拍品专文
Lorsqu’en 1939 la guerre éclate, Germaine Richier est à Zürich, en compagnie de son mari, le sculpteur Otto Bänninger. Installée à Paris depuis les années folles, elle a été l’élève d’Antoine Bourdelle, avant d’ouvrir son atelier en 1933 dans le sud de la capitale. Toutefois, elle n’y reviendra pas avant la fin du conflit. Établissant en Suisse sa résidence, elle fréquente une diaspora d’artistes exilés, notamment Alberto Giacometti et Marino Marini, enseigne et sculpte des portraits d’après modèle. Mais surtout, c’est dans cette période trouble, qu’elle va produire une sculpture nouvelle, marquée par une altération profonde de la figure humaine, et dont La Sauterelle est emblématique.
Après Le Crapaud en 1940, première tentative encore timide de mêler l’animal à la femme, elle crée en 1944 à Zürich sa Sauterelle, petite – sculpture qu’elle reprendra ensuite à deux reprises à Paris, avec une moyenne en 1945 et une grande en 1955-56. La Sauterelle est la première des œuvres véritablement ‘hybride’ de l’artiste, terme utilisé pour la première fois par René de Solier dans Cahiers d’art en 1953 pour désigner ce corpus de Sauterelle, Mante, Araignée, Homme-Forêt, Fourmi par lequel Richier affirme la radicalité de sa vision. Ces œuvres sont la marque d’un fort questionnement existentialiste, au lendemain du cataclysme de la guerre. Désacralisée, sa figure humaine se fait fantastique, inquiétante, ses proportions s’étirent. La matière, quant à elle, va être profondément accidentée, elle est grattée, creusée, déstructurée, métaphore tourmentée de la fragilité de l’homme, comparable au travail de son contemporain Giacometti. Georges Limbour, lors de sa première visite chez Richier en 1948, est particulièrement frappé par la découverte de la « femme-sauterelle » : « Cet être imaginaire, en plâtre, était assis, presque accroupi, ses longs bras, terminés par de fortes mains menaçantes et ouvertes, soutenus par les puissants genoux des membres inférieurs. Il y avait dans son visage humain une expression ardente et tendue » (G. Limbour in « Visite à un sculpteur », Arts de France, n°17-18, 1948, p. 55).
La Sauterelle fait aussi vivre une autre histoire, celle de l’enfance éveillée de Richier dans la nature provençale du Sud. Petite, elle passe de longues heures dans le jardin à observer la vie des insectes. Elle en tirera une passion pour ce monde minuscule, traduisant dans ces hybrides ce rapport direct de l’homme à son environnement. Comme pétrifiée, sa Sauterelle est ainsi prête bondir sur le spectateur. Largement exposée à travers le monde, la sculpture, par son inventivité, va contribuer à la consécration de Richier. Si elle est la première artiste femme à bénéficier d’une rétrospective au Musée national d’art moderne de son vivant, en 1956, c’est précisément parce qu’elle a su forger une œuvre profondément humaine, en phase avec son temps : « L’artiste doit avoir son univers. Sinon il n’apporte rien. Il ne change la vision de personne. Les sculptures de Germaine Richier peuvent jouer ce rôle fatal. Elles bouleversent, elles irritent, elles surprennent, elles vivent » (A. Jouffroy in « Au musée d’Art moderne, Germain Richier », Arts, 10-16 oct. 1956, p.12).
When the war broke out in 1939, Germaine Richier was in Zurich with her husband, the sculptor Otto Bänninger. She had been living in Paris since the Roaring Twenties, where she studied under Antoine Bourdelle before opening her studio on the southern edge of the capital in 1933. However, she would not return until after the war. Taking up residence in Switzerland, she frequented a diaspora of exiled artists, including Alberto Giacometti and Marino Marini, and taught and sculpted portraits from models. Most significantly, during this troubled time, she produced a new body of sculpture characterised by a profound alteration of the human figure, exemplified by La Sauterelle.
After Le Crapaud in 1940, her first timid attempt to blend an animal with a woman, in 1944 – in Zurich still – she created her Sauterelle, petite – a sculpture she would revisit later in Paris with a moyenne in 1945 and a grande in 1955-56. La Sauterelle is the first of the artist’s truly “hybrid” pieces, to borrow the term used first by René Le Solier in Cahiers d’art in 1953 to refer to this set of Sauterelle, Mante, Araignée, Homme-Forêt, Fourmi with which Richier asserted the radicalness of her vision. These pieces attest to an intense existentialist interrogation, in the aftermath of the cataclysmic war. The deconsecrated human figure becomes something strange and worrisome with its elongated proportions. The matter itself appears deeply uneven: it is scratched, pitted, destructured... a metaphor for the fragility of humankind, akin to the work of her contemporary Giacometti. Georges Limbour, after visiting Richier for the first time in 1948, was especially struck by the “woman-grasshopper”. “This imaginary being, cast in plaster, was seated, nearly crouching, with its long arms ending in open, menacing hands, supported by the powerful knees of the lower limbs. Its human face wore a tense, raging expression” (G. Limbour in “Visite à un sculpteur”, Arts de France, no. 17-18, 1948, p. 55).
La Sauterelle also brings to life another story ‒ the story of Richier’s stimulating childhood in the nature of Provence. As a young girl, she spent many hours in the garden observing the lives of insects. It gave her a passion for this microscopic world, translating into these hybrids the direct relationship between humans and their environment. As if petrified, her Sauterelle is ready to pounce on the viewer. The sculpture was widely exhibited around the world, and its inventiveness would help cement Richier’s place in the art world. If she was the first living female artist to be honoured with a retrospective at the Musée National d’Art Moderne (in 1956), it was precisely because she succeeded in forging a profoundly human body of work that was in tune with its era: “The artist must have their own universe. Otherwise they contribute nothing. They do not change anyone’s view. The sculptures of Germaine Richier can play this fateful role. They disrupt, they disturb, they surprise, they live” (A. Jouffroy in “Au Musée d’Art Moderne, Germain Richier”, Arts, 10-16 Oct. 1956, p.12).
