拍品专文
Ce rare bureau en contre-partie, attribué à l’ébéniste du roi André-Charles Boulle et provenant de la mythique collection Mentmore, est à rapprocher d’un bureau avec serre-papier et pendule en première partie sur fond bleu attribué à Boulle qui fit partie du stock du marchand Claude-François Julliot. Ce dernier fut vendu dans la vente du stock qui suivit le décès de Mme Julliot le 20 novembre 1777 :
711. Un bureau de Boule, serre-papiers & pendule, mouvement fait par Neveu, dans sa boîte ; le tout première partie, sur un fond bleu ; le bureau a trois tiroirs, a huit pieds, forme de pilastre, contournés du haut avec entre-jambes cintrées de chaque côté, sortant des pieds, se réunissant à un autre pied rentrant en dessous & servant de support ; il est enrichi de carderon, de mascarons de différents caractères, de pieds de biche sur le haut des pieds, de cadres et autres accessoires ; le serre-papiers est à six pilastres aussi enrichi de cadres, moulures de mascaron, rosettes & de pieds carrés à feuilles en voussure, & la boite de la pendule est terminée du haut d’une lampe antique ornée de chaque côté de mascarons, guirlandes de laurier, supportée par une tige de bronze doré, accompagnées de deux figures de bronze, assises & penchées, caractérisant la France & l’Afrique, placées sur un pied cintré à deux panneaux de marqueterie à mosaïques, séparés dans le milieu par un carré fond bleu, relevé d’un médaillon à sujet de quatre enfants, à bas-relief, occupés à la géométrie, avec socle carré long en ébène à moulures, à oves & avant-corps à cannelures ; le tout de bronze doré, longueur du bureau 6 pieds sur 32 pouces de large, hauteur 29 pouces.
Toutefois, les piétements des deux meubles diffèrent : le présent exemplaire comporte douze pilastres, tandis que le meuble de la vente Julliot en comportait seulement dix. Ce dernier se reconnait dans un bureau qui appartenait à la galerie Cameron, Londres, vers 1950-1960. La comparaison de ces deux bureaux révèle que notre exemplaire à douze pilastres est sans doute conforme à l’état d’origine produit par André-Charles Boulle, et permet d’imaginer les modifications apportées par le marchand Julliot avant 1770 sur l’autre exemplaire. En supprimant deux pilastres, il aurait également adapté son cartonnier et sa pendule (aujourd’hui à la Galerie Kugel) pour créer un meuble nouveau caractéristique du Boulle revival des années 1760-70 dont le marchand Claude-François Julliot se fit une spécialité. Il semblerait que Julliot soit possiblement également intervenu sur le bureau Mentmore en y ajoutant deux urnes du début de l’époque néoclassique sur les entretoises et en rehaussant légèrement la hauteur du plateau. Les pilastres courbés finement plaqués de cuivre, d’étain, et de corne à l’imitation du lapis lazui sont quant à eux bien liés à l’œuvre d’André-Charles Boulle et sont comparables aux piètements de cabinets par le célèbre ébéniste tel que celui conservé au musée du Louvres (inv. OA5452). Les masques de satyre de bronze doré, dont certains fondus à la cire perdue, sont eux aussi caractéristiques de son œuvre.
Alors que le meuble de Mentmore est unique, celui de la vente Julliot suscita au moins deux copies qui semblent avoir été faites en Angleterre au cours du XIXe siècle:
- Vente Christie’s New York, 9 novembre 2012, lot 220 ; provenant du California Palace of the Legion of Honor, San Francisco, donné par Archer Huntington (1870-1955). Ce bureau attribué à Blake fut présenté par la suite chez Sotheby’s (Londres, 5 juillet 2017, lot 43) comme celui provenant des collections Rothschild à Halton House qui fut vendu chez Christie’s en 1946. Ce dernier fut donné par Archer Huntington au musée californien en 1926 et doit ainsi provenir d’une autre collection.
- Vente de la succession de Susan S. Dillon, Sotheby's New York le 24 octobre 2019, lot 675 ; ce modèle est similaire au précèdent mais avec une barre reliant les deux entretoises, et proviendrait possiblement de Halton house.
