拍品专文
'Dans mon esprit, les oeuvres qui appartiennent au cycle de l'Hourloupe sont liées entre elles, chacune étant un élément destiné à faire partie d'un tout. Le cycle est conçu comme la figuration d'un monde autre que le nôtre ou, si vous préférez, parallèle au nôtre, et c'est ce monde qui porte le nom de Hourloupe. Mes travaux procédant de ce cycle mettent en oeuvre des graphismes sinueux répondant avec immédiateté à des impulsions spontanées et, pour ainsi dire, non contrôlées, de la main qui les trace... Leur mouvement déclenche dans l'esprit de qui se trouve en leur présence une suractivation de la faculté de visionner... Il en résulte (du moins, est-ce ainsi que cela fonctionne pour moi) une prise de conscience du caractère illusoire du monde que nous croyons réel, auquel nous donnons le nom de monde réel. Ces graphismes aux références constamment ambiguës ont la vertu (elles l'ont pour moi, veux-je toujours dire) de mettre en question le bien-fondé de ce que nous avons coutume de regarder comme réalité et qui n'est en vérité qu'une option collectivement adoptée pour interpréter le monde qui nous entoure parmi une infinité d'autres options tout autres, qui ne seraient ni plus ni moins légitimes' (J. Dubuffet, cité dans M. Rowell, Jean Dubuffet, New York, 1973, pp. 35-36).
C'est en 1973 à l'inauguration du monumental Group of Four Trees sur la Chase Manhattan Plaza de New York que Dubuffet expliqua son intention décisive de créer l'univers de l'Hourloupe, comme précisé plus haut. Cafetière, tasse et sucrier I, peut-être l'oeuvre la plus appréciée de cet art incroyablement éclectique et varié, est un exemple reconnaissable entre mille de cette série emblématique. Oeuvre iconique de cette série, réalisé en 1965, le tableau frappe d'emblée par le dynamisme et la vivacité de sa composition qui évoque puissamment la multiplicité de la réalité. Délibérément ambiguë, la toile mêle avec allégresse et liberté l'abstraction et le figuratif. Transformées dans leur échelle, les formes rappellent avec force à l'observateur que l'imagination l'emporte sur la réalité. Dépourvues de tout système de gravité, les formes volontairement non figuratives se conjuguent en arrière-plan comme faisant partie d'un système décoratif, suggérant une autre réalité, différente, abstraite, et qui leur serait propre. Le titre hautement original rappelle la tentative de Dubuffet de rendre visible le principe même de l'oeuvre, puisque les formes ici représentées ne sont reconnaissables qu'avec hésitation, des formes dont la présence perceptible n'est que spectrale. Obscurcissant intentionnellement la perception immédiate de l'objet, Dubuffet oblige le regard à devenir actif pour discerner le flux continu des cellules de la cafetière, de la tasse et du sucrier. Cette façon de procéder reflète la croyance de Dubuffet que l'art s'adresse à l'esprit, et pas au monde de la vision. Avec la création du cycle de l'Hourloupe, il cherchait à prouver qu'un monde construit sur le trio des couleurs rouge, blanc et bleu, neutres émotionnellement, auquel il ajoute le noir sans faire de référence aux variations de couleurs, aux proportions, ou des considérations spatiales de notre monde tridimensionnel, doit avoir autant de réalité que le monde naturel dans lequel nous avons l'habitude de vivre.
