Details
HERGÉ
COKE EN STOCK (T.19)
CASTERMAN 1958
Crayonné original de la planche n° 21 datant de 1956
La version définitive de la planche sera publiée dans
Le Journal de Tintin belge n° 12 du 20 mars 1957
L'œuvre présente une étude de case de la planche 22
Signée. Mine de plomb sur papier
36,2 × 55,1 cm (14,25 × 21,69 in.)

Pure lisibilité — Fin juin 1955, alors qu’il n’en était encore qu’à la moitié de la publication de L’Affaire Tournesol dans le journal Tintin, Hergé avait découvert dans l’hebdomadaire Paris-Match un article dont le titre n’avait pas manqué de l’interpeller : « Il y a encore des marchands d’esclaves ». Ce reportage signé Georges de Caunes faisait état du témoignage d’un Soudanais musulman vendu comme esclave à la faveur d’un pèlerinage à La Mecque, puis revendu et finalement évadé après dix ans d’asservissement. Hergé est toujours à l’affut d’idées, d’informations ou encore de circonstances dans lesquelles son héros pourrait s’impliquer. Voila, se dit-il, qui pourrait inciter Tintin à repartir a l’aventure lorsqu’il sera revenu de Bordurie !

Et de fait, en février 1956, le créateur de Tintin entreprend un synopsis qui tient en quelques dizaines de lignes, et qu’il intitule Coke en stock. On y relève ce passage : « Une compagnie aérienne qui a son siège à Wadesdah s’occupe surtout du trafic d’esclaves en provenance du Soudan ou du Sénégal, une autre partie de ce trafic se faisant par voie maritime (flotte de l’armateur Rastapopoulos). L’émir Ben Kalish Ezab se doute de ce qui se passe et tente de s’y opposer. Mais l’émir Bab El Ehr, soutenu par Rastapopoulos, fomente des troubles… » Rivé a sa table a dessin, Hergé entreprend de développer ses idées, élabore le découpage du récit au prix d’essais multiples, avant d’entreprendre les crayonnés qui le mèneront aux premières planches définitives, celles sur lesquelles pourront intervenir ses collaborateurs.

Fin 1956, il en est à crayonner la future planche 21 de l’album. Tintin est au Khemed pour venir en aide à son ami l’émir Ben Kalish Ezab, victime d’un coup d’État. Il s’y trouvera mêlé à ce qu’il croira d’abord être un « banal » trafic d’armes, mais qui s'avérera être en réalité un odieux trafic d’esclaves, un commerce de chair humaine d’un autre temps organisé par l’infâme Rastapopoulos et dont sont victimes des Africains qui se rendent en pèlerinage à La Mecque. Selon le découpage auquel il s’est arrêté, la planche 21 de Coke en stock montrera le héros en compagnie du capitaine Haddock et de Milou, débarqués là-bas clandestinement, et tentant de gagner discrètement la capitale, Wadesdah. Son crayonné témoigne d’une fluidité narrative remarquable, garante de la parfaite lisibilité de la planche, puisqu’il y établit case après case, et dans l’ordre (ce qui n’est pas toujours le cas), le contenu de la séquence prévue. Comme souvent lorsqu’il établit le contenu de ses cases, il lui arrive de déborder, de s’affranchir de l’espace qu’il s’est donné, de poser ses personnages de façon telle qu’elle nécessitera un léger recadrage pour en ajuster la taille ou la disposition. Il indique les décalages sur son crayonné afin que le décalque qui constituera l’étape suivante soit plus lisible, plus harmonieux ou plus équilibré. Dans les marges figurent parfois de curieux dessins « parasites » (des croquis consignés machinalement, des notes prises au vol, l’un ou l’autre numéro de téléphone, etc.), mais dans ce cas-ci c’est l’enchaînement du gag destiné à la page suivante qu’il établit : un bruit de bouchon perçu par le capitaine dans son sommeil entraîne un jeu d’engrenages qui le mènera à imaginer le flacon, puis, par le biais d’un nouvel engrenage, à réaliser qu’il s’agit de whisky… et à se réveiller d’urgence !

Les dialogues sont déjà en quête de leur forme définitive. Ils pourront encore évoluer, mais déjà leur calibrage s’impose, les textes et les dessins se mettant en place simultanément. Les décors sont sobrement esquissés. Ils trouveront leur assise sur la planche définitive, avant l’encrage, mais en attendant ils s’affirment sur le crayonné pour ce qu’ils doivent être : évidents sans être envahissants, et saisis au premier regard. L’enchaînement des cases est d’emblée magnifiquement établi, combinant avec brio tension permanente, gags et suspense final. Au-delà du trait, tout y est si clair, si évident, si aisé en apparence, qu’on doit bien reconnaître que la planche aurait pu se passer de dialogues. P. G

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Emilie Fabre
Emilie Fabre

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