Un troisième exemplaire, lui en contre-partie, fut vendu par Knight Frank & Rutley, le 29 juin 1922 lot 86 : celui-ci semble le modèle de ce type le plus complet avec une vase central sur l’entretoise, et est vraisemblablement un modèle du XVIIIe siècle probablement par Julliot.
COLLECTION MENTMORE
Perdu dans la compagne anglaise du Buckinghamshire, le château de Mentmore Towers est construit à partir de 1850 pour le banquier Mayer Amschel de Rothschild (1818-1874), fils du fondateur de la branche anglaise de la famille Rothschild, par l’architecte Joseph Paxton auteur du célèbre Crystal Palace et plus tard du château de Ferrières pour le baron James de Rothschild. Plus grande propriété de la famille Rothschild en Angleterre, le château présente tous les aménagements et conforts modernes de l’époque : grand hall central, verrière, baies vitrées et chauffage central. L’auteur féminin Lady Eastlake se croit dans un monde féérique alors qu’elle pénètre dans le château pour la première fois en 1872, à la vue des immenses tapisseries, des tapis perses recouvrant le parquet.
Fille unique et par conséquent plus riche héritière du royaume, Hannah (1851-1890) épouse en 1878 le 5th Earl of Rosebery, Archibald Primrose, futur Premier ministre britannique (1894-1895). Le château revient à l’un de leurs quatre enfants, Albert Edward Harry Meyer Archibald Primrose, 6th Earl of Roseberg (1882-1974).
Grand joueur de cricket, homme politique libéral, il est élu membre de la Royal Society of Edinburgh en 1938. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il est nommé par Churchill membre du Conseil privé et secrétaire d’Etat pour l’Ecosse. La durée éphémère de ce gouvernement (1945) lui fera dire au moment de son départ Well. I didn’t make a bad job of this, did I ? Didn’t have the time. Il est par ailleurs promu en 1947 par le roi George VI Chevalier de l’Ordre du Chardon. Puis assure la présidence du Parti Libéral National de 1945 à 1957 ainsi que celle de la Commission royale des Beaux-Arts pour l’Ecosse en 1952. Il décède en 1974 à Mentmore.
La décision est prise de disperser le contenu du château en 1977. La vacation est mémorable et est considérée comme la vente du siècle. Elle est ponctuée par le meilleur du XVIIIe siècle français énumérant lot après lot les plus grands maîtres de la peinture et des arts décoratifs comme Boucher, Reynolds, Gainsborough, Riesener, Cressent, Oeben ou encore Bernard van Riesenburgh.
LA PROVENANCE DU CHÂTEAU DE NEUILLY
Dans le catalogue des collections Mentmore de 1884, le bureau provenait des collections du roi Louis-Philippe au château de Neuilly et aurait été acquis en 1853 par le baron Mayer-Amschel de Rothschild au prix de £ 85. Cette provenance royale est plausible à plusieurs égards. L’année d’acquisition de 1853 correspond à celles des trois ventes des collections du roi Louis-Philippe réalisées chez Christie’s à Londres, essentiellement de tableaux, qui laissent suggérer que le contenu mobilier provenant de ses résidences privées, telles que Neuilly ou Eu, aurait également été sur le marché cette même année. Le domaine de Neuilly fut acquis par Louis Philippe d'Orléans en 1818. Il le fait réaménager sous la direction de l'architecte Pierre François Fontaine mais à la chute de la monarchie de Juillet, le château est en partie incendié mais une partie de son contenu fut sauvé. Il se peut que ce bureau ait été ainsi conservé dans les collections du roi qui migra en Angleterre après son abdication en 1848. Il est intéressant de noter qu’en 1977, le cuir recouvrant le dessus du bureau (depuis changé) était frappé aux angles de ‘L’ surmonté d’une couronne indiquant une provenance royale.
