Odilon Redon (1840-1916)
Ancienne collection Henri Matisse
Odilon Redon (1840-1916)

L’araignée qui pleure ou Le Désespoir du monstre

Details
Odilon Redon (1840-1916)
L’araignée qui pleure ou Le Désespoir du monstre
signé ‘ODILON REDON’ (en bas à droite)
fusain, graphite et encre de Chine sur papier calque contrecollé sur papier fort
30.5 x 23 cm.

signed ‘ODILON REDON’ (lower right)
charcoal, pencil and India ink on tracing paper laid down on card
12 x 9 in.
Provenance
(probablement) Madame Odilon Redon, Paris.
(probablement) Alfred Beurdeley, Paris; sa vente, Mes Lair-Dubreuil et Baudoin, Paris, 2 décembre 1920, lot 369 (daté 'vers 1906').
Henri Matisse, Paris.
Pierre Matisse, New York (par descendance).
Morton R. Goldsmith, New York.
Enid F. Goldsmith, États-Unis (par descendance).
Collection particulière, États-Unis (par descendance); vente, Sotheby’s, New York, 15 mai 1985, lot 151.
Acquis au cours de cette vente par le propriétaire actuel.
Literature
A. Wildenstein, Odilon Redon, Catalogue raisonné de l’œuvre peint et dessiné, Mythes et légendes, Paris, 1994, vol. II, p. 172, no. 1086 (illustré).
Odilon Redon, cat. exp., Musée d’Orsay, Paris, 2007, p. 7.
Odilon Redon. Prince du Rêve, cat. exp., Grand Palais, Paris et Musée Fabre, Montpellier, 2011, p. 160.

Further Details
L'Araignée qui pleure d'Odilon Redon est l'une des images les plus célèbres de la série dite des « Noirs », cet incontournable ensemble de dessins et de lithographies que l'artiste amorce autour de 1875. Durant quinze ans, Redon dessine sans relâche, essentiellement au fusain, mêlant toute une gamme de techniques comme le gommage, l'estompe, le grattage ou l'application de rehauts à l'encre, afin d'obtenir une surface hétérogène qui vient aimanter le regard du spectateur et le plonger dans ses abîmes. Redon conçoit le fusain comme le moyen parfait pour explorer le rapport entre l'ombre et la lumière, dans le sillage des clairs-obscurs de Rembrandt et du sfumato de Léonard de Vinci, deux artistes auxquels il voue une admiration sans bornes. Contrairement à ses contemporains qui le considèrent comme un outil de base, Redon, lui, l'emploie en toute exclusivité pour obtenir une panoplie de nuances riches et variées. Grâce à ce support, le voilà libre de porter toute son attention au flot créatif de son imagination, d'où jaillissent des formes équivoques et fantastiques. Les Noirs deviennent le canal par lequel Redon va pouvoir ausculter son inconscient. Cette expédition inédite dans les méandres de l'esprit – une dizaine d'années avant les premières études de Sigmund Freud sur le rapport entre rêve et psyché – sera éventuellement perçue comme l'une de ses plus grandes prouesses artistiques.
Création hybride, L'Araignée qui pleure est emblématique de cette volonté de sonder la dimension fantastique du réel. « Le surnaturel ne m’inspire pas, confie Redon. Je ne fais que contempler le monde extérieur, et la vie » (cité in E. Bernard, LOccident, vol. 5, no. 29, avril 1904). Malgré son appétence pour la littérature classique, la mythologie et la poésie, c'est sans doute sa sensibilité aux merveilles de la nature qui alimente, par-dessus tout, la créativité de Redon. Très tôt, il est influencé par Jean-Jacques de Grandville, dont les caricatures anthropomorphiques inspirées de la faune et de la flore puisent leur source dans les revues scientifiques, de plus en plus populaires, dont les pages illustrées relaient les dernières découvertes biologiques et botaniques du moment. Avec la parution de L'Origine des espèces en 1859, Darwin avait livré un exposé approfondi de l'ordre rationnel qui régit la vie. Or cette nouvelle manne d'informations scientifiques en incite au contraire certains à plonger de plus belle dans les profondeurs de l'imaginaire, à lorgner vers l'inexplicable, le fantastique, tout ce qui échappe à la raison. Dès son plus jeune âge, le tempérament de Redon le prédispose à se montrer réceptif à la dimension fantastique du monde, voire aux aspects les plus sombres de l'inconscient. Garçon chétif à la santé précaire, il est souvent livré à lui-même dans la solitude de la grande propriété familiale de La Peyrelebade, près de Bordeaux. Redon y développe un goût précoce pour l'obscurité, la noirceur. En témoignent ses écrits : « Enfant, je recherchais les ombres ; je me souviens d'avoir pris des joies profondes et singulières à me cacher sous les grands rideaux, aux coins sombres de la maison ».
Aussi, en choisissant le sujet de l'araignée, Redon pousse sciemment la porte de notre inconscient collectif. En 1874, Isidore Ducasse, Le Comte de Lautréamont, décrit une rencontre qui fait froid dans le dos, mettant lui aussi le doigt sur notre phobie commune de ces créatures : « Chaque nuit, à l’heure où le sommeil est parvenu à son plus grand degré d’intensité, une vieille araignée de la grande espèce sort lentement sa tête d’un trou placé sur le sol. [...] Quand elle s’est assurée que le silence règne aux alentours, elle retire successivement, des profondeurs de son nid […] les diverses parties de son corps, et s’avance à pas comptés vers ma couche. Chose remarquable ! Moi qui fait reculer le sommeil et les cauchemars, je me sens paralysé dans la totalité de mon corps, quand elle grimpe le long des pieds d’ébène de mon lit de satin. Elle m’étreint la gorge avec les pattes, et me suce le sang avec son ventre. Tout simplement ! » (Le Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse), Les Chants de Maldoror, Paris et Bruxelles, 1874).
L'Araignée qui pleure s'inscrit tout à fait dans l'esprit de Redon, dans la mesure où l'artiste y représente non seulement une créature hybride – un corps d'araignée sur lequel il greffe une tête humaine, probablement d'enfant – mais l'affuble d'une humanité palpable, se servant de la larme qui coule sur sa joue pour invoquer l'empathie du spectateur. Tiraillé entre la répulsion que lui inspire cette bête monstrueuse et la compassion que suscite sa souffrance, l'observateur se trouve face à un dilemme ; dilemme qui résonne avec la dualité que Redon perçoit au fondement même de la Nature, à la fois domptable et pleine d'incertitudes.
L'Araignée qui pleure est l'une des très rares variations que l'artiste exécute sur ce sujet. Parmi les cinq dessins que dénombre Wildenstein, deux se trouvent entre les murs du Musée d'Orsay et un autre dans une collection particulière aux États-Unis. Précédemment abritée par la collection Henri Matisse, la présente œuvre constitue donc une pièce tout à fait exceptionnelle des « Noirs », cette série qui a érigé Redon parmi les grands maîtres du dessin moderne.

