PIET MONDRIAN (1872-1944)
No VAT will be charged on the hammer price, but VA… 显示更多 Les trois tableaux abstraits de Piet Mondrian figurant dans la collection de Yves Saint Laurent-Pierre Bergé appartiennent chacun à un moment charnière de son oeuvre, dont on peut retracer la généalogie et déterminer la descendance. On peut, ou plus exactement on doit le faire, si l'on veut bien saisir leur originalité et leur signification. Pour cet évolutionniste convaincu qu'était Mondrian, du moins à partir du moment où, en 1912, il a découvert le cubisme, chaque tableau représentait en principe une avance sur le précédent. Moins dogmatiquement, nous dirions que chaque série de tableaux (car il travaillait toujours sur plusieurs toiles à la fois) se devait de constituer pour lui un pas en avant dans sa longue marche vers ce qu'il appelait le "néo-plasticisme," ou "le principe général de l'équivalence plastique." Bien qu'il s'agisse plus ici de conjoncture logique que de chronologie strictement établie dans les faits, nous avons trois cas de figure: Composition avec grille 2 (voir lot 43), 1918 se situe au tout début de la série de neuf tableaux avec une grille modulaire réalisés par Mondrian en 1918-19, à un moment où tout allait si vite qu'il n'eut pas le temps de finir l'oeuvre avant de passer à l'étape suivante: Composition I (voir lot 44), 1920, au contraire, est l'une des dernières toiles de la série suivante (dont l'élaboration marque l'abandon progressif de la grille modulaire). Composition avec bleu, rouge, jaune et noir (voir lot 42), 1922, fait partie d'un petit groupe de toiles très dynamiques dont le déséquilibre ou du moins la tension et l'instabilité contraste violemment avec les toiles beaucoup plus paisibles de l'année précédente, qui formaient la première mouture du style "néo-plastique" proprement dit. Entre le moment (juillet 1914) où il quitte Paris pour ce qui devait n'être qu'un séjour d'été en Hollande, et celui où il y revient cinq ans plus tard (juin 1919) la pensée picturale de Mondrian évolue à une vitesse si extraordinaire qu'il serait impossible de lui faire justice en quelques paragraphes. Traçons au moins quelques brefs jalons: Lors de son premier séjour parisien (1912-1914), Mondrian a tout d'abord assimilé le cubisme de Picasso et Braque avant d'en proposer une interprétation toute personnelle, teintée de Symbolisme, de théosophie, et d'idéalisme néo-platonicien, qui le conduira à l'abstraction peu après son retour en Hollande. Le véritable but du cubisme, selon lui - but devant lequel ses initiateurs auraient reculé - est de peindre l'essence des choses, de découvrir l'"universalité" qui se cache derrière leur apparence "particulière." Cette structure "universelle" est "l'opposition fondamentale" de la verticale et de l'horizontale, à quoi tout peut se réduire selon un procédé qui anticipe la digitalisation visuelle à quoi nous a accoutumé l'informatique. Très vite cependant Mondrian s'avise que si tous les spectacles que nous offre le monde ont pour dénominateur commun une grille sous-jacente dont la nature est abstraite et conceptuelle, il n'est point besoin de partir de la réalité. De plus, sous le coup de sa découverte de la dialectique hégélienne (même s'il s'agit d'une version édulcorée de cette philosophie), il conclue à la nécessité de réintroduire de la tension dans ses oeuvres, tension que son procédé de réduction tendait à éliminer. L'oeuvre doit tendre vers "l'équilibre," vers le "repos" conçu comme un signe de l'"universel", mais ce repos ne doit pas être donné d'emblée, il doit être la résultante d'un jeu actif d'oppositions à l'intérieur de chaque tableau. Le véritable passage à l'abstraction et à la tension dialectique ne s'effectuera qu'en 1917, après deux années de recherches effrénées. Ni Composition en ligne ni les deux petites toiles colorées qui flanquent ce tableau noir et blanc lors de sa première apparition publique, Composition en couleur A et Composition en couleur B n'ont de référent naturel. A partir de là, les choses s'accélèrent encore plus et surtout Mondrian achoppe sur le problème qu'il va tenter de résoudre l'année suivante en adoptant une grille modulaire. Le problème en question, qui obsédait aussi ses amis du groupe De Stijl (notamment Theo van Doesburg et Vilmos Huszar), est celui de l'unité de la figure et du fond, ou plutôt de leur abolition réciproque. Abolir la figure (le "particulier") est l'un des buts essentiel de l'abstraction telle que Mondrian la comprend (on ne peut atteindre à "l'universalité" qu'à ce prix), mais cela est impossible dès qu'une surface picturale est perçue comme fond (et qui plus est, comme fond atmosphérique), qui s'efface au profit de ce qui est inscrit sur lui. S'apercevant que le fond blanc de Composition en ligne et de ses colistiers était passif et se creusait optiquement, Mondrian y voit la conséquence de la superposition des plans qui constituait l'un des éléments stylistiques les plus frappant de ces oeuvres. Il réalise alors une série de tableaux dans lesquels il élimine toute superposition et accentue au contraire l'extension latérale de la composition pour déjouer toute illusion de profondeur (les plans colorés qui y figurent sont brutalement interrompus par la limite du tableau et semblent vouloir fuir hors-cadre). De plus, Mondrian aligne progressivement ces rectangles colorés, et, dans les deux derniers tableaux, divise le "fond" en autant de rectangles de différents blancs. Mais selon lui ces rectangles, colorés ou non, flottent encore trop, sont encore trop "individuels": il décide alors de les "déterminer", comme il dit, en les bordant de lignes de différents gris, lignes qui se prolongent en bordant plusieurs plans adjacents. Des trois tableaux qu'il peint à ce moment là, début 1918, il n'en reste qu'un (ex-collection Max Bill; fig. 1). Voilà où il en est quand il débouche sur sa série modulaire et donc sur Composition avec grille 2 (lot 43). Pourquoi ce nouveau mode d'organisation de la surface picturale? N'est-il pas tout entier fondé sur la répétition, à savoir sur quelque chose que Mondrian a déjà condamné et exclu de son esthétique pour deux raisons (la première est que la répétition est naturelle--or selon lui l'art ne doit rien devoir à la nature s'il veut être pleinement abstrait; la seconde est qu'elle participe d'une pensée "mathématique" qui est (pense-t-il) aux antipodes de l'intuition sur quoi doit se fonder toute pratique artistique)? La réponse à cette énigme est assez simple pour peu que l'on entre dans la logique de Mondrian à cette époque. Bien qu'il ait réussi à empêcher ses rectangles colorés de creuser optiquement le fond dès 1917, puis qu'il les ait stabilisés par le réseau linéaire qui les enserre dans ses toiles de début 1918, Mondrian s'inquiète de leur tendance centrifuge (qui, tout autant qu'une illusion de profondeur, manifeste une indépendance de la figure - active - par rapport au fond - passif - et donc rétablit la hiérarchie qu'il s'efforce d'annuler). Comme il le dira plus tard à propos de ces oeuvres, les rectangles "se mettaient encore trop en avant"1. Avec une grille modulaire, on supprime