Louis-Philippe semble avoir été lui-même un amateur de mobilier Boulle bien que la plupart des meubles de ce type qui se trouvaient dans les palais royaux (Tuileries, Saint-Cloud, Fontainebleau) à son avènement s'y trouvaient déjà sous le Consulat et le Premier Empire. Ils provenaient presque exclusivement du Musée central des Arts (Louvre) et auparavant des saisies opérées dans les maisons des émigrés pendant la Révolution. Le modèle et la qualité de ceux qui sont conservés permettent de les rattacher, dans la majorité des cas, à la production d'André-Charles Boulle lui-même et de son atelier. Pendant la monarchie de Juillet, certains de ces meubles exposés dans la galerie de Saint-Cloud ont été modifiés, dans un souci d'uniformisation. D'autre part la collection s'est enrichie par quelques nouveaux envois du musée du Louvre, par des acquisitions de meubles anciens en marqueterie de cuivre et écaille, sans nécessairement de lien avec l'œuvre du maître, ou encore par la confection de copies de meubles préexistants, destinées à compléter des ensembles. Les ducs d'Orléans et de Nemours, fils du roi, participèrent à ce mouvement d'intérêt pour le mobilier Boulle. Après le décès de son fils ainé Ferdinand-Philippe, son épouse la duchesse Hélène Louise Élisabeth d’Orléans vendit en 1853 (18 janvier) sa collection de tableaux ; à cette vente était joint des meubles Boule anciens non décrits.
This rare contre-partie bureau, attributed to the king's cabinetmaker André-Charles Boulle and coming from the famous Mentmore collection, can be compared with a bureau with a serre-papier and a clock ‘en première partie sur fond bleu’ attributed to Boulle, which was part of the stock of the dealer Claude-François Julliot. This last was sold in the sale of the stock that followed the death of Mme Julliot on 20 November 1777:
"711. A Boulle bureau, serre-papiers & clock, whose movement was made by Neveu, in a case; the whole first part on a blue background; the bureau has three drawers, eight legs, has the form of a pilaster, contoured from the top with stretchers arched on each side, coming out of the legs, joining to another leg coming in underneath & serving as a support; it is enriched with quarter round, mascarons of different characters, doe's feet on the top of the legs, frames and other accessories; the serre-papiers has six pilasters also enriched with frames, mascaron mouldings, rosettes & square feet with arched leaves, & the clock case is finished at the top with an antique lamp decorated on each side with mascarons and laurel garlands, supported by a gilt bronze stem, and accompanied by two bronze figures, seated & leaning, representing France & Africa, placed on a curved base with two mosaic marquetry panels, separated in the middle by a square blue background, with a medallion depicting four children, in bas-relief, engaged in geometry, with a long square ebony base with mouldings, oves & fluted front; all in gilt bronze, the length of the bureau is 6 feet by 32 inches wide, the height, 29 inches".
However, the bases of the two pieces of furniture are different: the present example has twelve pilasters, while the piece presented at the Julliot sale had only ten. The latter can be seen in a bureau that belonged to the Cameron Gallery, London, circa 1950⁄1960 (see illustration). A comparison of these two bureaus shows that our example with twelve pilasters is probably the original one produced by André-Charles Boulle, and allows us to envisage the modifications made by the dealer Julliot before 1770 on the other example. By removing two pilasters, he would also have adapted his cartonnier and clock (now with the Galerie Kugel) to create a new piece of furniture that typified the "Boulle revival" of the 1760s and 70s, of which the dealer Claude-François Julliot was a specialist. It seems that Julliot may also have intervened on the Mentmore bureau by adding two early neoclassical urns on the braces and by slightly raising the height of the top. The curved pilasters, finely plated with copper, pewter and horn in imitation of lapis lazuli, are closely linked to the work of André-Charles Boulle and are similar to the bases of cabinets made by the famous cabinetmaker, such as the one kept in the Louvre Museum (inv. OA5452). The gilt bronze satyr masks, some of which have been cast using the lost-wax technique, are also characteristic of his work.
While the Mentmore piece is unique, the Julliot piece was the subject of at least two copies that appear to have been made in England during the 19th century:
Christie's New York sale, 9 November 2012, lot 220; from the California Palace of the Legion of Honor, San Francisco, donated by Archer Huntington (1870-1955). This bureau, attributed to Blake, was later presented at Sotheby's (5 July 2017, lot 43) as the one from the Rothschild collections at Halton House, which was sold at Christie's in 1946. However, the latter was donated by Archer Huntington to the California Museum in 1926 and must therefore have come from another collection.
Sale from the Estate of Susan S. Dillon, New York, 24 October 2019, lot 675; this model is similar to the previous one but with a bar connecting the two braces. It may have come from Halton House.
