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« Gigi », de son vrai nom Irmingard Emma Antonia Richter, est née en 1922 dans une petite bourgade de la région de Munich. Son père, Georg Martin Richter, était un historien de l’art, éditeur et mécène reconnu. Il comptait parmi ses amis l’écrivain Thomas Mann, qui était aussi le parrain de Gigi ; celui-ci emprunta d'ailleurs le nom de sa filleule dans un de ses romans, Wälsungenblut, paru en 1921. En 1939, fuyant la guerre, les Richter quittèrent l’Angleterre où ils s’étaient installés en 1929 pour se réfugier aux États-Unis. Gigi étudia dans un premier temps les beaux-arts à New York avant de se former à la conservation d’œuvres d’art au Brooklyn Museum of Art et au Fogg Art Museum de l’université d'Harvard. Ce fut probablement là qu’elle rencontra le peintre Wolfgang Paalen et son épouse Alice Rahon, ainsi que l’artiste suisse Sonia Sekula. Elle ne retourna au Royaume-Uni qu’en 1945, où elle fit la connaissance d’Henry Moore, qui lui loua son appartement à Londres. Elle poursuivit son activité de restauratrice jusqu’en 1960, avant de changer radicalement de carrière et se convertir à la botanique.
Lettre de Wolfgang Paalen à Gigi
25 Octobre 1945
Chère Gigi,
J’ai lu ta lettre avec plaisir, mais je crains que tu ne sois déjà rentrée en Angleterre lorsque nous arriverons à New York (probablement en avril). Tu trouveras ci-joint un mot de présentation à l’intention d’Henry Moore - si tu veux quelque chose de plus « élaboré », fais-le moi savoir, et je t’en écrirai un autre. Félicitations pour les dessins que tu as acquis de lui - tu as bien raison quant à nos sentiments à son égard, c’est un homme tout à fait merveilleux. J’aimerais également te rédiger une lettre de recommandation pour Roland Penrose (si jamais tu souhaites faire sa connaissance), bien que j’ignore le genre de personnage qu’il est devenu entre-temps, mais cela vaudrait peut-être la peine d’essayer. Dis-moi si tu aimerais que je lui adresse un courrier. C’est Arthur Koestler que tu ferais bien de rencontrer. Connais-tu ses livres ? Sinon je te conseille de lire sans plus attendre Le Zéro et l’Infini et Le Yogi et le commissaire. Je ne connais pas Koestler personnellement mais je pense que c’est quelqu’un de remarquable ; il a débuté en journaliste plutôt lambda (et son premier bouquin laisse à désirer) mais il a fini par devenir un écrivain brillant, et l’un des esprits les plus éclairés de notre temps. Ne commence pas par sa Croisade sans croix, qui n’est franchement pas extraordinaire et un peu confus.
Je n’ai pas bien compris ce que tu entends par Peter, les orchidées et M. Addison - dis-m’en davantage si tu peux.
J’imagine que tu as trouvé en Anaïs Nin une âme fraternelle avec laquelle maudire ce pays que tu n’aimes décidément pas… Charles Gicors (?) est mon alter-ego, je me suis beaucoup amusé avec ce pseudonyme. L’ouvrage en question sera une espèce de livre « secret » sur le Mexique, d’une profondeur telle qu’il en sera transparent et passera totalement inaperçu.
Je n’ai pas vu Leonora Carrington depuis un certain temps, elle a publié un petit texte dans Circle. J’ai entendu dire que son livre est vraiment très bien ; je ne sais pas où il sera publié (comme je réponds soigneusement à toutes tes questions !).
Nierendorf : c’est bien le seul mécène auquel j’aie eu affaire qui comprenne quoi que ce soit à la peinture et y voue aussi un intérêt sincère, et pour qui l’argent n’est pas une fin mais simplement un moyen. Je doute qu’il soit si phallocrate que cela ; il semblerait qu’il ait éveillé de brûlantes passions auprès de femmes aussi belles que réputées… Je t’encourage à ne pas rester sur cette première impression défavorable et de lui donner une seconde chance, c’est vraiment quelqu’un de cultivé et de charmant.
Un récit sur la restauration pourrait être très original, j’espère que tu l’écriras.
Je ne peux pas trop en vouloir à Sonia4 ; pendant son séjour à New York, Alice a elle aussi eu le sentiment que tu ne l’appréciais pas tellement.