Après avoir plusieurs fois tenté de se lancer dans la peinture dès 1918, Dubuffet n'embrassa vraiment une carrière artistique qu'en 1942. N'utilisant au début que des couleurs pures et vigoureuses il peignit des femmes nues dans un style impersonnel et primitif. Cherchant à ébranler les conventions de l'art, il mélangea les huiles épaisses avec du sable et du gravier pour créer son style unique et reconnaissable entre tous qu'il appela 'Art Brut' après avoir lu Artistry of the Mentally III d'Hans Prinzhorn (1922). Cet ouvrage fait référence à l'art brut produit par les exclus de la société que Dubuffet défendait pour sa liberté vis à vis de toute préoccupation intellectuelle restrictive. Toujours conscient de son engagement artistique comme révolution permanente et du besoin de ne jamais se répéter, Dubuffet, dès le début des années 1960, emprunta avec son cycle de l'Hourloupe une nouvelle voie, l'éloignant de son oeuvre plus figurative. À cette époque, il avait déjà connu un succès international majeur avec d'importantes rétrospectives intervenant juste après Cafetière, tasse et sucrier I au Musée des Arts Décoratifs de Paris en 1960, au Museum of Modern Art de New York en 1962, et à la célèbre Galerie Beyeler de Bâle en 1965. C'est sans doute ce succès qui lui donna la confiance de réinventer son art avec tant de fougue, en écrivant un tout nouveau chapitre de son oeuvre. Et d'expliquer: 'Finies les jubilations mystiques du monde physique: j'en ai pris la nausée et ne veux plus travailler que contre lui. C'est l'irréel maintenant qui m'enchante' (J. Dubuffet, Cité fantoche, in Prospectus et tous écrits suivants, volume II, Paris 1967, pp. 188-189). Avec le cycle de l'Hourloupe il réussit à créer un nouveau domaine qui englobait la peinture, le dessin, l'imprimerie, la sculpture et ensuite la scène et la musique dans le spectacle Coucou Bazar.
Cafetière, tasse et sucrier I est dédicacé au critique d'art Charles Estienne, qui a beaucoup soutenu Dubuffet. Il existe une vraie relation d'amitié entre les deux hommes et Estienne a notamment rédigé le catalogue de l'exposition Nunc Stans, Epokhê, Cycle de l'Hourloupe qui se tient en avril-mai 1966 à la galerie Jeanne Bucher. Le critique écrit ainsi: 'C'est dire, et ce sera ma première conclusion, qu'il est capital non seulement de juger mais de voir les peintures actuelles de Jean Dubuffet, en fonction non des normes plastiques habituelles, mais de l'optique toute spéciale qui l'a conduit à être l'animateur de la Compagnie de l'Art Brut.' (C. Estienne, Nunc Stans, Epokhê, Cycle de l'Hourloupe, Paris, Galerie Jeanne Bucher, 1966).
Dubuffet a défini une philosophie formelle pour son autre monde, produit de son imagination s'opposant à la transcription de la réalité. Dans son monde, il déclara que ses oeuvres telles que Cafetière, tasse et sucrier I étaient composées 'd'une écriture mandreuse ininterrompue et résolument uniforme (reprenant tous plans au frontal, ne tenant nul compte du registre propre de l'objet écrit(...)) de manière que cette écriture bien constamment uniforme indifféremment appliquée à toutes les choses (et, il faut le souligner fortement pas seulement les choses qui s'offrent à nos yeux mais aussi bien celles qui, dénuées de tout fondement physique, sont seulement des productions de notre pensée, de notre imagination ou de notre caprice (...)) tend à tout réduire au même dénominateur et à nous restituer un univers continu, indifférencié' (J. Dubuffet, lettre à Arnold Glimcher, 1969, in Prospectus et tous écrits suivants, volume III, Paris 1995, pp. 353-354.). Au démarrage, cette ligne était un gribouillage au stylo bille. Au début du premier fascicule consacré à la série de l'Hourloupe de Dubuffet, Max Loreau rappelle les origines apparemment insignifiantes de la série et écrit 'en juillet 1962 alors qu'il répondait au téléphone, Jean Dubuffet laissa son stylo bille rouge courir distraitement sur un morceau de papier. De ces exercices sortent des dessins à demi automatiques, qu'il barre de rayures rouges et bleues. Le peintre découpe des compositions indéterminées et s'aperçoit bientôt qu'elles se mettent à changer sitôt qu'il les pose sur un fond noir ; elles étaient vides de sens : pressées par le noir, elles se chargent instantanément d'une signification.' (M. Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XX, L'Hourloupe I, Paris, 1995, p. 15).
