拍品专文
«Longtemps j’avais pensé faire un film sur Yves Klein… Mais comment le montrer dans sa folie, une nuit, essayant de faire des monochromes avec du sang de bœuf? C'est authentique, c'est sa femme, Rotraut Klein-Moquay, qui me l'a raconté… Après, Urs Raussmüller… fit une exposition d'Yves Klein. Il n'y avait que quelques tableaux dans la grande salle, mais quelles merveilles! Je ne sais pas à qui et comment il les avait empruntés, toujours est-il que la démonstration était parfaite, pas de relief éponge, pas de feu, aucune anthropométrie, que des monochromes... Yves Klein, un des plus grands artistes de ce siècle !»
«For a long time I'd been contemplating making a film about Yves Klein… But how would I depict him in his madness, one night, trying to make monochromes with cow's blood? It's true – his wife, Rotraut Klein-Moquay, told me this story… Later, Urs Raussmüller staged an Yves Klein exhibition. There were only a few paintings in the large room, but how wondrous they were! I don't know how and from whom he borrowed them, but they were displayed perfectly. No sponge reliefs, no fire, no anthropometries, just monochromes... Yves Klein is one of the greatest artists of the 20th century!»
« L’or des alchimistes anciens peut s’extraire effectivement de tout. Mais ce qui est difficile, c’est de découvrir le don qui est la pierre philosophale et qui existe en chacun de nous. » Yves Klein, « L’aventure monochrome », Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits, ENSBA, Paris, 2003, p. 246
En 1949, Yves Klein travaille quelque temps pour Robert Savage, un encadreur londonien, ami de son père. C’est à cette période qu’il se familiarise avec la technique de la dorure. « L’or, c’était quelque chose. Ces feuilles volaient littéralement au moindre courant d’air, sur le plat coussinet que l’on tenait dans une main pendant que de l’autre on les attrapait au vol avec le couteau. Et puis, le coup de peigne que l’on passe dans les cheveux, la feuille d’or que l’on pose délicatement sur la surface à dorer, enduite au préalable d’une assiette mouillée à l’eau gélatineuse chaque fois. Quelle matière ! Quelle merveilleuse école du respect de la matière picturale ! » (Yves Klein, « L’aventure monochrome », Yves Klein, op. cit., p. 244).
Cette révélation imprègnera de façon durable l’art d’Yves Klein, lequel réalisera entre 1960 et 1961 une cinquantaine de Monogolds, panneaux couverts de feuilles d’or, tantôt agencées à la manière d’une grille de petits rectangles, tantôt décrivant sur la surface comme une écorce de cratères et de dépressions ; d’autres fois encore, comme dans Monogold sans titre (MG 44), déposées avec une infinie délicatesse sur le support sous forme de petits lambeaux, légers comme des pétales, qui frémissent au moindre souffle. La respiration même de celui qui l’observe fait trembler la surface de Monogold sans titre (MG 44), donnant à voir le caractère vivant, fragile en même temps qu’insaisissable du matériau.
Matière alchimique par excellence l’or permet à l’artiste de mettre en forme son entreprise de dématérialisation de l’oeuvre d’art. Déjà en 1959, l’or était au cœur du protocole de cession de ses Zones de sensibilité picturale immatérielle tel qu’Yves Klein l’avait défini, prévoyant que l’acquisition de la zone en question fût actée, en présence de témoins, en échange d’une quantité d’or définie, dont une moitié reviendrait à l’artiste et l’autre serait jetée « à la mer, dans une rivière ou dans un endroit quelconque de la nature où cet or ne puisse être récupéré par personne ». L’or brille, reflète, éclaire, se renouvelle sans cesse sous le regard. Il porte en lui une promesse d’immortalité, il défie le temps. En faisant sien ce matériau, l’artiste s’inscrit dans une tradition ancienne qui le lie en particulier, et de façon intime, aux fresquistes italiens du Quattrocento, notamment Fra Angelico et Giotto : « J’ai reçu le grand choc en découvrant à Assise, dans la basilique de Saint-François, des fresques scrupuleusement monochromes » (Yves Klein, « Conférence à la Sorbonne », Yves Klein, op. cit., p. 136).
