拍品专文
Yves Rouart a confirmé l'authenticité de cette œuvre.
Rouart ; un nom mythique !
Dans le cercle des tout premiers collectionneurs de l’Impressionnisme, dont le rôle fut si important dans l’éclosion du mouvement, la famille Rouart occupe assurément une place essentielle. L’histoire commence avec Henri Rouart (1833-1912) qui rencontre Degas sur les bancs du prestigieux lycée Louis-le-Grand à Paris. Reçu en 1853 à l’École Polytechnique, il s’oriente dès 1860 vers l’industrie en s’associant à Jean-Baptiste Java Mignon (1824-1894), ingénieur des Arts et Métiers, avec lequel il développe des installations électriques, frigorifiques et télégraphiques. Marié l’année suivante avec Hélène Jacob Desmalter, descendante des célèbres ébénistes ayant travaillé pour Louis XV, Louis XVI et Napoléon Ier, Henri s’adonne, à ses heures perdues à la peinture ; Il reçoit les conseils de Corot, qui devient son ami, et peint à Barbizon aux côtés de Jean-François Millet. Son hôtel particulier des 34 et 36 rue de Lisbonne à Paris lui sert d’atelier (il expose aux Salons de 1868 à 1872 et, sauf en 1882, aux expositions de groupe des impressionnistes de 1876 à 1886) mais aussi d’écrin pour la fabuleuse collection qu’il rassemble ; des sculptures égyptiennes, des tableaux anciens (Poussin, Greco, Chardin, Delacroix), mais aussi des modernes (Corot, plus de 50, Daumier, Millet, Degas, Monet, Renoir, Manet, etc.) … et même un superbe Gauguin, Nave nave, Mahana (1896) (Lyon, musée des beaux-arts). Rappelons également qu’Henri fut en 1890, avec Degas, Caillebotte et Mallarmé, parmi les donateurs qui permirent l’entrée de l’Olympia (1863) (Paris, Musée d’Orsay) de Manet dans les musées nationaux. Les catalogues de ses deux ventes après décès de 1912, préfacés par Arsène Alexandre, comptent 582 numéros dont la dispersion rapporte alors près de 6 millions de francs ! Ce produit constitue le 2ème plus important résultat de la première moitié du XXe siècle avec la vente de la collection des œuvres du XVIIIe siècle appartenant au couturier Jacques Doucet.
Les cinq enfants d’Henri connaissent chacun un destin en relation avec les arts ; Hélène s’adonne à la peinture dans la propriété familiale de La-Queue-en-Brie ; Alexis, collectionneur de livres précieux, ami fidèle de Francis Poulenc, mécène de nombreux musiciens. Eugène, qui épouse Yvonne Lerolle et dont Maurice Denis fait un magnifique portrait aujourd’hui au musée d’Orsay, entretient une étroite amitié avec André Gide, mais aussi avec Paul Valéry. Louis, qui épouse Christine Lerolle, devient l’un des plus importants éditeurs de son temps mais écrit aussi en 1941 de magnifiques pages sur Berthe Morisot. Ernest enfin, qui épouse Julie Manet, devient, sous la houlette de Degas qui le considère comme son fils, un peintre de talent. Il fut aussi un très bon organisateur d’expositions, ainsi celle du centenaire de Manet à l’Orangerie en 1932, celle consacrée à Degas en 1937 et à Berthe Morisot en 1941. C’est d’Ernest Rouart, de cette prestigieuse et très directe origine, que proviennent les œuvres ici présentées.
« J’admirais, je vénérais en Monsieur (Henri) Rouart la plénitude d’une carrière dans laquelle presque toutes les vertus du caractère et de l’esprit se trouvaient composées. Ni l’ambition, ni l’envie, ni la soif de paraître ne l’ont tourmenté. Il n’aimait que les vraies valeurs qu’il pouvait apprécier dans plus d’un domaine. Le même homme qui fut des premiers amateurs de son temps, qui goûta, qui acquit prématurément les ouvrages des Millet, des Corot, des Daumier, des Manet - et du Greco, devait sa fortune à ses constructions de mécanique, à ses inventions qu’il menait de la théorie pure à la technique et de la technique à l’état industriel [...]. Je dirais seulement que je le place parmi les hommes qui ont fait impression sur mon esprit. »
Paul Valéry, Degas, danse, dessin, Paris, 1934.
