拍品专文
" Par le moyen de la peinture, je dis ce que la vie m'apprend, en restant dans les limites que m'imposent le temps et ma condition. " (A. Tàpies cité in A Catalog of Paintings in America 1959-1960, catalogue d'exposition, New York, Martha Jackson Gallery, 1960, p. 2).
La peinture d'Antoni Tàpies, à partir du début des années 1960, trouve une nouvelle force et révèle un 'affermissement' dans la conception de ses oeuvres, comme le fait remarquer Miquel Tàpies. En effet, la période au cours de laquelle Triptyque a été réalisé correspond à une reconnaissance de plus en plus importante de son oeuvre sur la scène internationale. En 1962, l'artiste bénéficie d'une rétrospective à la Kestner Gesselschaft de Hanovre et à la Kunsthaus de Zurich. En parallèle, il multiplie les expositions en France, en Italie, en Allemagne ou aux Etats-Unis. Triptyque sera également exposé lors de la grande rétrospective consacrée à Tàpies en 1968 à la Kunstverein de Hambourg et la Kölnischer Kunstverein de Cologne.
1963 est aussi l'année où Tàpies s'installe dans sa maison-atelier de la rue Zaragoza à Barcelone qui lui permet enfin d'accéder à un véritable espace pour laisser libre court à sa création. 'J'aspirais violemment à avoir enfin un véritable atelier.' (cité in A. Agusti, Antoni Tàpies, Catalogue Raisonné, vol. II, 1961-1968, p. 474), explique-t-il. En effet, cette liberté nouvelle lui ouvre la voie aux grands formats dont il mûrissait depuis longtemps la réalisation. Triptyque fait partie de cette série de très grands panneaux où le peintre trouve un espace d'expression jusqu'ici limité matériellement. L'approche de la peinture de Tàpies est unique, elle abolit toutes les classifications artistiques, à la fois formelle et informelle, abstraite et figurative, littérale et symbolique, se voulant délibérément déroutante car elle renvoie au fondamental. Il tend ainsi vers une oeuvre l'aspect archaïque, primordial, afin de saisir une émotion profonde ancrée au coeur de la matière qu'il répand sur la surface du support. Il s'agit là d'une conception de l'oeuvre d'art comme un manifeste de la matière pure qui n'appelle l'interprétation que dans un second temps, une fois l'impact esthétique du tableau assimilé. Ces 'matières à observations', pour reprendre les mots d'Eric Darragon, sont conçues par l'artiste comme des oeuvres concrètes devant être considérées comme telles : 'J'ai toujours considéré le tableau comme un objet, pas comme une fenêtre, comme c'est normal en peinture.' (cité in Tàpies, catalogue d'exposition, Paris, Galerie Nationale du Jeu de Paume, septembre-dcembre 1994, p. 42).
Tàpies emploie une technique de travail qu'il a élaborée pour répondre à sa conception de l'oeuvre. Ainsi, il explore des procé dés sans cesse renouvelés, employant notamment la poudre de marbre qui confère au tableau une minéralité, une matérialité que l'on ne retrouve que dans ses oeuvres. Il travaille rapidement pour ne pas laisser le temps à la réflexion d'interférer dans la création et arrêter l'élan premier qui le pousse vers une forme, une trace qui réponde à son inspiration. Pour le peintre, 'chaque matériau a son propre langage', conférant à la technique employée sur la surface une puissance profondément évocatrice.
Triptyque présente toutes les caractéristiques de l'oeuvre de Tàpies, c'est-à-dire une très grande attention portée à la trace, à une écriture qui lui est propre. Le peintre gratte la surface, efface les premières traces posées de façon à déconstruire les images qui surgissent pour en révéler une réalité supérieure. Comme il l'a expliqué: 'Cet acte de destruction exprime peut-être une idée que j'ai toujours voulu représenter, à savoir que ce que nous appelons réalité n'est pas la réalité.' (ibid., p. 40). L'artiste maltraite la matière, arrache les couches révélant le support en carton par endroits à la surface comme pour ces traces qui surgissent en pointillés dans la partie supérieure de Triptyque. Ici, Tàpies semble indiquer un mouvement, un sens de lecture et confère à son oeuvre un aspect délibérément désacralisé, l'image d'une pièce de tissus où la couture transparaît. Ces encoches dans la matière picturale constituent un des éléments plastiques qui ponctue régulièrement les oeuvres réalisées à cette période, tout comme la présence d'une ondulation que l'on retrouve par exemple dans Contour rougeâtre de la même année.
