拍品专文
Selon une lettre de Rodin retrouvée dans les archives Bernheim-Jeune datée du 9 janvier 1915, Josse et Gaston Bernheim-Jeune ont acquis l'exemplaire de L'Âge d'airain initialement destiné à Madame Valcourt, qui l'avait commandé directement à l'artiste dès 1914. En dépit d'un acompte de 4.000 francs déjà versé à Rodin, Madame Valcourt souhaita interrompre la transaction, et le paiement de la commande fut finalement honoré par le cousin des deux frères marchands, Georges Bernheim. Ce dernier céda rapidement la pièce à Josse et Gaston Bernheim-Jeune, et elle fut ainsi publiée dès mars 1919 dans un ouvrage dédié à leur collection personnelle, où elle apparaît photographiée dans l'entrée de leur hôtel particulier de l'avenue Henri Martin.
Fin 1875, Rodin voyagea à Turin, Gênes, Rome, Naples et Florence, où il passa toute une semaine dans la Chapelle des Médicis à étudier l'oeuvre de Michel-Ange. Très inspiré par le maître italien, Rodin revint à Bruxelles, où il s'était installé en 1871, pour reprendre son travail sur L'Âge d'Airain, une sculpture en plâtre commencée en juin de la même année. Son modèle était Auguste Neyt, un jeune soldat belge qui travailla avec Rodin pendant dix-huit mois jusqu'à ce que l'artiste eut terminé sa sculpture en janvier 1877.
Rodin envoya immédiatement le plâtre (fig. 1) au Cercle Artistique de Bruxelles dans l'espoir de l'y voir exposé, puis au Salon de Paris en mai de la même année. Rodin intitula d'abord son oeuvre Le Vaincu, puis L'Homme qui s'éveille, et enfin L'Âge d'airain en référence aux étapes successives de l'évolution de l'humanité telles que les décrivit le poète grec Hésiode dans Les Travaux et les Jours (traduit par Leconte de Lisle en 1869). Cette sculpture représente l'éveil douloureux de la conscience individuelle de l'Homme, de l'Histoire qui le précède et du défi que représente sa propre survie. Le traitement est d'une extrême fidélité au corps humain. Comme s'il se réveillait d'un horrible cauchemar, le personnage se touche la tête, devenue presque trop lourde à porter.
Associée aux formidables talents de Rodin, la vitalité inédite de cette représentation par trop humaine du modèle stupéfia l'assemblée car elle s'éloignait des figures idéalisées privilégiées par de nombreux sculpteurs académiques. En raison du réalisme de sa sculpture, Rodin fut sérieusement accusé d'avoir réalisé un moulage sur modèle vivant. Rodin fut blessé par ces accusations qu'il reçut comme une critique de ses facultés artistiques et qui, par ailleurs, anéantissaient ses espoirs de reconnaissance universelle. Il comptait beaucoup sur cette sculpture pour faire connaître son travail. A cette époque, le Salon était encore le meilleur tremplin pour les nouveaux artistes.
En conséquence, le jury de l'Académie Royale des Beaux-arts de Bruxelles ne retint pas cette oeuvre dans la liste des acquisitions artistiques de l'administration. C'est donc avec une profonde amertume qu'il écrivit au Président du Jury: "quelle douleur de voir que ma figure qui peut aider mon avenir qui tarde car j'ai 36 ans, quelle douleur de la voir repousser par un flétrissant soupçon " (Auguste Rodin cité in A. Le Normand-Romain, Rodin et le Bronze, Paris, 2007, vol. I, p. 128).
Pour se défendre de ces accusations, Rodin soumit un dossier aux dirigeants du Salon, avec une photographie de son modèle (fig. 2) et des attestations d'artistes officiels dont la plupart avait gagné le Prix de Rome, notamment Albert-Ernest Carrier-Belleuse, confirmant qu'ils avaient vu Rodin sculpter cette oeuvre de ses propres mains. Auguste Neyt alla jusqu'à proposer de venir à Paris pour poser nu à côté de la sculpture afin que le jury du Salon puisse faire directement la comparaison, mais l'armée lui refusa cette permission exceptionnelle. L'artiste dut attendre 1879 pour avoir enfin le sentiment d'être lavé de tout soupçon, quand Edmond Turquet, compatissant envers sa cause, fut nommé Sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-arts (plus tard, il lui commandera La Porte de l'Enfer). En 1880, il soumit à nouveau son dossier au comité désigné pour enquêter sur la question. Après avoir entendu les témoignages de certains amis du sculpteur attestant l'avoir vu travailler sur cette oeuvre, le comité rendit un verdict positif. En guise de compensation, l'Etat français acquis un moulage en bronze réalisé par Thiébaut-Frères en 1880 et l'installa dans les Jardins du Luxembourg en 1884.
