拍品專文
'Autre bonne nouvelle ! Mr. Ingres a fait mon portrait samedi: jamais son crayon n'a rien fait de plus vivant; la manière est différente de ce qu'elle est ordinairement; avec la même précision, il y a une couleur qu'il ne donne pas ordinairement; il semble qu'il se soit servi de son pouce pour estomper dans certains endroits; ce chef-d'oeuvre a été enlevé en quatre heures.'.
Ces quelques mots enthousiastes et admiratifs, consacrés au présent dessin, sont tirés d'une lettre envoyée de Rome le 6 septembre 1837 par Victor Baltard (1805-1874) à son ami le peintre Hippolyte Flandrin (1809-1864) (voir M.-M. Aubrun, op. cit., p. 121). Tous deux s'étaient rencontrés à Rome, alors qu'ils étaient pensionnaires à l'Académie de France à Rome, dirigée depuis 1835 par Ingres.
Victor Baltard, l'un des onze enfants de l'architecte Louis-Pierre Baltard (1764-1846), suivit les traces de son père et remporte le prix de Rome d'architecture en 1833. Il rejoint l'Italie en mars 1834, en compagnie d'Adeline Lequeux, elle-même issue d'une famille d'architectes distingués et qu'il venait d'épouser. Baltard est de retour en France en 1838, après ce qu'il qualifiera comme les quatre plus belles années de sa vie. Il est nommé inspecteur des Beaux-Arts en 1841 et c'est sous son égide que s'étendit un vaste mouvement de restauration des vieilles églises de Paris, accompagné d'une importante campagne de décoration à fresque de leurs intérieurs. Mais Baltard ne fut pas qu'un administratif et il fut responsable de la construction de plusieurs monuments d'importance, parmi lesquels les Halles centrales de Paris (souvent appelées 'Halles Baltard'), édifiées entre 1851 et 1857, et l'église Saint-Augustin (1860-1871) également dans la capitale, lui assurèrent la célébrité.
En 1834, lorsque Baltard arrive à Rome, c'est Horace Vernet (1789-1863) qui dirige l'Académie de France, installée à la Villa Médicis. Celui-ci est remplacé l'année suivante par Ingres, alors âgé de 55 ans. Très vite, le peintre se prend d'affection pour le jeune architecte, sa femme, et le premier enfant du couple, Paule, née le 27 août 1834. En 1836, il dessine Madame Baltard dans les jardins de la Villa Médicis, le Casino di Raffaello de la Villa Borghèse visible au loin (fig. 2, aujourd'hui dans une collection privée américaine, Portraits by Ingres, op. cit., no. 114). Comme l'indique une inscription au dos de cette émouvante feuille: 'Paule Baltard, âgée de deux ans ne devait pas figurer dans le dessin, mais, gardée par Mme Ingres, elle s'est échapée, s'est blottie contre sa mère, criant "maman, maman". Alors M. Ingres a dit: "Laissez-la", et a dessiné l'enfant pendant qu'on agitait du sucre au-dessus de la tête du peintre.'.
Le départ de Rome du jeune ménage fut pour Ingres un véritable déchirement. Dans une lettre à Hippolyte Flandrin, le même à qui Baltard annonçait la réalisation du présent dessin, Ingres avouait: 'Nous aussi avons le coeur navré du départ, mieux dire un arrachement, de mes bons Baltard. Je ne puis vous dire combien ils nous manquent, lui, son aimable épouse et sa petite adorable fillette.' (lettre du 22 novembre 1838, voir D. Ternois, 'Lettres inédites d'Ingres à Hippolyte Flandrin', Bulletin du musée Ingres, no. 11, juillet 1962, p. 11).
Dans une correspondance à l'archéologue Raoul-Rochette, Ingres ajoutait: 'Nous avons perdu le charme de la plus aimable intimité...Plus de petite fille...' (Naef, 1977-80, op. cit., III, p. 253).
Ingres joua un rôle non négligeable dans la carrière de l'architecte. Il demande ainsi à Baltard de dessiner l'arrière-plan architectural de son plus ambitieux tableau exécuté lors de son directorat, l'Antiochus et Stratonice (1834-1840), commandé par le Duc d'Orléans et aujourd'hui au musée Condée, à Chantilly. En 1841, il recommande son protégé à Edouard Gatteaux, grand ami du peintre et membre du Conseil municipal de Paris, afin qu'il soit nommé Inspecteur des Beaux-Arts. En retour, l'architecte fait appel, pour ses ambitieux projets de décoration des églises parisiennes, à de nombreux élèves d'Ingres. A la mort du grand peintre, c'est Baltard qui est chargé de concevoir sa sépulture du cimetière du Père-Lachaise. Cette tombe, modeste et digne, est constituée d'une simple stèle décorée de quatre pilastres et d'une palme dans laquelle une niche carrée abrite un buste du peintre et ami (fig. 3).
Ingres a représenté son modèle vêtu d'une cape portée au-dessus d'un veston boutonné ouvrant sur une cravate négligemment nouée, tenant d'une main un haut chapeau caché dans le revers de son vêtement, de l'autre un carton à dessin. Comme un clin d'oeil à l'activité de son modèle, Ingres a placé Baltard sur la place Saint-Pierre, devant la colonnade du Bernin et les deux fontaines, les bâtiments du Vatican, et un obélisque sur la droite. Si l'on en croit G. Tinterow et A. E. Miller (op. cit.), il s'agit du dernier portrait dessiné d'Ingres sur un fond de paysage.