Dans Triptyque, ces sinuosités répétées et superposées sont dessinées dans la couche supérieure de la surface et s'effacent progressivement dans le tableau. Cette courbe qui parcourt la composition crée une unité, un lien entre les trois parties de l'oeuvre et - à l'image d'une crue exceptionnelle qui laisse son empreinte sur un mur - semble évoquer un temps suspendu, la confusion d'un instant et de l'éternité. Cette sensation est amplifiée par le travail de la couleur propre à l'artiste. En effet, il se dégage de ce voile blanc réparti comme de la poussière sur un fond de terre et de minéraux une impression de lumière saisissante. Pour le peintre, 'c'est la couleur qui est sous la réalité superficielle, c'est la couleur de l'illusion, des rêves, la couleur des visions, la couleur du vide, la couleur de l'espace.' (ibid. p. 43).
La force de l'oeuvre de Tàpies est d'offrir des niveaux de lecture qui se superposent, s'enchevêtrent et dont Triptyque constitue un exemple saisissant. En effet, la composition en trois parties n'a rien de formelle, elle sous-tend une référence à la peinture sacrée, aux retables d'Eglise qui s'inscrivent dans une culture religieuse profondément ancrée dans la société espagnole et dont le Retable de Saint Stéphane du peintre catalan Jaume Serra offre une parfaite illustration. La présence de taches blanches dans la partie supérieure du tableau semble par conséquent renvoyer à la symbolique de la trinité, ces feux incandescents et mystiques placé s sur les têtes des saints. Cependant, Tàpies n'est pas un artiste religieux, il s'approprie un langage lié aux religions, à l'image de la croix qui jalonne son oeuvre de part en part. 'Pensons pour ne citer que quelques-uns de ces symboles, à cette image énigmatique de la trinité qui est la base de l'Univers, et qui est commune à de nombreuses croyances.', explique-t-il (ibid. p. 19).
Ainsi, la peinture de Tàpies ne propose pas une relecture de la peinture religieuse, elle s'en approprie les symboles afin de donner un souffle profondment humain à son oeuvre et révèle cette interrogation qui la parcourt :
'Toutes nos oeuvres ne sont peut-être que cela: des tentatives de réponses, à cette grande question, [...] le grand Mystère devant lequel, aujourd'hui comme hier, nous nous sentons égaux et solidaires de tous les êtres de l'Univers.' (ibid. p. 21)
La peinture d'Antoni Tàpies, à partir du début des années 1960, trouve une nouvelle force et révèle un 'affermissement' dans la conception de ses oeuvres, comme le fait remarquer Miquel Tàpies. En effet, la période au cours de laquelle Triptyque a été réalisé correspond à une reconnaissance de plus en plus importante de son oeuvre sur la scène internationale. En 1962, l'artiste bénéficie d'une rétrospective à la Kestner Gesselschaft de Hanovre et à la Kunsthaus de Zurich. En parallèle, il multiplie les expositions en France, en Italie, en Allemagne ou aux Etats-Unis. Triptyque sera également exposé lors de la grande rétrospective consacrée à Tàpies en 1968 à la Kunstverein de Hambourg et la Kölnischer Kunstverein de Cologne.
1963 est aussi l'année où Tàpies s'installe dans sa maison-atelier de la rue Zaragoza à Barcelone qui lui permet enfin d'accéder à un véritable espace pour laisser libre court à sa création. 'J'aspirais violemment à avoir enfin un véritable atelier.' (cité in A. Agusti, Antoni Tàpies, Catalogue Raisonné, vol. II, 1961-1968, p. 474), explique-t-il. En effet, cette liberté nouvelle lui ouvre la voie aux grands formats dont il mûrissait depuis longtemps la réalisation. Triptyque fait partie de cette série de très grands panneaux où le peintre trouve un espace d'expression jusqu'ici limité matériellement. L'approche de la peinture de Tàpies est unique, elle abolit toutes les classifications artistiques, à la fois formelle et informelle, abstraite et figurative, littérale et symbolique, se voulant délibérément déroutante car elle renvoie au fondamental. Il tend ainsi vers une oeuvre l'aspect archaïque, primordial, afin de saisir une émotion profonde ancrée au coeur de la matière qu'il répand sur la surface du support. Il s'agit là d'une conception de l'oeuvre d'art comme un manifeste de la matière pure qui n'appelle l'interprétation que dans un second temps, une fois l'impact esthétique du tableau assimilé. Ces 'matières à observations', pour reprendre les mots d'Eric Darragon, sont conçues par l'artiste comme des oeuvres concrètes devant être considérées comme telles : 'J'ai toujours considéré le tableau comme un objet, pas comme une fenêtre, comme c'est normal en peinture.' (cité in Tàpies, catalogue d'exposition, Paris, Galerie Nationale du Jeu de Paume, septembre-dcembre 1994, p. 42).
