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FOUJITA, UNIQUE ENTRE ORIENT ET OCCIDENT
Foujita est un maître, un as du pinceau. Fude, est en japonais le nom de ce fin pinceau dont la pointe présente un poil court et une forme effilée, flexible, permettant de varier avec aisance la largeur du trait pour créer des motifs d'une grande vivacité. Malgré son pouvoir d'absorption d'eau élevé, il est facile à manipuler. La pointe est en poils de mouton, de martre, de belette, de lièvre, d'écureuil, de chat, de cerf... mais aussi, plus rarement, de renard, de singe, de buffle... Le pinceau japonais a des hanches solides, c'est-à-dire une base épaisse, pour que la pointe puisse tracer de manière efficace avec une grande réserve d'encre; la plupart du temps, il possède deux ou trois poils plus longs au milieu de la touffe, ce sont les "poils de vie".
Foujita, dans le silence de son atelier, à peine troublé par les pas feutrés de son chat, met au point son propre style à la pointe de son pinceau, à mi-chemin entre ses deux cultures; L'une issue de son pays natal, orientale et l'autre de son pays d'adoption la France, occidentale. Et ceci depuis son arrivée à Paris en 1913.
"Certains me méprisent en me traitant d'artisan, mais c'est justement ce dont je suis fier, dira Foujita. Picasso et Matisse ne sont-ils pas eux aussi des artisans ?".
Sacrifiant son sommeil, au prix d'un travail intense, il réussit à déposer sur sa toile une préparation blanche sur laquelle glisse parfaitement son trait de pinceau.
"J'avais fait des efforts pour transformer ma main en machine qui puisse parfaitement réaliser les ordres de mon cerveau d'une manière aussi exacte qu'avec des instruments. Un cheveu paraît très lisse lorsqu'il tombe sur un miroir et froissé, sur une toile lâche, aussi ai-je ressenti la nécessité de créer une toile plus lisse et plus brillante pour tracer des lignes très fines".
Selon une recette qu'il met au point en 1921 et ne divulgue pas, Foujita transforme sa toile en une surface d'une blancheur d'ivoire sur laquelle son pinceau trace le contour des formes à l'encre et à l'huile, avec génie certes mais aussi la connaissance des formes, de l'anatomie et cette émotion qui perle tout au long de la ligne, sans repentir.
En plus de ce fameux pinceau fin, qui sert aussi bien au Japon à écrire qu'à dessiner, Foujita utilise des brosses et des tampons d'ouate pour réaliser les ombres et ces tonalités grises très subtiles qui donnent, par exemple, à la musculature du modèle toute sa vérité, sa force et son caractère ; doux chez la femme, plus contrasté chez l'homme et surtout l'athlète, ce travail en demi-teinte assied ses compositions et donnent volume et relief à ses oeuvres. Ces ombres grises varient selon les époques et les sujets, mais, de 1917 à 1967, on les retrouve, très semblables, dans l'expression de la profondeur et la mise en évidence de l'objet sur le fond. Elles peuvent être aussi légèrement additionnées d'aquarelle ou d'un mélange d'encre et d'aquarelle ou d'encre et de gouache pour des tons bleutés, ou encore ocrés. Certains dessins des années cinquante présentent des ombres légèrement bleutées comme des volutes de la fumée du tabac. L'ombre portée est tellement légère qu'elle tient du reflet, souligne le trait, le relie à la troisième dimension et mesure spatialement le pot, la théière, la poupée, le nu, l'animal ou l'enfant. Elle dépasse souvent son champ normal d'action pour envahir au besoin tout un pan du tableau et de ce fait renforcer l'éclairage d'une partie voisine. Elle apparaît souvent comme une patine, une salissure, un accident qui donnerait vie à la figure. D'une manière générale, Foujita s'accorde toute liberté dans le traitement des ombres, des reflets et de leurs interactions. La lumière éclaire le sujet de face avec une telle douceur qu'elle finit par se faire oublier. Demeure néanmoins l'impression de volume, de rondeur et de vie subtilement distillée.
Au Japon, on compare aussi la qualité de la ligne à celle du contour du corps humain (qui varie après le bain, la coupe des ongles ou le rasage, par exemple; en tout cas qui n'est jamais tous les jours la même) ou encore à la ligne de séparation de la mer et de la terre (subissant les marées, l'érosion et les éboulements). Selon les circonstances physiologiques ou géographiques, les lignes diffèrent. Leur apparence, leur longueur et leur profil étant relatifs, la pensée orientale accepte l'existence d'un état intermédiaire qui varie constamment, tel le flux et le reflux de la marée. Cette notion d'impermanence des choses si présente au Japon sous-tend toute la pensée de Foujita. Tout en plaçant ses personnages au centre des peintures et en les organisant selon le mode occidental, le minimalisme des fonds, fond or ou grand fond blanc, fait apparaître la dimension illimitée. Le vide est en réalité plein d'une interrogation non résolue qui oblige l'homme, qui ne peut vivre sans le souci de l'éternel et de la durée, à se confronter sans cesse aux phénomènes éphémères de son existence.
