拍品专文
« Il y a toujours quelque chose de très sensuel dans la rencontre d'un noir et d'un bleu, on s'y adonne avec un certain plaisir. »
“There is always something quite sensual about the meeting of a black and a blue, one indulges in it with a certain pleasure.”
Pierre Soulages
Lorsque Pierre Soulages peint, au début de la décennie 1970, sa Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, il est engagé dans le renouvellement sans retour de ses moyens d’expression. Aux toiles des années 1960, dialogue construit des couleurs primaires avec une épaisse matière noire, râclée, grattée, succèdent des compositions plus hiératiques : le noir se détache des autres teintes, la couleur se raréfie, dans un subtil équilibre de vide et de plein. Liant le passé au présent, Soulages renoue avec ses débuts de peintre. Il retrouve en 1970 un usage nouveau du brou de noix, mais surtout, dès 1968, la pleine possibilité du noir et blanc seuls, dans ce qu’Harold Rosenberg nomme des « macrographies » : d’imposantes écritures cursives d’un noir profond et solitaire, qui scandent la verticalité de la toile, des courbes noueuses puis dénouées qui se prolongent d’un trait sur un fond laissé blanc.
Sa Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 est l’une des dernières de cette période, avant qu’il ne délaisse, pour près d’un an, la toile pour la gravure. S’agissant de l’une des rares œuvres qu’il peint alors à la verticale, elle se trouve aux confluents des inventions de l’artiste. D’abord, la présence en arrière-plan d’un blanc immaculé. Puis, par-dessus, scindant la toile en deux, l’aplat à l’horizontal d’un bleu dont les tonalités varient par un jeu de transparence : intensément marine lorsqu’il se mêle à quelques touches noires, azur lorsqu’il est pur, presque translucide. Enfin, par-dessus, des graphies tracées à la brosse et à la lame : trois épaisses lignes verticales fondues avec une boucle, qui s’arrêtent sèchement sur le blanc ou poursuivent leur chemin, se scindant en deux, le tout formant le souvenir fantasmatique d’une calligraphie ancestrale. Une multitude de contrastes naît de la Peinture : l’écriture noire lumineuse dialogue avec le silence du fond, mais aussi avec l’aigue-marine pénétrant. « Le rapprochement d’un noir et d’un bleu a toujours quelque chose d’assez sensuel, on s’y livre avec une certaine volupté », affirme l’artiste, qui a fait du dialogue de ces couleurs l’une des constantes de son œuvre (in P. Encrevé, Soulages, l'oeuvre complet, Peintures, vol. I, 1979-1997, Paris, 1998, p.172).
Célébré Outre-Atlantique, largement exposé dans le monde dans la décennie 1960, Soulages fait l’objet d’une reconnaissance tardive en France. S’il doit attendre 1967 pour sa première exposition personnelle à Paris, au Musée national d’art moderne, il est encore en 1972 écarté d’un accrochage médiatique, voulu par le Président Georges Pompidou, qui rassemble au Grand Palais « Douze ans d'art contemporain en France ». Une exposition au même moment à la Galerie de France, où figure sa Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, va contribuer à la consécration institutionnelle de l’artiste. Rassemblant une trentaine de toiles, l’évènement est unanimement célébré : « A voir l’exposition de peintures récentes de Soulages, on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait fait une saisissante salle de l’Expo 72 » (in P. Encrevé, Soulages, l'œuvre complet. Peintures, vol. II, 1959-1978, Paris, 1995, p.196). Le critique Pierre Schneider écrit pour sa part : « Renouvellement par radicalisation, non par rupture […] A l’heure où bien des artistes renoncent à peindre faute de savoir quoi peindre, Soulages se consacre au dernier sujet héroïque : il peint la peinture » (in catalogue d’exposition, Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, Soulages, 2009-2010, p. 322). Les œuvres de cette exposition connaîtront un succès européen : elles voyagent en Norvège, au Danemark, en Angleterre ; quatre toiles de la période iront à des collections publiques.
Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 est héritière de ce renouveau autant qu’augure d’une révolution picturale à venir. Durant cette période d’intense création, l’artiste se confronte avec force aux possibilités de la couleur noire, tantôt par graphies, tantôt par large stries qui vont venir peu à peu dévorer la surface plane de la toile. Et jusqu’à sa révélation de 1979, celle de ce qu’il nomme « l’Outrenoir » : un noir total, absolu, qui recouvre entièrement l'espace pictural, un noir lumière. Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, en ce qu’elle participe de la conquête de la toile par le noir, annonce le séisme à venir et s’inscrit résolument dans la trajectoire unique de Soulages : « Chaque tableau est à la fois un tableau terminé et, ce qui m'importe davantage, une étape, un moment de quelque chose de plus vaste, qui est la succession de mes toiles que je ne peux prévoir » (in J.J. Sweeney, Soulages, Neuchâtel, 1972).
In the early 1970s, when Pierre Soulages painted his Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, he was embarking on a continuous and irreversible journey to renew his forms of artistic expression. The canvases of the 1960s - a dialogue built around primary colours with thick, black matter that was raked and scraped - were followed by more hieratic compositions: black breaks away from other hues and colours become scarce in a subtle balance between emptiness and fullness. Linking the past to the present, Soulages reconnected with his beginnings as a painter. In 1970 he found a new use for walnut stain, but more importantly, starting in 1968, he discovered the full potential of black and white alone, in what Harold Rosenberg dubbed “macrographics”: imposing cursive writing in the deepest and most solitary of blacks streaking vertically over the canvas and knotted, then unknotted, curves flowing out of a line on a background left blank.
His Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 is one of the last of this period, before he set aside painting for nearly a year in favour of engraving. As one of the rare works that he painted vertically, it is at the confluence of the artist’s inventions. First, the immaculate white of the background. Then, layered over it, splitting the canvas in two: the horizontal block in a shade of blue whose tones vary through a trick of transparency: intensely navy when mixed with a touch of black, then azure in its pure, nearly translucent state. Lastly, on top, the writing formed with brush and blade: three thick, vertical lines blurring into a loop that stop abruptly at the white canvas or continue their journey, forking. The overall effect is like a fantastical memory of some ancient calligraphy. This Peinture gives rise to myriad contrasts: the luminous black writing is in conversation with the silence of the background, and with the penetrating aquamarine. “The juxtaposition of black and blue has always been voluptuous, one gives in to it with a certain sensuality,” declared the artist, for whom the dialogue of colours was a constant theme of his work (in P. Encrevé, Soulages, l’oeuvre complet, Peintures, vol. I, 1979-1997, Paris, 1998, p.172).
Acclaimed across the pond and widely exhibited around the world in the 1960s, Soulages achieved somewhat belated recognition in France. It was not until 1967 that he had his first solo show in Paris, at the Musée National d’Art Moderne. Then, in 1972 he was excluded from a highly publicised exhibition commissioned by President Georges Pompidou, who assembled at the Grand Palais “Twelve years of contemporary art in France”. A concurrent show at Galerie de France, where his Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 was displayed, would help solidify the artist’s standing. The event brought together around 30 works and was a unanimous hit: "Seeing the recent paintings by Soulages, one cannot help but think how would have created a captivating room at Expo 72" (in P. Encrevé, Soulages, l’œuvre complet. Peintures, vol. II, 1959-1978, Paris, 1995, p.196). Meanwhile, the critic Pierre Schneider wrote: “Renewal through radicalisation, rather than through rupture […] At a time when many artists are giving up on painting because they know not what to paint, Soulages is dedicating himself to the last heroic subject: he paints painting” (in the exhibition catalogue, Centre Pompidou-Musée National d’Art Moderne, Soulages, 2009-2010, p. 322). The works of that exhibition would enjoy success across Europe, travelling to Norway, Denmark and England; four canvases from this period ended up in public collections.
Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 is the heir of that renewal, just as it ushers in the pictorial revolution to come. During this period of intense creation, the artist forcefully confronted the possibilities of the colour black, sometimes with written figures and sometimes with the broad stripes that would gradually come to devour the flat surface of the canvas. Up until the revelation he had in 1979, with what he called “Outrenoir”: total, absolute black that covers the entire pictorial space, black as light. Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, with the role it played in the conquest of the canvas by black, foreshadows the coming earthquake. As such, it is a pivotal point on the Soulages timeline: "Each painting is both a completed painting and - what means more to me - a stage, a moment in something much larger, the succession of my canvases which even I cannot predict" (in J.J. Sweeney, Soulages, Neuchâtel, 1972).
“There is always something quite sensual about the meeting of a black and a blue, one indulges in it with a certain pleasure.”
Pierre Soulages
Lorsque Pierre Soulages peint, au début de la décennie 1970, sa Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, il est engagé dans le renouvellement sans retour de ses moyens d’expression. Aux toiles des années 1960, dialogue construit des couleurs primaires avec une épaisse matière noire, râclée, grattée, succèdent des compositions plus hiératiques : le noir se détache des autres teintes, la couleur se raréfie, dans un subtil équilibre de vide et de plein. Liant le passé au présent, Soulages renoue avec ses débuts de peintre. Il retrouve en 1970 un usage nouveau du brou de noix, mais surtout, dès 1968, la pleine possibilité du noir et blanc seuls, dans ce qu’Harold Rosenberg nomme des « macrographies » : d’imposantes écritures cursives d’un noir profond et solitaire, qui scandent la verticalité de la toile, des courbes noueuses puis dénouées qui se prolongent d’un trait sur un fond laissé blanc.
Sa Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 est l’une des dernières de cette période, avant qu’il ne délaisse, pour près d’un an, la toile pour la gravure. S’agissant de l’une des rares œuvres qu’il peint alors à la verticale, elle se trouve aux confluents des inventions de l’artiste. D’abord, la présence en arrière-plan d’un blanc immaculé. Puis, par-dessus, scindant la toile en deux, l’aplat à l’horizontal d’un bleu dont les tonalités varient par un jeu de transparence : intensément marine lorsqu’il se mêle à quelques touches noires, azur lorsqu’il est pur, presque translucide. Enfin, par-dessus, des graphies tracées à la brosse et à la lame : trois épaisses lignes verticales fondues avec une boucle, qui s’arrêtent sèchement sur le blanc ou poursuivent leur chemin, se scindant en deux, le tout formant le souvenir fantasmatique d’une calligraphie ancestrale. Une multitude de contrastes naît de la Peinture : l’écriture noire lumineuse dialogue avec le silence du fond, mais aussi avec l’aigue-marine pénétrant. « Le rapprochement d’un noir et d’un bleu a toujours quelque chose d’assez sensuel, on s’y livre avec une certaine volupté », affirme l’artiste, qui a fait du dialogue de ces couleurs l’une des constantes de son œuvre (in P. Encrevé, Soulages, l'oeuvre complet, Peintures, vol. I, 1979-1997, Paris, 1998, p.172).
Célébré Outre-Atlantique, largement exposé dans le monde dans la décennie 1960, Soulages fait l’objet d’une reconnaissance tardive en France. S’il doit attendre 1967 pour sa première exposition personnelle à Paris, au Musée national d’art moderne, il est encore en 1972 écarté d’un accrochage médiatique, voulu par le Président Georges Pompidou, qui rassemble au Grand Palais « Douze ans d'art contemporain en France ». Une exposition au même moment à la Galerie de France, où figure sa Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, va contribuer à la consécration institutionnelle de l’artiste. Rassemblant une trentaine de toiles, l’évènement est unanimement célébré : « A voir l’exposition de peintures récentes de Soulages, on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait fait une saisissante salle de l’Expo 72 » (in P. Encrevé, Soulages, l'œuvre complet. Peintures, vol. II, 1959-1978, Paris, 1995, p.196). Le critique Pierre Schneider écrit pour sa part : « Renouvellement par radicalisation, non par rupture […] A l’heure où bien des artistes renoncent à peindre faute de savoir quoi peindre, Soulages se consacre au dernier sujet héroïque : il peint la peinture » (in catalogue d’exposition, Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, Soulages, 2009-2010, p. 322). Les œuvres de cette exposition connaîtront un succès européen : elles voyagent en Norvège, au Danemark, en Angleterre ; quatre toiles de la période iront à des collections publiques.
Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 est héritière de ce renouveau autant qu’augure d’une révolution picturale à venir. Durant cette période d’intense création, l’artiste se confronte avec force aux possibilités de la couleur noire, tantôt par graphies, tantôt par large stries qui vont venir peu à peu dévorer la surface plane de la toile. Et jusqu’à sa révélation de 1979, celle de ce qu’il nomme « l’Outrenoir » : un noir total, absolu, qui recouvre entièrement l'espace pictural, un noir lumière. Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, en ce qu’elle participe de la conquête de la toile par le noir, annonce le séisme à venir et s’inscrit résolument dans la trajectoire unique de Soulages : « Chaque tableau est à la fois un tableau terminé et, ce qui m'importe davantage, une étape, un moment de quelque chose de plus vaste, qui est la succession de mes toiles que je ne peux prévoir » (in J.J. Sweeney, Soulages, Neuchâtel, 1972).
In the early 1970s, when Pierre Soulages painted his Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, he was embarking on a continuous and irreversible journey to renew his forms of artistic expression. The canvases of the 1960s - a dialogue built around primary colours with thick, black matter that was raked and scraped - were followed by more hieratic compositions: black breaks away from other hues and colours become scarce in a subtle balance between emptiness and fullness. Linking the past to the present, Soulages reconnected with his beginnings as a painter. In 1970 he found a new use for walnut stain, but more importantly, starting in 1968, he discovered the full potential of black and white alone, in what Harold Rosenberg dubbed “macrographics”: imposing cursive writing in the deepest and most solitary of blacks streaking vertically over the canvas and knotted, then unknotted, curves flowing out of a line on a background left blank.
His Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 is one of the last of this period, before he set aside painting for nearly a year in favour of engraving. As one of the rare works that he painted vertically, it is at the confluence of the artist’s inventions. First, the immaculate white of the background. Then, layered over it, splitting the canvas in two: the horizontal block in a shade of blue whose tones vary through a trick of transparency: intensely navy when mixed with a touch of black, then azure in its pure, nearly translucent state. Lastly, on top, the writing formed with brush and blade: three thick, vertical lines blurring into a loop that stop abruptly at the white canvas or continue their journey, forking. The overall effect is like a fantastical memory of some ancient calligraphy. This Peinture gives rise to myriad contrasts: the luminous black writing is in conversation with the silence of the background, and with the penetrating aquamarine. “The juxtaposition of black and blue has always been voluptuous, one gives in to it with a certain sensuality,” declared the artist, for whom the dialogue of colours was a constant theme of his work (in P. Encrevé, Soulages, l’oeuvre complet, Peintures, vol. I, 1979-1997, Paris, 1998, p.172).
Acclaimed across the pond and widely exhibited around the world in the 1960s, Soulages achieved somewhat belated recognition in France. It was not until 1967 that he had his first solo show in Paris, at the Musée National d’Art Moderne. Then, in 1972 he was excluded from a highly publicised exhibition commissioned by President Georges Pompidou, who assembled at the Grand Palais “Twelve years of contemporary art in France”. A concurrent show at Galerie de France, where his Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 was displayed, would help solidify the artist’s standing. The event brought together around 30 works and was a unanimous hit: "Seeing the recent paintings by Soulages, one cannot help but think how would have created a captivating room at Expo 72" (in P. Encrevé, Soulages, l’œuvre complet. Peintures, vol. II, 1959-1978, Paris, 1995, p.196). Meanwhile, the critic Pierre Schneider wrote: “Renewal through radicalisation, rather than through rupture […] At a time when many artists are giving up on painting because they know not what to paint, Soulages is dedicating himself to the last heroic subject: he paints painting” (in the exhibition catalogue, Centre Pompidou-Musée National d’Art Moderne, Soulages, 2009-2010, p. 322). The works of that exhibition would enjoy success across Europe, travelling to Norway, Denmark and England; four canvases from this period ended up in public collections.
Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972 is the heir of that renewal, just as it ushers in the pictorial revolution to come. During this period of intense creation, the artist forcefully confronted the possibilities of the colour black, sometimes with written figures and sometimes with the broad stripes that would gradually come to devour the flat surface of the canvas. Up until the revelation he had in 1979, with what he called “Outrenoir”: total, absolute black that covers the entire pictorial space, black as light. Peinture 162 x 114 cm, 17 avril 1972, with the role it played in the conquest of the canvas by black, foreshadows the coming earthquake. As such, it is a pivotal point on the Soulages timeline: "Each painting is both a completed painting and - what means more to me - a stage, a moment in something much larger, the succession of my canvases which even I cannot predict" (in J.J. Sweeney, Soulages, Neuchâtel, 1972).