Édouard Manet sous le charme des Morisot
A l’évidence, les fées des beaux-arts se penchèrent sur le berceau de Berthe Morisot ! Son père Tiburce, qui étudie à l’École des beaux-arts et voyage en Italie et en Grèce, cultive avec bienveillance le goût de ses deux filles, Edma et Berthe, pour la peinture. Berthe, qui perfectionne ses études sur nature avec Corot, travaille en plein air à Auvers-sur-Oise, et rencontre Daubigny, Daumier, et Guillemet l’ami de Cézanne et de Zola. Elle participe surtout à la 1ère exposition de groupe des impressionnistes en 1874 dans l’atelier du photographe Nadar. C’est lors de cette exposition que le journaliste Louis Leroy, passant devant Impression soleil levant (1874) (Paris, musée Marmottan) de Claude Monet baptisera ces peintres du nom d’impressionnistes.
Les circonstances de la rencontre entre Édouard Manet et Berthe Morisot sont, à elles seules, romanesques ; Fantin-Latour, qui connait, comme Félix Bracquemond, Berthe Morisot depuis 1860 environ, lui présente Manet en 1867, à l’occasion de la copie d’une œuvre de Rubens que la jeune peintre effectue au Musée du Louvre. Les deux sœurs Morisot, Edma et Berthe, deviennent des habituées des soirées du jeudi chez les Manet, où se pressent les artistes les plus en vue de Paris ; l’écrivain Émile Zola, le peintre Edgar Degas, le poète et inventeur Charles Cros, le musicien Emmanuel Chabrier. Manet, qui trouve les « demoiselles Morisot [...]charmantes » (Lettre à Fantin-Latour, 26 août 1868), représente Berthe pour la première fois dans Le Balcon (1868-1869) (Paris, musée d’Orsay) ; Berthe rapporte que, lorsque le tableau fut présenté au Salon de 1869, certains curieux parlèrent à son propos de « femme fatale ». Manet, à l’évidence sous le charme de Berthe, jouant habilement de la rivalité avec la peintre Eva Gonzalès, multiplie l’année suivante les séances de pose pour réaliser Le Repos. Portrait de Berthe Morisot (1870) (Providence, Museum of Art). Le dialogue sera désormais ininterrompu entre les deux peintres, d’autant plus que Berthe épouse, le 22 décembre 1874, son frère Eugène Manet ; du tableau Berthe Morisot au Bouquet de violettes (1872) (Paris, musée d’Orsay) aux nombreuses aquarelles et lithographies qu’il fait d’elle, les représentations que Manet fait de Berthe, constituent une sorte de journal de leurs relations mutuelles.
Gilles Genty, historien de l'art.
Rouart: a legendary name!
The Rouart family holds an indisputably central place among the very first collectors of Impressionist art who played a critical role in helping the movement blossom. The story began with Henri Rouart (1833-1912), who met Degas in the halls of the prestigious Louis-Le-Grand high school in Paris. In 1853 he was admitted to École Polytechnique, then in 1860 he turned to manufacturing. He formed a partnership with Jean-Baptiste Java Mignon (1824-1894), an engineer at Arts et Métiers, with whom he developed electrical, refrigeration and telegraphic facilities. The following year he married Hélène Jacob Desmalter, a descendant of the celebrated cabinetmakers who had worked for Louis XV, Louis XVI and Napoleon I. Henri dabbled in painting in his spare time, enjoying tips from his friend Corot and working alongside Jean-François Millet at Barbizon. His residence at 34 and 36 Rue de Lisbonne in Paris served as a studio (his work was shown at the Paris Salons from 1868 to 1872 and at the Impressionist Exhibitions every year from 1876 to 1886 ‒ except 1882). The home doubled as a showcase for the wonderful collection he assembled: Egyptian sculptures, classic canvases (Poussin, Greco, Chardin, Delacroix) and modern paintings (more than 50 by Corot, as well as Daumier, Millet, Degas, Monet, Renoir, Manet, etc.) and even a superb Gauguin, Nave nave, Mahana (1896) (Lyon, Musée des Beaux-Arts). It should also be recalled that in 1890, Henri, along with Degas, Caillebotte and Mallarmé, were part of the group of donors who made it possible to add Manet’s Olympia (1863) (Paris, Musée d’Orsay) to the holdings of the national museum network. The catalogues of the two estate sales held after his death in 1912 (with prefaces written by Arsène Alexandre) identified 582 items that garnered nearly 6 million francs at the time. That sum was the second-highest total in the first half of the 20th century, behind the sale of couturier Jacques Doucet’s collection of 18th works.
Each of Henri’s five children led lives that were intertwined with the arts. Hélène devoted herself to painting on the family estate at La-Queue-en-Brie; Alexis was a collector of rare books, a loyal friend of Francis Poulenc and a patron to several musicians. Eugène, who married Yvonne Lerolle, was depicted in a splendid portrait by Maurice Denis that now belongs to the Musée d’Orsay. He was also a close friend of André Gide and Paul Valéry. Louis, who married Christine Lerolle, became one of the most important publishers of his era and in 1941 wrote brilliantly about Berthe Morisot. Finally, Ernest, who married Julie Manet, became a talented painter in his own right, under the tutelage of Degas who treated him like a son. He was also a skilled organiser of exhibitions, including Manet’s 100th birthday retrospective at the Orangerie in 1932 and shows dedicated to Degas in 1937 and Berthe Morisot in 1941. The works presented come from the prestigious and directly sourced collection of Ernest Rouart.