L'Âge d'airain fut la première sculpture grandeur nature de Rodin créée pour le Salon, et il consacra beaucoup de soin et d'énergie à sa production. " Rodin traita son modèle [...] comme un objet, enregistrant la moindre parcelle de corps, non seulement depuis les points de vue habituels, mais aussi depuis un plateau situé en hauteur, et d'en bas, allongé sous le modèle. Les plans de la tête, des épaules et des hanches étaient reproduits en détails, qui réunis, conduisaient progressivement à l'ensemble exact". (C. Lampert, Rodin, Sculpture and Drawings, Londres, 1986, p. 14).
Le naturalisme et la sensibilité du modelage surpassaient les canons de l'époque. L'influence de Michel-Ange est palpable. Le bras levé, le léger contrapposto et le visage languide aux yeux fermés rappellent tous l'Esclave Mourant de Michel-Ange, sculpture que Rodin avait étudiée au Louvre (fig. 3).
Le traitement de la musculature du dos est encore plus surprenant. Le réalisme avec lequel l'artiste a travaillé le modèle est souligné par un subtil jeu d'ombre et de lumière. Rodin avait sans doute vu l'Etude de Nu de Michel-Ange exposée à la Casa Buonarroti (fig. 4) lors de son premier séjour à Florence en 1876. Plus tard, l'artiste évoqua l'influence du maître sur son oeuvre : " Michel-Ange qui m'a appelé en Italie m'a donné de précieux aperçus et je l'ai copié dans mon esprit, dans certaines de mes oeuvres avant de le comprendre " (Auguste Rodin à A. Bourdelle, 18 juillet 1907, cité dans R. Masson et V. Mattiussi, Rodin, Paris, 2004, p. 151).
Au départ, Rodin voulait que sa sculpture tienne une lance dans la main gauche, comme le prouvent ses esquisses de cette oeuvre (fig. 4). Selon Hésiode, l'Âge de Bronze était peuplé de guerriers. La guerre était à la fois leur raison de vivre et leur passion ; les armes, les outils et même les maisons étaient forgés de bronze. Les hommes de cette période furent victimes de leur propre violence ce pourquoi il nous reste très peu de traces de leur passage sur terre. Ce thème trouva beaucoup de résonance en France où l'invasion prussienne avait eu lieu sept ans plus tt.
En dépit de ses débuts scandaleux, L'Âge d'Airain est aujourd'hui largement considéré comme le premier grand chef-d'oe uvre de Rodin, aux côtés d'oeuvres ultérieures comme La Porte de l'Enfer, Le Penseur et Le Baiser. Ce sujet ouvrit un nouveau chapitre de la carrière de Rodin et lui valut la réputation de plus grand sculpteur de sa génération.
(fig. 1) Photo anonyme du modèle en plâtre de L'Âge d'Airain au Dépt des Marbres, après le Salon de 1877.
Musée Rodin, Paris.
(fig. 2) Gaudenzio Marconi, Auguste Neyt, 1877.
Musée Rodin, Paris.
(fig. 3) Michelangelo, Esclave mourant, 1513-1515.
Musée du Louvre, Paris.
(fig. 4) Michelangelo, Etude de nu, vers 1505.
Casa Buonarroti, Florence.
(fig. 5) Auguste Rodin, Etude pour l'Age d'Airain, vers 1876-77.
Localisation inconnue.
In late 1875, Rodin travelled to Turin, Genova, Rome, Naples and Florence where he spent a week in the Medici Chapel studying the work of Michelangelo. Greatly inspired by the Italian master, Rodin returned to Brussels, where he had moved in 1871, and resumed work on l'Age d'Airain in plaster, which he had begun the previous June. The model he chose was a young Belgian soldier, Auguste Neyt, who worked with Rodin for eighteen months, until the sculpture was completed in December 1876.
Rodin sent the plaster model (fig. 1) for exhibition at the Cercle Artistique in Brussels in January 1877, and then to the Paris Salon in May of that same year. The work was first titled Le Vaincu, and then l'Homme qui s'éveille, before Rodin finally settled upon l'Age d'Airain, in reference to the successive stages of humankind as described by the Greek poet Hésiode in his Works and Days (translated by Leconte de Lisle in 1869). This figure represents the painful awakening of individual consciousness - the realization of all that has come before him and the talents one needs to develop to survive - and was artistically treated by Rodin with the utmost fidelity to the human body. As if awakening from a terrible dream, the figure reaches for his forehead, the weight of his head almost too heavy to bear.
