épées, de couteaux de jets et de lances. Mais ils furent forcés de se replier vers le sud et l'ouest tandis qu'au sud-est, sur l'Itimbiri, les Mbuja résistèrent aux Ngbandi.
Sur le plan artistique, les Ngbaka, dont les langues se rattachent aux parlers camerounais, sculptent des masques taillés en réserve en forme de coeur. Des incisions ou scarifications apparaissent sur la crête nasale, le front et les tempes. Ils façonnent aussi des pipes anthropomorphes. Les Ngbandi et leurs voisins possèdent aussi des statues d'ancêtres, honorant les fondateurs des lignes dominantes. Chez les Budja, comme chez les Mongo de la Tshuapa, les femmes façonnent depuis des siècles de merveilleuses poteries.
La présence des scarifications frontales et temporales du sarcophage étudié relie la sculpture aux traditions des Ngbaka et des peuples septentrionaux. Le couteau à lame courbe, couteau d'exécution, utilisé jadis comme arme ou monnaie, est devenu au cours des ans un couteau cérémoniel porté par les notables ou les chefs. Il était fabriqué par les forgerons, en usage dans toute la région de l'Ubangi. Le côté tranchant est à l'extérieur de la courbe à la différence de celui qui est un emblème de prestige chez les Bembé orientaux dont le côté tranchant est à l'intérieur comme une serpe. Quant à l'usage de la teinture rouge et blanche, liée à des rites de passage entre la vie et la mort, il est manifeste et éclate avec force sur le sarcophage. Les bandes blanches peuvent aussi évoquer des vêtements portés sur la poitrine et le ventre; celles-ci pouvaient être faites de rangées de cauris(10). La décoration des losanges, pouvant être un signe de fécondité, relevant chez les Luba de la lune unie à la terre, lors de la nouvelle lune, est sujet aussi bien des interprétations, de même que le décor moucheté pouvant évoquer des félins et le caractère mystérieux du temps au coucher et au lever du jour(11). Sans vouloir aller trop loin, il est incontestable que cette sculpture anthropomorphe est hautement symbolique et récapitule les signes de l'autorité des chefs Ngata. Elle apporte une dimension historique à la connaissance de la région. J. Maes localise les sarcophages Ngata à l'embouchure de la rivière Ruki. Cette rivière se jette dans le fleuve Congo sous la ville actuelle de Mbandaka (autrefois Coquilhatville). Au nord de la Ruki, le long des berges du fleuve Congo habitent les Eleku. A l'embouchure de la Ruki dans le fleuve, côté sud, résident plusieurs groupes Kundu. C'est probablement là qu'il faut localiser l'atelier qui a sculpté le sarcophage étudié.
L'arrivée de l'oeuvre en Europe et sa datation
Le sarcophage de la collection W. Mestach a été acquis chez un antiquaire de Bruxelles, après la guerre 1940-45. Il est très probable que cet antiquaire soit G. Dehondt. Ce dernier vendit au Musée de l'Homme à Paris le sarcophage efomba Nkundu, présentement au Musée du Quai Branly sous le numéro 73.1992.0.1. A ce propos, Mademoiselle Huguette Van Geluwe du Musée Royal de l'Afrique centrale à Tervuren écrit à Madame Delange dans une lettre datée du 19 novembre 1970 que le sarcophage provient de cet antiquaire bien connu et qu'il a été photographié par le R.P. Boelaert en 1940. Deux autres sarcophages, ajoute-t-elle, sont au Musée de Tervuren et avaient été photographiés avant 1896 et publiés dans les Annales du musée de Tervuren(12). Ces sarcophages anthropomorphes, acquis par le Musée Royal de l'Afrique centrale, ont été récoltés à la fin du XIXème siècle et présentés à l'exposition Bruxelles-Tervuren en 1897 et collectés par C. Lemaire en 1891 et offerts au musée en 1893(13).Le sarcophage de Willy Mestach se rattache sur le plan stylistique et culturel à cette première génération des sculptures, spécialement au sarcophage anthropomorphe référencé MRAC 42798. Celui-ci, collecté par Mr Stasse et offert au musée par son épouse en 1909, présente des correspondances morphologiques et des dessins analogues (teinture sombre mouchetée de points blancs). La comparaison souligne combien le sarcophage de W. Mestach est de loin le plus remarquable, oeuvre quasi unique et d'une rare qualité plastique. Il convient de le dater au tournant du siècle après 1890 et avant 1909.