A third, contre-partie, example was sold by Knight Frank & Rutley on 29 June 1922, lot 86: this appears to be the most complete model of this type, with a central vase on the brace, and is probably an 18th century model, probably by Julliot.
MENTMORE COLLECTION
Nestling in the English countryside of Buckinghamshire, Mentmore Towers was built from 1850 onwards for the banker Mayer Amschel de Rothschild (1818-1874), the son of the founder of the English branch of the Rothschild family. It was designed by the architect Joseph Paxton, who also designed the famous Crystal Palace and, later, Château de Ferrières for Baron James de Rothschild. The largest property of the Rothschild family in England, the great mansion was endowed with all the modern amenities and comforts of the time: a central Grand Hall, glass roof, bay windows and central heating. When the author Lady Eastlake first stepped into the mansion in 1872, she felt as if she were in a "fairy-tale world" when she saw the huge "tapestries, and the Persian carpets covering the floor".
In 1878, Hannah (1851-1890), the only daughter and hence the wealthiest heiress in the kingdom, married the 5th Earl of Rosebery, Archibald Primrose, the future British Prime Minister (1894-1895). The estate passed to one of their four children, Albert Edward Harry Meyer Archibald Primrose, 6th Earl of Rosebery (1882-1974).
A great cricketer and a liberal politician, Albert was elected a Fellow of the Royal Society of Edinburgh in 1938. At the end of the Second World War, he was appointed by Churchill to the Privy Council and made Secretary of State for Scotland. The short duration of this government (1945) led him to say at the time of his departure: "Well. I didn't make a bad job of this, did I? Didn't have the time.” In 1947, he was also made a Knight of the Order of the Thistle by King George VI. He was President of the National Liberal Party from 1945 to 1957, and Chairman of the Royal Fine Art Commission for Scotland in 1952. He died at Mentmore in 1974.
In 1977 the decision was taken to sell the contents of the house. The sale was a memorable one and was considered "the sale of the century". It was marked by the best of the French 18th century, and listed lot after lot of the greatest masters of painting and decorative arts, including Boucher, Reynolds, Gainsborough, Riesener, Cressent, Oeben and Bernard van Riesenburgh.
CHÂTEAU DE NEUILLY PROVENANCE
According to the 1977 Mentmore catalogue sale, the bureau came from the collections of King Louis-Philippe at the Château de Neuilly and was acquired in 1853 by Baron Mayer Amschel de Rothschild for £85. This royal provenance is plausible on several grounds. In 1853, the year the bureau was acquired, Christie's in London held three sales of King Louis-Philippe's collections, mainly of paintings, which suggests that the furniture from his private residences, such as Neuilly or Eu, would also have been on the market that year. The Neuilly estate had been acquired by Louis Philippe d'Orléans in 1818. He had it transformed under the direction of the architect Pierre François Fontaine but when the July Monarchy fell, most of the château was burned down. Some of its contents were saved. It is possible that this bureau was thus preserved in the collections of the King, who migrated to England after his abdication in 1848. It is interesting to note that in 1977 the leather covering the top of the bureau (since changed) was stamped at the corners with an ‘L’ surmounted by a crown, indicating a royal provenance.
Louis-Philippe himself seems to have been a lover of Boulle furniture, although most of the furniture of this type that was in the royal palaces (Tuileries, Saint-Cloud, Fontainebleau) at his accession was already there under the Consulate and the First French Empire. It came almost exclusively from the Musée Central des Arts (Louvre) and, before that, from seizures made at the homes of emigrants during the Revolution. The model and quality of the surviving pieces allow them to be linked, in most cases, to the production of André-Charles Boulle himself and his workshop. During the July Monarchy, some of the furniture on display in the Saint-Cloud Galerie was modified in an attempt to standardise it. At the same time, the collection was enriched by a few new pieces sent by the Louvre Museum, by acquisitions of antique furniture with copper and tortoiseshell marquetry, not necessarily linked to the master's work, and by the making of copies of existing pieces of furniture designed to complete sets. The Dukes of Orléans and of Nemours, sons of the King, shared in this growing interest in Boulle furniture. After the death of King Louis Philippe’s eldest son Ferdinand-Philippe, the latter's wife, Duchess Helene Luise Elisabeth d'Orléans, sold his collection of paintings in 1853 (18 January); this sale included "antique Boule furniture" for which no description was provided.