De 1915 à 1917, date de sa première exposition personnelle à la galerie Chéron, la pénurie qui sévit pendant la guerre l'oblige à abandonner la peinture à l'huile et à se rabattre sur l'aquarelle, la gouache et le papier. C'est alors qu'il met au point son premier style parisien avant de reproduire sur la toile, avec ses notions de peinture à l'huile, la finesse naturelle du papier japonais. Il s'inspire largement dans cette première période de l'estampe japonaise ukiyo-e pour représenter des sujets tout à fait modernes proches de Modigliani ou de Brancusi, styliser les formes selon le masque nègre et la forme des crânes ovoïdes des idoles primitives.
Foujita se situe entre 1917 et 1920 à la fois dans la ligne d'Harunobu et de Utamaro et des recherches les plus avant-gardistes de ses amis de l'Ecole de Paris. Picasso demeure trois heures à la galerie Chéron le jour de l'ouverture de l'exposition Foujita, fils du général Foujita, de l'armée impériale du Japon.
À la subtilité du faiseur d'estampe, Foujita ajoute à son regard occidental la sobriété spéciale au Japon.
Au Japon, en général, la sobriété est révélatrice de la culture, émergence du silence et de la discrétion. Les couleurs trop voyantes, comme les bruits trop appuyés, appartiennent plutôt au monde des enfants ou du théâtre où ils traduisent la vulgarité. Le pinceau de Foujita trace sur le papier un trait d'encre de Chine, un trait filiforme déposé sur la surface avec parcimonie, une ligne finissime, un cheveu, qui se courbe et se détend, une ligne onduleuse et signifiante. Le plus souvent, la ligne suffit. Aucune n'est laissée au hasard, toutes concourent à l'ensemble. Chacune a sa vie propre, sans reprise, ni hésitation, tracée d'un seul jet ; toutes n'ont de sens que comprises dans la continuité de l'autre. Dans un ensemble.
"Avec le charme de l'architecture des lignes, on donne au tableau des milliers de vies, écrit Foujita, dans son ouvrage intitulé Nager sur la Terre1."
L'observateur pénétrant qu'il est toujours, indique à son pinceau, ou à son crayon, la bonne direction, la route la plus directe qui mène au dessin à partir de sa perception intérieure, la voie la plus sûre, sans détour, sans altération.
"Je fais rebondir, se croiser les lignes droites et les courbes. Les lignes permettent de décrire les objets sous leurs formes concentrées, de confirmer l'inspiration, la déformation ou la perspective et, de plus, le peintre peut librement les réduire ou en ajouter. Ainsi naît l'art original des lignes, celui par lequel on surprend les autres, celui qui permet d'atteindre la beauté d'une profondeur sans égal."
Et c'est bien là en effet que résident la force et la singularité de l'écriture de Foujita dont la concision est extrême. L'oeil élimine le superflu pour ne retenir que les lignes essentielles. Et, au-delà des lignes de force, transparaissent autant d'éléments qui n'ont pas été tracés..."Sa stylisation, écrivait Paul Fierens, est une abstraction qui conserve l'apparence du concret".
Malgré son aptitude à la minutie, Foujita est le maître du dessin rapide, fluide et succinct. Il s'exprime, sauf dans ses premières peintures de jeunesse et les grandes peintures de guerre, dans un répertoire poétique fait de silences, de retenue et de signes rapides et dépouillés.
"J'ai fait un gros effort pour exprimer et valoriser la partie non peinte qui a toujours été le mérite de la peinture traditionnelle japonaise Nihon-ga. Ce n'était pas aussi simple. Mais j'ai réussi." Au Japon, bien avant lui, beaucoup ont tenté d'atteindre la perfection, et donc la beauté absolue, par un tel dépouillement mental. Des paroles simples comme calme, frugalité, grâce, esthétisme de la simplicité austère et pauvreté raffinée peuvent aider à comprendre l'état d'esprit de Foujita ; il coïncide avec celui des acteurs de la cérémonie du thé dont l'effort tend à la recherche de l'équilibre, entre science et pratique. Tels sont les adeptes de cette ancienne spiritualité appelée Théisme dont il n'est pas dit que Foujita n'ait pas eu connaissance et qui en tant que mouvement de pensée résume son état d'esprit. Le Théisme simplifie les règles du Zen, pour une religion intime centrée sur la cérémonie du thé et l'extrême culture de l'équilibre et du goût qui l'entoure.
