拍品专文
Camille Pissarro vécut dans le petit village d'Éragny de 1884 à sa mort, en 1903. Durant cette période, il peignit de nombreuses huiles et aquarelles du village et de la campagne environnante. Avec ses 467 habitants, Éragny est en 1880 un minuscule bourg, situé sur les bords de l'Epte, à soixante-douze kilomètres au nord de Paris. Affluent de la Seine s'y jetant à Vernon, près de Giverny, l'Epte traverse alors le jardin de Pissarro et celui de Monet.
Ayant vécu dans ce village pendant les vingt dernières années de sa vie, Pissarro y produisit un nombre considérable d'oeuvres, observant depuis sa fenêtre les scènes de la vie quotidienne et les vastes étendues de paysages naturels. La remarquable diversité des sujets que Pissarro a traité à partir de cette étroite bande de paysage continue à fasciner les spécialistes de l'artiste, et une exposition y sera bientôt consacrée (commissaires: Richard Brettell et Joachim Pissarro).
Outre ses qualités artistiques évidentes, Femme poussant une brouette, Éragny est fascinant car Pissarro y réinterprète son propre travail, passant d'un langage pictural à un autre. La comparaison avec Femme et chèvre à Éragny (fig. 2) révèle un processus similaire à celui d'un compositeur traitant le même thème musical d'abord sous forme de sonate, puis de quatuor par exemple. Comment expliquer cela?
En 1886, Pissarro participe à ce qui allait être la dernière exposition impressionniste, non pas en tant qu'impressionniste mais comme néo-impressionniste (ou pointilliste). La découverte de la Grande Jatte de Seurat quelques temps auparavant est pour lui une révélation, et bien que Seurat ait l'âge de son fils, il renonce à l'impressionnisme et se lance avec passion dans le pointillisme.
Agé de plus de cinquante ans et une importante carrière à son actif, il entreprend cette nouvelle phase artistique avec l'ardeur et le zèle d'un jeune peintre. Pendant trois ans (1886-1889), Pissarro s'impose comme un artiste néo-impressionniste à part entière, mais cette période brève et intense l'éloigne de ses amis et confrères impressionnistes, ainsi que de son marchand Paul Durand-Ruel. Sa production diminue considérablement du fait d'une technique pointilliste extrêmement minutieuse, et les prix de ses toiles s'effondrent.
En 1890, mécontent de ses derniers tableaux et en proie à une grande frustration, Pissarro met un point final à sa brève période néo-impressionniste. Il explique: "Ayant constaté [] l'impossibilité de suivre mes sensations si fugitives, par conséquent de donner la vie, le mouvement; l'impossibilité de suivre les efforts si variés de la nature; l'impossibilité ou la difficulté de donner du caractère à mon dessin; de ne pas tomber dans le rond, etc. etc. J'ai dû y renoncer, il n'était que temps! Il faut croire que je n'étais pas fait pour cet art qui m'a donné la sensation du nivellementde la mort!" (Lettre du 27 mars 1896, in Correspondance de Camille Pissarro, Paris, 1989, vol. 4, p. 180). Le néo-impressionnisme va à l'encontre de ses instincts; ce renoncement le libère enfin et lui permet de trouver une gamme de couleur plus raffinée. Mais Pissarro ne retourne pas à l'impressionnisme; il cherche à conserver les acquis artistiques de son exploration du néo-impressionnisme, en évoluant vers une nouvelle forme d'art. Il sélectionne donc plusieurs oeuvres de sa période néo-impressionniste et les réinterprète, les traduit du langage pointilliste à un nouveau langage beaucoup plus personnel.
Femme poussant une brouette, Éragny est un exemple parfait de ce phénomène remarquable, unique dans l'histoire de l'impressionnisme et du postimpressionnisme. Ce tableau montre l'évolution du néo-impressionnisme vers ce que l'on pourrait appeler le postimpressionnisme de Pissarro (même s'il n'a jamais utilisé cette expression). Il utilise ici une palette raffinée et chatoyante, avec des verts et des jaunes clairs, des roses, des bleus, des mauves et des violets vifs: cette gamme de couleurs intenses doit beaucoup à sa période néo-impressionniste. Cependant, plutôt que d'avoir recours à un pointillisme strict, il utilise une technique beaucoup plus libre, où il entrelace ses coups de pinceaux, en fracturant et divisant les touches de peinture pour créer une surface picturale plus complexe, mais plus libre et plus vivante.