711. Un bureau de Boule, serre-papiers & pendule, mouvement fait par Neveu, dans sa boîte ; le tout première partie, sur un fond bleu ; le bureau a trois tiroirs, a huit pieds, forme de pilastre, contournés du haut avec entre-jambes cintrées de chaque côté, sortant des pieds, se réunissant à un autre pied rentrant en dessous & servant de support ; il est enrichi de carderon, de mascarons de différents caractères, de pieds de biche sur le haut des pieds, de cadres et autres accessoires ; le serre-papiers est à six pilastres aussi enrichi de cadres, moulures de mascaron, rosettes & de pieds carrés à feuilles en voussure, & la boite de la pendule est terminée du haut d’une lampe antique ornée de chaque côté de mascarons, guirlandes de laurier, supportée par une tige de bronze doré, accompagnées de deux figures de bronze, assises & penchées, caractérisant la France & l’Afrique, placées sur un pied cintré à deux panneaux de marqueterie à mosaïques, séparés dans le milieu par un carré fond bleu, relevé d’un médaillon à sujet de quatre enfants, à bas-relief, occupés à la géométrie, avec socle carré long en ébène à moulures, à oves & avant-corps à cannelures ; le tout de bronze doré, longueur du bureau 6 pieds sur 32 pouces de large, hauteur 29 pouces.
Toutefois, les piétements des deux meubles diffèrent : le présent exemplaire comporte douze pilastres, tandis que le meuble de la vente Julliot en comportait seulement dix. Ce dernier se reconnait dans un bureau qui appartenait à la galerie Cameron, Londres, vers 1950-1960. La comparaison de ces deux bureaux révèle que notre exemplaire à douze pilastres est sans doute conforme à l’état d’origine produit par André-Charles Boulle, et permet d’imaginer les modifications apportées par le marchand Julliot avant 1770 sur l’autre exemplaire. En supprimant deux pilastres, il aurait également adapté son cartonnier et sa pendule (aujourd’hui à la Galerie Kugel) pour créer un meuble nouveau caractéristique du Boulle revival des années 1760-70 dont le marchand Claude-François Julliot se fit une spécialité. Il semblerait que Julliot soit possiblement également intervenu sur le bureau Mentmore en y ajoutant deux urnes du début de l’époque néoclassique sur les entretoises et en rehaussant légèrement la hauteur du plateau. Les pilastres courbés finement plaqués de cuivre, d’étain, et de corne à l’imitation du lapis lazui sont quant à eux bien liés à l’œuvre d’André-Charles Boulle et sont comparables aux piètements de cabinets par le célèbre ébéniste tel que celui conservé au musée du Louvres (inv. OA5452). Les masques de satyre de bronze doré, dont certains fondus à la cire perdue, sont eux aussi caractéristiques de son œuvre.
Alors que le meuble de Mentmore est unique, celui de la vente Julliot suscita au moins deux copies qui semblent avoir été faites en Angleterre au cours du XIXe siècle:
- Vente Christie’s New York, 9 novembre 2012, lot 220 ; provenant du California Palace of the Legion of Honor, San Francisco, donné par Archer Huntington (1870-1955). Ce bureau attribué à Blake fut présenté par la suite chez Sotheby’s (Londres, 5 juillet 2017, lot 43) comme celui provenant des collections Rothschild à Halton House qui fut vendu chez Christie’s en 1946. Ce dernier fut donné par Archer Huntington au musée californien en 1926 et doit ainsi provenir d’une autre collection.
- Vente de la succession de Susan S. Dillon, Sotheby's New York le 24 octobre 2019, lot 675 ; ce modèle est similaire au précèdent mais avec une barre reliant les deux entretoises, et proviendrait possiblement de Halton house.
Un troisième exemplaire, lui en contre-partie, fut vendu par Knight Frank & Rutley, le 29 juin 1922 lot 86 : celui-ci semble le modèle de ce type le plus complet avec une vase central sur l’entretoise, et est vraisemblablement un modèle du XVIIIe siècle probablement par Julliot.