"C'est, selon Okakura Kaburo2, l'art de cacher la beauté que l'on est capable de découvrir et de suggérer celle qu'on n'ose pas révéler". Foujita applique graphiquement les gestes du maître de thé. Il a l'art de susciter l'invisible par le mécanisme du non-dit ou du suggéré. Une aptitude tout à fait naturelle au Japon qui, alliée à la virtuosité technique, mène d'une manière subtile à une concentration minimaliste et à cette sobriété que l'on rencontre aussi dans la forme la plus épurée de la littérature japonaise, le haï-kaï. À travers l'analyse d'un de ces haï-kaï, poème si court qu'en trois vers, il résume toute la complexité et le long cheminement d'une pensée. Dans chaque tableau de Foujita, on peut percevoir l'une des qualités fondamentales de l'artiste, sa charge de non-dit, qui est en fait un poème court.
Et collectionner Foujita signifie percevoir ces vibrations poétiques concentrées, courtes, infimes, délicates, fortes et modernes, transmises avec minimalisme et un soin subtil et délicat par l'artiste.
Au-delà de la beauté apparente, la loupe n'est pas capable de révéler les secrets de la beauté cachée d'un Foujita, mais ils se transmettent de coeur à coeur : coeur de l'oeuvre, coeur de l'artiste et coeur du collectionneur.
Sylvie Buisson
1 publié à Tokyo en 1942
2 auteur de "Le Livre du Thé", Delpeuch Éd., Paris 1927
Sylvie Buisson
Union Française des experts - expert de Foujita
Ancien conservateur du Musée du Montparnasse, Paris
Auteur du Catalogue Général de Foujita
1987 - "Foujita" Éd. ACR, Paris (vol. I)
2001 - "Foujita" Éd. ACR, Paris (vol. II)
2007 - "Foujita, inédits" Éd. Archives Artistiques - Fondation Nichido (vol. III)
Le vol. IV est actuellement en préparation.
FOUJITA, A UNIQUE BLEND OF EAST AND WEST
Foujita is a master, a virtuoso of the brush. Fude is the Japanese word for the fine brush with short bristles on the end and a flexible, tapered point, making it easy to vary the width of the line to create very energetic patterns. It is easy to use, despite its capacity to absorb a large amount of water. The tip can be made from the hair of sheep, sables, weasels, hares, squirrels, cats or deer and sometimes foxes, monkeys or buffalo. The Japanese brush has a thick base so that the point can write effectively when holding a large amount of ink. Most have two or three longer hairs in the centre of the tuft, known as "life-hairs".
Foujita, in the silence of his studio with only his cat's soft steps to disturb him, that Foujita developed his own style using the tip of his brush, at the mid-point between two cultures - one from his homeland, Oriental, and the other from his adoptive France, Western. He worked on this style from his arrival in Paris in 1913.
"Some people looked down on me and called me a tradesman, but that it exactly what I am proud of," said Foujita later. "Aren't Picasso and Matisse also tradesmen?"
Choosing to work intensely rather than sleep, from 1921 he succeeded in covering his canvass in a white preparation providing the ideal surface to receive his brush strokes.
"I worked hard to transform my hand into a machine which could perfectly execute my brain's orders as precisely as using an instrument. A hair can appear very straight when it falls onto a mirror but wavy on a loose fabric, which is why I felt the need to create a very smooth, shiny canvass to trace very fine lines."
Using a recipe he developed in 1921 and would not disclose, Foujita transformed his canvass into an ivory-white surface on which his brush traced the outlines of shapes in ink and oil, with genius, certainly, but also a knowledge of shapes and anatomy and an emotion which drips unrepentantly from every brushstroke.
As well as the famous fine brush, used in Japan for writing as well as drawing, Foujita uses cotton wool brushes and pads to produce the shadows and the very subtle grey tones which lend the subject's musculature, for example, its veracity, strength and character. Softer for the woman, more striking for the man and especially the athlete, this shading grounds his compositions and gives volume and depth to his work. The grey shadows vary according to the period and subject but, from 1917 through to 1967, they return consistently in the expression of depth and the way the object stands out from its background. They are sometimes also enhanced with watercolour or a mixture of ink and watercolour, or ink and gouache for the blue or even ochre tones. Some drawings from the 1950s feature slightly bluish shadows like wisps of pipe tobacco. These shadows are so light they resemble a reflection, emphasizing the line, giving it three dimensions and providing a spatial measurement of the jug, the teapot, the doll, the nude, the animal or the child. It often spills over into a whole section of the painting when it is needed to emphasize an adjacent area. It often appears as a sheen, a stain, an accident which brings the figure to life. Foujita generally allows himself to be completely free in his treatment of shadow, reflections and the way they interact. The light illuminates the subject face-on with such softness that it ends up becoming lost. An impression of volume, roundness and subtlety distilled life remains, however.