Odilon Redon’s Crying Spider is one of the most celebrated images within the artist’s key series of drawings and prints collectively entitled Les Noirs. Beginning around 1875, and for a period of fifteen years, Redon produced drawings executed primarily in charcoal, and in which he combined techniques such as smudging, surface scratching and the use of ink highlights to produce a varied surface which acts to draw the viewer in to its depths. Redon believed that charcoal, over any other medium, allowed him to best explore the relationship between light and shadow, and as such to emulate the chiaroscuro of Rembrandt and the sfumato of Leonardo, both of whom he so admired. Contrary to his contemporaries, for whom charcoal was shunned as a base material, Redon employed it exclusively to obtain an exquisite array of rich and varied tones. Working with this focus, Redon was able to concentrate exclusively on the creative drive of his imagination, drawing out fantastic and ambiguous forms. The Noirs were Redon’s channel for the exploration of his unconscious mind, and it was his pioneering search into the unconscious - working as he was ten years prior to Sigmund Freud’s earliest works on the relationship between dreams and the psyche - which would later come to be seen as perhaps his greatest legacy.
Redon’s hybrid creation of the Crying Spider is characteristic of his efforts to explore the fantastical dimension of the real. As he would confirm "It is not the surreal which interests me, but rather I look to the outside world, and to life" (quoted in E. Bernard, L’Occident, vol. 5, no. 29, April 1904) . Despite his cultivation of a deep appreciation for classical literature, mythology and poetry, it was without doubt an awareness of the wonders of nature Herself which played the greatest role in nurturing Redon’s creativity. An early influence had been Jean-Jacques Grandville, whose anthropomorphic flora and fauna-inspired caricatures had been in turn informed by the increasingly popular scientific reviews, in whose illustrated pages one could learn the latest biological or botanical discoveries. With his publication of his The Origin of Species in 1859, Darwin had presented a complete explanation for the rationally-ordered foundations of life. There were those, however, for whom this newfound wealth of research engendered instead a quest to bolster the imagination, a search for the unexplained and the fantastical and of what could not be verified or explained. Redon’s temperament had been pre-programmed from an early age to be receptive to the world of the imaginary, and even to the darker aspects of the unconscious. As a child suffering from fragile health, and left to his own devices in the large family property of La Peyrelebade near Bordeaux, Redon developed an early predilection for darkness. As he would recall: "as a child I would seek out the shadows; I remember taking great pleasure in hiding under the large curtains and in the darkest corners of the house" (O. Redon, À soi même, Paris, 1922, p. 15).
Redon’s deliberate choice of the Spider as a subject took him straight to the heart of our collective psyche. Writing in 1874, Isodore Ducasse had chillingly evoked an encounter which captured our commonly held phobia of these creatures:
Each night, at the hour when sleep reaches its greatest degree of intensity, the head of an old spider of the large sort would slowly emerge from a hole in the floor […]. Once assured that all around was silent, she would slowly detach from the depths of her nest […] the different parts of her body, and advance with measured steps towards my cot. How incredible! that I, who shuns sleep and its nightmares, should feel my entire body paralyzed as she scales the ebony legs of my satin bed. She enfolds my neck in her limbs, and sucks my blood with her stomach. Quite simply!" (Le Comte de Lautréamont (Isodore Ducasse), Les Chants de Maldoror, Paris et Bruxelles, 1874)
The crying spider is a characteristic Redon invention in that it not portrays a hybrid creature – a spider’s body on to which a human head, possibly that of a young child, has been grafted – but he also endows it with a readily-identifiable human emotion; employing the teardrop descending the spider’s cheek to evoke in the viewer a feeling of sympathy. The conflict presented to the viewer - torn between revulsion for the monstrous creature and compassion for its suffering - echoes the duality Redon believed existed within nature, which could be at once verifiable and yet full of uncertainties.
L’araignée qui pleure is one of only a very few examples of the spider subject executed by the artist. Of the five drawings recorded by Wildenstein, 2 are in the collection of the Musée d’Orsay and one is in a private collection in the United States of America. Previously in the collection of Henri Matisse, the present drawing is therefore an exceedingly rare work from the Noir series, widely acclaimed as Redon’s definitive contribution to the history of modern drawing.
Sale Room Notice
This Lot is Withdrawn.

Brought to you by

Antoine Lebouteiller
Antoine Lebouteiller

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