l'illusion de profondeur sans avoir à opter pour le moindre mal de l'extension latérale. Qu'est-ce qu'une grille modulaire? C'est une grille dont toutes les unités sont formées à partir d'un même module, module dont les proportions sont les mêmes que celle du tableau. Il n'y a pas de reste, pas de trous possible, pas d'unité plus petite qu'un module (et il n'y a aucune différence entre figure et fond, puisque tout plan est, comme le tableau lui-même, un multiple du module de base). De plus, précisément parce que la répétition est donnée d'emblée (elle est immédiatement perceptible), on peut légèrement accentuer l'individualité des rectangles, afin de contrer l'absolutisme dogmatique de la grille modulaire, sans courir le risque qu'ils ne se "mettent en avant". C'est peut-être ce que voulait vérifier Mondrian dans ses deux premières toiles avec grille modulaire, celle qui se trouve aujourd'hui au Museum of Fine Arts, Houston (fig. 2), et celle de la collection Saint Laurent-Bergé. On peut se demander en effet pourquoi Mondrian a commencé sa série de toiles modulaires avec deux tableaux rectangulaires plutôt que carrés (les cinq tableaux qui suivront sont carrés). Cela tient peut-être à ce que cela permet une plus grande diversité dans la proportion des plans (et donc plus de tension). Dans le tableau de Houston, par exemple, les rectangles colorés (ou non) sont constitués d'un nombre d'unités modulaires qui va de 1 à 10, mais le nombre d'unités n'est pas la seule donnée à prendre en compte, car, le module étant rectangulaire, un même nombre d'unités peut donner lieu à des rectangles de proportions très différentes. Prenons par exemple le cas d'un rectangle constitué de six modules: fait de deux colonnes verticales de trois modules juxtaposées, ce rectangle sera oblong alors qu'un rectangle fait de deux rangées horizontales de trois modules juxtaposées sera carré. Cela dit, dans le tableau de la collection Saint Laurent-Bergé (comme dans les suivants), il semble que Mondrian ait voulu aller à rebours de cette diversité. Cette toile a le même nombre d'unités modulaires que celle de Houston (en fait tous les tableaux de cette série sont construits selon la division en 16x16=256 modules), mais ses unités sont réparties différemment. D'une toile à l'autre, non seulement les plans sont plus nombreux mais il y a augmentation du nombre de quadrilatères semblables, et diminution des rectangles uniques en leur genre. Dans le tableau de Houston, par exemple, on compte 15 types de rectangles différents pour 66 rectangles (dont 5 uniques), dans celui de la collection Saint Laurent-Bergé, il y a 12 types différents pour 79 rectangles (dont seulement 3 uniques). La tendance se poursuivra dans les cinq tableaux suivants (tous carrés, dont quatre "sur la pointe" ou "losangiques", comme disait Mondrian) et culminera dans les deux dernières toiles modulaires réalisées juste avant le départ définitif de Mondrian pour Paris en 1919: dans ces deux dernières toiles (Composition avec grille 8 et Composition avec grille 9, plus connues comme Composition en damier aux couleurs sombres et Composition en damier aux couleurs claires), tous les plans colorés sont de taille identique puisqu'ils ne consistent chacun qu'en un module (même si parfois des plans voisins sont de la même couleur, créant de la sorte des sous ensembles de configurations diverses). C'est en partie cette tendance générale vers une plus grande régularité, à l'intérieure de cette série modulaire de tableaux, qui permet d'affirmer que Composition avec grille 2 est postérieur au tableau de Houston. La date exacte du tableau est en effet inconnue. L'inscription "PM 15", de la main de Mondrian, a été apposée par ce dernier alors qu'il préparait une exposition rétrospective de son oeuvre à New York en 1942 (à cette occasion le peintre, que l'on sait d'une honnêteté scrupuleuse, s'est trompé pour la date de plusieurs oeuvres de sa période cubiste ou de ses débuts dans l'abstraction). Par contre, l'inscription "PM 18" apposée sur le tableau de Houston date bien de l'époque de sa réalisation (cette toile semble avoir été acquise par son premier propriétaire avant le départ de Mondrian pour Paris et être restée en Hollande, où Mondrian n'a jamais plus remis les pieds, jusqu'à son acquisition après guerre par un collectionneur américain). Mais si l'on peut dire avec quasi-certitude que Mondrian a peint Composition avec grille 2 après la toile de Houston, il demeure quelques doutes quant à sa place logique, sinon chronologique dans la série des tableaux modulaires. Si l'on compare cette oeuvre aux tableaux "losangiques" qui lui font suite dans la séquence proposée par Joop Joosten dans le catalogue raisonné de l'oeuvre de Mondrian, on ne peut qu'être frappé par sa plus grande ressemblance avec Composition avec grille 5 (fig. 3) qu'avec les deux toiles précédentes2. Composition avec grille 3, 4 (fig. 4), et 5 ont toutes en commun une opposition entre deux réseaux linéaires, l'un strictement modulaire et donné en filigrane et l'autre délimitant des plans (colorés ou non) en accentuant certaines lignes de ce premier réseau, mais la différence entre ligne accentuée et non-accentuée, qui va croissant du premier de ces trois tableaux à Composition avec Grille 5, est établie de manière pratiquement identique dans ce dernier tableau et dans Composition avec grille 2. De plus, alors que Composition avec grille 3 et 4 sont strictement linéaires (il n'y a pas de division colorée), on voit très nettement apparaître, dans Composition avec grille 2, une division de la surface en plans de différents gris qui ressemblent fort aux plans de couleurs cassées de Composition avec grille 5. Dernière énigme concernant Composition avec grille 2. Une photographie de l'oeuvre, qui porte au dos l'inscription 1919, révèle en effet un état antérieur du tableau (fig. 5). Celui-ci apparaît alors non seulement comme non signé mais aussi comme comportant plusieurs lignes du réseau accentué qui ont ensuite été effacées. Par ailleurs, ce qui est encore plus remarquable chez un peintre comme Mondrian, on aperçoit le bas du tableau sur une photographie de son atelier datant de 1926, mais celui-ci est alors accroché dans une orientation différente (tête en bas) par rapport à celle qu'il lui a donné plus tard en le signant. On se perd en conjecture à tâcher de comprendre ce qui a pu pousser Mondrian à retourner son tableau de haut en bas (sans doute, le fait que la division de base du tableau soit modulaire diminue-t-il l'impact de cette transformation - qui serait impensable pour tout tableau néo-plastique, c'est à dire postérieur à fin 1920). Par contre, il est clair que les lignes marquées qui ont été supprimées engendraient un certain nombre de dispositions symétriques que le peintre n'avait peut-être pas initialement perçues car elles étaient moins patentes dans l'orientation initiale du tableau. Contrairement à ce que suggère Joosten, je ne pense pas que cette correction a été faite au même moment où Mondrian a signé la toile3. D'une part cet effacement engendre une diminution du nombre de rectangles, ce qui est l'inverse de ce