In Japan, the quality of the line is also compared with the contour of the human body (which changes after a bath or a shave or when the nails have been cut, for example, and which is never the same from one day to the next) and to the line of separation between the land and the sea (subject to tides, erosion and landslides). Lines change according to physiological or geographical influences. Since their appearance, length and profile are relative, Oriental thought accepts the existence of an intermediary state which varies constantly, like the ebb and flow of the tide. This notion of the impermanence of things which is so common in Japan underlies Foujita's whole philosophy. Although he places his figures in the centre of the paintings and arranges them in a Western manner, the minimalism of the backgrounds - in gold or an expanse of white - create an impression of infinity. The void is in fact full of an unresolved question which obliges man, who cannot live without being concerned by eternity and endurance, to constantly confront the ephemeral phenomena of his existence.
From 1915 to 1917, the year the Galerie Chéron hosted his first personal exhibition, the shortages prevalent during the war forced him to abandon oil paint and resort to watercolour, gouache and paper. It was then that he developed his first Parisian style, going on to reproduce the natural refinement of Japanese paper on canvas, using his familiarity with oils. He broadly drew his inspiration from the early ukiyo-e period of Japanese print-making to represent very modern figures resembling those of Modigliani or Brancusi, stylizing shapes in the manner of a Negro mask or the ovoid heads of primitive idols.
Between 1917 and 1920, Foujita's work followed in the footsteps of Harunobu and Utamaro and the most avant-garde research of his friends from the Ecole de Paris. On the day it opened, Picasso spent three hours in the Galerie Chéron examining the exhibition by Foujita, the son of General Foujita, of the Imperial Japanese army.
With the subtlety of a printmaker, Foujita incorporated a particular Japanese reserve into his Western approach.
In Japan, generally speaking, restraint is evidence of culture, encouraging silence and discretion. Loud colors, like loud noises, are reserved for children or the theatre where they express vulgarity. Foujita's brush traces a line of China ink across the paper, a thread-like line left sparingly on the surface, an infinitesimal hairline, curving and relaxing, a wavy, expressive line. Often the line alone is enough. None is added by chance and each contributes to the whole. Each has its own life, without second chances, or hesitation, marked in a single stroke; they only have meaning as an extension of the other. As part of a whole.
"With the architectural charm of the lines, the painting is given a thousand lives," Foujita writes in his work entitled Swimming on the Earth1 .
Being a consistently acute observer, his brush or crayon knows which direction to take, the most direct route to the drawing from his internal perception, the most reliable route, without detours or alteration.
"I cause the straight lines and curves to rise up and intertwine. Lines make it possible to express the essence of objects, to emphasize inspiration, deformation or perspective and the painter is also free to reduce them or add more. From this is born the original art of lines, the one which surprises others, the one which makes it possible to achieve the beauty of an unequalled depth."
And indeed this is the source of the strength and uniqueness of Foujita's writing, which is extremely concise. His eye eliminates the superfluous, retaining only the essential lines. And, through the lines of strength, many elements which have not been traced are revealed... "Its stylization," wrote Paul Fierens, "is an abstraction which retains the appearance of the concrete."
Despite his attention to detail, Foujita is the master of rapid, fluid and succinct drawing. He expresses himself, except in his early paintings and large war paintings, through a poetic repertoire made up of silences, restraint and fast, stark symbols.
"I worked hard to express and promote the unpainted part which was always the merit of traditional Japanese Nihon-ga painting. It was not easy. But I succeeded." Many people before him in Japan had attempted to attain perfection, or absolute beauty, through a similar process of mental austerity. Simple words such as calm, frugality, grace, aestheticism of austere simplicity and refined poverty may be used to describe Foujita's state of mind; it reflects that of the participants in the tea ceremony, who strive to achieve a balance between science and practical experience. These include followers of the ancient spirituality called Teaism which Foujita may well have been familiar with and which, as a philosophical movement, summarizes his thought. Teaism synthesizes the rules of Zen in a private religion based on the tea ceremony and the extreme culture of balance and taste which surrounds it.
According to Okakura Kaburo2, it is "the art of hiding the beauty that is able to be revealed and suggesting the beauty that dare not be revealed". Foujita applies the role of tea master graphically. His skill is to imply the invisible through the mechanism of the un-said or suggested. A quite natural skill in Japan which, combined with technical mastery, subtly leads to a minimalist concentration and to this restraint also to be found in the purest form of Japanese literature, Haikai, poems so short that they summarize all the complexity of a long thought process in three verses. In each Foujita painting, we see one of the artist's fundamental qualities, the presence of the un-said, which is actually a short poem.
Collecting Foujita means perceiving these bursts of short-lived, infinitesimal, delicate, yet strong and modern poetic vibrations, conveyed with minimalism and a subtle and delicate effort by the artist.
Beyond the obvious beauty, even close inspection cannot reveal the secrets of a Foujita's hidden beauty which can only be conveyed through the heart - the heart of the work, the heart of the artist and the heart of the collector.
Sylvie Buisson
1 Published in Tokyo in 1942
2 Author of "Le Livre du Thé", published by Delpeuch, Paris 1927
Union Franaise des Experts - Foujita expert
Formerly curator of the Musée du Montparnasse, Paris
Author of the Catalogue Général of Foujita's work
1987 - "Foujita" published by ACR, Paris (vol. I)
2001 - "Foujita" published by ACR, Paris (vol. II)
2007 - "Foujita, inédits" published by Archives Artistiques - Fondation Nichido (vol. III)
Vol. IV is currently being prepared
Foujita est un maître, un as du pinceau. Fude, est en japonais le nom de ce fin pinceau dont la pointe présente un poil court et une forme effilée, flexible, permettant de varier avec aisance la largeur du trait pour créer des motifs d'une grande vivacité. Malgré son pouvoir d'absorption d'eau élevé, il est facile à manipuler. La pointe est en poils de mouton, de martre, de belette, de lièvre, d'écureuil, de chat, de cerf... mais aussi, plus rarement, de renard, de singe, de buffle... Le pinceau japonais a des hanches solides, c'est-à-dire une base épaisse, pour que la pointe puisse tracer de manière efficace avec une grande réserve d'encre; la plupart du temps, il possède deux ou trois poils plus longs au milieu de la touffe, ce sont les "poils de vie".
Foujita, dans le silence de son atelier, à peine troublé par les pas feutrés de son chat, met au point son propre style à la pointe de son pinceau, à mi-chemin entre ses deux cultures; L'une issue de son pays natal, orientale et l'autre de son pays d'adoption la France, occidentale. Et ceci depuis son arrivée à Paris en 1913.
"Certains me méprisent en me traitant d'artisan, mais c'est justement ce dont je suis fier, dira Foujita. Picasso et Matisse ne sont-ils pas eux aussi des artisans ?".
Sacrifiant son sommeil, au prix d'un travail intense, il réussit à déposer sur sa toile une préparation blanche sur laquelle glisse parfaitement son trait de pinceau.
"J'avais fait des efforts pour transformer ma main en machine qui puisse parfaitement réaliser les ordres de mon cerveau d'une manière aussi exacte qu'avec des instruments. Un cheveu paraît très lisse lorsqu'il tombe sur un miroir et froissé, sur une toile lâche, aussi ai-je ressenti la nécessité de créer une toile plus lisse et plus brillante pour tracer des lignes très fines".
Selon une recette qu'il met au point en 1921 et ne divulgue pas, Foujita transforme sa toile en une surface d'une blancheur d'ivoire sur laquelle son pinceau trace le contour des formes à l'encre et à l'huile, avec génie certes mais aussi la connaissance des formes, de l'anatomie et cette émotion qui perle tout au long de la ligne, sans repentir.
En plus de ce fameux pinceau fin, qui sert aussi bien au Japon à écrire qu'à dessiner, Foujita utilise des brosses et des tampons d'ouate pour réaliser les ombres et ces tonalités grises très subtiles qui donnent, par exemple, à la musculature du modèle toute sa vérité, sa force et son caractère ; doux chez la femme, plus contrasté chez l'homme et surtout l'athlète, ce travail en demi-teinte assied ses compositions et donnent volume et relief à ses oeuvres. Ces ombres grises varient selon les époques et les sujets, mais, de 1917 à 1967, on les retrouve, très semblables, dans l'expression de la profondeur et la mise en évidence de l'objet sur le fond. Elles peuvent être aussi légèrement additionnées d'aquarelle ou d'un mélange d'encre et d'aquarelle ou d'encre et de gouache pour des tons bleutés, ou encore ocrés. Certains dessins des années cinquante présentent des ombres légèrement bleutées comme des volutes de la fumée du tabac. L'ombre portée est tellement légère qu'elle tient du reflet, souligne le trait, le relie à la troisième dimension et mesure spatialement le pot, la théière, la poupée, le nu, l'animal ou l'enfant. Elle dépasse souvent son champ normal d'action pour envahir au besoin tout un pan du tableau et de ce fait renforcer l'éclairage d'une partie voisine. Elle apparaît souvent comme une patine, une salissure, un accident qui donnerait vie à la figure. D'une manière générale, Foujita s'accorde toute liberté dans le traitement des ombres, des reflets et de leurs interactions. La lumière éclaire le sujet de face avec une telle douceur qu'elle finit par se faire oublier. Demeure néanmoins l'impression de volume, de rondeur et de vie subtilement distillée.
Au Japon, on compare aussi la qualité de la ligne à celle du contour du corps humain (qui varie après le bain, la coupe des ongles ou le rasage, par exemple; en tout cas qui n'est jamais tous les jours la même) ou encore à la ligne de séparation de la mer et de la terre (subissant les marées, l'érosion et les éboulements). Selon les circonstances physiologiques ou géographiques, les lignes diffèrent. Leur apparence, leur longueur et leur profil étant relatifs, la pensée orientale accepte l'existence d'un état intermédiaire qui varie constamment, tel le flux et le reflux de la marée. Cette notion d'impermanence des choses si présente au Japon sous-tend toute la pensée de Foujita. Tout en plaçant ses personnages au centre des peintures et en les organisant selon le mode occidental, le minimalisme des fonds, fond or ou grand fond blanc, fait apparaître la dimension illimitée. Le vide est en réalité plein d'une interrogation non résolue qui oblige l'homme, qui ne peut vivre sans le souci de l'éternel et de la durée, à se confronter sans cesse aux phénomènes éphémères de son existence.
De 1915 à 1917, date de sa première exposition personnelle à la galerie Chéron, la pénurie qui sévit pendant la guerre l'oblige à abandonner la peinture à l'huile et à se rabattre sur l'aquarelle, la gouache et le papier. C'est alors qu'il met au point son premier style parisien avant de reproduire sur la toile, avec ses notions de peinture à l'huile, la finesse naturelle du papier japonais. Il s'inspire largement dans cette première période de l'estampe japonaise ukiyo-e pour représenter des sujets tout à fait modernes proches de Modigliani ou de Brancusi, styliser les formes selon le masque nègre et la forme des crânes ovoïdes des idoles primitives.
Foujita se situe entre 1917 et 1920 à la fois dans la ligne d'Harunobu et de Utamaro et des recherches les plus avant-gardistes de ses amis de l'Ecole de Paris. Picasso demeure trois heures à la galerie Chéron le jour de l'ouverture de l'exposition Foujita, fils du général Foujita, de l'armée impériale du Japon.
À la subtilité du faiseur d'estampe, Foujita ajoute à son regard occidental la sobriété spéciale au Japon.
Au Japon, en général, la sobriété est révélatrice de la culture, émergence du silence et de la discrétion. Les couleurs trop voyantes, comme les bruits trop appuyés, appartiennent plutôt au monde des enfants ou du théâtre où ils traduisent la vulgarité. Le pinceau de Foujita trace sur le papier un trait d'encre de Chine, un trait filiforme déposé sur la surface avec parcimonie, une ligne finissime, un cheveu, qui se courbe et se détend, une ligne onduleuse et signifiante. Le plus souvent, la ligne suffit. Aucune n'est laissée au hasard, toutes concourent à l'ensemble. Chacune a sa vie propre, sans reprise, ni hésitation, tracée d'un seul jet ; toutes n'ont de sens que comprises dans la continuité de l'autre. Dans un ensemble.
"Avec le charme de l'architecture des lignes, on donne au tableau des milliers de vies, écrit Foujita, dans son ouvrage intitulé Nager sur la Terre
L'observateur pénétrant qu'il est toujours, indique à son pinceau, ou à son crayon, la bonne direction, la route la plus directe qui mène au dessin à partir de sa perception intérieure, la voie la plus sûre, sans détour, sans altération.
"Je fais rebondir, se croiser les lignes droites et les courbes. Les lignes permettent de décrire les objets sous leurs formes concentrées, de confirmer l'inspiration, la déformation ou la perspective et, de plus, le peintre peut librement les réduire ou en ajouter. Ainsi naît l'art original des lignes, celui par lequel on surprend les autres, celui qui permet d'atteindre la beauté d'une profondeur sans égal."
Et c'est bien là en effet que résident la force et la singularité de l'écriture de Foujita dont la concision est extrême. L'oeil élimine le superflu pour ne retenir que les lignes essentielles. Et, au-delà des lignes de force, transparaissent autant d'éléments qui n'ont pas été tracés..."Sa stylisation, écrivait Paul Fierens, est une abstraction qui conserve l'apparence du concret".
Malgré son aptitude à la minutie, Foujita est le maître du dessin rapide, fluide et succinct. Il s'exprime, sauf dans ses premières peintures de jeunesse et les grandes peintures de guerre, dans un répertoire poétique fait de silences, de retenue et de signes rapides et dépouillés.
