KAZUO SHIRAGA (1921-2008)
COLLECTION RODOLPHE STADLER, PARIS
KAZUO SHIRAGA (1924-2008)

Chiinsei Hakukada

细节
KAZUO SHIRAGA (1924-2008)
Chiinsei Hakukada
signé en japonais et daté '1961' (en bas à gauche); signé, titré, daté et inscrit en japonais 'Chiinsei Hakukada Kazuo Shiraga 1961' (au dos)
huile sur toile
162 x 130 cm. (63¾ x 51¾ in.)
Peint en 1961.
出版
Kazuo Shiraga: Painting Born out of Fighting, catalogue d'exposition, Toyoshina, Azumino Municipal Museum of Modern Art; Amagazaki Cultural Center; Yokosuka Museum of Art, 2009, No. 89 (illustré en couleurs, non paginé).
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'CHIINSEI HAKUKADA'; SIGNED IN JAPANESE AND DATED LOWER LEFT, SIGNED, TITLED, DATED AND INSCRIBED IN JAPANES ON THE REVERSE; OIL ON CANVAS.
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拍品专文

'Après quelques minutes de réflexion face à un petit autel, et après avoir déposé séparément différentes couleurs à l'huile sur une toile blanche posée sur le sol, le peintre japonais Shiraga, pieds nus, accroché à une corde suspendue au plafond, commence, sur la matière huileuse, une danse aux mouvements rapides, rythmés et précis' (Antonio Saura, 'Shiraga ne peint pas avec les pieds' in catalogue d'exposition, Kazuo Shiraga, Toulouse, Réfectoire des Jacobins, 1993). Les mots d'Antonio Saura soulignent d'emblée la double nature de l'art de Kazuo Shiraga: inscrit à la fois dans un rituel codifié, enraciné dans une tradition spirituelle éminemment japonaise; et en même temps dans une spontanéité absolue du geste, impliquant un ancrage radical dans le présent.

Chiinsei Hakukada, réalisé en 1961 (soit un an avant la première exposition individuelle de Shiraga à la galerie Stadler, sa première hors du Japon) est emblématique de la façon dont l'artiste a su bouleverser l'approche de la peinture, fidèle en cela à l'esprit du groupe Gutaï: 'faire ce que personne n'avait jamais entrepris'. Empâtements de matière tantôt rouge incandescent, tantôt blanche aux reflets violacés; éclaboussures sanglantes et lumineuses, sillons noirs et bleu sombre constituent autant d'empreintes des élans, des impulsions et des volte-face de l'artiste sur la toile. Nous sommes ici à mi-chemin de la danse et du combat, quelque part entre la transe et la chorégraphie. L'artiste n'est plus face au tableau comme il serait face un écran; il est dans le tableau. L'oeuvre quant à elle n'est plus à chercher dans une forme de finitude et de perfection; elle est dans la trace d'un passage et dans le témoignage d'une action.

En recourant à la méditation et en utilisant son corps comme vecteur de son art, Shiraga entend renouer avec une forme de puissance originelle et d'énergie primaire que tendrait à oblitérer l'échelle des valeurs artistiques conventionnelles. 'Lorsque, découvrant ma vraie nature, je me suis décidé à me débarrasser de tous les uniformes existants pour me mettre à nu, la figuration a volé en éclats et j'ai laissé tomber mon couteau de peintre qui s'est brisé en deux. [...] Un jour j'ai troqué mon couteau contre un morceau de bois que j'ai rejeté par impatience. J'ai essayé à main nue, avec les doigts de la main. Puis, persuadé qu'il fallait aller toujours plus avant, j'avançais toujours plus loin et, en avançant, j'ai trouvé les pieds. C'était bien ça ! Peindre avec les pieds...' (Kazuo Shiraga, 'L'acte même', 1956 cité in catalogue d'exposition, 1910-1970 Japon des Avant-gardes, Paris, Centre Georges Pompidou, 1986, p. 300).

La démarche de Shiraga, bien que construite et murie en quasi autarcie au Japon, trouve un grand nombre de résonnances dans les réflexions et les explorations de certains artistes occidentaux. Il en va ainsi de Gauguin, dont Antoni Tàpies rappelait qu'il 'affirmait que lorsque sa main droite serait trop habile il peindrait de la main gauche, et que lorsque sa main gauche deviendrait à son tour trop habile, il peindrait avec les pieds' (Antoni Tàpies, introduction au catalogue de l'exposition Shiraga, Paris, Galerie Stadler, 1992). Il en va plus naturellement encore de Jackson Pollock, dont la gestuelle et la fascination pour le chamanisme amérindien rappellent à de nombreux égards la pratique de Shiraga et son appartenance à la branche bouddhiste Tendaï. En engageant son corps tout entier dans son oeuvre, le travail de Shiraga anticipe enfin l'art de la performance, ce que ne manquera de souligner Allan Kaprow dans ses écrits des années 1960.