COLLECTION MENTMORE
Perdu dans la compagne anglaise du Buckinghamshire, le château de Mentmore Towers est construit à partir de 1850 pour le banquier Mayer Amschel de Rothschild (1818-1874), fils du fondateur de la branche anglaise de la famille Rothschild, par l’architecte Joseph Paxton auteur du célèbre Crystal Palace et plus tard du château de Ferrières pour le baron James de Rothschild. Plus grande propriété de la famille Rothschild en Angleterre, le château présente tous les aménagements et conforts modernes de l’époque : grand hall central, verrière, baies vitrées et chauffage central. L’auteur féminin Lady Eastlake se croit dans un monde féérique alors qu’elle pénètre dans le château pour la première fois en 1872, à la vue des immenses tapisseries, des tapis perses recouvrant le parquet.
Fille unique et par conséquent plus riche héritière du royaume, Hannah (1851-1890) épouse en 1878 le 5th Earl of Rosebery, Archibald Primrose, futur Premier ministre britannique (1894-1895). Le château revient à l’un de leurs quatre enfants, Albert Edward Harry Meyer Archibald Primrose, 6th Earl of Roseberg (1882-1974).
Grand joueur de cricket, homme politique libéral, il est élu membre de la Royal Society of Edinburgh en 1938. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il est nommé par Churchill membre du Conseil privé et secrétaire d’Etat pour l’Ecosse. La durée éphémère de ce gouvernement (1945) lui fera dire au moment de son départ Well. I didn’t make a bad job of this, did I ? Didn’t have the time. Il est par ailleurs promu en 1947 par le roi George VI Chevalier de l’Ordre du Chardon. Puis assure la présidence du Parti Libéral National de 1945 à 1957 ainsi que celle de la Commission royale des Beaux-Arts pour l’Ecosse en 1952. Il décède en 1974 à Mentmore.
La décision est prise de disperser le contenu du château en 1977. La vacation est mémorable et est considérée comme la vente du siècle. Elle est ponctuée par le meilleur du XVIIIe siècle français énumérant lot après lot les plus grands maîtres de la peinture et des arts décoratifs comme Boucher, Reynolds, Gainsborough, Riesener, Cressent, Oeben ou encore Bernard van Riesenburgh.
LA PROVENANCE DU CHÂTEAU DE NEUILLY
Dans le catalogue des collections Mentmore de 1884, le bureau provenait des collections du roi Louis-Philippe au château de Neuilly et aurait été acquis en 1853 par le baron Mayer-Amschel de Rothschild au prix de £ 85. Cette provenance royale est plausible à plusieurs égards. L’année d’acquisition de 1853 correspond à celles des trois ventes des collections du roi Louis-Philippe réalisées chez Christie’s à Londres, essentiellement de tableaux, qui laissent suggérer que le contenu mobilier provenant de ses résidences privées, telles que Neuilly ou Eu, aurait également été sur le marché cette même année. Le domaine de Neuilly fut acquis par Louis Philippe d'Orléans en 1818. Il le fait réaménager sous la direction de l'architecte Pierre François Fontaine mais à la chute de la monarchie de Juillet, le château est en partie incendié mais une partie de son contenu fut sauvé. Il se peut que ce bureau ait été ainsi conservé dans les collections du roi qui migra en Angleterre après son abdication en 1848. Il est intéressant de noter qu’en 1977, le cuir recouvrant le dessus du bureau (depuis changé) était frappé aux angles de ‘L’ surmonté d’une couronne indiquant une provenance royale.