Après Le Crapaud en 1940, première tentative encore timide de mêler l’animal à la femme, elle crée en 1944 à Zürich sa Sauterelle, petite – sculpture qu’elle reprendra ensuite à deux reprises à Paris, avec une moyenne en 1945 et une grande en 1955-56. La Sauterelle est la première des œuvres véritablement ‘hybride’ de l’artiste, terme utilisé pour la première fois par René de Solier dans Cahiers d’art en 1953 pour désigner ce corpus de Sauterelle, Mante, Araignée, Homme-Forêt, Fourmi par lequel Richier affirme la radicalité de sa vision. Ces œuvres sont la marque d’un fort questionnement existentialiste, au lendemain du cataclysme de la guerre. Désacralisée, sa figure humaine se fait fantastique, inquiétante, ses proportions s’étirent. La matière, quant à elle, va être profondément accidentée, elle est grattée, creusée, déstructurée, métaphore tourmentée de la fragilité de l’homme, comparable au travail de son contemporain Giacometti. Georges Limbour, lors de sa première visite chez Richier en 1948, est particulièrement frappé par la découverte de la « femme-sauterelle » : « Cet être imaginaire, en plâtre, était assis, presque accroupi, ses longs bras, terminés par de fortes mains menaçantes et ouvertes, soutenus par les puissants genoux des membres inférieurs. Il y avait dans son visage humain une expression ardente et tendue » (G. Limbour in « Visite à un sculpteur », Arts de France, n°17-18, 1948, p. 55).
La Sauterelle fait aussi vivre une autre histoire, celle de l’enfance éveillée de Richier dans la nature provençale du Sud. Petite, elle passe de longues heures dans le jardin à observer la vie des insectes. Elle en tirera une passion pour ce monde minuscule, traduisant dans ces hybrides ce rapport direct de l’homme à son environnement. Comme pétrifiée, sa Sauterelle est ainsi prête bondir sur le spectateur. Largement exposée à travers le monde, la sculpture, par son inventivité, va contribuer à la consécration de Richier. Si elle est la première artiste femme à bénéficier d’une rétrospective au Musée national d’art moderne de son vivant, en 1956, c’est précisément parce qu’elle a su forger une œuvre profondément humaine, en phase avec son temps : « L’artiste doit avoir son univers. Sinon il n’apporte rien. Il ne change la vision de personne. Les sculptures de Germaine Richier peuvent jouer ce rôle fatal. Elles bouleversent, elles irritent, elles surprennent, elles vivent » (A. Jouffroy in « Au musée d’Art moderne, Germain Richier », Arts, 10-16 oct. 1956, p.12).
When the war broke out in 1939, Germaine Richier was in Zurich with her husband, the sculptor Otto Bänninger. She had been living in Paris since the Roaring Twenties, where she studied under Antoine Bourdelle before opening her studio on the southern edge of the capital in 1933. However, she would not return until after the war. Taking up residence in Switzerland, she frequented a diaspora of exiled artists, including Alberto Giacometti and Marino Marini, and taught and sculpted portraits from models. Most significantly, during this troubled time, she produced a new body of sculpture characterised by a profound alteration of the human figure, exemplified by La Sauterelle.
After Le Crapaud in 1940, her first timid attempt to blend an animal with a woman, in 1944 – in Zurich still – she created her Sauterelle, petite – a sculpture she would revisit later in Paris with a moyenne in 1945 and a grande in 1955-56. La Sauterelle is the first of the artist’s truly “hybrid” pieces, to borrow the term used first by René Le Solier in Cahiers d’art in 1953 to refer to this set of Sauterelle, Mante, Araignée, Homme-Forêt, Fourmi with which Richier asserted the radicalness of her vision. These pieces attest to an intense existentialist interrogation, in the aftermath of the cataclysmic war. The deconsecrated human figure becomes something strange and worrisome with its elongated proportions. The matter itself appears deeply uneven: it is scratched, pitted, destructured... a metaphor for the fragility of humankind, akin to the work of her contemporary Giacometti. Georges Limbour, after visiting Richier for the first time in 1948, was especially struck by the “woman-grasshopper”. “This imaginary being, cast in plaster, was seated, nearly crouching, with its long arms ending in open, menacing hands, supported by the powerful knees of the lower limbs. Its human face wore a tense, raging expression” (G. Limbour in “Visite à un sculpteur”, Arts de France, no. 17-18, 1948, p. 55).
La Sauterelle also brings to life another story ‒ the story of Richier’s stimulating childhood in the nature of Provence. As a young girl, she spent many hours in the garden observing the lives of insects. It gave her a passion for this microscopic world, translating into these hybrids the direct relationship between humans and their environment. As if petrified, her Sauterelle is ready to pounce on the viewer. The sculpture was widely exhibited around the world, and its inventiveness would help cement Richier’s place in the art world. If she was the first living female artist to be honoured with a retrospective at the Musée National d’Art Moderne (in 1956), it was precisely because she succeeded in forging a profoundly human body of work that was in tune with its era: “The artist must have their own universe. Otherwise they contribute nothing. They do not change anyone’s view. The sculptures of Germaine Richier can play this fateful role. They disrupt, they disturb, they surprise, they live” (A. Jouffroy in “Au Musée d’Art Moderne, Germain Richier”, Arts, 10-16 Oct. 1956, p.12).