Ce tableau semble être l'un des tous premiers d'une série où Pissarro fait ses adieux au néo-impressionnisme. Au printemps 1891 Pissarro annonce à son fils Lucien la mort de Seurat sur un ton tragique: "Nouvelle affreuse à t'annoncer, Seurat est mort", ajoutant "C'est fini le pointillé" (Lettres des 30 mars et 1er avril 1891, in Correspondance de Camille Pissarro, Paris, 1988, vol. 3, pp. 49 et 54). Pissarro entre dans une période de deuil profond, mais il semble en même temps trouver une forme de libération dans l'exploration de la nouvelle veine postimpressionniste. La palette de Femme poussant une brouette, Éragny établit les fondements de la gamme de couleurs employée dans les oeuvres de cette période de deuil.
La composition de Femme poussant une brouette, Éragny montre comment Pissarro construit l'espace pictural, en créant une complexité visuelle au moyen de l'ensemble des plans verticaux et horizontaux créés par les haies. La moitié supérieure du tableau présente une vue romantique et pittoresque à la Constable, alors que dans la partie inférieure un tas de fumier ramène le spectateur à la réalité de la vie rurale. La paysanne au premier plan à droite semble aller et venir en transportant du fumier: humble prose de la vie quotidienne. Pissarro est très fidèle à l'esthétique de Flaubert: "Je préfère la rose trémière à la rose". Il préfère en effet la trémière, capable de pousser n'importe où, à la rose de jardin, trop délicate. Et paradoxalement sur la gauche du présent tableau, le tas de fumier d'où la paysanne charge ou décharge sa brouette est l'un des plus beaux tas de fumier jamais peints, dont les couleurs évoquent davantage un jardin de roses qu'un engrais.
Au cours des années 1890, Pissarro, comme de nombreux ainés du mouvement impressionniste, commence à explorer le concept de série, examinant l'effet de conditions variées et transitoires sur un motif unique. Le lien étroit entre Femme et chèvre à Éragny (Fig.2) de 1889, et le présent tableau pose les bases du travail systématique entrepris par Pissarro sur les séries dans les années suivantes. La vue identique présentée sur les deux tableaux pourrait indiquer que l'artiste avait l'intention de traiter ce sujet sous la forme d'une série. Le thème de la paysanne à la brouette se retrouve dans cinq autres toiles de Pissarro, dont trois semblent prendre Éragny pour décor (Figs. 1, 3, 4).
La période néo-impressionniste de Pissarro fut brève et intense. Cependant, ce court épisode a permis d'initier des perspectives nouvelles et complexes, que Pissarro développe avec beaucoup d'enthousiasme et une inspiration renouvelée, en témoigne le présent tableau. Ce dernier peut à ce titre être considéré comme une oeuvre majeure de la dernière (et la plus importante) période de l'artiste.
Camille Pissarro lived in the small village of Éragny from 1884 until his death in 1903. During those years, Pissarro made numerous paintings and watercolors of the village of Éragny and its surrounding countryside. With a population of 467 in 1880, Éragny was a tiny village, situated on the banks of the river Epte, seventy-two kilometers northwest of Paris. The Epte river is an tributary of the Seine and reaches the Seine in Vernon, near Giverny: the same river flew through Pissarro's and Monet's gardens.
Having lived in this village for the last twenty years of his life, Pissarro produced a considerable number of works, as he observed daily scenes, and the stretches of pure landscapes from his window. The remarkable diversity of motifs that Pissarro executed from this very narrow stretch of countryside continues to be a subject of fascination among specialists of the artist's oeuvre, and will be the topic of a forthcoming exhibition (curated by Richard Brettell and Joachim Pissarro).
Besides its cogent artistic appeal, this painting is extremely interesting in that it offers a interesting case by which Pissarro translates his own work from one pictorial language to another : compare it with Femme et chèvre à Éragny. What happened here is comparable to a music composer treating the same theme in the form of a sonata, and resuming it in the form of a quatuor, for instance. What happened ?
In 1886, Pissarro participated in what was to be the last Impressionist exhibition - but he was there, not as an Impressionist, but as a Neo-Impressionist (or a pointillist). Having discovered Seurat's Grande Jatte shortly before came to him as an epiphany, and, even though Seurat was his son's age, he gave up on impressionism and became a fierce adept of pointillism. Already in his mid-50s, with a full career behind him, Pissarro launched into this new artistic phase with the ardor and zeal of a youth. For three years (1886-1889), Pissarro counts as a full-fledge neo-impressionist. But this was to remain a short, though intense, episode, during which he alienated his friends, and impressionist colleagues, and his art dealer, Paul Durand-Ruel. His artistic production, due to the painstakingly slow pointillist technique, dropped drastically, and his market plumeted.