“In Mr (Henri) Rouart, I admired ‒ I venerated ‒ the richness of a career in which nearly all the virtues of character and mind were engaged. He was never troubled by the ambition, desire or thirst to be seen any particular way. He loved only the most authentically valuable things which he could detect in more than one field. The same man who was among the first connoisseurs of his time, who tasted and who was an early buyer of the works of Millet, Corot, Daumier, Manet and the like ‒ and of El Greco ‒ owed his fortune to mechanical constructions and to his inventions which he developed from pure theory to technique and from technique to industrial scale [...]. I would simply say that I view him as one of the men who made an impression on my mind.”
Paul Valéry, Degas, danse, dessin, Paris, 1934.
Édouard Manet under the spell of the Morisot sisters
Clearly, the muses of the visual arts visited the cradle of Berthe Morisot. Her father Tiburce, who studied at École des Beaux-Arts and travelled in Greece and Italy, graciously cultivated the taste of his two daughters, Edma and Berthe, for painting. Berthe, who perfected her nature studies with Corot, worked on plein air painting at Auvers-sur-Oise and met Daubigny, Daumier and Guillemet, a friend of Cézanne and Zola. Most significantly, she took part in the First Impressionist Exhibition in 1874 held in the studio of the photographer Nadar. It was at this exhibition that journalist Louis Leroy, upon seeing Claude Monet’s Impression soleil levant (1874) (Paris, Musée Marmottan) dubbed the group the Impressionists.
The circumstances of the first meeting of Édouard Manet and Berthe Morisot alone are worthy of a novel: Fantin-Latour who, like Félix Bracquemond, had known Berthe Morisot since around 1860, introduced her to Manet in 1867, when the young woman was painting a copy of a Rubens at the Musée du Louvre. The two Morisot sisters, Edma and Berthe, became regular attendees of the Thursday evening gatherings at the Manet home, which was frequented by the best known artists of Paris, including writer Émile Zola, painter Edgar Degas, poet and inventor Charles Cros and musician Emmanuel Chabrier. Manet, who found the “young Morisot ladies [...] charming” (letter to Fantin-Latour, 26 August 1868), depicted Berthe for the first time in Le Balcon (1868-1869) (Paris, Musée d’Orsay); Berthe recounted that when the canvas was presented at the 1869 Salon, some nosy observers spoke of her as a “femme fatale”. Manet, clearly sensitive to the charms of Berthe and artfully played up the rivalry between her and painter Eva Gonzalès, arranged several sittings the next year to create Le Repos. Portrait de Berthe Morisot (1870) (Providence, Museum of Art). The dialogue between the two artists would continue uninterrupted, all the more so when Berthe married his brother, Eugène Manet, on 22 December 1874. From the canvas Berthe Morisot au Bouquet de violettes (1872) (Paris, Musée d’Orsay) to the many watercolours and lithographs he made of her, Manet’s portrayals of Berthe form a kind of diary of their relationship.
Gilles Genty, Art historian.
" Le buste et le bas-relief qu'on lui doit ne sont-ils pas d'un sentiment presque clodionesque ? Et plus généralement, n'est-ce pas au XVIIIe siècle que s'illustrèrent ces miniaturistes, ces pastellistes, véritables aïeuls de l'impressionnisme, qui surent juxtaposer les tons contrastés et tirer de leur mélange optique de prodigieux effets "
C. Roger Marx, 1896, cité in Martigny, op. cit., p. 414.
Berthe s’intéresse à toutes les techniques ; exposant chez Georges Petit en 1887 son Buste de Julie Manet (1886) en plâtre, Monet, très admiratif de cette « femme charmante et d’un grand talent […] très artiste » (cité in C. Monet, Letter adressed to Auguste Rodin, 4 mars 1887), lui propose de le fondre en bronze et, pour se faire, d’intervenir auprès de Rodin auquel il écrit immédiatement. Si les œuvres réalisées dans sa jeunesse au contact du sculpteur Aimé Millet (qui représente en 1864 Berthe dans un médaillon destiné à orner un immeuble parisien) n’ont pas été conservées, La Toilette (1894) montre que Berthe avait une belle maîtrise de cette technique. Rappelons également que Berthe était l’amie de la duchesse Colonna, qui fit une belle carrière de sculpteur sous Napoléon III, sous le pseudonyme de Marcello. Ce bas-relief est la transposition en étain d’une sculpture en plâtre, elle-même inspirée d’un tableau intitulée Le Bain. Tirée par Siot-Decauville à un seul exemplaire, elle est remarquée par Roger Marx dans La Revue encyclopédique lors de son exposition en 1896 chez Durand-Ruel, qui évoque à son propos l’œuvre de Clodion, le grand sculpteur du XVIIIème siècle. Loin d’être une matière secondaire, l’étain est alors privilégié par plusieurs artistes contemporains, en témoigne l’œuvre d’Alexandre Charpentier (1856-1909).