qui se passe dans toutes les oeuvres que Mondrian transforme à New York après les avoir considérées comme achevées lorsqu'il était encore en Europe. D'autre part il a donné aux oeuvres en question une double date, ce qui n'est pas le cas ici. De fait, la correction, quoique minime, va à l'encontre de la progression vers une régularité toujours plus grande, mentionnée plus haut comme caractéristique de la série de tableaux modulaires (la suppression d'une ligne engendre l'expansion d'un rectangle de six à huit unités modulaires, formé de la juxtaposition de deux colonnes verticales de modules, qui est unique en son genre dans le tableau - alors que dans l'état photographié en 1919, il y avait en cet endroit deux rectangles, l'un vertical de six unités, l'autre horizontal de deux unités, dont il y a beaucoup d'autres occurrences dans le tableau). Or ce qui semble ici, à première vue, comme un retour en arrière pourrait en fait signaler que la correction est un pas timide dans la direction de la série suivante, à laquelle Composition I (lot 44) , 1920 appartient et au cours de laquelle Mondrian va progressivement éliminer peu à peu toute dépendance à l'égard de la régularité modulaire. On peut se demander la raison de cette volte-face. La grille modulaire n'est-elle pas une trouvaille particulièrement efficace, comme bon nombre d'artistes s'en aviseront tout au long du XXe siècle, dans la lutte contre la hiérarchie compositionnelle, contre l'opposition figure/fond, et pour l'élaboration d'un mode pictural all over, toutes choses à quoi Mondrian aspirait fortement en 1918-19? Il y a en fait plusieurs raisons concurrentes à ce revirement. La première est familière car c'est ce qui avait déjà conduit Mondrian à l'abstraction au sortir de sa période de "digitalisation" cubiste: il n'y a pas assez de tension dans une grille modulaire, en elle l'équilibre se donne d'emblée, sans combat dialectique. La seconde est contingente: tout indique (et notamment les textes que Mondrian écrit à l'époque contre l'inscription de la temporalité et contre l'illusionnisme en peinture) que Mondrian n'appréciait guère l'effet secondaire de bombardement optique qu'engendrait la multiplication des croisements de lignes dans ses toiles modulaires (un dynamisme très Op Art qu'il saura au contraire mettre en oeuvre dans ses tous derniers tableaux réalisés à New York). La troisième est plus importante, et révèle à quel point, pour médiocre écrivain qu'il soit, Mondrian est néanmoins un penseur de taille: ce que lui a révélé son travail avec les grilles modulaires, c'est que l'on ne peut pas totalement supprimer la subjectivité; que la composition (et donc un minimum de hiérarchie) est inévitable et qu'il faut donc lui ménager une soupape de sécurité. Plus encore: puisqu'on ne peut pas supprimer la figure par les moyens de la grille modulaire (dès qu'il y a composition il y a figure), il faut trouver un autre moyen de le faire, il faut trouver le moyen de transformer la composition (ou la figure) en machine de guerre contre elle-même. Ce nouveau système qui s'appellera le néo-plasticisme émergera à la fin de 1920 avec Composition avec jaune, rouge, noir, bleu et gris au Stedeljik Museum d'Amsterdam. Au cours de cette année, Mondrian peint sept toiles dans laquelle il s'éloigne progressivement de la grille modulaire. Composition I (lot 44), 1920 est l'une des dernières de la séquence. Une comparaison entre cette oeuvre et une toile située au début de la série suffira à faire état de l'évolution en question. Une grille régulière gouverne en partie Composition C, 1920, au Museum of Modern Art de New York (fig. 6), mais alors que dans les toiles modulaires de 1918-19 il y avait une congruence parfaite entre grille modulaire et format du tableau, il y a ici une disjonction, car seule la zone centrale de la toile est contrôlée par le module: celle-ci est entourée sur ses bords de plages étroites qui ne tombent pas sous le coup de sa juridiction. Ces longs rectangles sont ici un agent de dérégulation (alors que les bords du tableau, dans les toiles de la série précédente, était l'endroit où s'affirmait avec le plus de force la règle modulaire puisque le module était lui-même fondé sur le format, et donc les limites, du tableau). La grille centrale est faite de neuf carrés qui diffèrent tous soit par la couleur soit par la manière dont ils sont (ou non) divisés. A noter que les limites inférieure et supérieure d'un des modules carrés, au coin supérieur gauche, ne sont pas tracées mais impliquées. Cela même, qui aurait pu signifier que la force du module était désormais si grande que Mondrian n'y avait plus besoin de le marquer, signifie, au contraire, que son rôle générateur touche à sa fin. Dans Composition I (lot 44), en effet, le module a à peu près disparu. Ce tableau comporte lui aussi une grille interne (mais elle est moins distincte que dans la toile du Museum of Modern Art en ce sens qu'à l'inverse de ce qui se passe dans celle-ci les rectangles qui bordent cette grille interne sur les côtés gauche et droit ne diffèrent pas essentiellement de ceux qu'elle contient, ce que font encore au contraire les rectangles qui s'étirent horizontalement en haut en en bas du tableau). A l'intérieur de cette grille interne, seules deux rangées horizontales de rectangles ont la même hauteur (deuxièmes rangées en partant du haut et du bas). De plus, le rectangle jaune de la rangée du haut est coupé par une ligne qui le divise en deux parties inégales et le relie aux rectangles adjacents, jaunes eux aussi, qui forment avec lui un rectangle plus large subdivisé en cinq. Notons enfin qu'aucune ligne du tableau ne va bord à bord, ce qui a tendance à desserrer l'étau du réseau linéaire et à accentuer, au contraire, l'énergie de la couleur. Cette montée de la couleur n'est d'ailleurs pas un hasard, elle va de pair avec l'émancipation du module. Alors qu'il peignait une autre toile de cette même série (Composition III, 1920; Joosten, no. B110), Mondrian reçu la visite du peintre Léopold Survage qui trouva le tableau "pas si bien équilibré que ça". Selon Survage, rapporte Mondrian dans la lettre qu'il écrit à Théo van Doesburg à propos de cette conversation, "le jaune n'était pas harmonieux tout contre le rouge, etc. Et les deux petits plans bleus en haut n'étaient pas contrebalancés par un autre plan bleu en bas (j'ai tendance à penser que c'est en partie ce qui rend ce tableau si décentré. je lui ai alors dit que nous étions à la recherche d'une autre harmonie (...) J'ai compris qu'avec des proportions bien équilibrées on n'a pas toujours besoin d'harmoniser les couleurs, et j'ai pris la peine de rédiger quelques notes à ce sujet"4. Quelques mois plus tard, il ajoutera: "Je crois qu'un équilibre fondé sur les dissonances peut exister"5. Alors qu'il écrit cela Mondrian est en train de peindre son premier tableau néo-plastique (qui reprend très distinctement l'agencement de Composition III, mais sans plus aucune trace de module cette fois). Dans cette Composition avec jaune, rouge, noir, bleu et gris, Mondrian adopte des couleurs pures, saturées (et non "harmonisées" par la réduction