拍品专文
« Papa » Cézanne, qui avait voulu « étonner Paris avec une pomme », est déjà une figure légendaire lorsqu' Alberto Giacometti débarque dans la capitale française en 1922. Les [...] fruits que l'artiste suisse dispose soigneusement dans Pommes témoignent de ses affinités profondes avec le maître aixois qui lui avait « appris que seule une fidélité absolue à l'expérience visuelle et psychique, aussi surprenante ou imprévisible soit-elle, peut faire l'intégrité d'une œuvre d'art » (cité in Giacometti: A Biography, New York, 1983, p. 104).
En 1936, Giacometti répond présent aux rétrospectives organisées à Paris et à Bâle à l'occasion du trentenaire de la mort de Cézanne. Son biographe James Lord nous apprend aussi qu'avec le recul, le peintre-sculpteur aurait admis avoir « passé la guerre à méditer sur les ambitions et les exploits de Cézanne » (cité in Giacometti: A Biography, New York, 1983, p. 229).
Cette nature morte tardive dans laquelle figurent des pommes déployées sur une table rappelle l'une des œuvres les plus magistrales de Giacometti, Pomme sur un buffet, que l'artiste réalisa dans sa maison familiale de Maloja pendant l'été 1937. À ce stade, il avait déjà renoncé aux objets oniriques qui avaient habité ses travaux du début des années 1930. Il venait aussi de mettre un terme à sa collaboration avec André Breton et les surréalistes et avait recommencé à peindre d'après nature. Désormais, les leçons tirées de l'approche de Cézanne lui offraient un prisme à travers lequel il allait pouvoir examiner de près le rapport entre les objets dans l'espace et leur représentation sur la surface peinte.
Ayant négligé ses pinceaux pendant sept ans, lorsque Giacometti reprend la peinture en 1945, son véritable sujet d'étude devient la tridimensionnalité de l'espace, cette présence incolore et immatérielle qui sépare et enveloppe les objets qu'elle contient. C'est dans cet esprit qu'il va appréhender son travail pictural jusqu'à la fin de sa carrière. Le présent tableau, exécuté en 1958, perpétue la veine minimaliste qui avait régi ses natures mortes antérieures. Six pommes y sont minutieusement installées sur une assiette, devant un bouquet de roses à peine suggéré qui semble presque se dissoudre dans l'arrière-plan. La réalité que Giacometti donne à voir est insaisissable et éphémère. Les objets épars qui délimitent l'ensemble contribuent à une expérience sensitive, un jeu d'apparitions qui vont, viennent et s'estompent à l'épreuve du regard. Omniprésent, le fond gris est mis au service non pas de l'atmosphère, mais de la forme et des reflets des objets, insinués par un ensemble indéfini de lignes qui grouillent et tranchent avec le jaune-rouge éclatant des pommes et des fleurs.
La tension entre la forme et l'espace que font naître ces éléments issus de l'atelier de Giacometti renvoie à l'expérience phénoménologique de l'artiste-spectateur ; conscient de sa subjectivité, le peintre nous plonge ici dans son propre vécu d'observateur. Giacometti, qui fréquente Sartre et Beckett dans le Paris d'après-guerre, comprend pleinement la nature de l'existentialisme, ce besoin fondamental de donner un sens à sa vie, de savoir se raccrocher à l'existence quand la réalité devient trop incertaine. « Le plus éphémère, ce ne sont pas les fleurs [d'une nature morte] mais nous, et le tableau, affirme-t-il. Les fleurs continuent de pousser tranquillement, et leur mélancolie n'a rien à voir avec nos idées noires. Oui, c'est vrai – pour les gens aussi, la vie continue, comme pour les fleurs ; mais ce n'est jamais tout à fait pareil ; les gens peignent des tableaux, c'est pour cela que pour eux, tout est différent » (cité in R. Hohl, éd., Giacometti: A Biography in Pictures, Stuttgart, 1998, p. 159).
Already a legendary figure when Giacometti first arrived in Paris in 1922, "Papa" Cézanne famously declared that he would astonish the city with an apple. Alberto Giacometti's [...] carefully arranged apples in Pommes reveal his profound link to the master, who "had taught him that only absolute fidelity to psychic and visual experience, however surprising or unpredictable, can mark an artistic work with integrity" (quoted in Giacometti: A Biography, New York, 1983, p. 104).