Présente dès l’époque dans les plus grandes collections privées, Berthe Morisot, qui fut avec Pissarro l’une des plus fidèles participantes des expositions du groupe des impressionnistes, eut, de son vivant, les honneurs des cimaises des musées. Théodore Duret, qui lui consacre un chapitre entier dans son Histoire des peintres impressionnistes parue en 1939, raconte comment sa Jeune femme en toilette de bal (1879) (Paris, musée d’Orsay), acquise par le peintre italien Giuseppe de Nittis à la 5ème exposition de groupe, fut rachetée par lui à sa propre vente en 1894 pour être ensuite cédée à l’État et placée au Musée du Luxembourg. L’année suivante, à la suite de son décès le 2 mars 1895, Julie, Degas, Monet et Renoir organisent du 5 au 23 mars 1896 une grande exposition rétrospective de ses œuvres chez Durand-Ruel à Paris, accrochant notamment à ses murs l’Autoportrait avec Julie (1887) (lot 206) et La Toilette (1894) que nous présentons. Mallarmé, dont la correspondance avec Berthe est toujours empreinte d’émotion et d’affection, maintenant devenu tuteur de Julie, en écrit la préface dans laquelle il parlera à son propos d’une « magicienne », de « féérie », de « sortilèges » ; comme si, par-delà les sujets de ses peintures, demeurait, essentielle, sa poésie !
Gilles Genty, historien de l'art.
" Aren't the bust and bas-relief that she did almost Clodionesque? And more generally, wasn't it during the 18th Century that the miniaturists and pastel artists, who are the true ancestors of Impressionism, knew how to juxtapose contrasting tones, and from their optical mix obtain prodigious effects?"
C. Roger Marx, 1896 quoted in, op. cit., p. 414.
Berthe took an interest in all techniques. When she showed her plaster Buste de Julie Manet (1886) at Georges Petit in 1887, Monet expressed real admiration for this “charming woman and a great talent […] very artistic” (quoted in C. Monet, Letter adressed to Auguste Rodin, 4 March 1887), and suggested casting it in bronze and, to expedite the process, he wrote directly to Rodin. Although the works she created in her youth when she was close to sculptor Aimé Millet (who depicted Berthe in 1864 in a medallion designed for the interior of a Parisian apartment building) were not preserved, La Toilette (1894) shows that Berthe was beautifully adept in the medium. One should also bear in mind that Berthe was friends with Duchess Colonna, who pursued a successful career as a sculptor under Napoleon III, using the pseudonym Marcello. This bas-relief is a transposition to pewter of a plaster sculpture that was itself inspired by a painting called Le Bain. Made in just one copy by Siot-Decauville, it was noted by Roger Marx in La Revue encyclopédique during the 1896 exhibition at Durand-Ruel. When describing the work, he referenced Clodion, the great 18th century sculptor. Far from being a second-tier material, pewter was favoured by several contemporary artists, as evidenced by the work of Alexandre Charpentier (1856-1909).
The art of Berthe Morisot is held in the biggest private collections. Along with Pissarro, she was one of the most faithful participants in the impressionists’ exhibitions and she was honoured with hangings in museums during her lifetime. Théodore Duret, who devoted a whole chapter to her in his Histoire des peintres impressionnistes (published in 1939), related how her Jeune femme en toilette de bal (1879) (Paris, Musée d’Orsay) was acquired by the Italian painter Giuseppe de Nittis at the Fifth Impressionist Exhibition, then purchased by himself at his own sale in 1894 before being transferred to the government and entrusted to the Musée du Luxembourg. The next year, following her death on 2 March 1895, Julie, Degas, Monet and Renoir organised a major retrospective of her work. Held from 5 to 23 March 1896 at Durand-Ruel in Paris, it notably included the Autoportrait avec Julie (1887) (lot 206) and La Toilette (1894) which we are presenting. Mallarmé, whose correspondence with Berthe was always steeped in emotion and affection, became Berthe’s guardian. In the preface to the exhibition, he spoke of Berthe using words like “magician”, “enchantment” and “spells” as if what remained ‒ beyond the subjects of her paintings ‒ was the essential poetry of her work.