The novel vitality of this figure of an all-too-believably human model rather than the idealized figures favored by many academic sculptors was combined with Rodin's formidable talents to astounding effect. This life-like quality of the modeling resulted in serious accusations that the artist had made molds from life - accusations which Rodin not only took extremely personally as it was an attack on his capabilities as an artist, but crushed his hopes of universal recognition. He had relied heavily on this figure to draw attention to his work. At this time, the Salon was still the best vehicle for discovering new artists. The result was that the directors of the Brussels Fine Arts Academy failed to include this work in the pieces purchased by the administration. "What a disappointment to see that the figure that could help my future, which has progressed so very slowly (for I am 36), what a disappointment to see it rejected because of a humiliating suspicion" (April 1877, quoted in Rodin, exh. cat., London and Zurich, 2007, p. 31) Quelle amertume donc, pour lui "de voir que ma figure qui peut aider mon avenir qui tarde car j'ai 36 ans, quelle douleur de la voir repousser par un fltrissant soupon" (A. Le Normand-Romain, Rodin et le Bronze, Paris, 2007, vol. I p. 128).
To combat this accusation, Rodin submitted a dossier to the Salon system which included a photo of his model (fig. 2) and attestations from official artists, most of them having won the Prix de Rome, including Albert-Ernest Carrier-Belleuse, among others, confirming they had seen him physically sculpting the work from his own two hands. Neyt even offered to come to Paris to pose nude beside the sculpture so that the Salon jury could make direct comparisons, but he was denied leave of absence from the army. It was only in 1879, when Edmond Turquet was named Undersecretary of State for Fine Arts and who was sympathetic to Rodin (he later commissioned the artist for the Gates of Hell), that the artist felt he had a chance to be exonerated from this weighty accusation. In 1880, he resubmitted a dossier to the committee of enquiry set up to investigate the matter and they came to a positive conclusion, having heard the evidence of some of Rodin's sculptor friends who had seen him at work on the piece. By way of compensation, the French State purchased a life-size bronze cast by Thibaut-Frres in 1880 and placed it in the Luxembourg Garden in 1884.
L'Age d'Airain was Rodin's first life size work intended for the Salon, and he focused great care and energy on its production. "Rodin treated his model...as an object, recording each faade of the body, not only from the normal salient viewpoints but from an overhead shelf looking down and crouched below looking up. The planes of the head, shoulders and haunches were registered as a sum of minor facts, while the periphery was kept taut and succinct" (C. Lampert, Rodin, Sculpture and Drawings, London, 1986, p. 14). The naturalism and sensitivity of modeling surpassed all standards of the day. The influence of Michelangelo is palpable. The raised arm, the slight contrapposto, and the languid face with eyes closed all recall Michelangelo's Esclave mourant that he would have studied in the Louvre (fig. 3).
The treatment of the musculature in the back is even more surprising, so deftly modeled it is with its play of light and shadow. Rodin would likely have seen Michaelangelo's Etude anatomique, which figures in the public collection of the Muse des Beaux-Arts in Rennes (fig. 4). As the artist himself later testified to the master's influence on his own work : "Michel-Ange qui m'a appelé en Italie m'a donné de précieux aperçus et je l'ai copié dans mon esprit, dans certaines de mes oeuvres avant de le comprendre" (A. Rodin A. Bourdelle, 18 juillet 1907 quoted in R. Masson and V. Mattiussi, Rodin, Paris, 2004, p. 151).
Originally Rodin had intended for his figure to hold a spear in his left hand, as seen in studies for this work (fig. 4). As mentioned by Hésiode, the Age of Bronze was peopled with war-like men. War was their purpose and passion; not only arms and tools were made of bronze, but their very homes very forged of bronze. The people of this age were undone by their own violent ways and left little trace of their existence. This was a theme that was particularly keenly felt in France in the wake of its invasion by Prussia seven years earlier.
Despite its treacherous beginnings, L'Age d'Airain is widely considered to be Rodin's first great masterpiece, ranking alongside later works such as the Porte de l'Enfer, Le Penseur and Le Baiser. This subject marked a new chapter in the sculptor's career and forged his reputation as the most prominent sculptor of his generation.
(fig. 1) Anonymous photograph of the plaster model of l'Age d'Airain at the Dpt des Marbres, after the Salon of 1877.
Muse Rodin, Paris.
(fig. 2) Gaudenzio Marconi, Auguste Neyt, 1877.
Muse Rodin, Paris.
(fig. 3) Michelangelo, Esclave mourant, 1513-1515.
Muse du Louvre, Paris.
(fig. 4) Michelangelo, Etude anatomique d'homme, vu de dos, vers 1505.
Muse des Beaux Arts, Rennes.
(fig. 5) Auguste Rodin, Etude pour l'Age d'airain, vers 1876-77.
Unknown location.