Giacometti had seen the exhibitions held in Paris and Basel in 1936 to honor the thirtieth anniversary of Cézanne’s death. And we know from his biographer James Lord, that Giacometti acknowledged in retrospect that he had "spent the war years meditating on Cézanne's ambitions and achievements" (quoted in Giacometti: A Biography, New York, 1983, p. 229).
This late still-life of apples set on a table-top recalls one of the most important pictures in all of Giacometti's oeuvre, Pomme sur un buffet, which the artist painted in his family's home in Majola during the summer of 1937. At this stage, Giacometti had already decided he would no longer paint the dream objects which had pre-occupied him in the early 1930s, and had recently ended his association with André Breton and the Surrealists. He was working again from life, and the lessons he drew from Cézanne's painting provided him with a crucial conceptual framework for observing the relationships between objects in space and their rendering on the picture plane.
When Giacometti resumed painting in 1945 after a seven-year hiatus, his real subject was the three dimensions of space, colorless and insubstantial, that asserted its presence between and around the objects it contained. He would continue in this vain for the remainder of his career. Our picture, which was painted in 1958, retains the guiding minimalist spirit that informed the artist’s earlier still lives. In Pommes, there are six apples carefully arranged on a plate and the suggestion of a bouquet of roses receding into the background. This reality is elusive and transient. The sundry objects that demarcate space in the present painting facilitate the experience of sensation, of appearances that endure and disperse in the act of observation. The ubiquitous gray background suggests not atmospheric moodiness but the shapes and lights of the objects, active within a framework of conceptual lines that contrasts with the glowing yellow-red of the apples and flowers.
The tension between form and space in these objects culled from his atelier reflects the phenomenological experience of the artist-viewer, raised to a new self-awareness through subjective experience. Giacometti, an intimate of Sartre and Beckett in postwar Paris, understood the nature of existentialism and its imperatives to create meaning in one's own life and to embrace existence when reality becomes uncertain. Giacometti stated, "The most transitory things are not the flowers [for a still life] but us and the painting. The flowers continue growing undisturbed, and their melancholy has nothing in common with our black thoughts Yes, it does - for people, life keeps going on, too, just as for flowers; they're never exactly the same; but people paint pictures, that's why everything's different for them" (quoted in R. Hohl, ed., Giacometti: A Biography in Pictures, Stuttgart, 1998, p. 159).
En 1936, Giacometti répond présent aux rétrospectives organisées à Paris et à Bâle à l'occasion du trentenaire de la mort de Cézanne. Son biographe James Lord nous apprend aussi qu'avec le recul, le peintre-sculpteur aurait admis avoir « passé la guerre à méditer sur les ambitions et les exploits de Cézanne » (cité in Giacometti: A Biography, New York, 1983, p. 229).
Cette nature morte tardive dans laquelle figurent des pommes déployées sur une table rappelle l'une des œuvres les plus magistrales de Giacometti, Pomme sur un buffet, que l'artiste réalisa dans sa maison familiale de Maloja pendant l'été 1937. À ce stade, il avait déjà renoncé aux objets oniriques qui avaient habité ses travaux du début des années 1930. Il venait aussi de mettre un terme à sa collaboration avec André Breton et les surréalistes et avait recommencé à peindre d'après nature. Désormais, les leçons tirées de l'approche de Cézanne lui offraient un prisme à travers lequel il allait pouvoir examiner de près le rapport entre les objets dans l'espace et leur représentation sur la surface peinte.
Ayant négligé ses pinceaux pendant sept ans, lorsque Giacometti reprend la peinture en 1945, son véritable sujet d'étude devient la tridimensionnalité de l'espace, cette présence incolore et immatérielle qui sépare et enveloppe les objets qu'elle contient. C'est dans cet esprit qu'il va appréhender son travail pictural jusqu'à la fin de sa carrière. Le présent tableau, exécuté en 1958, perpétue la veine minimaliste qui avait régi ses natures mortes antérieures. Six pommes y sont minutieusement installées sur une assiette, devant un bouquet de roses à peine suggéré qui semble presque se dissoudre dans l'arrière-plan. La réalité que Giacometti donne à voir est insaisissable et éphémère. Les objets épars qui délimitent l'ensemble contribuent à une expérience sensitive, un jeu d'apparitions qui vont, viennent et s'estompent à l'épreuve du regard. Omniprésent, le fond gris est mis au service non pas de l'atmosphère, mais de la forme et des reflets des objets, insinués par un ensemble indéfini de lignes qui grouillent et tranchent avec le jaune-rouge éclatant des pommes et des fleurs.