By 1890, dissatisfied with his recent paintings, and frustrated, Pissarro abandons his short-lived Neo-Impressionist phase for good. He observed that it was impairing his artistic "sensations". Pissarro explained : "Having ascertained [...] the impossibility of pursuing my altogether fugitive sensations, and, consequently of giving my life and momentum to them; the impossibility of pursuing the altogether varied efforts of nature; the impossibility, or the difficulty, of giving character to my design, of not falling into the round, and so on and so forth, I have had to call it a day - it was high time! I wasn't made, it would seem, for this art, which gave me the sensation of the leveling down of death!" (Correspondance de Camille Pissarro, Paris, 1989, vol. 4, p. 180). Neo-Impressionism worked against his instinctive nature and the renouncement turned out to be a release and highly advantageous allowing for a more refined color scheme. But Pissarro did not return to impressionism : he now looked to keep what he considered the pictorial gains and artistic benefits of his exploration of neo-impressionism, by evolving towards a new form of art. He went on selecting several works of his Neo phase, and translating them from the pointillist language, into his own newly invented and much more personal language.
Femme poussant une brouette, Éragny offers a perfect example of this fascinating phenomenon - unique in the history of impressionism and post-impressionism. This painting is an example of Pissarro evolving from neo-impressionism into what you may call Pissarro's post-impressionism (even though he never used this term). Here, you see him use a refined, attractive color palette with bright light greens and yellows, pinks, blues, mauves and purples : this range of vivid hues owes a lot to his neo phase. However, rather than using the "stifling" dot, as in his neo-impressionist phase, he uses a much looser, crisscrossing technique, by which he interweaves his brushstrokes, having fractured and divided the marks of paint into a more complex, but also much freer, and livelier pictorial surface.
The present work appears to be one of the very first of a series of works in which Pissarro signals his farewell to Neo-Impressionism. On 30 March 1891, in a dramatic tone, Pissarro shares with his son Lucien the tragic news of Seurat's death: "Dreadful news, Seurat is dead" and commented, "the dot is over!" (Correspondance de Camille Pissarro, Paris, 1988, vol. 3, pp. 49 et 54). Pissarro enters a phase of deep mourning, but at the same time, appears liberated, as he develops his 'Post-Impressionist' vein extensively. The color palette in Femme poussant une brouette, Éragny establishes the foundation for the color palettes found in works made during this mourning phase. The composition of Femme poussant une brouette, Éragny exemplifies how Pissarro builds up the pictorial space creating visual complexity through the aggregate of vertical and horizontal planes created by the hedges. While the upper half of this painting depicts a romantic, picturesque view à la Constable, the bottom half supports a rather unromantic view of a pile of manure. The peasant woman on the right foreground appears to be carrying manure back and forth; it is the humble prose of common day life. In effect, Pissarro was very faithful to the aesthetic of Flaubert who says 'he prefers the wallflower to the rose'. He prefers the wallflower, a plant that grows everywhere, to the rose, a manicured plant. See, here, for instance, to the left the pile of manure from which this peasant lady is loading, or unloading her wheel barrow ; paradoxically, one can also argue that this is one of the most alluring pile of manure ever depicted, with tones of color that evoke more a rose garden than fertilizers.
In the 1890s Pissarro, as many of the older members of the Impressionist movement, began to explore the concept of 'series', examining the visual impact of a wide range of diverse conditions and transitory effects on a single motif. Indeed, the close relationship between the painting titled Femme et chèvre à Éragny, of 1889, no. 874 in the Pissarro & Durand-Ruel Catalogue Raisonné and the present painting lays the ground for Pissarro's forthcoming systematic serial practice. The location of these two works is identical and opens the question of whether they originally were conceived as a series. The theme of the peasant woman with a wheelbarrow occurs in five other works by Pissarro, three of which appear to be set in the surroundings of Éragny and reproduced here for your reference (no. 765 and no. 938 in the Pissarro & Durand-Ruel Catalogue Raisonné and no. 1469 in the Pissarro Catalogue Raisonné by Ludovic Rodo Pissarro & Lionello Venturi).