Gilles Genty, Art historian.
Rouart ; un nom mythique !
Dans le cercle des tout premiers collectionneurs de l’Impressionnisme, dont le rôle fut si important dans l’éclosion du mouvement, la famille Rouart occupe assurément une place essentielle. L’histoire commence avec Henri Rouart (1833-1912) qui rencontre Degas sur les bancs du prestigieux lycée Louis-le-Grand à Paris. Reçu en 1853 à l’École Polytechnique, il s’oriente dès 1860 vers l’industrie en s’associant à Jean-Baptiste Java Mignon (1824-1894), ingénieur des Arts et Métiers, avec lequel il développe des installations électriques, frigorifiques et télégraphiques. Marié l’année suivante avec Hélène Jacob Desmalter, descendante des célèbres ébénistes ayant travaillé pour Louis XV, Louis XVI et Napoléon Ier, Henri s’adonne, à ses heures perdues à la peinture ; Il reçoit les conseils de Corot, qui devient son ami, et peint à Barbizon aux côtés de Jean-François Millet. Son hôtel particulier des 34 et 36 rue de Lisbonne à Paris lui sert d’atelier (il expose aux Salons de 1868 à 1872 et, sauf en 1882, aux expositions de groupe des impressionnistes de 1876 à 1886) mais aussi d’écrin pour la fabuleuse collection qu’il rassemble ; des sculptures égyptiennes, des tableaux anciens (Poussin, Greco, Chardin, Delacroix), mais aussi des modernes (Corot, plus de 50, Daumier, Millet, Degas, Monet, Renoir, Manet, etc.) … et même un superbe Gauguin, Nave nave, Mahana (1896) (Lyon, musée des beaux-arts). Rappelons également qu’Henri fut en 1890, avec Degas, Caillebotte et Mallarmé, parmi les donateurs qui permirent l’entrée de l’Olympia (1863) (Paris, Musée d’Orsay) de Manet dans les musées nationaux. Les catalogues de ses deux ventes après décès de 1912, préfacés par Arsène Alexandre, comptent 582 numéros dont la dispersion rapporte alors près de 6 millions de francs ! Ce produit constitue le 2ème plus important résultat de la première moitié du XXe siècle avec la vente de la collection des œuvres du XVIIIe siècle appartenant au couturier Jacques Doucet.
Les cinq enfants d’Henri connaissent chacun un destin en relation avec les arts ; Hélène s’adonne à la peinture dans la propriété familiale de La-Queue-en-Brie ; Alexis, collectionneur de livres précieux, ami fidèle de Francis Poulenc, mécène de nombreux musiciens. Eugène, qui épouse Yvonne Lerolle et dont Maurice Denis fait un magnifique portrait aujourd’hui au musée d’Orsay, entretient une étroite amitié avec André Gide, mais aussi avec Paul Valéry. Louis, qui épouse Christine Lerolle, devient l’un des plus importants éditeurs de son temps mais écrit aussi en 1941 de magnifiques pages sur Berthe Morisot. Ernest enfin, qui épouse Julie Manet, devient, sous la houlette de Degas qui le considère comme son fils, un peintre de talent. Il fut aussi un très bon organisateur d’expositions, ainsi celle du centenaire de Manet à l’Orangerie en 1932, celle consacrée à Degas en 1937 et à Berthe Morisot en 1941. C’est d’Ernest Rouart, de cette prestigieuse et très directe origine, que proviennent les œuvres ici présentées.
« J’admirais, je vénérais en Monsieur (Henri) Rouart la plénitude d’une carrière dans laquelle presque toutes les vertus du caractère et de l’esprit se trouvaient composées. Ni l’ambition, ni l’envie, ni la soif de paraître ne l’ont tourmenté. Il n’aimait que les vraies valeurs qu’il pouvait apprécier dans plus d’un domaine. Le même homme qui fut des premiers amateurs de son temps, qui goûta, qui acquit prématurément les ouvrages des Millet, des Corot, des Daumier, des Manet - et du Greco, devait sa fortune à ses constructions de mécanique, à ses inventions qu’il menait de la théorie pure à la technique et de la technique à l’état industriel [...]. Je dirais seulement que je le place parmi les hommes qui ont fait impression sur mon esprit. »
Paul Valéry, Degas, danse, dessin, Paris, 1934.