La provenance de Monogold sans titre (MG 44), dont atteste la dédicace manuscrite au dos du panneau, témoigne enfin des liens d’amitié qui unirent l’artiste à un couple incontournable de la scène artistique parisienne des années d’après-guerre, Pierre et Jeannine Restany. Le critique Pierre Restany et Yves Klein se rencontrent en 1955 alors que l’artiste expose ses monochromes au Club des Solitaires à Paris. C’est un moment décisif pour le peintre : « Le charisme de Klein, ce feu qui brûle en lui, va vision absolue et extrême du monde, produisent sur le critique l’effet d’une révélation […]. Restany pressent qu’avec Klein il va ouvrir de nouveaux horizons et s’opposer à l’esthétique dominante de l’époque » (H. Périer, Pierre Restany, Le prophète de l’art, Paris, 2013, p 34). Dès lors, ces deux-là ne se quitteront plus. Quelques années plus tard, en 1960, c’est toujours autour de Pierre Restany et au domicile d’Yves Klein que se réuniront Arman, Dufrêne, Hains, Raysse, Spoerri, Tinguely et Villeglé, et qu’ils signeront ensemble le Manifeste du Nouveau Réalisme. L’année suivante, Jeannine Restany fondera la Galerie J qui deviendra le lieu d’exposition privilégié du groupe.
“The gold of the old alchemists can in fact be extracted from everything. What is difficult, though, is finding the philosopher’s stone, the gift which exists in us all”.
Yves Klein, “L’aventure monochrome”, Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits, ENSBA, Paris, 2003, p. 246.
In 1949, Yves Klein worked for a while for Robert Savage, a London picture framer and friend of his father’s. While there, he learned the technique of gilding. “Gold was really something. Those leaves literally fluttered in the slightest draught on the padded dish you had to hold in one hand while catching them in flight with the knife in the other. And then, like passing a comb through your hair, the gold leaf you delicately placed on the surface you were gilding, coated first from a plate of gelatinous water each time. What a material! What a marvellous lesson in respect for pictorial material!” (Yves Klein, “L’aventure monochrome”, Yves Klein, op. cit., p. 244).
That revelation made a deep and lasting impression on the art of Yves Klein. From 1960 to 1961, he created some fifty Monogolds, panels covered in gold leaf, sometimes arranged in a grid of small rectangles, sometimes presenting a surface like a bark of craters and depressions or, as in Monogold sans titre (MG 44), applied to the base with infinite delicacy in the form of small strips, as light as petals, which tremble in the slightest breeze. The very breath of the person who observes them makes its surface tremble, demonstrating the fragile, living nature of the material and at the same time its elusiveness.
Gold, the supreme alchemical material, enabled the artist to perfect his ambition to dematerialise works of art. As early as 1959, gold was at the heart of the transfer contract of his Immaterial Pictorial Sensitivity Zones, to use Yves Klein’s own definition, envisaging that the acquisition of the zone concerned was documented, in the presence of witnesses, in exchange for a defined quantity of gold, half of which would be returned to the artist and half would be thrown “into the sea, a river or some natural place where no-one could ever retrieve it”. Gold shines, reflects, illuminates and ceaselessly renews itself when looked at. It carries a promise of immortality; it defies time. By making gold his own, Yves Klein followed the ancient tradition which linked him particularly and intimately to the Italian fresco painters of the Quattrocento, and especially to Fra Angelico and Giotto. “I was struck with amazement in Assisi when I discovered the scrupulously monochrome frescoes in the basilica of Saint Francis”, (Yves Klein, “Conférence à la Sorbonne”, Yves Klein, op. cit., p. 136).
According to the handwritten dedication on the back of the panel, the provenance of Monogold sans titre (MG 44) definitively demonstrates the bonds of friendship between the artist and two outstanding members of the Parisian art scene in the post-war years, Pierre and Jeannine Restany. Yves Klein met the critic Pierre Restany in 1955 when the artist was exhibiting his monochromes at the Club des Solitaires in Paris. It was a decisive moment for the painter: “Klein’s charisma, the fire that burns within him, his absolute and extreme way of looking at the world, acts like a revelation on the critic ( … ). Restany had the premonition that he would open new vistas with Klein and oppose the dominant ethic of the time’” (H. Perier, Pierre Restany, Le prophète de l’art, Paris, 2013, p. 34). From then on, the two men were inseparable.