Pissarro's Neo-Impressionist episode was brief though intense. However, as evidenced through the present painting, what came out of this brief episode were fresh, and rich pictorial perspectives, which Pissarro would develop with great zest and new inspiration. The present painting can thus be considered as a corner stone within the last (and most important) phase of the artist's career.
Ayant vécu dans ce village pendant les vingt dernières années de sa vie, Pissarro y produisit un nombre considérable d'oeuvres, observant depuis sa fenêtre les scènes de la vie quotidienne et les vastes étendues de paysages naturels. La remarquable diversité des sujets que Pissarro a traité à partir de cette étroite bande de paysage continue à fasciner les spécialistes de l'artiste, et une exposition y sera bientôt consacrée (commissaires: Richard Brettell et Joachim Pissarro).
Outre ses qualités artistiques évidentes, Femme poussant une brouette, Éragny est fascinant car Pissarro y réinterprète son propre travail, passant d'un langage pictural à un autre. La comparaison avec Femme et chèvre à Éragny (fig. 2) révèle un processus similaire à celui d'un compositeur traitant le même thème musical d'abord sous forme de sonate, puis de quatuor par exemple. Comment expliquer cela?
En 1886, Pissarro participe à ce qui allait être la dernière exposition impressionniste, non pas en tant qu'impressionniste mais comme néo-impressionniste (ou pointilliste). La découverte de la Grande Jatte de Seurat quelques temps auparavant est pour lui une révélation, et bien que Seurat ait l'âge de son fils, il renonce à l'impressionnisme et se lance avec passion dans le pointillisme.
Agé de plus de cinquante ans et une importante carrière à son actif, il entreprend cette nouvelle phase artistique avec l'ardeur et le zèle d'un jeune peintre. Pendant trois ans (1886-1889), Pissarro s'impose comme un artiste néo-impressionniste à part entière, mais cette période brève et intense l'éloigne de ses amis et confrères impressionnistes, ainsi que de son marchand Paul Durand-Ruel. Sa production diminue considérablement du fait d'une technique pointilliste extrêmement minutieuse, et les prix de ses toiles s'effondrent.
En 1890, mécontent de ses derniers tableaux et en proie à une grande frustration, Pissarro met un point final à sa brève période néo-impressionniste. Il explique: "Ayant constaté [] l'impossibilité de suivre mes sensations si fugitives, par conséquent de donner la vie, le mouvement; l'impossibilité de suivre les efforts si variés de la nature; l'impossibilité ou la difficulté de donner du caractère à mon dessin; de ne pas tomber dans le rond, etc. etc. J'ai dû y renoncer, il n'était que temps! Il faut croire que je n'étais pas fait pour cet art qui m'a donné la sensation du nivellementde la mort!" (Lettre du 27 mars 1896, in Correspondance de Camille Pissarro, Paris, 1989, vol. 4, p. 180). Le néo-impressionnisme va à l'encontre de ses instincts; ce renoncement le libère enfin et lui permet de trouver une gamme de couleur plus raffinée. Mais Pissarro ne retourne pas à l'impressionnisme; il cherche à conserver les acquis artistiques de son exploration du néo-impressionnisme, en évoluant vers une nouvelle forme d'art. Il sélectionne donc plusieurs oeuvres de sa période néo-impressionniste et les réinterprète, les traduit du langage pointilliste à un nouveau langage beaucoup plus personnel.
Femme poussant une brouette, Éragny est un exemple parfait de ce phénomène remarquable, unique dans l'histoire de l'impressionnisme et du postimpressionnisme. Ce tableau montre l'évolution du néo-impressionnisme vers ce que l'on pourrait appeler le postimpressionnisme de Pissarro (même s'il n'a jamais utilisé cette expression). Il utilise ici une palette raffinée et chatoyante, avec des verts et des jaunes clairs, des roses, des bleus, des mauves et des violets vifs: cette gamme de couleurs intenses doit beaucoup à sa période néo-impressionniste. Cependant, plutôt que d'avoir recours à un pointillisme strict, il utilise une technique beaucoup plus libre, où il entrelace ses coups de pinceaux, en fracturant et divisant les touches de peinture pour créer une surface picturale plus complexe, mais plus libre et plus vivante.