27 novembre
Désolé, cette lettre a pris beaucoup de retard parce que j’avais perdu l’adresse d’Henry Moore et j’ai dû la redemander par écrit.
Ce que j’ai appris entre-temps au sujet de Roland Penrose ne me donne finalement aucune envie de lui écrire.
Avec toi, toi, je me sens toujours particulièrement complexé par mon mauvais anglais.
En espérant te relire bientôt.
Ton dévoué,
Wolfgang
P.S. : Merci infiniment pour le livre magnifique sur l'art préhistorique des cavernes. Il me plaît beaucoup, aucun autre ouvrage n’aurait pu me procurer un tel plaisir par les temps qui courent. J’ai oublié de te répondre au sujet de Dyn : le prochain numéro, dont la sortie a été très retardée, sera un grand double-numéro qui paraîtra à l’occasion d’une série d’expositions sur la nouvelle conception de l’espace dans les arts plastiques. Je fais de mon mieux, mais il faut bien que je me concentre plus.
Irmingard Emma Antonia Richter, otherwise known as "Gigi", was born in 1922 in a small village outside Munich. Her father Dr. Georg Martin Richter was a famous art historian, art dealer and publisher. One of his friends was the renowned author Thomas Mann, who was also Gigi’s godfather, and who used her name in one of his novellas Wälsungenblut, published in 1921. After moving to England in 1929, they fled the war in 1939 by relocating in America. Gigi first went to an art school in New York and then pursued art conservation studies at the Brooklyn Museum of Art and at the Fogg Art Museum at Harvard University. It was probably then that she met artist Wolfgang Paalen, his wife Alice Rahon and the Swiss artist Sonia Sekula. Gigi only moved back to England at the end of 1945, where she met Henry Moore and rented his flat in London, whilst continuing her work as an art restorer until she changed career paths to become a botanist in 1960.
Dear Gigi,
I enjoyed your letter but am sorry that you will probably be already in England at the time of our arrival in New York (probably in April). Enclosed please find a letter of introduction for Henry Moore – if you want something more “elaborate” just tell me and I shall write you another one. Congratulations to your acquiring of drawings of his – you are certainly right in our feelings for him, he is a most wonderful person. I would like to give you an introduction for Roland Penrose too (if you are interested in meeting him) but I am not certain what kind of a person he has become in the meantime, but it might be worthwhile to try. Tell me, if you want a letter for him. Somebody you should probably meet, is Arthur Koestler. Do you know his books ? If not, read without further delay, “Darkness at Noon” and “the Yogi and the Commissar”. I do not know Koestler personally, but consider him of one of the most remarkable people; he started as a rather vulgar journalist (and his first book is lousy) but is now a brilliant writer and one of the clearest minds of our time. Do not start with his ‘Arrival and Departure’ which is not very good and rather confusing.
I do not understand what you tell me about Peter, orchids of Mr. Addison – please be a little more specific.
I suppose, you found in Anais Nin, a sisterly soul for complaining about a country which you definitely do not like… Charles Gicors ? is my alter ego and I had some fun with this alias. The book in question will be a kind of ‘secret’ book about Mexico, so deep, that it will be transparent and pass entirely unnoticed.
I have not seen Leonora Carrington for a while, she published a little piece in "Circle". I heard, her book is very good; do not know where it is going to be published (how carefully I answer all your questions!).
Nierendorf: he is the only art-dealer I ever had to do with, who not only understands something about painting but really cares for it and for whom money is not the end but only a means. I do not think, he is only a man’s man, it seems he has inspired violent passions to beautiful and celebrated women… I would suggest, you should not remain on one unfavourable impression and try once more, he is really a most cultivated and charming person.
A story about restoring could be very original; I hope you will write it.
I cannot blame Sonia too much; Alice too, during her stay in New York, got the impression that you did not care for her very much.
27 November
Sorry, this letter has been delayed very much, because I lost Henry Moore’s address and had to write for it.
What I heard in the meantime about Roland Penrose, does not make me feel like writing to him.
With you, you, I feel always especially ashamed of my poor English.
Write again,
As ever yours, Wolfgang
P.S. Thank you ever so much for the beautiful book on prehistoric cave painting. I enjoy it very much, no other book could give me a greater pleasure in my present mood. I forgot to answer a propos Dyn: the next number which is very much delayed, will be an important double-number And appear in connection with a series of exhibitions concerning the new concept of space in painting. I try to do my best but have to stick to painting more than before.