A few years later, in 1960, again in the company of Pierre Restany, a meeting took place at Yves Klein’s home with Arman, Dufrêne, Hains, Raysse, Spoerri, Tinguely and Villeglé, where they jointly signed the Manifesto of Neo-Realism. In the following year, Jeannine Restany founded Galerie J which was to become the group’s favourite exhibition space.
«For a long time I'd been contemplating making a film about Yves Klein… But how would I depict him in his madness, one night, trying to make monochromes with cow's blood? It's true – his wife, Rotraut Klein-Moquay, told me this story… Later, Urs Raussmüller staged an Yves Klein exhibition. There were only a few paintings in the large room, but how wondrous they were! I don't know how and from whom he borrowed them, but they were displayed perfectly. No sponge reliefs, no fire, no anthropometries, just monochromes... Yves Klein is one of the greatest artists of the 20th century!»
« L’or des alchimistes anciens peut s’extraire effectivement de tout. Mais ce qui est difficile, c’est de découvrir le don qui est la pierre philosophale et qui existe en chacun de nous. » Yves Klein, « L’aventure monochrome », Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits, ENSBA, Paris, 2003, p. 246
En 1949, Yves Klein travaille quelque temps pour Robert Savage, un encadreur londonien, ami de son père. C’est à cette période qu’il se familiarise avec la technique de la dorure. « L’or, c’était quelque chose. Ces feuilles volaient littéralement au moindre courant d’air, sur le plat coussinet que l’on tenait dans une main pendant que de l’autre on les attrapait au vol avec le couteau. Et puis, le coup de peigne que l’on passe dans les cheveux, la feuille d’or que l’on pose délicatement sur la surface à dorer, enduite au préalable d’une assiette mouillée à l’eau gélatineuse chaque fois. Quelle matière ! Quelle merveilleuse école du respect de la matière picturale ! » (Yves Klein, « L’aventure monochrome », Yves Klein, op. cit., p. 244).
Cette révélation imprègnera de façon durable l’art d’Yves Klein, lequel réalisera entre 1960 et 1961 une cinquantaine de Monogolds, panneaux couverts de feuilles d’or, tantôt agencées à la manière d’une grille de petits rectangles, tantôt décrivant sur la surface comme une écorce de cratères et de dépressions ; d’autres fois encore, comme dans Monogold sans titre (MG 44), déposées avec une infinie délicatesse sur le support sous forme de petits lambeaux, légers comme des pétales, qui frémissent au moindre souffle. La respiration même de celui qui l’observe fait trembler la surface de Monogold sans titre (MG 44), donnant à voir le caractère vivant, fragile en même temps qu’insaisissable du matériau.
Matière alchimique par excellence l’or permet à l’artiste de mettre en forme son entreprise de dématérialisation de l’oeuvre d’art. Déjà en 1959, l’or était au cœur du protocole de cession de ses Zones de sensibilité picturale immatérielle tel qu’Yves Klein l’avait défini, prévoyant que l’acquisition de la zone en question fût actée, en présence de témoins, en échange d’une quantité d’or définie, dont une moitié reviendrait à l’artiste et l’autre serait jetée « à la mer, dans une rivière ou dans un endroit quelconque de la nature où cet or ne puisse être récupéré par personne ». L’or brille, reflète, éclaire, se renouvelle sans cesse sous le regard. Il porte en lui une promesse d’immortalité, il défie le temps. En faisant sien ce matériau, l’artiste s’inscrit dans une tradition ancienne qui le lie en particulier, et de façon intime, aux fresquistes italiens du Quattrocento, notamment Fra Angelico et Giotto : « J’ai reçu le grand choc en découvrant à Assise, dans la basilique de Saint-François, des fresques scrupuleusement monochromes » (Yves Klein, « Conférence à la Sorbonne », Yves Klein, op. cit., p. 136).