Trouvant étouffante la réalité du quotidien, Dubuffet nous ouvre avec Cafetière, tasse et sucrier I une fenêtre sur ses visions fantastiques qui offrent une alternative à l'ennui de la vie. L'observateur a ainsi l'occasion de pénétrer dans ses révélations allègres et de s'écarter des prescriptions de l'existence conventionnelle. S'exprimant sur ce qu'il admirait chez d'autres artistes et sur son art, Dubuffet expliqua que c'était ceux qui 'se donnent pour but de montrer (se montrer) des choses qui n'existent pas, dont ils ne songent pas le moins du monde à prétendre qu'elles ont d'autres fondements que leur bon plaisir, et qu'ils se régalent à inventer pour le seul agrément de se donner des spectacles - des fêtes (...). Ne peut-on légitimement aussi bien, une fois au moins (...) assumer avec entrain notre fonction de danseur ivre ?' (J. Dubuffet in L'Hourloupe, cataloque d'exposition, Paris, Galerie Jeanne Bucher, 1964 (non paginé).
C'est en 1973 à l'inauguration du monumental Group of Four Trees sur la Chase Manhattan Plaza de New York que Dubuffet expliqua son intention décisive de créer l'univers de l'Hourloupe, comme précisé plus haut. Cafetière, tasse et sucrier I, peut-être l'oeuvre la plus appréciée de cet art incroyablement éclectique et varié, est un exemple reconnaissable entre mille de cette série emblématique. Oeuvre iconique de cette série, réalisé en 1965, le tableau frappe d'emblée par le dynamisme et la vivacité de sa composition qui évoque puissamment la multiplicité de la réalité. Délibérément ambiguë, la toile mêle avec allégresse et liberté l'abstraction et le figuratif. Transformées dans leur échelle, les formes rappellent avec force à l'observateur que l'imagination l'emporte sur la réalité. Dépourvues de tout système de gravité, les formes volontairement non figuratives se conjuguent en arrière-plan comme faisant partie d'un système décoratif, suggérant une autre réalité, différente, abstraite, et qui leur serait propre. Le titre hautement original rappelle la tentative de Dubuffet de rendre visible le principe même de l'oeuvre, puisque les formes ici représentées ne sont reconnaissables qu'avec hésitation, des formes dont la présence perceptible n'est que spectrale. Obscurcissant intentionnellement la perception immédiate de l'objet, Dubuffet oblige le regard à devenir actif pour discerner le flux continu des cellules de la cafetière, de la tasse et du sucrier. Cette façon de procéder reflète la croyance de Dubuffet que l'art s'adresse à l'esprit, et pas au monde de la vision. Avec la création du cycle de l'Hourloupe, il cherchait à prouver qu'un monde construit sur le trio des couleurs rouge, blanc et bleu, neutres émotionnellement, auquel il ajoute le noir sans faire de référence aux variations de couleurs, aux proportions, ou des considérations spatiales de notre monde tridimensionnel, doit avoir autant de réalité que le monde naturel dans lequel nous avons l'habitude de vivre.
Après avoir plusieurs fois tenté de se lancer dans la peinture dès 1918, Dubuffet n'embrassa vraiment une carrière artistique qu'en 1942. N'utilisant au début que des couleurs pures et vigoureuses il peignit des femmes nues dans un style impersonnel et primitif. Cherchant à ébranler les conventions de l'art, il mélangea les huiles épaisses avec du sable et du gravier pour créer son style unique et reconnaissable entre tous qu'il appela 'Art Brut' après avoir lu Artistry of the Mentally III d'Hans Prinzhorn (1922). Cet ouvrage fait référence à l'art brut produit par les exclus de la société que Dubuffet défendait pour sa liberté vis à vis de toute préoccupation intellectuelle restrictive. Toujours conscient de son engagement artistique comme révolution permanente et du besoin de ne jamais se répéter, Dubuffet, dès le début des années 1960, emprunta avec son cycle de l'Hourloupe une nouvelle voie, l'éloignant de son oeuvre plus figurative. À cette époque, il avait déjà connu un succès international majeur avec d'importantes rétrospectives intervenant juste après Cafetière, tasse et sucrier I au Musée des Arts Décoratifs de Paris en 1960, au Museum of Modern Art de New York en 1962, et à la célèbre Galerie Beyeler de Bâle en 1965. C'est sans doute ce succès qui lui donna la confiance de réinventer son art avec tant de fougue, en écrivant un tout nouveau chapitre de son oeuvre. Et d'expliquer: 'Finies les jubilations mystiques du monde physique: j'en ai pris la nausée et ne veux plus travailler que contre lui. C'est l'irréel maintenant qui m'enchante' (J. Dubuffet, Cité fantoche, in Prospectus et tous écrits suivants, volume II, Paris 1967, pp. 188-189). Avec le cycle de l'Hourloupe il réussit à créer un nouveau domaine qui englobait la peinture, le dessin, l'imprimerie, la sculpture et ensuite la scène et la musique dans le spectacle Coucou Bazar.