Hasard et contrôle. Spiritualité et brutalité. Tradition et universalité. Les toiles de Shiraga se nourrissent de ces tensions permanentes, de ses allers-retours incessants qu'elles imposent inlassablement au spectateur. Et c'est précisément de ces tensions et du trouble ineffable qu'elles engendrent qu'émerge la fascination ressentie très tôt, dès la fin des années 1950, par Rodolphe Stadler pour l'oeuvre de Shiraga. 'Cette façon qu'a une toile de nous attirer tout entier à elle, de nous imposer le sentiment de notre présence par des moyens que nous n'imaginons pas, mais qui se trouvaient pourtant en nous, ne se laisse pas vraiment disséquer. C'est précisément pourquoi nous sommes fascinés: nous sommes à la fois en pays de connaissance et déroutés.' (entretien avec Marcel Cohen, catalogue d'exposition, 30 ans de rencontres, de recherches, de partis pris, 1955-1985, Paris, Galerie Stadler, 1985)


"After a few minutes of reflection in front of a small altar, and having separately deposited several oil colours on the white canvas on the floor, the Japanese painter Shiraga, in bare feet, attached to a rope hanging from the ceiling, began to dance on the oily material with rapid, rhythmic and precise movements." (Antonio Saura, "Shiraga ne peint pas avec les pieds" in the exhibition catalogue, Kazuo Shiraga, Toulouse, Réfectoire des Jacobins, 1993). Antonio Saura's words immediately emphasise the dual nature of Kazuo Shiraga's art, which reflects both a codified ritual, rooted in an eminently Japanese spiritual tradition, and at the same time total spontaneity of movement, implying a radical connection to the present.

Chiinsei Hakukada, produced in 1961 (a year before Shiraga's first individual exhibition at the Galerie Stadler, his first outside Japan) is emblematic of the artist's ability to create a completely new approach to painting, loyal in this respect to the spirit of the Gutai group: "Doing what nobody else had ever done". Thick layers of material, in places incandescent red, in others white with purplish streaks, bloody and luminescent smears, dark black and blue furrows, each represent the traces on the canvas of the artist's impulses, urges and changes of direction. This is halfway between dance and combat, trance and choreography. The artist is no longer in front of a painting as he would be in front of a screen - he is in the painting. And the work, meanwhile, cannot be found in a form of finiteness and perfection - it lies in the trace of a movement and the evidence of an action.

By turning to meditation and using his body as a vehicle for his art, Shiraga aims to connect with a form of original strength and primary energy which would obliterate conventional artistic values. "When, on discovering my true nature, I decided to cast off all the existing uniforms and be naked, figuration shattered into fragments and I dropped my painter's knife which broke in two. [...] One day I swapped my knife for a piece of wood which I rejected out of impatience. I tried with my bare hands, with my fingers. Then, convinced I needed to be even bolder, I went even further and that is how I came to feet. That was it! Painting with the feet" (Kazuo Shiraga, "L'Acte Même", 1956 quoted in the exhibition catalogue, 1910-1970 Japon des Avant-gardes, Paris, Centre Georges Pompidou, 1986, p. 300).

Shiraga's approach, although developed and matured almost independently in Japan, had much in common with the reflections and explorations of certain Western artists. One example would be Gauguin, of whom Antoni Tàpies recalled that he "declared that when his right hand became too skilful, he would paint with his left, and when his left hand then became too skilful, he would paint with his feet." (Antoni Tàpies, introduction to the exhibition catalogue, Shiraga, Paris, Galerie Stadler, 1992). An even more obvious example would be Jackson Pollock, whose movement and fascination with Native American shamanism in many ways recall Shiraga's approach and his membership of the Tendai school of Buddhism. Finally, by involving his whole body in his creation, Shiraga's work can be seen as a precursor of performance art, as Allan Kaprow highlighted in his writings during the 1960s.

Chance and control. Spirituality and brutality. Tradition and universality. Shiraga's canvases draw their energy from these permanent tensions and the incessant exchanges they continuously impose on the spectator. And it is precisely these tensions and the inexpressible disruption they generate that triggered Rodolphe Stadler's fascination in Shiraga's work very early on, from the late 1950s. "This way a canvas has of drawing us entirely into it, imposing on us the impression of our presence in ways we can't imagine but which were nonetheless inside us, cannot really be dissected. That is precisely why we are fascinated, being at once in familiar territory and thrown off-balance." (interview with Marcel Cohen, exhibition catalogue, 30 Ans de Rencontres, de Recherches, de Partis Pris, 1955-1985, Paris, Galerie Stadler, 1985).

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