"J'ai fait un gros effort pour exprimer et valoriser la partie non peinte qui a toujours été le mérite de la peinture traditionnelle japonaise Nihon-ga. Ce n'était pas aussi simple. Mais j'ai réussi." Au Japon, bien avant lui, beaucoup ont tenté d'atteindre la perfection, et donc la beauté absolue, par un tel dépouillement mental. Des paroles simples comme calme, frugalité, grâce, esthétisme de la simplicité austère et pauvreté raffinée peuvent aider à comprendre l'état d'esprit de Foujita ; il coïncide avec celui des acteurs de la cérémonie du thé dont l'effort tend à la recherche de l'équilibre, entre science et pratique. Tels sont les adeptes de cette ancienne spiritualité appelée Théisme dont il n'est pas dit que Foujita n'ait pas eu connaissance et qui en tant que mouvement de pensée résume son état d'esprit. Le Théisme simplifie les règles du Zen, pour une religion intime centrée sur la cérémonie du thé et l'extrême culture de l'équilibre et du goût qui l'entoure.
"C'est, selon Okakura Kaburo
Et collectionner Foujita signifie percevoir ces vibrations poétiques concentrées, courtes, infimes, délicates, fortes et modernes, transmises avec minimalisme et un soin subtil et délicat par l'artiste.
Au-delà de la beauté apparente, la loupe n'est pas capable de révéler les secrets de la beauté cachée d'un Foujita, mais ils se transmettent de coeur à coeur : coeur de l'oeuvre, coeur de l'artiste et coeur du collectionneur.
Sylvie Buisson
Sylvie Buisson
Union Française des experts - expert de Foujita
Ancien conservateur du Musée du Montparnasse, Paris
Auteur du Catalogue Général de Foujita
1987 - "Foujita" Éd. ACR, Paris (vol. I)
2001 - "Foujita" Éd. ACR, Paris (vol. II)
2007 - "Foujita, inédits" Éd. Archives Artistiques - Fondation Nichido (vol. III)
Le vol. IV est actuellement en préparation.
FOUJITA, A UNIQUE BLEND OF EAST AND WEST
Foujita is a master, a virtuoso of the brush. Fude is the Japanese word for the fine brush with short bristles on the end and a flexible, tapered point, making it easy to vary the width of the line to create very energetic patterns. It is easy to use, despite its capacity to absorb a large amount of water. The tip can be made from the hair of sheep, sables, weasels, hares, squirrels, cats or deer and sometimes foxes, monkeys or buffalo. The Japanese brush has a thick base so that the point can write effectively when holding a large amount of ink. Most have two or three longer hairs in the centre of the tuft, known as "life-hairs".
Foujita, in the silence of his studio with only his cat's soft steps to disturb him, that Foujita developed his own style using the tip of his brush, at the mid-point between two cultures - one from his homeland, Oriental, and the other from his adoptive France, Western. He worked on this style from his arrival in Paris in 1913.
"Some people looked down on me and called me a tradesman, but that it exactly what I am proud of," said Foujita later. "Aren't Picasso and Matisse also tradesmen?"
Choosing to work intensely rather than sleep, from 1921 he succeeded in covering his canvass in a white preparation providing the ideal surface to receive his brush strokes.
"I worked hard to transform my hand into a machine which could perfectly execute my brain's orders as precisely as using an instrument. A hair can appear very straight when it falls onto a mirror but wavy on a loose fabric, which is why I felt the need to create a very smooth, shiny canvass to trace very fine lines."
Using a recipe he developed in 1921 and would not disclose, Foujita transformed his canvass into an ivory-white surface on which his brush traced the outlines of shapes in ink and oil, with genius, certainly, but also a knowledge of shapes and anatomy and an emotion which drips unrepentantly from every brushstroke.
As well as the famous fine brush, used in Japan for writing as well as drawing, Foujita uses cotton wool brushes and pads to produce the shadows and the very subtle grey tones which lend the subject's musculature, for example, its veracity, strength and character. Softer for the woman, more striking for the man and especially the athlete, this shading grounds his compositions and gives volume and depth to his work. The grey shadows vary according to the period and subject but, from 1917 through to 1967, they return consistently in the expression of depth and the way the object stands out from its background. They are sometimes also enhanced with watercolour or a mixture of ink and watercolour, or ink and gouache for the blue or even ochre tones. Some drawings from the 1950s feature slightly bluish shadows like wisps of pipe tobacco. These shadows are so light they resemble a reflection, emphasizing the line, giving it three dimensions and providing a spatial measurement of the jug, the teapot, the doll, the nude, the animal or the child. It often spills over into a whole section of the painting when it is needed to emphasize an adjacent area. It often appears as a sheen, a stain, an accident which brings the figure to life. Foujita generally allows himself to be completely free in his treatment of shadow, reflections and the way they interact. The light illuminates the subject face-on with such softness that it ends up becoming lost. An impression of volume, roundness and subtlety distilled life remains, however.