Édouard Manet sous le charme des Morisot
A l’évidence, les fées des beaux-arts se penchèrent sur le berceau de Berthe Morisot ! Son père Tiburce, qui étudie à l’École des beaux-arts et voyage en Italie et en Grèce, cultive avec bienveillance le goût de ses deux filles, Edma et Berthe, pour la peinture. Berthe, qui perfectionne ses études sur nature avec Corot, travaille en plein air à Auvers-sur-Oise, et rencontre Daubigny, Daumier, et Guillemet l’ami de Cézanne et de Zola. Elle participe surtout à la 1ère exposition de groupe des impressionnistes en 1874 dans l’atelier du photographe Nadar. C’est lors de cette exposition que le journaliste Louis Leroy, passant devant Impression soleil levant (1874) (Paris, musée Marmottan) de Claude Monet baptisera ces peintres du nom d’impressionnistes.
Les circonstances de la rencontre entre Édouard Manet et Berthe Morisot sont, à elles seules, romanesques ; Fantin-Latour, qui connait, comme Félix Bracquemond, Berthe Morisot depuis 1860 environ, lui présente Manet en 1867, à l’occasion de la copie d’une œuvre de Rubens que la jeune peintre effectue au Musée du Louvre. Les deux sœurs Morisot, Edma et Berthe, deviennent des habituées des soirées du jeudi chez les Manet, où se pressent les artistes les plus en vue de Paris ; l’écrivain Émile Zola, le peintre Edgar Degas, le poète et inventeur Charles Cros, le musicien Emmanuel Chabrier. Manet, qui trouve les « demoiselles Morisot [...]charmantes » (Lettre à Fantin-Latour, 26 août 1868), représente Berthe pour la première fois dans Le Balcon (1868-1869) (Paris, musée d’Orsay) ; Berthe rapporte que, lorsque le tableau fut présenté au Salon de 1869, certains curieux parlèrent à son propos de « femme fatale ». Manet, à l’évidence sous le charme de Berthe, jouant habilement de la rivalité avec la peintre Eva Gonzalès, multiplie l’année suivante les séances de pose pour réaliser Le Repos. Portrait de Berthe Morisot (1870) (Providence, Museum of Art). Le dialogue sera désormais ininterrompu entre les deux peintres, d’autant plus que Berthe épouse, le 22 décembre 1874, son frère Eugène Manet ; du tableau Berthe Morisot au Bouquet de violettes (1872) (Paris, musée d’Orsay) aux nombreuses aquarelles et lithographies qu’il fait d’elle, les représentations que Manet fait de Berthe, constituent une sorte de journal de leurs relations mutuelles.
Gilles Genty, historien de l'art.
Rouart: a legendary name!
The Rouart family holds an indisputably central place among the very first collectors of Impressionist art who played a critical role in helping the movement blossom. The story began with Henri Rouart (1833-1912), who met Degas in the halls of the prestigious Louis-Le-Grand high school in Paris. In 1853 he was admitted to École Polytechnique, then in 1860 he turned to manufacturing. He formed a partnership with Jean-Baptiste Java Mignon (1824-1894), an engineer at Arts et Métiers, with whom he developed electrical, refrigeration and telegraphic facilities. The following year he married Hélène Jacob Desmalter, a descendant of the celebrated cabinetmakers who had worked for Louis XV, Louis XVI and Napoleon I. Henri dabbled in painting in his spare time, enjoying tips from his friend Corot and working alongside Jean-François Millet at Barbizon. His residence at 34 and 36 Rue de Lisbonne in Paris served as a studio (his work was shown at the Paris Salons from 1868 to 1872 and at the Impressionist Exhibitions every year from 1876 to 1886 ‒ except 1882). The home doubled as a showcase for the wonderful collection he assembled: Egyptian sculptures, classic canvases (Poussin, Greco, Chardin, Delacroix) and modern paintings (more than 50 by Corot, as well as Daumier, Millet, Degas, Monet, Renoir, Manet, etc.) and even a superb Gauguin, Nave nave, Mahana (1896) (Lyon, Musée des Beaux-Arts). It should also be recalled that in 1890, Henri, along with Degas, Caillebotte and Mallarmé, were part of the group of donors who made it possible to add Manet’s Olympia (1863) (Paris, Musée d’Orsay) to the holdings of the national museum network. The catalogues of the two estate sales held after his death in 1912 (with prefaces written by Arsène Alexandre) identified 582 items that garnered nearly 6 million francs at the time. That sum was the second-highest total in the first half of the 20th century, behind the sale of couturier Jacques Doucet’s collection of 18th works.
Each of Henri’s five children led lives that were intertwined with the arts. Hélène devoted herself to painting on the family estate at La-Queue-en-Brie; Alexis was a collector of rare books, a loyal friend of Francis Poulenc and a patron to several musicians. Eugène, who married Yvonne Lerolle, was depicted in a splendid portrait by Maurice Denis that now belongs to the Musée d’Orsay. He was also a close friend of André Gide and Paul Valéry. Louis, who married Christine Lerolle, became one of the most important publishers of his era and in 1941 wrote brilliantly about Berthe Morisot. Finally, Ernest, who married Julie Manet, became a talented painter in his own right, under the tutelage of Degas who treated him like a son. He was also a skilled organiser of exhibitions, including Manet’s 100th birthday retrospective at the Orangerie in 1932 and shows dedicated to Degas in 1937 and Berthe Morisot in 1941. The works presented come from the prestigious and directly sourced collection of Ernest Rouart.