D'autres sarcophages sont apparus dans les années 1940 et récemment de nombreux faux circulent en Europe. Il faut dater le sarcophage étudié de la même époque que ceux de Tervuren, sinon au début du XXème siècle. Comme des Nkundu du groupe Ntomba résidaient dans le village de Wangata wa Ibonga, le sarcophage a été attribué aux Ngata. Le sculpteur est probablement Kundu comme l'a souligné J. Volper.
(1): Les sarcophages des Nkundu/Ngata ont surtout été étudiés par le Père G. HULSTAERT qui a vécu longtemps dans la région. De 1937 à 1985, il est revenu souvent sur le sujet, surtout dans la revue Aequatoria. Voir déjà "Coutumes funéraires des Nkundu" dans Anthropos, vol.XXXII, n.3-4, p.502-527 et n.5-6, p.729-742, 1937.
J. VOLPER, Exquise vanité. Les sarcophages des Nkundu, dans Tribal Art, n.61, 2011, p.108-117, en donne la liste complète ainsi qu'une biographie détaillée, p.117.
(2): Les cercueils anthropomorphes, dans Aequatoria, n.4, p.123-129.
(3): MAESEN Albert, Umbangu, pl.50, fig.56.27.1.
(4): Cité par Julien VOLPER, Exquise vanité. Les sarcophages des Nkundu, Tribal Art, n.61, 2011, p.111 se référant à G. HULSTAERT, Les cercueils anthropomorphes, Aequatoria, vol. XXIII, n.4, 1960, p.121-129.
(5): Selon Bokoko, informateur du P. Hulstaert, cité par J. Volper, cité plus haut, p.111-112.
(6): La sculpture est aux mains d'une association secrète et du prêtre-devin, le Nganga. Le sculpteur était rarement pressé et prenait son temps pour sculpter tandis que le corps était traité de manière à le conserver: décomposition du corps reposant sur des poutres, au-dessus d'une couche de sable dans une fosse; elle-même couverte d'écorces d'arbres et de terre. D'autres modes de dessiccation, telle la fumée, étaient utilisés. La cérémonie comprenait une procession dans le village, des chants, des pleurs, la mise du corps dans le cercueil par des initiés sous la direction du Nganga, des nattes étaient offertes aux initiés. Au moment de l'ensevelissement, la tête et les jambes étaient coupées, déposées sur les genoux de deux esclaves sacrifiés quand il s'agissait du cadavre d'un homme.
(7): HULSTAERT G., 1960, p.127 ; VOLPER, p.112.
(8): Vers 1600, VANSINA, 1991, p.148, note 41.
(9): Ibidem, p.149, note 46. Dans l'extrême nord, ils furent influencés par les Ngbaka; les Ngombé de Budjala étaient clients des Ngbandi.
(10): GROOTAERS, Umbangi, Art et Cultures au coeur de l'Afrique, Berg-en-Dal, 2007,fig.6.9, p.269, femme Manga ou Banda.
(11): Par contre, sur les sarcophages eleku, ce motif évoque le cormoran ou le grand martin-pêcheur.
(12): Volume Les Arts. Les Religions, 1902-1906, p.180.
(13): MRAC EO.0.0.37340; photo Meunier 1897 (voir J. VOLPER, cité plus haut, p.108 et 109). La datation et l'attribution de la collecte des sarcophages sont longuement discutées par ce dernier auteur. Ainsi J. MAES évoque le nom de A. Van Gele qui aurait collecté un sarcophage en 1882 et donné au musée avant son existence en 1885.
BIBLIOGRAPHIE:
C.COQUILHAT, Sur le haut Congo, Bruxelles, 1888.
M. LEIRIS et J. DELANGE, Afrique noire. La création plastique, Paris, 1967, p.357, fig.418.
Meubles et décors, Editions Benelux, novembre 1970.
K.F. SCHAEDLER, Afrikanische Kunst, Munich, 1975, p.246, fig.361
Actualité des Arts, n.3, novembre 1973, couverture.
Fr. NEYT, Arts traditionnels et histoire au Zaïre, Louvain-la-Neuve, 1981, p.25, fig.I.5.
E.M. MAURER, The Intelligence of Forms. An Artist Collects African Art, Minneapolis Institute of Arts, 1991, p.96, fig.80.