Cafetière, tasse et sucrier I est dédicacé au critique d'art Charles Estienne, qui a beaucoup soutenu Dubuffet. Il existe une vraie relation d'amitié entre les deux hommes et Estienne a notamment rédigé le catalogue de l'exposition Nunc Stans, Epokhê, Cycle de l'Hourloupe qui se tient en avril-mai 1966 à la galerie Jeanne Bucher. Le critique écrit ainsi: 'C'est dire, et ce sera ma première conclusion, qu'il est capital non seulement de juger mais de voir les peintures actuelles de Jean Dubuffet, en fonction non des normes plastiques habituelles, mais de l'optique toute spéciale qui l'a conduit à être l'animateur de la Compagnie de l'Art Brut.' (C. Estienne, Nunc Stans, Epokhê, Cycle de l'Hourloupe, Paris, Galerie Jeanne Bucher, 1966).
Dubuffet a défini une philosophie formelle pour son autre monde, produit de son imagination s'opposant à la transcription de la réalité. Dans son monde, il déclara que ses oeuvres telles que Cafetière, tasse et sucrier I étaient composées 'd'une écriture mandreuse ininterrompue et résolument uniforme (reprenant tous plans au frontal, ne tenant nul compte du registre propre de l'objet écrit(...)) de manière que cette écriture bien constamment uniforme indifféremment appliquée à toutes les choses (et, il faut le souligner fortement pas seulement les choses qui s'offrent à nos yeux mais aussi bien celles qui, dénuées de tout fondement physique, sont seulement des productions de notre pensée, de notre imagination ou de notre caprice (...)) tend à tout réduire au même dénominateur et à nous restituer un univers continu, indifférencié' (J. Dubuffet, lettre à Arnold Glimcher, 1969, in Prospectus et tous écrits suivants, volume III, Paris 1995, pp. 353-354.). Au démarrage, cette ligne était un gribouillage au stylo bille. Au début du premier fascicule consacré à la série de l'Hourloupe de Dubuffet, Max Loreau rappelle les origines apparemment insignifiantes de la série et écrit 'en juillet 1962 alors qu'il répondait au téléphone, Jean Dubuffet laissa son stylo bille rouge courir distraitement sur un morceau de papier. De ces exercices sortent des dessins à demi automatiques, qu'il barre de rayures rouges et bleues. Le peintre découpe des compositions indéterminées et s'aperçoit bientôt qu'elles se mettent à changer sitôt qu'il les pose sur un fond noir ; elles étaient vides de sens : pressées par le noir, elles se chargent instantanément d'une signification.' (M. Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XX, L'Hourloupe I, Paris, 1995, p. 15).
Trouvant étouffante la réalité du quotidien, Dubuffet nous ouvre avec Cafetière, tasse et sucrier I une fenêtre sur ses visions fantastiques qui offrent une alternative à l'ennui de la vie. L'observateur a ainsi l'occasion de pénétrer dans ses révélations allègres et de s'écarter des prescriptions de l'existence conventionnelle. S'exprimant sur ce qu'il admirait chez d'autres artistes et sur son art, Dubuffet expliqua que c'était ceux qui 'se donnent pour but de montrer (se montrer) des choses qui n'existent pas, dont ils ne songent pas le moins du monde à prétendre qu'elles ont d'autres fondements que leur bon plaisir, et qu'ils se régalent à inventer pour le seul agrément de se donner des spectacles - des fêtes (...). Ne peut-on légitimement aussi bien, une fois au moins (...) assumer avec entrain notre fonction de danseur ivre ?' (J. Dubuffet in L'Hourloupe, cataloque d'exposition, Paris, Galerie Jeanne Bucher, 1964 (non paginé).