Louis-Philippe semble avoir été lui-même un amateur de mobilier Boulle bien que la plupart des meubles de ce type qui se trouvaient dans les palais royaux (Tuileries, Saint-Cloud, Fontainebleau) à son avènement s'y trouvaient déjà sous le Consulat et le Premier Empire. Ils provenaient presque exclusivement du Musée central des Arts (Louvre) et auparavant des saisies opérées dans les maisons des émigrés pendant la Révolution. Le modèle et la qualité de ceux qui sont conservés permettent de les rattacher, dans la majorité des cas, à la production d'André-Charles Boulle lui-même et de son atelier. Pendant la monarchie de Juillet, certains de ces meubles exposés dans la galerie de Saint-Cloud ont été modifiés, dans un souci d'uniformisation. D'autre part la collection s'est enrichie par quelques nouveaux envois du musée du Louvre, par des acquisitions de meubles anciens en marqueterie de cuivre et écaille, sans nécessairement de lien avec l'œuvre du maître, ou encore par la confection de copies de meubles préexistants, destinées à compléter des ensembles. Les ducs d'Orléans et de Nemours, fils du roi, participèrent à ce mouvement d'intérêt pour le mobilier Boulle. Après le décès de son fils ainé Ferdinand-Philippe, son épouse la duchesse Hélène Louise Élisabeth d’Orléans vendit en 1853 (18 janvier) sa collection de tableaux ; à cette vente était joint des meubles Boule anciens non décrits.
This rare contre-partie bureau, attributed to the king's cabinetmaker André-Charles Boulle and coming from the famous Mentmore collection, can be compared with a bureau with a serre-papier and a clock ‘en première partie sur fond bleu’ attributed to Boulle, which was part of the stock of the dealer Claude-François Julliot. This last was sold in the sale of the stock that followed the death of Mme Julliot on 20 November 1777:
"711. A Boulle bureau, serre-papiers & clock, whose movement was made by Neveu, in a case; the whole first part on a blue background; the bureau has three drawers, eight legs, has the form of a pilaster, contoured from the top with stretchers arched on each side, coming out of the legs, joining to another leg coming in underneath & serving as a support; it is enriched with quarter round, mascarons of different characters, doe's feet on the top of the legs, frames and other accessories; the serre-papiers has six pilasters also enriched with frames, mascaron mouldings, rosettes & square feet with arched leaves, & the clock case is finished at the top with an antique lamp decorated on each side with mascarons and laurel garlands, supported by a gilt bronze stem, and accompanied by two bronze figures, seated & leaning, representing France & Africa, placed on a curved base with two mosaic marquetry panels, separated in the middle by a square blue background, with a medallion depicting four children, in bas-relief, engaged in geometry, with a long square ebony base with mouldings, oves & fluted front; all in gilt bronze, the length of the bureau is 6 feet by 32 inches wide, the height, 29 inches".
However, the bases of the two pieces of furniture are different: the present example has twelve pilasters, while the piece presented at the Julliot sale had only ten. The latter can be seen in a bureau that belonged to the Cameron Gallery, London, circa 1950⁄1960 (see illustration). A comparison of these two bureaus shows that our example with twelve pilasters is probably the original one produced by André-Charles Boulle, and allows us to envisage the modifications made by the dealer Julliot before 1770 on the other example. By removing two pilasters, he would also have adapted his cartonnier and clock (now with the Galerie Kugel) to create a new piece of furniture that typified the "Boulle revival" of the 1760s and 70s, of which the dealer Claude-François Julliot was a specialist. It seems that Julliot may also have intervened on the Mentmore bureau by adding two early neoclassical urns on the braces and by slightly raising the height of the top. The curved pilasters, finely plated with copper, pewter and horn in imitation of lapis lazuli, are closely linked to the work of André-Charles Boulle and are similar to the bases of cabinets made by the famous cabinetmaker, such as the one kept in the Louvre Museum (inv. OA5452). The gilt bronze satyr masks, some of which have been cast using the lost-wax technique, are also characteristic of his work.
While the Mentmore piece is unique, the Julliot piece was the subject of at least two copies that appear to have been made in England during the 19th century:
Christie's New York sale, 9 November 2012, lot 220; from the California Palace of the Legion of Honor, San Francisco, donated by Archer Huntington (1870-1955). This bureau, attributed to Blake, was later presented at Sotheby's (5 July 2017, lot 43) as the one from the Rothschild collections at Halton House, which was sold at Christie's in 1946. However, the latter was donated by Archer Huntington to the California Museum in 1926 and must therefore have come from another collection.
Sale from the Estate of Susan S. Dillon, New York, 24 October 2019, lot 675; this model is similar to the previous one but with a bar connecting the two braces. It may have come from Halton House.
A third, contre-partie, example was sold by Knight Frank & Rutley on 29 June 1922, lot 86: this appears to be the most complete model of this type, with a central vase on the brace, and is probably an 18th century model, probably by Julliot.
