拍品專文
Reproduit dans la plupart des ouvrages consacrés à David, exposé à de nombreuses reprises, le présent dessin est fort célèbre. Il doit sans doute ce statut - le terme d'icône davidienne vient même à l'esprit ! - autant à ses évidentes qualités picturales qu'à sa traditionnelle identification - le seul autoportrait dessiné de l'artiste (nous y reviendrons) - qu'à sa remarquable provenance : il s'agit du seul dessin de David à avoir figuré dans la collection des frères Goncourt.
La feuille fait partie d'une série de neuf médaillons (probablement étaient-ils plus nombreux à l'origine) de technique, de format et de dimensions similaires (voir P. Rosenberg et L.-A. Prat, op. cit., nos. 147-55). Ils représentent tous des hommes à mi-corps, vus de profil sur un arrière-plan uniforme. Les dates portées sur les montages de trois d'entre-eux, ainsi que l'inscription qui se lit sur l'un de ceux-ci, Portrait de Jean-Bon-Saint-André, aujourd'hui à l'Art Institute de Chicago: 'David faciebat in vinculis anno. R.p. 3 messidoris 20' ('David fit ceci enchaîné, l'année de la République 3, 20 Messidoris', ce qui correspond au 8 Juillet 1795 dans le calendrier révolutionnaire), montrent qu'ils furent exécutés par David alors qu'il était incarcéré à la prison des Quatre-Nations à Paris (l'actuel Institut de France), entre le 30 mai et le 28 juillet 1795.
David, membre du Comité de Salut Public, proche de Robespierre, avait été une première fois emprisonné à la chute du chef jacobin, en juillet 1794 et relâché en décembre de la même année. En mai 1795, alors que la misère et la disette, consécutives à une importante inflation, font rage à Paris, les jacobins qui avaient échappé aux purges de l'année précédente tentent de prendre le pouvoir. Les émeutiers envahissent la Convention le 20 mai, assassinent un député, Jean-Bertrand Féraud, dont ils placent la tête au bout d'une pique qu'ils présentent au président de la Convention, mis en demeure de la saluer. L'insurrection est pourtant vite réprimée par la garde nationale. C'est la première fois, depuis 1789, que l'armée issue de la Révolution s'oppose à une révolte populaire. David, député depuis 1792, est dénoncé puis arrêté le 30 mai et transféré aux Quatre-Nations, le lieu même, ironiquement, où il avait si longtemps étudié puis été membre de l'Académie Royale de Peinture.
En prison, l'artiste côtoie plusieurs autres députés jacobins (on les appelle également les Montagnards) incarcérés comme lui. Ce sont quelques-uns de ces hommes en attente de jugement que David entreprend de dessiner en médaillon. La qualité et l'importance, tant artistique qu'historique, de ce groupe ont été parfaitement soulignées par L.-A. Prat dans le catalogue raisonné des dessins de David:
'Ces bustes extraordinairement expressifs dans leur farouche crispation forment une chaîne d'amitié et de résistance face à l'injustice des temps et à l'échec du politique. Ce qui frappe avant tout chez ces neuf personnages, c'est la fixité de leur regard, autant que la raideur de leur maintien. Cinq sont tournés vers la droite, quatre vers la gauche. Quatre ont les bras croisés, attitude qui peut symboliser une résistance, en tous cas une affirmation de soi. Trois ont gardé leur chapeau. Tous semblent déterminés; et c'est leur si forte présence qui rend ces petits dessins si précieux [...]. Limité dans ses moyens par sa position "in vinculis", David revient ici au portrait, mais moins obsédé par le désir de restituer une ressemblance que par la volonté de célébrer une foi - et un échec - vécus en commun; le rêve Montagnard est définitivement terminé. Ces portraits de "vertueux" qui ne le seront pas assez pour demeurer républicains, selon le mot du peintre lui-même au moment de Brumaire, témoignent d'une illusion perdue. Ces vaincus maintenus "dans les fers" dont certains comme Barbau du Barran ou Bernard de Saintes, s'étaient montrés d'une férocité impitoyable au temps de la Terreur, connaissent à leur tour l'angoisse de la guillotine et l'âpre saveur de l'échec. Tous survivront à cette épreuve, signe que les temps ont changé après le 9 thermidor...' (P. Rosenberg et L.-A. Prat, op. cit., p. 164).
Ces dessins furent sans doute offerts aux modèles qu'ils représentaient, mais peut-être David, à l'origine, avait-il en tête un projet ambitieux et de nature plus publique: en produire une suite gravée. E. Lajer-Burcharth (op. cit., p. 230) a souligné la réutilisation par David du format des portraits officiels gravés des députés pour représenter ses compagnons d'infortune. Ces dessins ne sont également pas sans évoquer les innombrables médaillons gravés de Charles-Nicolas Cochin (1715-1790), dont ils reprennent non seulement le format, mais également le fond uniforme et la représentation de profil. Un autre indice de la finalité de ces dessins semble être la reprise, particulièrement sensible ici, avec une plume appuyée et à l'encre noire, des profils, comme si David voulait s'assurer que le graveur disposerait de contours fort clairs et précis au moment de travailler sa planche.
Mais qui est le député représenté sur le présent dessin? Certains des médaillons portent sur leur montage une inscription de David permettant de les identifier (les portraits de Jean-Bon Saint-André à l'Art Institute de Chicago, de Bernard de Saintes au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, de Barbau de Barran dans une collection privée New Yorkaise, de Thirius de Pautrizel à la National Gallery de Washington; voir P. Rosenberg et L.-A. Prat, op. cit., nos. 148, 150-2). Tout comme pour quatre autres (au Louvre, à la Galerie Nationale du Canada à Ottawa, deux en collection privée; op. cit., nos. 147, 149, 153 et 154), ce n'est malheureusement pas le cas du présent dessin.
Bien que les Goncourt ne semblent pas l'avoir acquis comme un autoportrait de David (voir E. Launay, op. cit.), Edmond le décrit comme tel dans son célèbre ouvrage, La Maison d'un Artiste (1881, op. cit): 'Portrait de David. Il s'est représenté en buste, de profil, tourné à gauche, les bras croisés. Il a au cou une large cravate blanche, et porte un de ces habits aux amples revers, au haut collet, un habit de la Révolution'. C'est sous cette identification que l'oeuvre figure à l'importante exposition, Dessins de maîtres anciens, organisée à l'Ecole des Beaux-Arts à Paris, en 1879. Dans son très complet compte-rendu de la manifestation, Philippe de Chennevières le cite ainsi : 'Les Goncourt ont tracé dans leur collection ce terrible Mane Thecel Fares par le seul portrait de celui qui "fut jadis de l'Académie", et, qui, pensionnaire de Louis XVI à Rome, vota sans hésiter la mort de son bienfaiteur. Le dessin est signé : je n'y vois point la loupe de David déjà indiquée dans son portrait de jeunesse au Louvre, mais j'y retrouve la rigidité du personnage, et les temps sont accomplis'. Ce texte, qui montre, une fois encore, qu'un siècle après, les cicatrices de la Révolution ne sont pas toutes refermées, évoque la 'loupe' de David : une déformation de la joue gauche probablement due à une tumeur de la parotide. La comparaison avec les portraits sûrs de David, qu'il s'agisse des deux autoportraits peints des Offices (1791; fig. 1) et du Louvre (1794) où l'artiste ne s'attarde d'ailleurs pas sur sa joue défigurée - ou bien des représentations par d'autres peintres ou graveurs (Isabey, Gros, etc.), n'est guère concluante. Le nez paraît ici plus aquilin et la coiffure plus soignée... D'autre part, comme l'a montré J. Wilhelm (op. cit.) pour pouvoir se portraiturer ainsi de profil, David aurait dû disposer d'un système complexe de trois miroirs, un luxe que l'on a du mal à imaginer dans une prison révolutionnaire.
En 1989, lors du colloque David, P. Rosenberg signalait un dessin à la pierre noire et à l'estompe attribué à Hippolyte Picot, de mêmes dimensions, exactement semblable à la présente oeuvre et portant en bas une inscription à la plume: 'Saint Estève peint d'après Louis David' (fig. 2; la feuille passa ensuite en vente à l'Hôtel Drouot, le 22 avril 1994, lot 58). Malheureusement aucun prisonnier de ce nom n'est documenté aux Quatre-Nations en 1795 et l'on peut se demander si le mystérieux Saint-Estève n'est pas plutôt l'auteur de la copie, en lieu et place de Picot... Comme le soulignait L.-A. Prat, qui n'exclut finalement pas qu'il s'agisse d'un autoportrait, en conclusion de sa notice du catalogue raisonné des dessins de David, ' l'ambiguïté demeure'.
Connaissant le peu d'estime des frères Goncourt pour David qu'ils qualifiaient de 'valet de Marat et de Napoléon' ou encore de 'peintre des vertus, des austérités, et des sévérités républicaines' qui avait 'chassé le sourire de l'art', l'on peut s'étonner de la présence d'un dessin de l'artiste - encore pire, un autoportrait supposé! - dans leur collection si soigneusement choisie qu'ils avaient constituée comme un manifeste de leur goût (une profession de foi, serait-on tenté de dire). Leur si tendre et bien-aimé XVIIIème siècle, celui des grâces, du mouvement et de l'esprit, n'est définitivement pas celui de David, l'un des principaux responsables, à leurs yeux, de la fin de cet âge d'or de l'art français. L'artiste, d'ailleurs, ne figure pas dans leur monumental Art du Dix-huitième siècle. Et pourtant, ils avaient réservé à ce dessin une place de choix dans leur intérieur, au centre de l'un des murs du petit salon de leur maison d'Auteuil (fig. 3), en dessous d'un paysage d'Hubert Robert et entre deux portraits de Moreau le Jeune, dont l'un était censé représenter (s'agit-il d'une simple coïncidence ?) la mère de Charles-Nicolas Cochin, dont la formule du présent médaillon porte, on l'a vu plus haut, l'empreinte.
Dans La Maison d'un Artiste, Edmond de Goncourt expliquait ou plutôt justifiait le choix de ce dessin : 'Parfois, mais rarement, il échappe au semblant d'épure qu'il trace d'un corps humain; cependant dans un portrait -le portrait est au fond son original et grand talent- David jette, sur un morceau de papier, modelé dans un encre de Chine brutale et cernée par un trait dur, une physionomie pleine d'une vie intense'.
Plus d'un siècle plus tard, l'oeuvre de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé fascine encore par l'extraordinaire présence du modèle, sa solidité sculpturale, la détermination affirmée de son regard... Rarement, aussi, une effigie dessinée de David a été aussi proche de ses plus beaux portraits peints, dont les fonds faits de touches vibrantes qui en sont leur marque de fabrique, trouvent ici un remarquable écho dans l'arrière-plan, comme frotté au lavis.
La feuille fait partie d'une série de neuf médaillons (probablement étaient-ils plus nombreux à l'origine) de technique, de format et de dimensions similaires (voir P. Rosenberg et L.-A. Prat, op. cit., nos. 147-55). Ils représentent tous des hommes à mi-corps, vus de profil sur un arrière-plan uniforme. Les dates portées sur les montages de trois d'entre-eux, ainsi que l'inscription qui se lit sur l'un de ceux-ci, Portrait de Jean-Bon-Saint-André, aujourd'hui à l'Art Institute de Chicago: 'David faciebat in vinculis anno. R.p. 3 messidoris 20' ('David fit ceci enchaîné, l'année de la République 3, 20 Messidoris', ce qui correspond au 8 Juillet 1795 dans le calendrier révolutionnaire), montrent qu'ils furent exécutés par David alors qu'il était incarcéré à la prison des Quatre-Nations à Paris (l'actuel Institut de France), entre le 30 mai et le 28 juillet 1795.
David, membre du Comité de Salut Public, proche de Robespierre, avait été une première fois emprisonné à la chute du chef jacobin, en juillet 1794 et relâché en décembre de la même année. En mai 1795, alors que la misère et la disette, consécutives à une importante inflation, font rage à Paris, les jacobins qui avaient échappé aux purges de l'année précédente tentent de prendre le pouvoir. Les émeutiers envahissent la Convention le 20 mai, assassinent un député, Jean-Bertrand Féraud, dont ils placent la tête au bout d'une pique qu'ils présentent au président de la Convention, mis en demeure de la saluer. L'insurrection est pourtant vite réprimée par la garde nationale. C'est la première fois, depuis 1789, que l'armée issue de la Révolution s'oppose à une révolte populaire. David, député depuis 1792, est dénoncé puis arrêté le 30 mai et transféré aux Quatre-Nations, le lieu même, ironiquement, où il avait si longtemps étudié puis été membre de l'Académie Royale de Peinture.
En prison, l'artiste côtoie plusieurs autres députés jacobins (on les appelle également les Montagnards) incarcérés comme lui. Ce sont quelques-uns de ces hommes en attente de jugement que David entreprend de dessiner en médaillon. La qualité et l'importance, tant artistique qu'historique, de ce groupe ont été parfaitement soulignées par L.-A. Prat dans le catalogue raisonné des dessins de David:
'Ces bustes extraordinairement expressifs dans leur farouche crispation forment une chaîne d'amitié et de résistance face à l'injustice des temps et à l'échec du politique. Ce qui frappe avant tout chez ces neuf personnages, c'est la fixité de leur regard, autant que la raideur de leur maintien. Cinq sont tournés vers la droite, quatre vers la gauche. Quatre ont les bras croisés, attitude qui peut symboliser une résistance, en tous cas une affirmation de soi. Trois ont gardé leur chapeau. Tous semblent déterminés; et c'est leur si forte présence qui rend ces petits dessins si précieux [...]. Limité dans ses moyens par sa position "in vinculis", David revient ici au portrait, mais moins obsédé par le désir de restituer une ressemblance que par la volonté de célébrer une foi - et un échec - vécus en commun; le rêve Montagnard est définitivement terminé. Ces portraits de "vertueux" qui ne le seront pas assez pour demeurer républicains, selon le mot du peintre lui-même au moment de Brumaire, témoignent d'une illusion perdue. Ces vaincus maintenus "dans les fers" dont certains comme Barbau du Barran ou Bernard de Saintes, s'étaient montrés d'une férocité impitoyable au temps de la Terreur, connaissent à leur tour l'angoisse de la guillotine et l'âpre saveur de l'échec. Tous survivront à cette épreuve, signe que les temps ont changé après le 9 thermidor...' (P. Rosenberg et L.-A. Prat, op. cit., p. 164).
Ces dessins furent sans doute offerts aux modèles qu'ils représentaient, mais peut-être David, à l'origine, avait-il en tête un projet ambitieux et de nature plus publique: en produire une suite gravée. E. Lajer-Burcharth (op. cit., p. 230) a souligné la réutilisation par David du format des portraits officiels gravés des députés pour représenter ses compagnons d'infortune. Ces dessins ne sont également pas sans évoquer les innombrables médaillons gravés de Charles-Nicolas Cochin (1715-1790), dont ils reprennent non seulement le format, mais également le fond uniforme et la représentation de profil. Un autre indice de la finalité de ces dessins semble être la reprise, particulièrement sensible ici, avec une plume appuyée et à l'encre noire, des profils, comme si David voulait s'assurer que le graveur disposerait de contours fort clairs et précis au moment de travailler sa planche.
Mais qui est le député représenté sur le présent dessin? Certains des médaillons portent sur leur montage une inscription de David permettant de les identifier (les portraits de Jean-Bon Saint-André à l'Art Institute de Chicago, de Bernard de Saintes au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, de Barbau de Barran dans une collection privée New Yorkaise, de Thirius de Pautrizel à la National Gallery de Washington; voir P. Rosenberg et L.-A. Prat, op. cit., nos. 148, 150-2). Tout comme pour quatre autres (au Louvre, à la Galerie Nationale du Canada à Ottawa, deux en collection privée; op. cit., nos. 147, 149, 153 et 154), ce n'est malheureusement pas le cas du présent dessin.