La provenance de Monogold sans titre (MG 44), dont atteste la dédicace manuscrite au dos du panneau, témoigne enfin des liens d’amitié qui unirent l’artiste à un couple incontournable de la scène artistique parisienne des années d’après-guerre, Pierre et Jeannine Restany. Le critique Pierre Restany et Yves Klein se rencontrent en 1955 alors que l’artiste expose ses monochromes au Club des Solitaires à Paris. C’est un moment décisif pour le peintre : « Le charisme de Klein, ce feu qui brûle en lui, va vision absolue et extrême du monde, produisent sur le critique l’effet d’une révélation […]. Restany pressent qu’avec Klein il va ouvrir de nouveaux horizons et s’opposer à l’esthétique dominante de l’époque » (H. Périer, Pierre Restany, Le prophète de l’art, Paris, 2013, p 34). Dès lors, ces deux-là ne se quitteront plus. Quelques années plus tard, en 1960, c’est toujours autour de Pierre Restany et au domicile d’Yves Klein que se réuniront Arman, Dufrêne, Hains, Raysse, Spoerri, Tinguely et Villeglé, et qu’ils signeront ensemble le Manifeste du Nouveau Réalisme. L’année suivante, Jeannine Restany fondera la Galerie J qui deviendra le lieu d’exposition privilégié du groupe.
“The gold of the old alchemists can in fact be extracted from everything. What is difficult, though, is finding the philosopher’s stone, the gift which exists in us all”.
Yves Klein, “L’aventure monochrome”, Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits, ENSBA, Paris, 2003, p. 246.
In 1949, Yves Klein worked for a while for Robert Savage, a London picture framer and friend of his father’s. While there, he learned the technique of gilding. “Gold was really something. Those leaves literally fluttered in the slightest draught on the padded dish you had to hold in one hand while catching them in flight with the knife in the other. And then, like passing a comb through your hair, the gold leaf you delicately placed on the surface you were gilding, coated first from a plate of gelatinous water each time. What a material! What a marvellous lesson in respect for pictorial material!” (Yves Klein, “L’aventure monochrome”, Yves Klein, op. cit., p. 244).
That revelation made a deep and lasting impression on the art of Yves Klein. From 1960 to 1961, he created some fifty Monogolds, panels covered in gold leaf, sometimes arranged in a grid of small rectangles, sometimes presenting a surface like a bark of craters and depressions or, as in Monogold sans titre (MG 44), applied to the base with infinite delicacy in the form of small strips, as light as petals, which tremble in the slightest breeze. The very breath of the person who observes them makes its surface tremble, demonstrating the fragile, living nature of the material and at the same time its elusiveness.
Gold, the supreme alchemical material, enabled the artist to perfect his ambition to dematerialise works of art. As early as 1959, gold was at the heart of the transfer contract of his Immaterial Pictorial Sensitivity Zones, to use Yves Klein’s own definition, envisaging that the acquisition of the zone concerned was documented, in the presence of witnesses, in exchange for a defined quantity of gold, half of which would be returned to the artist and half would be thrown “into the sea, a river or some natural place where no-one could ever retrieve it”. Gold shines, reflects, illuminates and ceaselessly renews itself when looked at. It carries a promise of immortality; it defies time. By making gold his own, Yves Klein followed the ancient tradition which linked him particularly and intimately to the Italian fresco painters of the Quattrocento, and especially to Fra Angelico and Giotto. “I was struck with amazement in Assisi when I discovered the scrupulously monochrome frescoes in the basilica of Saint Francis”, (Yves Klein, “Conférence à la Sorbonne”, Yves Klein, op. cit., p. 136).
According to the handwritten dedication on the back of the panel, the provenance of Monogold sans titre (MG 44) definitively demonstrates the bonds of friendship between the artist and two outstanding members of the Parisian art scene in the post-war years, Pierre and Jeannine Restany. Yves Klein met the critic Pierre Restany in 1955 when the artist was exhibiting his monochromes at the Club des Solitaires in Paris. It was a decisive moment for the painter: “Klein’s charisma, the fire that burns within him, his absolute and extreme way of looking at the world, acts like a revelation on the critic ( … ). Restany had the premonition that he would open new vistas with Klein and oppose the dominant ethic of the time’” (H. Perier, Pierre Restany, Le prophète de l’art, Paris, 2013, p. 34). From then on, the two men were inseparable.
A few years later, in 1960, again in the company of Pierre Restany, a meeting took place at Yves Klein’s home with Arman, Dufrêne, Hains, Raysse, Spoerri, Tinguely and Villeglé, where they jointly signed the Manifesto of Neo-Realism. In the following year, Jeannine Restany founded Galerie J which was to become the group’s favourite exhibition space.