Ce merveilleux témoignage d'amitié, 'offert à Madame Baltard' (le portrait de celle-ci avait quant à lui été 'offert à son Mr. Vr. Baltard'), demeura dans la descendance du modèle jusque son acquisition par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé.
Ces quelques mots enthousiastes et admiratifs, consacrés au présent dessin, sont tirés d'une lettre envoyée de Rome le 6 septembre 1837 par Victor Baltard (1805-1874) à son ami le peintre Hippolyte Flandrin (1809-1864) (voir M.-M. Aubrun, op. cit., p. 121). Tous deux s'étaient rencontrés à Rome, alors qu'ils étaient pensionnaires à l'Académie de France à Rome, dirigée depuis 1835 par Ingres.
Victor Baltard, l'un des onze enfants de l'architecte Louis-Pierre Baltard (1764-1846), suivit les traces de son père et remporte le prix de Rome d'architecture en 1833. Il rejoint l'Italie en mars 1834, en compagnie d'Adeline Lequeux, elle-même issue d'une famille d'architectes distingués et qu'il venait d'épouser. Baltard est de retour en France en 1838, après ce qu'il qualifiera comme les quatre plus belles années de sa vie. Il est nommé inspecteur des Beaux-Arts en 1841 et c'est sous son égide que s'étendit un vaste mouvement de restauration des vieilles églises de Paris, accompagné d'une importante campagne de décoration à fresque de leurs intérieurs. Mais Baltard ne fut pas qu'un administratif et il fut responsable de la construction de plusieurs monuments d'importance, parmi lesquels les Halles centrales de Paris (souvent appelées 'Halles Baltard'), édifiées entre 1851 et 1857, et l'église Saint-Augustin (1860-1871) également dans la capitale, lui assurèrent la célébrité.
En 1834, lorsque Baltard arrive à Rome, c'est Horace Vernet (1789-1863) qui dirige l'Académie de France, installée à la Villa Médicis. Celui-ci est remplacé l'année suivante par Ingres, alors âgé de 55 ans. Très vite, le peintre se prend d'affection pour le jeune architecte, sa femme, et le premier enfant du couple, Paule, née le 27 août 1834. En 1836, il dessine Madame Baltard dans les jardins de la Villa Médicis, le Casino di Raffaello de la Villa Borghèse visible au loin (fig. 2, aujourd'hui dans une collection privée américaine, Portraits by Ingres, op. cit., no. 114). Comme l'indique une inscription au dos de cette émouvante feuille: 'Paule Baltard, âgée de deux ans ne devait pas figurer dans le dessin, mais, gardée par Mme Ingres, elle s'est échapée, s'est blottie contre sa mère, criant "maman, maman". Alors M. Ingres a dit: "Laissez-la", et a dessiné l'enfant pendant qu'on agitait du sucre au-dessus de la tête du peintre.'.
Le départ de Rome du jeune ménage fut pour Ingres un véritable déchirement. Dans une lettre à Hippolyte Flandrin, le même à qui Baltard annonçait la réalisation du présent dessin, Ingres avouait: 'Nous aussi avons le coeur navré du départ, mieux dire un arrachement, de mes bons Baltard. Je ne puis vous dire combien ils nous manquent, lui, son aimable épouse et sa petite adorable fillette.' (lettre du 22 novembre 1838, voir D. Ternois, 'Lettres inédites d'Ingres à Hippolyte Flandrin', Bulletin du musée Ingres, no. 11, juillet 1962, p. 11).
Dans une correspondance à l'archéologue Raoul-Rochette, Ingres ajoutait: 'Nous avons perdu le charme de la plus aimable intimité...Plus de petite fille...' (Naef, 1977-80, op. cit., III, p. 253).
Ingres joua un rôle non négligeable dans la carrière de l'architecte. Il demande ainsi à Baltard de dessiner l'arrière-plan architectural de son plus ambitieux tableau exécuté lors de son directorat, l'Antiochus et Stratonice (1834-1840), commandé par le Duc d'Orléans et aujourd'hui au musée Condée, à Chantilly. En 1841, il recommande son protégé à Edouard Gatteaux, grand ami du peintre et membre du Conseil municipal de Paris, afin qu'il soit nommé Inspecteur des Beaux-Arts. En retour, l'architecte fait appel, pour ses ambitieux projets de décoration des églises parisiennes, à de nombreux élèves d'Ingres. A la mort du grand peintre, c'est Baltard qui est chargé de concevoir sa sépulture du cimetière du Père-Lachaise. Cette tombe, modeste et digne, est constituée d'une simple stèle décorée de quatre pilastres et d'une palme dans laquelle une niche carrée abrite un buste du peintre et ami (fig. 3).
Ingres a représenté son modèle vêtu d'une cape portée au-dessus d'un veston boutonné ouvrant sur une cravate négligemment nouée, tenant d'une main un haut chapeau caché dans le revers de son vêtement, de l'autre un carton à dessin. Comme un clin d'oeil à l'activité de son modèle, Ingres a placé Baltard sur la place Saint-Pierre, devant la colonnade du Bernin et les deux fontaines, les bâtiments du Vatican, et un obélisque sur la droite. Si l'on en croit G. Tinterow et A. E. Miller (op. cit.), il s'agit du dernier portrait dessiné d'Ingres sur un fond de paysage.
Ce merveilleux témoignage d'amitié, 'offert à Madame Baltard' (le portrait de celle-ci avait quant à lui été 'offert à son Mr. Vr. Baltard'), demeura dans la descendance du modèle jusque son acquisition par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé.