拍品专文
Le Violon d’Ingres d'Arturo Schwartz
par Philippe Garner
Cette image à la fois énigmatique et provocante compte parmi les œuvres d’art les plus célèbres du siècle dernier. Le Violon d’Ingres de Man Ray apparaît en effet comme le symbole de l’avant-garde des années 1920, lorsque la capitale française était le centre du monde de l’art.
D’origine américaine, Man Ray débarque à Paris en 1921. Il est accueilli par son compagnon dadaïste Marcel Duchamp, qui lui trouve un logement et l’introduit dans les cercles artistiques et littéraires parisiens alors émergents. Très à l’aise dans ce nouvel environnement, l’artiste développe une production particulièrement foisonnante, n’hésitant pas à utiliser différents médiums. L’année suivante, Man Ray fait la rencontre de la pétillante « Kiki », qui, en plus d’être sa maîtresse, deviendra son modèle et sa muse. Elle lui inspire un certain nombre d’œuvres mémorables, parmi lesquelles Le Violon d’Ingres, en 1924. Cette image iconique possède une aura sensuelle et mystérieuse qui fonctionne à plusieurs niveaux. Son titre d’abord, astucieux jeu de mots, s’apparente à un brouillage dadaïste et énigmatique. L’image elle-même séduit et dérange à la fois, faisant écho à la gracieuse odalisque d’Ingres mais d’une façon décalée. En effet, grâce à un ingénieux tour de passe-passe photographique, l’œuvre oscille entre une image crédible et une vision impossible.
Le présent tirage possède lui aussi une histoire singulière. Il a été réalisé, comme c’est souvent le cas avec Man Ray, à partir d’une copie négative d’un tirage de référence définitif ; et ce tirage de référence lui-même pourrait bien avoir été tiré à partir d’une copie négative. Ainsi, Man Ray a fonctionné par étapes itératives pour aboutir à sa version définitive sur papier de cette œuvre légendaire.
Dans ses collections, Le Centre Pompidou, à Paris, renferme une version du Violon d’Ingres ayant appartenu à André Breton. Elle s’avère plus nette que la version que Man Ray considérait comme définitive, ce qui laisse à penser qu’elle a été réalisée à partir du négatif original. Les motifs en forme de clés de sol ornant le dos de Kiki possèdent la particularité d’avoir été dessinés à la main par l’artiste. Man Ray a ensuite réalisé un autre tirage, de dimension beaucoup plus importante, en imprimant ces clés de sol à l’aide d’un pochoir via un procédé qu’il avait nommé « Rayograph ». C’est ce dernier tirage, caractérisé par une douceur subtile et l’absence délibérée de tout travail manuel visible, que Man Ray a cédé à ses amis collectionneurs Rosalind Gersten Jacobs et Melvin Jacobs en 1962.
Ce tirage a été vendu aux enchères en 2022 dans la succession Jacobs (Christie’s, New York, 14 mai 2022, lot 615) à un prix marquant un nouveau record mondial pour l’artiste et pour le support. Il faut préciser que c’est cette épreuve – signée et datée de 1924 – que Man Ray a utilisée comme matrice pour imprimer l’édition de 1971 (tirée à huit exemplaires), dont la présente est l’une des trois épreuves d’artiste. Elle porte d’ailleurs le monogramme et l’inscription « E.A. » de la main de Man Ray, établissant le statut du tirage.
L’existence même de cette précieuse édition de ce chef-d’œuvre doit beaucoup à l’engagement du collectionneur et galeriste italien Arturo Schwartz, grand défenseur de l’art dada et surréaliste, dont le nom figure en première ligne dans la provenance complète de l’œuvre. Dès les années 1950, Schwartz s’est lié d’amitié avec des membres éminents de de ces mouvements, tout en les encourageant à une époque où ils vivaient parfois dans l’ombre d’une nouvelle vague d’art d’avant-garde. Schwartz a travaillé en étroite collaboration avec des artistes-clés, notamment Marcel Duchamp et Man Ray, organisant régulièrement des expositions de cet art éternellement radical et parrainant des rééditions d’œuvres majeures, tel Le Violon d’Ingres.
Arturo Schwartz's “Le Violon d’Ingres”
by Philippe Garner
Man Ray’s Le Violon d’Ingres – this indelible, enigmatic, ever-provocative image – has inscribed itself among the most celebrated works of art of the last century. The image is recognised most particularly as an emblematic distillation of certain avant-garde crosscurrents that made Paris in the 1920s the indisputable world hub of artistic ideas and creativity.
Man Ray had arrived in Paris in 1921, welcomed by his friend and fellow-Dadaist Marcel Duchamp, who found lodgings for him and started to introduce him into the liveliest and most radical artistic and literary circles. Man Ray thrived in this new environment and the following few years saw a remarkable output of highly inventive and compelling artistic statements from this protean, cross-media, category-denying artist and provocateur. The following year, Man Ray met the beguiling artiste, artist, and artist’s model who went by the name Kiki. They became lovers, and she became his muse, the inspiration for and subject of a number of his most memorable images, notably Le Violon d’Ingres of 1924.
No amount of analysis can unravel the sensual, tantalising, mysterious aura of this unforgettable image that works on multiple levels. It is already, in its title, a teasing play on words; it is a Dadaist conjurer’s scrambling of possibilities without answers. It simultaneously seduces and disturbs, echoing the gracious odalisque of Ingres in a revolutionary way through the sleight-of-hand of photography as it hovers between credible document and impossible vision.
The present print has stories to tell, by virtue of its material characteristics and of its provenance. This print was made, as was typical of Man Ray, from a copy negative of a definitive master print; and we should note that the master print itself may well also have been printed from a copy negative. It is instructive to consider the steps by which Man Ray evolved his definitive iteration on paper of the visual idea for Le Violon d’Ingres that he had conceived in his imagination.
A version of Le Violon d’Ingres is in the collection of the Centre Pompidou, Paris. It had belonged to André Breton. It is sharper than the version that Man Ray regarded as definitive, suggesting it was made from the original negative. It is also distinctive in having the f-holes painted on by hand. Man Ray went on to make another, significantly enlarged print, adding the f-holes not by hand but by printing them directly through a stencil laid over the print – effectively by his Rayograph process. It was this print, characterised by a subtle, transformative softness and by the deliberate absence of any visible hand work, that Man Ray ceded to his committed collector friends Rosalind Gersten Jacobs and Melvin Jacobs in 1962. This print set a new world record for the artist and for any work in the medium when it came to auction last year from the Jacobs estate (Christie’s, New York, 14 May 2022, lot 615). It was this print – signed and dated 1924 – that Man Ray used as the master for the 1971 edition of eight, from which the present print is one of three artist’s proofs. It is monogrammed and inscribed to that effect ‘E.A.’ by Man Ray.
The very existence of this precious edition of Man Ray’s masterwork owes much to the commitment of Italian collector and gallerist Arturo Schwartz, who emerged as a great champion of Dada and Surrealist art, and whose name features as the first line in the work’s comprehensive provenance. Already in the 1950s Schwartz was befriending and promoting these important movements at a time when they were somewhat overshadowed by a new wave of Avant-Garde art. He befriended and worked closely with key artist, notably Duchamp and Man Ray, organising exhibitions, beating the drum for this eternally radical art and sponsoring such initiatives as the creation of editions of significant works, such as Le Violon d’Ingres.