tonale d'intensité qui caractérise les sept oeuvres qui précèdent, dont la toile de la collection Saint Laurent-Bergé), et il a non seulement "décentré" le tableau, mais réussi à éliminer le centre (la figure) sans avoir eu recours au all-over modulaire. La toile comporte un carré blanc en plein milieu (situé sur l'axe de symétrie), mais malgré sa position dominante nous ne le remarquons qu'au prix d'un effort d'attention démesuré, notre regard se concentrant plutôt sur les plans de couleurs vives situés à la périphérie. Pendant les trois années qui suivent cette invention du néo-plasticisme, Mondrian va peindre une quarantaine de toiles, soit un bon cinquième de sa production à partir de ce moment jusqu'à sa mort en 1944, une frénésie créatrice plutôt rare chez l'artiste, qui oeuvrait lentement. La plupart de ces toiles adoptent un certain nombre de règles communes. Par exemple: aucun plan coloré ne doit être juxtaposé à un autre - il doivent être toujours séparés par au moins un plan de "non-couleur", comme disait Mondrian - à savoir de noir, gris ou blanc. Ou encore: les plans colorés doivent toujours être situés à la périphérie du tableau. Par ailleurs, la plupart de ces tableaux tournent autour de trois schémas de base. Dans le premier schéma, tout tourne autour d'un carré ou d'un faux carré central qu'il s'agira de décentrer, d'annihiler en tant que Gestalt (ce schéma est adopté, on l'a vu dès le tableau inaugural de 1920 au Stedelijk Museum (fig. 7), mais le meilleur prototype, à partir duquel Mondrian élaborera de nombreuses variations, est Composition avec rouge, bleu, noir, jaune et gris, 1921, du Gemeente Museum de La Haye; fig. 8). Dans le second schéma, un des plans colorés est plus large que les autres, et n'est donc plus, strictement parlant, à la périphérie bien qu'il soit comme les autres délimité par un bord du tableau (ou deux bords, s'il est situé dans un coin, comme dans Tableau I, 1921 du Museum Ludwig à Cologne; fig. 9). Dans le troisième schéma, le centre est occupé par le croisement d'une ligne verticale et d'une horizontale qui vont chacune bord à bord (c'est lorsqu'il adopte ce schéma que Mondrian déroge à la règle périphérique, comme dans Tableau I, avec rouge, noir, bleu et jaune, 1921, du Gemeentemuseum de La Haye (fig. 10), sans doute par qu'il a besoin de placer au moins un plan coloré tout contre la croix afin que celui-ci la "mange" visuellement et l'empêche de se constituer en figure et d'être lue comme un symbole, ce qu'il craignait avant tout). Or, ce qu'il y a d'extraordinaire dans Composition avec bleu, rouge, jaune et noir (lot 42) de 1922, c'est qu'il n'appartient à aucun de ces sous-groupes. Tout ce passe comme si Mondrian, après avoir exploré avec une jubilation apparente toute la potentialité de ses trois schémas compositionnels, se décide soudain à ruer dans les brancards. Rien dans cette toile ne rappelle l'équilibre savamment pesé des toiles qui lui sont contemporaines (il y a certes d'autres exceptions, comme Composition avec bleu, jaune, noir et rouge, 1922, de la Staatsgalerie de Stuttgart (fig. 11), ou Composition avec jaune, bleu et bleu-blanc, 1922, de la Menil Collection à Houston (Joosten, no. B143), mais aucune n'ont l'audace du tableau de la collection Saint Laurent-Bergé). Le fait que la composition soit si chargée dans sa partie supérieure, la non coïncidence des divisions verticales en haut en en bas du tableau, qui engendre une sorte de ligne oblique virtuelle, l'étrangeté de la ligne noire longeant le bord droit du tableau et délimitant le rectangle jaune, la non moins grande étrangeté de la fine bande blanche jouxtant la bande rouge en bordure de la limite supérieure du tableau, ce vaste rectangle blanc, enfin, qui bien qu'ouvert sur le côté gauche n'est pas centrifuge: tout, dans ce tableau, est fait pour désarçonner le spectateur familier des merveilles de balance compositionnelle que sont la grande majorité des toiles néo-plastiques de Mondrian avant son introduction de la double ligne en 1932 et la transformation radicale qui s'en suivit. Il y a quelque chose de quasiment baroque dans la virtuosité dont fait preuve Mondrian dans cette toile: jamais Van Doesburg n'aurait pu dire devant cette toile, comme il l'écrivit dans son journal après sa rupture définitive avec son ancien ami et mentor, que l'oeuvre de Mondrian était tout aussi classique que celle de Poussin6. Sitôt fini le tableau fut acquis par Mme Kröller-Müller (qui ne l'avait pourtant pas vu - une amie de Mondrian, de passage à Paris, se chargeant de ramener la toile en Hollande). On est en droit de se demander ce qui se serait passé si l'oeuvre était restée plus longtemps en possession de son auteur et qu'il eut pu la contempler à loisir. Je gage que la révolution qui s'accomplit dans son mode de pensée picturale dans les années trente serait advenue plus tôt. Notes : 1 P. Mondrian, "Toward the True Vision of Reality" (1941), repris dans H. Holtzman et M.S. James, The New Art-The New Life: The Collected Writings of Piet Mondrian, Boston, 1986, p. 339. 2 J.M. Joosten, Piet Mondrian: Catalogue Raisonné of the Work of 1911-1944, New York, 1998, pp. 266-276. 3 Ibid., p. 268. 4 P. Mondrian, lettre du 15 juin 1920 à Theo van Doesburg, citée par Els Hoek dans "Piet Mondrian", essai inclus dans le recueil collectif publié sous la direction de Carel Blotkamp, De Stijl: The Formative Years, Cambridge, 1986, p. 63. Hoek identifie à tord le tableau dont parle ici Mondrian comme étant la Composition II de la Fondation Juan March à Madrid (Joosten, no. B109), qui ne correspond pas à la description qu'en donne le peintre alors que celle-ci s'accorde parfaitement avec avec le petit format carré et les plans colorés de Composition III. 5 Lettre non datée de Piet Mondrian à Theo van Doesburg, citée par Hoek (ibid., p. 64), qui la date de septembre 1920. 6 Voir le fragment daté du 1 novembre 1930 dans le "journal d'idées" de Theo van Doesburg, publié à titre posthume dans De Stijl (janvier 1932, p. 28). (fig. 1) Piet Mondrian, Composition with Colored Planes and Gray Lines 1, 1918. Collection particulière, Suisse. (fig. 2) Piet Mondrian, Composition with Grid 1, 1918. Museum of Fine Arts, Houston. (fig. 3) Piet Mondrian, Composition with Grid 5: Lozenge Composition with Colors, 1919. Rijksmuseum Krller-Müller, Otterlo. (fig. 4) Piet Mondrian, Composition with Grid 4: Lozenge Composition, 1919. Philadelphia Museum of Art. (fig. 5) Photographie du premier état de Composition with Grid 2 en 1918. (fig. 6) Piet Mondrian, Composition C, 1920. The Museum of Modern Art, New York. fig. 7) Piet Mondrian, Composition with Yellow, Red, Black, Blue and Gray, 1920. Stedelijk Museum, Amsterdam. (fig. 8) Piet Mondrian, Composition with Red, Blue, Black, Yellow and Gray, 1921. Gemeentemuseum, La Haye. (fig. 9) Piet Mondrian, Tableau I, with Black, Red, Yellow, Blue and Light Blue, 1921. Museum Ludwig, Cologne. (fig. 10) Piet Mondrian, Tableau I, with Red, Black, Blue and Yellow, 1921. Gemeentemuseum, La Haye. (fig. 11) Piet Mondrian, Composition with Blue, Yellow, Black and Red, 1922. Staatsgalerie, Stuttgart.
PIET MONDRIAN (1872-1944)