“In Mr (Henri) Rouart, I admired ‒ I venerated ‒ the richness of a career in which nearly all the virtues of character and mind were engaged. He was never troubled by the ambition, desire or thirst to be seen any particular way. He loved only the most authentically valuable things which he could detect in more than one field. The same man who was among the first connoisseurs of his time, who tasted and who was an early buyer of the works of Millet, Corot, Daumier, Manet and the like ‒ and of El Greco ‒ owed his fortune to mechanical constructions and to his inventions which he developed from pure theory to technique and from technique to industrial scale [...]. I would simply say that I view him as one of the men who made an impression on my mind.”
Paul Valéry, Degas, danse, dessin, Paris, 1934.
Édouard Manet under the spell of the Morisot sisters
Clearly, the muses of the visual arts visited the cradle of Berthe Morisot. Her father Tiburce, who studied at École des Beaux-Arts and travelled in Greece and Italy, graciously cultivated the taste of his two daughters, Edma and Berthe, for painting. Berthe, who perfected her nature studies with Corot, worked on plein air painting at Auvers-sur-Oise and met Daubigny, Daumier and Guillemet, a friend of Cézanne and Zola. Most significantly, she took part in the First Impressionist Exhibition in 1874 held in the studio of the photographer Nadar. It was at this exhibition that journalist Louis Leroy, upon seeing Claude Monet’s Impression soleil levant (1874) (Paris, Musée Marmottan) dubbed the group the Impressionists.
The circumstances of the first meeting of Édouard Manet and Berthe Morisot alone are worthy of a novel: Fantin-Latour who, like Félix Bracquemond, had known Berthe Morisot since around 1860, introduced her to Manet in 1867, when the young woman was painting a copy of a Rubens at the Musée du Louvre. The two Morisot sisters, Edma and Berthe, became regular attendees of the Thursday evening gatherings at the Manet home, which was frequented by the best known artists of Paris, including writer Émile Zola, painter Edgar Degas, poet and inventor Charles Cros and musician Emmanuel Chabrier. Manet, who found the “young Morisot ladies [...] charming” (letter to Fantin-Latour, 26 August 1868), depicted Berthe for the first time in Le Balcon (1868-1869) (Paris, Musée d’Orsay); Berthe recounted that when the canvas was presented at the 1869 Salon, some nosy observers spoke of her as a “femme fatale”. Manet, clearly sensitive to the charms of Berthe and artfully played up the rivalry between her and painter Eva Gonzalès, arranged several sittings the next year to create Le Repos. Portrait de Berthe Morisot (1870) (Providence, Museum of Art). The dialogue between the two artists would continue uninterrupted, all the more so when Berthe married his brother, Eugène Manet, on 22 December 1874. From the canvas Berthe Morisot au Bouquet de violettes (1872) (Paris, Musée d’Orsay) to the many watercolours and lithographs he made of her, Manet’s portrayals of Berthe form a kind of diary of their relationship.
Gilles Genty, Art historian.
" Le buste et le bas-relief qu'on lui doit ne sont-ils pas d'un sentiment presque clodionesque ? Et plus généralement, n'est-ce pas au XVIIIe siècle que s'illustrèrent ces miniaturistes, ces pastellistes, véritables aïeuls de l'impressionnisme, qui surent juxtaposer les tons contrastés et tirer de leur mélange optique de prodigieux effets "
C. Roger Marx, 1896, cité in Martigny, op. cit., p. 414.
Berthe s’intéresse à toutes les techniques ; exposant chez Georges Petit en 1887 son Buste de Julie Manet (1886) en plâtre, Monet, très admiratif de cette « femme charmante et d’un grand talent […] très artiste » (cité in C. Monet, Letter adressed to Auguste Rodin, 4 mars 1887), lui propose de le fondre en bronze et, pour se faire, d’intervenir auprès de Rodin auquel il écrit immédiatement. Si les œuvres réalisées dans sa jeunesse au contact du sculpteur Aimé Millet (qui représente en 1864 Berthe dans un médaillon destiné à orner un immeuble parisien) n’ont pas été conservées, La Toilette (1894) montre que Berthe avait une belle maîtrise de cette technique. Rappelons également que Berthe était l’amie de la duchesse Colonna, qui fit une belle carrière de sculpteur sous Napoléon III, sous le pseudonyme de Marcello. Ce bas-relief est la transposition en étain d’une sculpture en plâtre, elle-même inspirée d’un tableau intitulée Le Bain. Tirée par Siot-Decauville à un seul exemplaire, elle est remarquée par Roger Marx dans La Revue encyclopédique lors de son exposition en 1896 chez Durand-Ruel, qui évoque à son propos l’œuvre de Clodion, le grand sculpteur du XVIIIème siècle. Loin d’être une matière secondaire, l’étain est alors privilégié par plusieurs artistes contemporains, en témoigne l’œuvre d’Alexandre Charpentier (1856-1909).