La tension entre la forme et l'espace que font naître ces éléments issus de l'atelier de Giacometti renvoie à l'expérience phénoménologique de l'artiste-spectateur ; conscient de sa subjectivité, le peintre nous plonge ici dans son propre vécu d'observateur. Giacometti, qui fréquente Sartre et Beckett dans le Paris d'après-guerre, comprend pleinement la nature de l'existentialisme, ce besoin fondamental de donner un sens à sa vie, de savoir se raccrocher à l'existence quand la réalité devient trop incertaine. « Le plus éphémère, ce ne sont pas les fleurs [d'une nature morte] mais nous, et le tableau, affirme-t-il. Les fleurs continuent de pousser tranquillement, et leur mélancolie n'a rien à voir avec nos idées noires. Oui, c'est vrai – pour les gens aussi, la vie continue, comme pour les fleurs ; mais ce n'est jamais tout à fait pareil ; les gens peignent des tableaux, c'est pour cela que pour eux, tout est différent » (cité in R. Hohl, éd., Giacometti: A Biography in Pictures, Stuttgart, 1998, p. 159).
Already a legendary figure when Giacometti first arrived in Paris in 1922, "Papa" Cézanne famously declared that he would astonish the city with an apple. Alberto Giacometti's [...] carefully arranged apples in Pommes reveal his profound link to the master, who "had taught him that only absolute fidelity to psychic and visual experience, however surprising or unpredictable, can mark an artistic work with integrity" (quoted in Giacometti: A Biography, New York, 1983, p. 104).
Giacometti had seen the exhibitions held in Paris and Basel in 1936 to honor the thirtieth anniversary of Cézanne’s death. And we know from his biographer James Lord, that Giacometti acknowledged in retrospect that he had "spent the war years meditating on Cézanne's ambitions and achievements" (quoted in Giacometti: A Biography, New York, 1983, p. 229).
This late still-life of apples set on a table-top recalls one of the most important pictures in all of Giacometti's oeuvre, Pomme sur un buffet, which the artist painted in his family's home in Majola during the summer of 1937. At this stage, Giacometti had already decided he would no longer paint the dream objects which had pre-occupied him in the early 1930s, and had recently ended his association with André Breton and the Surrealists. He was working again from life, and the lessons he drew from Cézanne's painting provided him with a crucial conceptual framework for observing the relationships between objects in space and their rendering on the picture plane.
When Giacometti resumed painting in 1945 after a seven-year hiatus, his real subject was the three dimensions of space, colorless and insubstantial, that asserted its presence between and around the objects it contained. He would continue in this vain for the remainder of his career. Our picture, which was painted in 1958, retains the guiding minimalist spirit that informed the artist’s earlier still lives. In Pommes, there are six apples carefully arranged on a plate and the suggestion of a bouquet of roses receding into the background. This reality is elusive and transient. The sundry objects that demarcate space in the present painting facilitate the experience of sensation, of appearances that endure and disperse in the act of observation. The ubiquitous gray background suggests not atmospheric moodiness but the shapes and lights of the objects, active within a framework of conceptual lines that contrasts with the glowing yellow-red of the apples and flowers.
The tension between form and space in these objects culled from his atelier reflects the phenomenological experience of the artist-viewer, raised to a new self-awareness through subjective experience. Giacometti, an intimate of Sartre and Beckett in postwar Paris, understood the nature of existentialism and its imperatives to create meaning in one's own life and to embrace existence when reality becomes uncertain. Giacometti stated, "The most transitory things are not the flowers [for a still life] but us and the painting. The flowers continue growing undisturbed, and their melancholy has nothing in common with our black thoughts Yes, it does - for people, life keeps going on, too, just as for flowers; they're never exactly the same; but people paint pictures, that's why everything's different for them" (quoted in R. Hohl, ed., Giacometti: A Biography in Pictures, Stuttgart, 1998, p. 159).