Composition avec bleu, rouge, jaune et noir

细节
PIET MONDRIAN (1872-1944)
Composition avec bleu, rouge, jaune et noir
signé du monogramme 'PM' (en bas à droite)
huile sur toile
79.6 x 49.8 cm. (31 7/8 x 19½ in.)
Peint en 1922; avec baguettes d'origine
来源
Helene Kröller-Müller, Wassenaar (acquis auprès de l'artiste, 1922).
Anton G. Kröller, Hoenderloo (par descendance, 1939).
Collection particulière (par descendance, 1941).
Kunsthandel K.A. Legat-Ehrlich, La Haye.
Jon Nicholas Streep, Amsterdam/New York (acquis auprès de celui-ci, vers 1946).
Nierendorf Gallery, New York.
Leo Castelli, New York (acquis en 1949).
Rose Fried Gallery, New York (acquis en 1955).
Israël Rosen, Baltimore (acquis auprès de celle-ci, 14 mai 1955).
Galerie Beyeler, Bâle (acquis auprès de celle-ci, 1972).
Galerie Tarica, Paris (acquis auprès de celle-ci, vers 1978).
Acquis auprès de celle-ci par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, 1978.
出版
P. Mondrian, Letter to Salomon Bernard Slijper, datée du 5 mai 1922.
P. Mondrian, Letter to Théo van Doesburg, datée du 25 mai 1922.
H.P. Bremmer, Catalogus van de schilderijen-verzameling van Mevrouw H. Kröller-Müller, La Haye, 1925, vol. V, no. 7 (illustré, p. 551; titré 'Compositie').
H.P. Bremmer, Catalogus van de schilderijen-verzameling van Mevrouw H. Kröller-Müller, La Haye, 1928, no. 157 (illustré, p. 855; titré 'Compositie').
M. Seuphor, Piet Mondrian: Life and Work, New York, 1956, p. 427, no. 469 (illustré, p. 385, pl. 33, no. 320; titré 'Composition'; daté 'circa 1922'; dimensions erronées).
Piet Mondriaan, catalogue d'exposition, La Haye, Haags Gemeentemuseum, 1966, no. 103 (illustré sous le numéro 162, p. 162, erronément daté 1921-22).
F. Elgar, Mondrian, New York, 1968, p. 242, no. 111 (illustré, p. 119; titré 'Composition circa'; daté '1922').
M. Butor et M.G. Ottolenghi, Tout l'oeuvre peint de Mondrian, Milan, 1974, p. 110, no. 337 (illustré, p. 109; titré 'Composition'; daté 'circa 1921-22').
"La Passion de l'Art: Yves Saint Laurent", in Du, no. 10, octobre 1986, p. 40 (illustré en couleur à l'envers; daté '1920').
J.M. Joosten, Catalogue Raisonné of the Work of 1911-1944, New York, 1998, vol. II, pp. 189 et 304, no. B142 (illustré).
展览
New York, Sidney Janis Gallery, Piet Mondrian: Paintings 1910 Through 1944, octobre-novembre 1949, no. 20 (titré 'Composition').
New York, Rose Fried Gallery, Group, décembre 1952, no. 10.
The Art Gallery of Toronto et Philadelphia Museum of Art, Piet Mondrian, février-mai 1966, p. 184, no. 93 (illustré, p. 185; titré 'Composition'; daté '1921-22').
La Haye, Haags Gemeentemuseum; Washington, D.C., National Gallery of Art et New York, The Museum of Modern Art, Piet Mondrian: 1872-1944, décembre 1994-janvier 1996, p. 208, no. 100 (illustré en couleur).
Paris, Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent, Yves Saint Laurent, dialogue avec l'art, mars-octobre 2004, p. 17 (illustré en couleur, p. 16).
La Coruna, Fundación Caixa Galica, Yves Saint Laurent: diálogo con el arte, février-mai 2008 (illustré en couleur).
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'COMPOSITION WITH BLUE, RED, YELLOW AND BLACK'; SIGNED WITH MONOGRAM LOWER RIGHT; OIL ON CANVAS; IN ARTIST'S FRAME.

The three abstract paintings by Piet Mondrian in the Yves Saint Laurent-Bergé collection each belong to key stages in the artist's work, the genealogy and lineage of which can -- and indeed ought to -- be traced back if we are to grasp their full originality and meaning. For this confirmed evolutionist that was Mondrian -- at least from the moment he discovered Cubism in 1912 -- each painting represented an advance on the preceding work. In less dogmatic terms, we could say that each series of paintings (for he always worked on several canvases at a time) served as a step forward for the artist on the long journey towards what he called "Neo-Plasticism" or "The General Principle of Plastic Equivalence". Each of the three paintings to be considered here figures at different points (at least logical, if not strictly chronological) of the series to which it belongs:
Composition with Grid 2 (see lot 43), 1918 is one of the first in a series of nine modular grid paintings created by Mondrian in 1918-19, at a time when everything was developing so quickly that the artist did not have time to finish the work before graduating onto the next stage.
Composition I (see lot 44), 1920, on the other hand, is one of the last canvases produced as part of his next series, a series whose development testifies to the artist's gradual abandonment of the modular grid format.
Composition with blue, red, yellow and black (see lot 42), 1922 belongs to a small group of highly dynamic paintings, whose imbalance -- or at least tension and instability -- provides a violent contrast to the calmer works of the previous year. These represent Mondrian's first works of a genuinely Neo-Plastic style.

From July 1914, when he left Paris for what was meant to be a summer vacation in Holland, until he returned five years later in June 1919, Mondrian's pictorial style evolved at such an extraordinary pace that it would be impossible to do him justice in the space of a few paragraphs. It is worth, however, looking back briefly at some of the defining milestones:
During his first stay in Paris (1912-1914), Mondrian immediately embraced the Cubism of Picasso and Braque before infusing Symbolism, theosophy, and Neo-Platonic idealism to create his own personal interpretation of the style, thus paving the way shortly after his return to Holland for the abstraction to come. According to Mondrian, the real purpose of Cubism, from which the movement's founders had seemingly recoiled, was to paint the essence of things, to discover the universality behind their "particular appearance". This "universal" structure was the "fundamental opposition" of the vertical and horizontal, to which everything could be distilled by a process that foreshadows the digital representations we have become accustomed to in the computer age. Very soon, however, Mondrian concluded that if the world around us was unified by a common denominator, an underlying grid abstract and conceptual in nature, then one no longer had to use reality as the starting point. Later, upon discovering the Hegelian Dialectic, albeit in a somewhat diluted form, he realised the need to reintroduce tension into his work, an aspect that the reduction process had almost entirely eliminated. Art should achieve an "equilibrium", a sense of "repose" understood as a cipher of universality; this repose must not, however, be offered at the outset but should instead be the result of the dynamic interplay of opposing forces within each painting. The real transition to abstraction from dialectic tension would only come in 1917, after two years of frenzied research. Neither the black and white Composition in Line, nor the two small coloured canvases Composition in Color A and Composition in Color B that flanked the work during its first public appearance featured any reference to nature. From there, things began to accelerate further, coming to a head when Mondrian stumbled across a problem that he would attempt to resolve in the following year with the modular grid composition.

The problem in question, over which the members of the De Stijl group (notably Theo van Doesburg and Vilmos Huszar) also obsessed, related to the unity of the figure and the ground, or rather to their mutual abolition. Abolishing the figure (the "individual") was one of the essential goals of abstraction as Mondrian understood it ("universality" could only be achieved at this price), but this goal becomes impossible the moment a picture surface is perceived as a background (or atmospheric backdrop) which recedes in deference to the image inscribed upon it. Observing that the white surface in Composition in Line and the accompanying paintings was functioning as a passive, optically receding background, Mondrian realised that this was a direct consequence of his use of overlapping planes -- one of the most striking stylistic features of these works. He then created a series of paintings where all traces of overlapping were eliminated and the lateral extension of the composition accentuated to remove any illusion of depth (abruptly interrupted by the edges of the painting, the colored planes in these works seem to be struggling to escape out of the frame). Mondrian also gradually aligned the colored rectangles and, in the last two paintings, he also divided the "background" into rectangles of varying shades of white. Nonetheless, feeling that these colored and non-colored rectangular planes were still too "individual", Mondrian decided to "determine" them -- as he put it -- by circumscribing them with lines in different shades of grey extending over several adjacent planes. Of the three paintings that he produced at this time, at the beginning of 1918, only one remains (formerly Max Bill collection; fig. 1). Which brings us to the start of the modular series and Composition with Grid 2 (lot 43).

Why did he adopt this new method of organizing the pictorial surface? After all, was it not wholly based on the concept of repetition, which the artist had already renounced and rejected from his aesthetic philosophy for two reasons? (The two reasons in questions were: firstly that repetition is a natural phenomenon while art, according to Mondrian, should not imitate nature in any way to be truly abstract; secondly, repetition is integral to "mathematical" thought which he believed to be wholly incompatible with the intuition on which any artistic pursuit should be founded). The answer to this riddle is quite simple when you enter into the mindset of Mondrian at the time. Although he had successfully prevented the colored rectangles from causing the background to recede visually since 1917 (introducing a linear network to stabilise and contain them in the paintings dating from early 1918), Mondrian was concerned about their centrifugal force, which resulted in the detachment of the active figure from the passive background, thus re-establishing the hierarchy he had sought to abolish in preventing the illusion of depth via lateral extension. As he would later say about these paintings, the rectangles still "obtrude themselves". With a modular grid composition, the illusion of depth is removed without needing to resort to the lesser evil of lateral extension.

So what is a modular grid? This is a system where all the units are formed from the same module, the module being of the same proportions as the surface of the very painting it is dividing. There are no possible breaks or holes, no unit that is smaller than a module (and no difference between figure and ground since every plane is a multiple of the basic module). And precisely because the repetition is so prominent and immediately perceivable, one can subtly emphasise the individual character of the rectangular planes to offset the dogmatic absolutism of the modular grid, without the risk of bringing them into the foreground. This may have been Mondrian's intention when he created his first two modular grid compositions, one of which can now be found in the Museum of Fine Arts, Houston (fig. 2), and the other in the Saint Laurent collection.

One may well ask why Mondrian decided to begin his series of modular canvases with two rectangular compositions rather than adopting the square format that characterised the five subsequent paintings. This may be related to the greater diversity (and therefore greater tension) allowed by the rectangular form in the proportion of the planes. In the Houston painting, for example, the colored and non-colored rectangles are composed of 1 to 10 modular units, although the number of units is not the only factor to consider. Given the module's rectangular format, the same number of units can result in rectangles of very different proportions. Let's take a rectangle consisting of six modules for example: two vertical columns of three modules arranged side-by-side would form an oblong rectangle whereas two horizontal rows of three modules would create a square.

However, in the example from the Saint Laurent-Bergé collection (as in the subsequent works), Mondrian seems to shy away from the diversity of the above approach. While this piece contains the same number of modular units as the Houston painting (indeed, all the works in this series are divided into 16x16=256 modules), the units are distributed differently. From one canvas to the next, not only does Mondrian incorporate more planes, but he increases the number of similar quadrangles while reducing the number of unique rectangles. The Houston painting, for example, contains 15 different types of rectangle over 66 rectangles (5 of which are unique); Continuing through to the five subsequent paintings (all square, including four so-called lozenge ones, or tableaux losangiques as Mondrian himself nicknamed them), this trend would culminate in the last two modular canvases by Mondrian just before his final departure to Paris in 1919: in these final two works (Composition with Grid 8 and Composition with Grid 9, better known as Composition in Checkerboard with Dark Colors and Composition with Checkerboard with Light Colors), all of the colored planes are identical in size as they only consist of one module each (although adjacent planes are sometimes in the same color, thus creating various sub-configurations).