In Japan, the quality of the line is also compared with the contour of the human body (which changes after a bath or a shave or when the nails have been cut, for example, and which is never the same from one day to the next) and to the line of separation between the land and the sea (subject to tides, erosion and landslides). Lines change according to physiological or geographical influences. Since their appearance, length and profile are relative, Oriental thought accepts the existence of an intermediary state which varies constantly, like the ebb and flow of the tide. This notion of the impermanence of things which is so common in Japan underlies Foujita's whole philosophy. Although he places his figures in the centre of the paintings and arranges them in a Western manner, the minimalism of the backgrounds - in gold or an expanse of white - create an impression of infinity. The void is in fact full of an unresolved question which obliges man, who cannot live without being concerned by eternity and endurance, to constantly confront the ephemeral phenomena of his existence.
From 1915 to 1917, the year the Galerie Chéron hosted his first personal exhibition, the shortages prevalent during the war forced him to abandon oil paint and resort to watercolour, gouache and paper. It was then that he developed his first Parisian style, going on to reproduce the natural refinement of Japanese paper on canvas, using his familiarity with oils. He broadly drew his inspiration from the early ukiyo-e period of Japanese print-making to represent very modern figures resembling those of Modigliani or Brancusi, stylizing shapes in the manner of a Negro mask or the ovoid heads of primitive idols.
Between 1917 and 1920, Foujita's work followed in the footsteps of Harunobu and Utamaro and the most avant-garde research of his friends from the Ecole de Paris. On the day it opened, Picasso spent three hours in the Galerie Chéron examining the exhibition by Foujita, the son of General Foujita, of the Imperial Japanese army.
With the subtlety of a printmaker, Foujita incorporated a particular Japanese reserve into his Western approach.
In Japan, generally speaking, restraint is evidence of culture, encouraging silence and discretion. Loud colors, like loud noises, are reserved for children or the theatre where they express vulgarity. Foujita's brush traces a line of China ink across the paper, a thread-like line left sparingly on the surface, an infinitesimal hairline, curving and relaxing, a wavy, expressive line. Often the line alone is enough. None is added by chance and each contributes to the whole. Each has its own life, without second chances, or hesitation, marked in a single stroke; they only have meaning as an extension of the other. As part of a whole.
"With the architectural charm of the lines, the painting is given a thousand lives," Foujita writes in his work entitled Swimming on the Earth
Being a consistently acute observer, his brush or crayon knows which direction to take, the most direct route to the drawing from his internal perception, the most reliable route, without detours or alteration.
"I cause the straight lines and curves to rise up and intertwine. Lines make it possible to express the essence of objects, to emphasize inspiration, deformation or perspective and the painter is also free to reduce them or add more. From this is born the original art of lines, the one which surprises others, the one which makes it possible to achieve the beauty of an unequalled depth."
And indeed this is the source of the strength and uniqueness of Foujita's writing, which is extremely concise. His eye eliminates the superfluous, retaining only the essential lines. And, through the lines of strength, many elements which have not been traced are revealed... "Its stylization," wrote Paul Fierens, "is an abstraction which retains the appearance of the concrete."
Despite his attention to detail, Foujita is the master of rapid, fluid and succinct drawing. He expresses himself, except in his early paintings and large war paintings, through a poetic repertoire made up of silences, restraint and fast, stark symbols.
"I worked hard to express and promote the unpainted part which was always the merit of traditional Japanese Nihon-ga painting. It was not easy. But I succeeded." Many people before him in Japan had attempted to attain perfection, or absolute beauty, through a similar process of mental austerity. Simple words such as calm, frugality, grace, aestheticism of austere simplicity and refined poverty may be used to describe Foujita's state of mind; it reflects that of the participants in the tea ceremony, who strive to achieve a balance between science and practical experience. These include followers of the ancient spirituality called Teaism which Foujita may well have been familiar with and which, as a philosophical movement, summarizes his thought. Teaism synthesizes the rules of Zen in a private religion based on the tea ceremony and the extreme culture of balance and taste which surrounds it.
According to Okakura Kaburo
Collecting Foujita means perceiving these bursts of short-lived, infinitesimal, delicate, yet strong and modern poetic vibrations, conveyed with minimalism and a subtle and delicate effort by the artist.
Beyond the obvious beauty, even close inspection cannot reveal the secrets of a Foujita's hidden beauty which can only be conveyed through the heart - the heart of the work, the heart of the artist and the heart of the collector.
Sylvie Buisson
Union Franaise des Experts - Foujita expert
Formerly curator of the Musée du Montparnasse, Paris
Author of the
1987 - "Foujita" published by ACR, Paris (vol. I)
2001 - "Foujita" published by ACR, Paris (vol. II)
2007 - "Foujita, inédits" published by Archives Artistiques - Fondation Nichido (vol. III)
Vol. IV is currently being prepared