MENTMORE COLLECTION
Nestling in the English countryside of Buckinghamshire, Mentmore Towers was built from 1850 onwards for the banker Mayer Amschel de Rothschild (1818-1874), the son of the founder of the English branch of the Rothschild family. It was designed by the architect Joseph Paxton, who also designed the famous Crystal Palace and, later, Château de Ferrières for Baron James de Rothschild. The largest property of the Rothschild family in England, the great mansion was endowed with all the modern amenities and comforts of the time: a central Grand Hall, glass roof, bay windows and central heating. When the author Lady Eastlake first stepped into the mansion in 1872, she felt as if she were in a "fairy-tale world" when she saw the huge "tapestries, and the Persian carpets covering the floor".
In 1878, Hannah (1851-1890), the only daughter and hence the wealthiest heiress in the kingdom, married the 5th Earl of Rosebery, Archibald Primrose, the future British Prime Minister (1894-1895). The estate passed to one of their four children, Albert Edward Harry Meyer Archibald Primrose, 6th Earl of Rosebery (1882-1974).
A great cricketer and a liberal politician, Albert was elected a Fellow of the Royal Society of Edinburgh in 1938. At the end of the Second World War, he was appointed by Churchill to the Privy Council and made Secretary of State for Scotland. The short duration of this government (1945) led him to say at the time of his departure: "Well. I didn't make a bad job of this, did I? Didn't have the time.” In 1947, he was also made a Knight of the Order of the Thistle by King George VI. He was President of the National Liberal Party from 1945 to 1957, and Chairman of the Royal Fine Art Commission for Scotland in 1952. He died at Mentmore in 1974.
In 1977 the decision was taken to sell the contents of the house. The sale was a memorable one and was considered "the sale of the century". It was marked by the best of the French 18th century, and listed lot after lot of the greatest masters of painting and decorative arts, including Boucher, Reynolds, Gainsborough, Riesener, Cressent, Oeben and Bernard van Riesenburgh.
CHÂTEAU DE NEUILLY PROVENANCE
According to the 1977 Mentmore catalogue sale, the bureau came from the collections of King Louis-Philippe at the Château de Neuilly and was acquired in 1853 by Baron Mayer Amschel de Rothschild for £85. This royal provenance is plausible on several grounds. In 1853, the year the bureau was acquired, Christie's in London held three sales of King Louis-Philippe's collections, mainly of paintings, which suggests that the furniture from his private residences, such as Neuilly or Eu, would also have been on the market that year. The Neuilly estate had been acquired by Louis Philippe d'Orléans in 1818. He had it transformed under the direction of the architect Pierre François Fontaine but when the July Monarchy fell, most of the château was burned down. Some of its contents were saved. It is possible that this bureau was thus preserved in the collections of the King, who migrated to England after his abdication in 1848. It is interesting to note that in 1977 the leather covering the top of the bureau (since changed) was stamped at the corners with an ‘L’ surmounted by a crown, indicating a royal provenance.
Louis-Philippe himself seems to have been a lover of Boulle furniture, although most of the furniture of this type that was in the royal palaces (Tuileries, Saint-Cloud, Fontainebleau) at his accession was already there under the Consulate and the First French Empire. It came almost exclusively from the Musée Central des Arts (Louvre) and, before that, from seizures made at the homes of emigrants during the Revolution. The model and quality of the surviving pieces allow them to be linked, in most cases, to the production of André-Charles Boulle himself and his workshop. During the July Monarchy, some of the furniture on display in the Saint-Cloud Galerie was modified in an attempt to standardise it. At the same time, the collection was enriched by a few new pieces sent by the Louvre Museum, by acquisitions of antique furniture with copper and tortoiseshell marquetry, not necessarily linked to the master's work, and by the making of copies of existing pieces of furniture designed to complete sets. The Dukes of Orléans and of Nemours, sons of the King, shared in this growing interest in Boulle furniture. After the death of King Louis Philippe’s eldest son Ferdinand-Philippe, the latter's wife, Duchess Helene Luise Elisabeth d'Orléans, sold his collection of paintings in 1853 (18 January); this sale included "antique Boule furniture" for which no description was provided.