It is in part this general trend towards greater regularity within this series of modular paintings that allows us to place Composition with Grid 2 after the Houston painting, although the exact date is not known. The "PM 15" inscription written by Mondrian's own hand was added while the artist was preparing for a retrospective exhibition of his work in New York in 1942, when the painter, well-known for his uncompromising honesty, mistakenly backdated several works from his Cubist period or his first forays into abstraction. The "PM 18" inscription that appears on the Houston version, by contrast, does indeed originate from the time it was created. Most likely acquired by its first owner before Mondrian left for Paris, this painting remained in Holland where Mondrian would never set foot again, until it was bought by an American collector during the post-war period. Nonetheless, although we can say with near certainty that Mondrian painted Composition with Grid 2 after the work in Houston, there remain some doubts as to its logical, if not chronological, place in the modular series. If we compare the work to the "lozenge" paintings, which, according to Joop Joosten's timeline in the catalogue of Mondrian's work, were produced immediately afterwards, one cannot help but be struck by the greater resemblance it bears to Composition with Grid 5 (fig. 3) than to the two preceding canvases2. Composition with Grid 3, 4 (fig. 4), and 5 all feature the same opposition between two linear networks, one that is strictly modular and lattice-like and the other that demarcates the planes (both color and non-color) by accentuating certain lines in the first network. However, the difference between accentuated and non-accentuated line, which becomes more marked as we progress from the first to the third "lozenge" painting, is executed in an almost identical manner in Composition with Grid 5 and Composition with Grid 2. Moreover, while Composition with Grid 3 and 4 are strictly linear (without any colored divisions), we can clearly see how the surface is divided into planes of different shades of greys in Composition with Grid 2, strongly resembling the planes of broken colors in Composition with Grid 5.

The final enigma surrounding Composition with Grid 2 relates to a photograph, dated 1919 on the reverse, which shows the painting in an earlier state (fig. 5). Not only does it appear to be unsigned but the work featured several lines in the accentuated grid which were subsequently erased. Furthermore, in a photograph of Mondrian's studio dating from 1926, in which the lower portion of the painting is visible, the work is actually hung in a different orientation (upside down) from that of its final, signed state, a remarkable move for a painter like Mondrian. One can get lost in conjecture trying to understand what prompted Mondrian to turn his painting upside down (the modular division of the painting probably reduced the impact of the alteration, whose application would be unthinkable for any neo-plastic canvas, i.e. works produced after 1920). On the other hand, it is clear that the taut lines which were later removed generated a number of symmetries that the painter had not perhaps noticed initially, these being less obvious when the painting was originally hung with a different orientation. Contrary to Joosten's suggestion, I do not think that this correction (erasure of several marked lines) was made at the same time that Mondrian signed the painting3. On the one hand, the correction involved a reduction in the number of rectangles, which does not coincide with the way Mondrian reworked a number of his paintings (having considered them completed while in Europe) in New York. On the other hand, he gave each of the works in question a double date, which is not the case here.

In fact, the correction, albeit minimal, does not fall in line with the progression towards ever greater regularity that, as mentioned above, characterised the series of modular paintings by Mondrian (the deletion of a line resulted in the expansion of a rectangle from six to eight modular units, formed by the juxtaposition of two vertical columns of modules -- the only one of its type in the painting -- while the photograph taken in 1919 shows this area with two rectangles, one vertical and made up of six units, the other horizontal with two units, two configurations that appear throughout the painting). But although the correction might seem a first like a step backwards, it could actually be indicative of a tentative step towards the next series, to which Composition I (lot 44), 1920, belongs and during which Mondrian would gradually eliminate any dependence on modular regularity.

What motivated this complete change of direction? Was not the modular grid particularly effective, as many artist were to discover throughout the 20th century, in the struggle against compositional hierarchy, against the opposition between figure and background, and the development of an "all over" pictorial surface, all things that Mondrian had aspired to in 1918-19? This about-turn can be explained by several conflicting factors. We are already familiar with the first, since it is what had driven Mondrian to abstraction at the end of his cubist "digitalisation" period: a modular grid does not offer enough tension, providing immediate equilibrium without any dialectic struggle. The second is incidental: all the evidence (particularly the texts written by Mondrian at the time in rejection of temporality and illusionism in painting) indicates that Mondrian had little appreciation for the visual assault -- albeit unintentional -- created by the many overlapping lines in his modular canvases (a very "Op Art" dymanism that he would later utilise in his final New York paintings). The third and most important reason demonstrates how Mondrian, though a poor writer, was nonetheless a great thinker: through his work with modular grids, Mondrian realised that it was not possible to eliminate subjectivity completely, that composition (and a minimal amount of hierarchy) was inevitable and that a release valve had to be provided for it. Moreover, as the figure could not be eliminated by means of a modular grid (since composition necessarily involves a figure), it must be achieved using another method whereby the composition (or figure) is transformed into a weapon against itself. This new system, called Neo-Plasticism, would emerge at the end of 1920 with Composition with Yellow, Red, Black, Blue and Gray, at Stedeljik Museum in Amsterdam. Over the course of that year, Mondrian painted seven canvases in which he gradually abandoned the modular grid. Composition I, 1920, is one of the final pieces in this series.

A comparison between this work and a painting from earlier on in the series provides a clear picture of Mondrian's artistic evolution at this time. Composition C, 1920, at the Museum of Modern Art in New York (fig. 6), is partially governed by a regular grid, but where the modular paintings from 1918-19 exhibit perfect congruity between the modular grid and the picture's format, we see a break here as the area dominated by the module is centered, bordered by narrow rectangles that do not fall under its control. Here, these long rectangles serve as a deregulatory force (while, in a modular canvas, the edges of the painting provide the strongest manifestation of the modular rule, given that the module is itself founded on the format, and therefore the boundaries, of the painting). In the Museum of Modern Art painting, the central grid is composed of nine squares which vary either in color or in the way they are joined or divided. Note that the lower and upper edges of one of the square modules, located in the top left-hand corner, are not marked out but implied. While this could be taken to mean that the force of the module is now so strong that it no longer needs to be delineated, it actually signifies the opposite: that the module's generative role is coming to an end.