Tàpies emploie une technique de travail qu'il a élaborée pour répondre à sa conception de l'oeuvre. Ainsi, il explore des procé dés sans cesse renouvelés, employant notamment la poudre de marbre qui confère au tableau une minéralité, une matérialité que l'on ne retrouve que dans ses oeuvres. Il travaille rapidement pour ne pas laisser le temps à la réflexion d'interférer dans la création et arrêter l'élan premier qui le pousse vers une forme, une trace qui réponde à son inspiration. Pour le peintre, 'chaque matériau a son propre langage', conférant à la technique employée sur la surface une puissance profondément évocatrice.
Triptyque présente toutes les caractéristiques de l'oeuvre de Tàpies, c'est-à-dire une très grande attention portée à la trace, à une écriture qui lui est propre. Le peintre gratte la surface, efface les premières traces posées de façon à déconstruire les images qui surgissent pour en révéler une réalité supérieure. Comme il l'a expliqué: 'Cet acte de destruction exprime peut-être une idée que j'ai toujours voulu représenter, à savoir que ce que nous appelons réalité n'est pas la réalité.' (ibid., p. 40). L'artiste maltraite la matière, arrache les couches révélant le support en carton par endroits à la surface comme pour ces traces qui surgissent en pointillés dans la partie supérieure de Triptyque. Ici, Tàpies semble indiquer un mouvement, un sens de lecture et confère à son oeuvre un aspect délibérément désacralisé, l'image d'une pièce de tissus où la couture transparaît. Ces encoches dans la matière picturale constituent un des éléments plastiques qui ponctue régulièrement les oeuvres réalisées à cette période, tout comme la présence d'une ondulation que l'on retrouve par exemple dans Contour rougeâtre de la même année.
Dans Triptyque, ces sinuosités répétées et superposées sont dessinées dans la couche supérieure de la surface et s'effacent progressivement dans le tableau. Cette courbe qui parcourt la composition crée une unité, un lien entre les trois parties de l'oeuvre et - à l'image d'une crue exceptionnelle qui laisse son empreinte sur un mur - semble évoquer un temps suspendu, la confusion d'un instant et de l'éternité. Cette sensation est amplifiée par le travail de la couleur propre à l'artiste. En effet, il se dégage de ce voile blanc réparti comme de la poussière sur un fond de terre et de minéraux une impression de lumière saisissante. Pour le peintre, 'c'est la couleur qui est sous la réalité superficielle, c'est la couleur de l'illusion, des rêves, la couleur des visions, la couleur du vide, la couleur de l'espace.' (ibid. p. 43).
La force de l'oeuvre de Tàpies est d'offrir des niveaux de lecture qui se superposent, s'enchevêtrent et dont Triptyque constitue un exemple saisissant. En effet, la composition en trois parties n'a rien de formelle, elle sous-tend une référence à la peinture sacrée, aux retables d'Eglise qui s'inscrivent dans une culture religieuse profondément ancrée dans la société espagnole et dont le Retable de Saint Stéphane du peintre catalan Jaume Serra offre une parfaite illustration. La présence de taches blanches dans la partie supérieure du tableau semble par conséquent renvoyer à la symbolique de la trinité, ces feux incandescents et mystiques placé s sur les têtes des saints. Cependant, Tàpies n'est pas un artiste religieux, il s'approprie un langage lié aux religions, à l'image de la croix qui jalonne son oeuvre de part en part. 'Pensons pour ne citer que quelques-uns de ces symboles, à cette image énigmatique de la trinité qui est la base de l'Univers, et qui est commune à de nombreuses croyances.', explique-t-il (ibid. p. 19).
Ainsi, la peinture de Tàpies ne propose pas une relecture de la peinture religieuse, elle s'en approprie les symboles afin de donner un souffle profondment humain à son oeuvre et révèle cette interrogation qui la parcourt :
'Toutes nos oeuvres ne sont peut-être que cela: des tentatives de réponses, à cette grande question, [...] le grand Mystère devant lequel, aujourd'hui comme hier, nous nous sentons égaux et solidaires de tous les êtres de l'Univers.' (ibid. p. 21)