Présente dès l’époque dans les plus grandes collections privées, Berthe Morisot, qui fut avec Pissarro l’une des plus fidèles participantes des expositions du groupe des impressionnistes, eut, de son vivant, les honneurs des cimaises des musées. Théodore Duret, qui lui consacre un chapitre entier dans son Histoire des peintres impressionnistes parue en 1939, raconte comment sa Jeune femme en toilette de bal (1879) (Paris, musée d’Orsay), acquise par le peintre italien Giuseppe de Nittis à la 5ème exposition de groupe, fut rachetée par lui à sa propre vente en 1894 pour être ensuite cédée à l’État et placée au Musée du Luxembourg. L’année suivante, à la suite de son décès le 2 mars 1895, Julie, Degas, Monet et Renoir organisent du 5 au 23 mars 1896 une grande exposition rétrospective de ses œuvres chez Durand-Ruel à Paris, accrochant notamment à ses murs l’Autoportrait avec Julie (1887) (lot 206) et La Toilette (1894) que nous présentons. Mallarmé, dont la correspondance avec Berthe est toujours empreinte d’émotion et d’affection, maintenant devenu tuteur de Julie, en écrit la préface dans laquelle il parlera à son propos d’une « magicienne », de « féérie », de « sortilèges » ; comme si, par-delà les sujets de ses peintures, demeurait, essentielle, sa poésie !
Gilles Genty, historien de l'art.
" Aren't the bust and bas-relief that she did almost Clodionesque? And more generally, wasn't it during the 18th Century that the miniaturists and pastel artists, who are the true ancestors of Impressionism, knew how to juxtapose contrasting tones, and from their optical mix obtain prodigious effects?"
C. Roger Marx, 1896 quoted in, op. cit., p. 414.
Berthe took an interest in all techniques. When she showed her plaster Buste de Julie Manet (1886) at Georges Petit in 1887, Monet expressed real admiration for this “charming woman and a great talent […] very artistic” (quoted in C. Monet, Letter adressed to Auguste Rodin, 4 March 1887), and suggested casting it in bronze and, to expedite the process, he wrote directly to Rodin. Although the works she created in her youth when she was close to sculptor Aimé Millet (who depicted Berthe in 1864 in a medallion designed for the interior of a Parisian apartment building) were not preserved, La Toilette (1894) shows that Berthe was beautifully adept in the medium. One should also bear in mind that Berthe was friends with Duchess Colonna, who pursued a successful career as a sculptor under Napoleon III, using the pseudonym Marcello. This bas-relief is a transposition to pewter of a plaster sculpture that was itself inspired by a painting called Le Bain. Made in just one copy by Siot-Decauville, it was noted by Roger Marx in La Revue encyclopédique during the 1896 exhibition at Durand-Ruel. When describing the work, he referenced Clodion, the great 18th century sculptor. Far from being a second-tier material, pewter was favoured by several contemporary artists, as evidenced by the work of Alexandre Charpentier (1856-1909).
The art of Berthe Morisot is held in the biggest private collections. Along with Pissarro, she was one of the most faithful participants in the impressionists’ exhibitions and she was honoured with hangings in museums during her lifetime. Théodore Duret, who devoted a whole chapter to her in his Histoire des peintres impressionnistes (published in 1939), related how her Jeune femme en toilette de bal (1879) (Paris, Musée d’Orsay) was acquired by the Italian painter Giuseppe de Nittis at the Fifth Impressionist Exhibition, then purchased by himself at his own sale in 1894 before being transferred to the government and entrusted to the Musée du Luxembourg. The next year, following her death on 2 March 1895, Julie, Degas, Monet and Renoir organised a major retrospective of her work. Held from 5 to 23 March 1896 at Durand-Ruel in Paris, it notably included the Autoportrait avec Julie (1887) (lot 206) and La Toilette (1894) which we are presenting. Mallarmé, whose correspondence with Berthe was always steeped in emotion and affection, became Berthe’s guardian. In the preface to the exhibition, he spoke of Berthe using words like “magician”, “enchantment” and “spells” as if what remained ‒ beyond the subjects of her paintings ‒ was the essential poetry of her work.
Gilles Genty, Art historian.