In fact, in Composition I, the module has all but disappeared. This painting also features an internal grid, one that is less distinct than the version in the Museum of Modern Art in that the rectangles to the left and right of this internal grid do not differ greatly from those within the grid itself, in contrast to the rectangles stretching horizontally above and below the painting. Within this internal grid, only two horizontal rows of rectangles measure the same height (second row from the top and from the bottom). Moreover, the yellow rectangle in the higher of these two rows is divided into two unequal parts by a line that links it to the adjacent rectangles, also colored in yellow, the whole of which forms a larger rectangle subdivided into five sections. Note that none of the lines in the painting extends fully from one edge to the other, which helps to weaken the rigidity of the linear network while accentuating the vibrancy of the colors used.

The increased emphasis on color was not a coincidence -- it goes hand in hand with the emancipation of the modular form. While painting another work in the same series (Composition III, 1920; Joosten, no. B110), Mondrian received a visit from the painter Léopold Survage who was unconvinced that the painting achieved perfect balance. According to Survage, as Mondrian wrote in a letter to van Doesburg detailing their conversation, "the yellow was not harmonious against the red, etc. And the two small blues at the top had no counterpart in blue plane at the bottom (I tend to think that this, among other things, makes it so off-centered). I then said that we were looking for another harmony... I then saw that a well-balanced proportion does not always require harmonizing colors, and have taken care to write down some things about that"4. A few months later, he added: "I believe that equilibrium can exist with dissonants"5. At the time of writing these words, Mondrian was in the process of creating his first neo-plastic painting (which distinctly reuses the layout of Composition III, but this time without any trace of the module). In this work, Composition with Yellow, Red, Black, Blue and Gray, Mondrian adopts pure, saturated colors (not "harmonised" through the reduced tonal intensity that characterises his seven preceding works, including the painting from the Saint Laurent collection), and he not only "decenters" the painting, but also succeeds in eliminating the centrality of the centre (the figure) without resorting to a modular, all-over structure. The painting features a white square set in the middle (located on the axis of symmetry) which only becomes apparent through close scrutiny, despite its prominent position, since our attention is drawn to the vibrantly colored planes on the periphery.

In the subsequent three years, a period of exceptional productivity for a man who worked with such slow precision, Mondrian executed around forty paintings, approximately one fifth of his total output between this period and his death in 1944. Most of these paintings are underpinned by a number of common rules. For example, no two colored planes should be placed side-by-side and must always be separated by at least one plane of "non-color", to quote the term used by Mondrian, namely black, grey or white. Another rule is that colored planes must always be located on the periphery of the painting. We should also note that most of these paintings employ three basic compositional schemas. In the first schema, the whole composition is based around a square or almost square which the artist attempts to decenter by destroying its identity as a a strong form, as a Gestalt. This schema was adopted in the inaugural painting of 1920 mentioned above, from the Stedelijk Museum (fig. 7), but the best prototype, from which Mondrian would develop several variations, is the Composition with Red, Blue, Black, Yellow and Gray, 1921, in the Gemeente Museum, the Hague; fig. 8). In the second schema, one of the colored planes is much wider than the others and therefore, strictly speaking, no longer on the periphery despite being bounded like the other planes by one edge of the painting (or two when placed in a corner position, such as in Tableau I, 1921 in the Museum Ludwig, Cologne; fig. 9). In the third schema, the composition is organised around two lines -- one horizontal and one vertical -- that cross near the middle and extend to the edges of the painting (when he adopted this schema, Mondrian broke away from the peripheral rule, as in Tableau I, with Red, Black, Blue and Yellow, 1921, in Gemeente Museum, The Hague (fig. 10), perhaps driven by the need to adjoin at least one colored plane to the cross so as to counterbalance it and prevent it from forming a stable figure or to be read as a symbol, which he feared above all else).

What is extraordinary about Composition with Blue, Red, Yellow and Black (lot 42), 1922, then is that it does not belong to any of these subgroups. It was as if Mondrian, after exploring the full potentiality of these three compositional schemas with such apparent jubilation, suddenly decided to throw the rules overboard. Nothing in this work hints at the carefully calculated equilibrium of the other paintings from this period. Other exceptions do exist of course, such as Composition with Blue, Yellow, Black and Red, 1922, in the Staatsgalerie, Stuttgart (fig. 11), and Composition with Yellow, Blue, and Blue-White, 1922, from the Menil Collection in Houston (Joosten, no. B143); however, none of them demonstrate the same audacity as the current work in the Saint Laurent-Bergé collection. The top-heavy arrangement of the composition, the fact that the vertical divisions at the top and bottom of the painting do not correspond to one another and thus create a kind of virtual oblique line, the awkward black line along the right edge of the painting delineating the yellow rectangle, the equally strange thin white band adjoining the red band along the top edge of the painting, and finally the large white rectangle, which is not centrifugal despite opening out to the left: everything about this painting is likely to disconcert anyone familiar with the masterpieces in compositional balance that represent the majority of Mondrian's neo-plastic endeavours before the advent of the double line in 1932 and the radical transformation that ensued. There is something almost Baroque in the virtuosity displayed by Mondrian in this canvas, a work in front of which Van Doesburg could never have written, as he did in his diary after his rupture with his friend and mentor, that neo-plastic paintings were as classical as those of Poussin6.

Once completed, the painting was immediately acquired by Mrs. Kröller-Müller (she bought it unseen, having asked a friend of Mondrian passing through Paris to bring her back a recent canvas of his to Holland). One may well wonder how things might have developed if the painting had remained in the possession of its creator to be contemplated at leisure. I would venture that the revolution that transformed his pictorial philosophy in the 1930s would have happened much earlier.


Notes (English):

1 Piet Mondrian, "Toward the True Vision of Reality" (1941), cited in H. Holtzman and M.S. James, The New Art-The New Life: The Collected Writings of Piet Mondrian, Boston, 1986, p. 339.
2 J.M. Joosten, Piet Mondrian: Catalogue Raisonné of the Work of 1911-1944, New York, 1998, pp. 266-276.
3 J.M. Joosten, op. cit., p. 268.
4 Piet Mondrian, letter dated 15 June 1920 to Théo van Doesburg, cited by E. Hoek in "Piet Mondrian", included in C. Blotkamp, De Stijl: The Formative Years, Cambridge, 1986, p. 63. Hoek wrongly describe the painting cited by Mondrian as Composition II from the Juan March Fundation in Madrid (J.M. Joosten, no. B109), which doesn't correspond to the painting described by the artist, while it looks like the small square size and the colored planes of Composition III.
5 Non-dated letter from Piet Mondrian to Théo van Doesburg, cited in Hoek (op. cit., p. 64), which gives the date September 1920.
6 See article dated 1 November 1930 in "Journal d'idées" by Théo van Doesburg, posthumous publication in De Stijl (January 1932, p. 28).

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