Ce tableau semble être l'un des tous premiers d'une série où Pissarro fait ses adieux au néo-impressionnisme. Au printemps 1891 Pissarro annonce à son fils Lucien la mort de Seurat sur un ton tragique: "Nouvelle affreuse à t'annoncer, Seurat est mort", ajoutant "C'est fini le pointillé" (Lettres des 30 mars et 1er avril 1891, in Correspondance de Camille Pissarro, Paris, 1988, vol. 3, pp. 49 et 54). Pissarro entre dans une période de deuil profond, mais il semble en même temps trouver une forme de libération dans l'exploration de la nouvelle veine postimpressionniste. La palette de Femme poussant une brouette, Éragny établit les fondements de la gamme de couleurs employée dans les oeuvres de cette période de deuil.
La composition de Femme poussant une brouette, Éragny montre comment Pissarro construit l'espace pictural, en créant une complexité visuelle au moyen de l'ensemble des plans verticaux et horizontaux créés par les haies. La moitié supérieure du tableau présente une vue romantique et pittoresque à la Constable, alors que dans la partie inférieure un tas de fumier ramène le spectateur à la réalité de la vie rurale. La paysanne au premier plan à droite semble aller et venir en transportant du fumier: humble prose de la vie quotidienne. Pissarro est très fidèle à l'esthétique de Flaubert: "Je préfère la rose trémière à la rose". Il préfère en effet la trémière, capable de pousser n'importe où, à la rose de jardin, trop délicate. Et paradoxalement sur la gauche du présent tableau, le tas de fumier d'où la paysanne charge ou décharge sa brouette est l'un des plus beaux tas de fumier jamais peints, dont les couleurs évoquent davantage un jardin de roses qu'un engrais.
Au cours des années 1890, Pissarro, comme de nombreux ainés du mouvement impressionniste, commence à explorer le concept de série, examinant l'effet de conditions variées et transitoires sur un motif unique. Le lien étroit entre Femme et chèvre à Éragny (Fig.2) de 1889, et le présent tableau pose les bases du travail systématique entrepris par Pissarro sur les séries dans les années suivantes. La vue identique présentée sur les deux tableaux pourrait indiquer que l'artiste avait l'intention de traiter ce sujet sous la forme d'une série. Le thème de la paysanne à la brouette se retrouve dans cinq autres toiles de Pissarro, dont trois semblent prendre Éragny pour décor (Figs. 1, 3, 4).
La période néo-impressionniste de Pissarro fut brève et intense. Cependant, ce court épisode a permis d'initier des perspectives nouvelles et complexes, que Pissarro développe avec beaucoup d'enthousiasme et une inspiration renouvelée, en témoigne le présent tableau. Ce dernier peut à ce titre être considéré comme une oeuvre majeure de la dernière (et la plus importante) période de l'artiste.
Camille Pissarro lived in the small village of Éragny from 1884 until his death in 1903. During those years, Pissarro made numerous paintings and watercolors of the village of Éragny and its surrounding countryside. With a population of 467 in 1880, Éragny was a tiny village, situated on the banks of the river Epte, seventy-two kilometers northwest of Paris. The Epte river is an tributary of the Seine and reaches the Seine in Vernon, near Giverny: the same river flew through Pissarro's and Monet's gardens.
Having lived in this village for the last twenty years of his life, Pissarro produced a considerable number of works, as he observed daily scenes, and the stretches of pure landscapes from his window. The remarkable diversity of motifs that Pissarro executed from this very narrow stretch of countryside continues to be a subject of fascination among specialists of the artist's oeuvre, and will be the topic of a forthcoming exhibition (curated by Richard Brettell and Joachim Pissarro).
Besides its cogent artistic appeal, this painting is extremely interesting in that it offers a interesting case by which Pissarro translates his own work from one pictorial language to another : compare it with Femme et chèvre à Éragny. What happened here is comparable to a music composer treating the same theme in the form of a sonata, and resuming it in the form of a quatuor, for instance. What happened ?
In 1886, Pissarro participated in what was to be the last Impressionist exhibition - but he was there, not as an Impressionist, but as a Neo-Impressionist (or a pointillist). Having discovered Seurat's Grande Jatte shortly before came to him as an epiphany, and, even though Seurat was his son's age, he gave up on impressionism and became a fierce adept of pointillism. Already in his mid-50s, with a full career behind him, Pissarro launched into this new artistic phase with the ardor and zeal of a youth. For three years (1886-1889), Pissarro counts as a full-fledge neo-impressionist. But this was to remain a short, though intense, episode, during which he alienated his friends, and impressionist colleagues, and his art dealer, Paul Durand-Ruel. His artistic production, due to the painstakingly slow pointillist technique, dropped drastically, and his market plumeted.