Bien que les Goncourt ne semblent pas l'avoir acquis comme un autoportrait de David (voir E. Launay, op. cit.), Edmond le décrit comme tel dans son célèbre ouvrage, La Maison d'un Artiste (1881, op. cit): 'Portrait de David. Il s'est représenté en buste, de profil, tourné à gauche, les bras croisés. Il a au cou une large cravate blanche, et porte un de ces habits aux amples revers, au haut collet, un habit de la Révolution'. C'est sous cette identification que l'oeuvre figure à l'importante exposition, Dessins de maîtres anciens, organisée à l'Ecole des Beaux-Arts à Paris, en 1879. Dans son très complet compte-rendu de la manifestation, Philippe de Chennevières le cite ainsi : 'Les Goncourt ont tracé dans leur collection ce terrible Mane Thecel Fares par le seul portrait de celui qui "fut jadis de l'Académie", et, qui, pensionnaire de Louis XVI à Rome, vota sans hésiter la mort de son bienfaiteur. Le dessin est signé : je n'y vois point la loupe de David déjà indiquée dans son portrait de jeunesse au Louvre, mais j'y retrouve la rigidité du personnage, et les temps sont accomplis'. Ce texte, qui montre, une fois encore, qu'un siècle après, les cicatrices de la Révolution ne sont pas toutes refermées, évoque la 'loupe' de David : une déformation de la joue gauche probablement due à une tumeur de la parotide. La comparaison avec les portraits sûrs de David, qu'il s'agisse des deux autoportraits peints des Offices (1791; fig. 1) et du Louvre (1794) où l'artiste ne s'attarde d'ailleurs pas sur sa joue défigurée - ou bien des représentations par d'autres peintres ou graveurs (Isabey, Gros, etc.), n'est guère concluante. Le nez paraît ici plus aquilin et la coiffure plus soignée... D'autre part, comme l'a montré J. Wilhelm (op. cit.) pour pouvoir se portraiturer ainsi de profil, David aurait dû disposer d'un système complexe de trois miroirs, un luxe que l'on a du mal à imaginer dans une prison révolutionnaire.
En 1989, lors du colloque David, P. Rosenberg signalait un dessin à la pierre noire et à l'estompe attribué à Hippolyte Picot, de mêmes dimensions, exactement semblable à la présente oeuvre et portant en bas une inscription à la plume: 'Saint Estève peint d'après Louis David' (fig. 2; la feuille passa ensuite en vente à l'Hôtel Drouot, le 22 avril 1994, lot 58). Malheureusement aucun prisonnier de ce nom n'est documenté aux Quatre-Nations en 1795 et l'on peut se demander si le mystérieux Saint-Estève n'est pas plutôt l'auteur de la copie, en lieu et place de Picot... Comme le soulignait L.-A. Prat, qui n'exclut finalement pas qu'il s'agisse d'un autoportrait, en conclusion de sa notice du catalogue raisonné des dessins de David, ' l'ambiguïté demeure'.
Connaissant le peu d'estime des frères Goncourt pour David qu'ils qualifiaient de 'valet de Marat et de Napoléon' ou encore de 'peintre des vertus, des austérités, et des sévérités républicaines' qui avait 'chassé le sourire de l'art', l'on peut s'étonner de la présence d'un dessin de l'artiste - encore pire, un autoportrait supposé! - dans leur collection si soigneusement choisie qu'ils avaient constituée comme un manifeste de leur goût (une profession de foi, serait-on tenté de dire). Leur si tendre et bien-aimé XVIIIème siècle, celui des grâces, du mouvement et de l'esprit, n'est définitivement pas celui de David, l'un des principaux responsables, à leurs yeux, de la fin de cet âge d'or de l'art français. L'artiste, d'ailleurs, ne figure pas dans leur monumental Art du Dix-huitième siècle. Et pourtant, ils avaient réservé à ce dessin une place de choix dans leur intérieur, au centre de l'un des murs du petit salon de leur maison d'Auteuil (fig. 3), en dessous d'un paysage d'Hubert Robert et entre deux portraits de Moreau le Jeune, dont l'un était censé représenter (s'agit-il d'une simple coïncidence ?) la mère de Charles-Nicolas Cochin, dont la formule du présent médaillon porte, on l'a vu plus haut, l'empreinte.
Dans La Maison d'un Artiste, Edmond de Goncourt expliquait ou plutôt justifiait le choix de ce dessin : 'Parfois, mais rarement, il échappe au semblant d'épure qu'il trace d'un corps humain; cependant dans un portrait -le portrait est au fond son original et grand talent- David jette, sur un morceau de papier, modelé dans un encre de Chine brutale et cernée par un trait dur, une physionomie pleine d'une vie intense'.
Plus d'un siècle plus tard, l'oeuvre de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé fascine encore par l'extraordinaire présence du modèle, sa solidité sculpturale, la détermination affirmée de son regard... Rarement, aussi, une effigie dessinée de David a été aussi proche de ses plus beaux portraits peints, dont les fonds faits de touches vibrantes qui en sont leur marque de fabrique, trouvent ici un remarquable écho dans l'arrière-plan, comme frotté au lavis.