By 1890, dissatisfied with his recent paintings, and frustrated, Pissarro abandons his short-lived Neo-Impressionist phase for good. He observed that it was impairing his artistic "sensations". Pissarro explained : "Having ascertained [...] the impossibility of pursuing my altogether fugitive sensations, and, consequently of giving my life and momentum to them; the impossibility of pursuing the altogether varied efforts of nature; the impossibility, or the difficulty, of giving character to my design, of not falling into the round, and so on and so forth, I have had to call it a day - it was high time! I wasn't made, it would seem, for this art, which gave me the sensation of the leveling down of death!" (Correspondance de Camille Pissarro, Paris, 1989, vol. 4, p. 180). Neo-Impressionism worked against his instinctive nature and the renouncement turned out to be a release and highly advantageous allowing for a more refined color scheme. But Pissarro did not return to impressionism : he now looked to keep what he considered the pictorial gains and artistic benefits of his exploration of neo-impressionism, by evolving towards a new form of art. He went on selecting several works of his Neo phase, and translating them from the pointillist language, into his own newly invented and much more personal language.
Femme poussant une brouette, Éragny offers a perfect example of this fascinating phenomenon - unique in the history of impressionism and post-impressionism. This painting is an example of Pissarro evolving from neo-impressionism into what you may call Pissarro's post-impressionism (even though he never used this term). Here, you see him use a refined, attractive color palette with bright light greens and yellows, pinks, blues, mauves and purples : this range of vivid hues owes a lot to his neo phase. However, rather than using the "stifling" dot, as in his neo-impressionist phase, he uses a much looser, crisscrossing technique, by which he interweaves his brushstrokes, having fractured and divided the marks of paint into a more complex, but also much freer, and livelier pictorial surface.
The present work appears to be one of the very first of a series of works in which Pissarro signals his farewell to Neo-Impressionism. On 30 March 1891, in a dramatic tone, Pissarro shares with his son Lucien the tragic news of Seurat's death: "Dreadful news, Seurat is dead" and commented, "the dot is over!" (Correspondance de Camille Pissarro, Paris, 1988, vol. 3, pp. 49 et 54). Pissarro enters a phase of deep mourning, but at the same time, appears liberated, as he develops his 'Post-Impressionist' vein extensively. The color palette in Femme poussant une brouette, Éragny establishes the foundation for the color palettes found in works made during this mourning phase. The composition of Femme poussant une brouette, Éragny exemplifies how Pissarro builds up the pictorial space creating visual complexity through the aggregate of vertical and horizontal planes created by the hedges. While the upper half of this painting depicts a romantic, picturesque view à la Constable, the bottom half supports a rather unromantic view of a pile of manure. The peasant woman on the right foreground appears to be carrying manure back and forth; it is the humble prose of common day life. In effect, Pissarro was very faithful to the aesthetic of Flaubert who says 'he prefers the wallflower to the rose'. He prefers the wallflower, a plant that grows everywhere, to the rose, a manicured plant. See, here, for instance, to the left the pile of manure from which this peasant lady is loading, or unloading her wheel barrow ; paradoxically, one can also argue that this is one of the most alluring pile of manure ever depicted, with tones of color that evoke more a rose garden than fertilizers.
In the 1890s Pissarro, as many of the older members of the Impressionist movement, began to explore the concept of 'series', examining the visual impact of a wide range of diverse conditions and transitory effects on a single motif. Indeed, the close relationship between the painting titled Femme et chèvre à Éragny, of 1889, no. 874 in the Pissarro & Durand-Ruel Catalogue Raisonné and the present painting lays the ground for Pissarro's forthcoming systematic serial practice. The location of these two works is identical and opens the question of whether they originally were conceived as a series. The theme of the peasant woman with a wheelbarrow occurs in five other works by Pissarro, three of which appear to be set in the surroundings of Éragny and reproduced here for your reference (no. 765 and no. 938 in the Pissarro & Durand-Ruel Catalogue Raisonné and no. 1469 in the Pissarro Catalogue Raisonné by Ludovic Rodo Pissarro & Lionello Venturi).
Pissarro's Neo-Impressionist episode was brief though intense. However, as evidenced through the present painting, what came out of this brief episode were fresh, and rich pictorial perspectives, which Pissarro would develop with great zest and new inspiration. The present painting can thus be considered as a corner stone within the last (and most important) phase of the artist's career.