拍品專文
Ces magnifiques dessins sont des cartons de vitrail réalisés au crayon, sur lesquels Burne-Jones a ajouté de la couleur au crayon gras pour en faire des oeuvres indépendantes. Les cartons sous leur forme originale datent d'avril 1875 pour la fenêtre Est du choeur de l'église de All Hallows à Allerton, East Liverpool.
Burne-Jones les a tous deux mentionnés dans son livre de comptes avec Morris & Co, l'atelier chargé de la réalisation du vitrail, ainsi que dans le propre registre de ses oeuvres de cette année ('une grande fenêtre du Paradis'). Une fois les vitraux réalisés, les cartons lui ont été renvoyés, et leur évolution ultérieure est notée dans son registre pour 1880 ('coloration à la cire d'un ancien motif du Paradis').
L'iconographie du vitrail est fondée sur la vision du Paradis de saint Jean décrite dans le livre de la Révélation (chapitre 7, versets 9-17). Sur une colline se tient le saint Agneau, symbolisant le Christ dans son rôle sacrificiel. Quatre rivières, emblématiques des Evangiles partent de la colline; à gauche et à droite se tiennent les quatre animaux de l'apocalypse devenus les attributs des Evangélistes : l'Ange de saint Matthieu, le Veau de saint Luc, l'Aigle de saint Jean lui-même, et le Lion de saint Marc. Sur les panneaux avant et latéraux, des anges et des 'anciens' étonnamment jeunes vénèrent la présence divine. Comme l'observait A.C. Sewter, 'la conception de base de ce dessin à la fois remarquable et magnifique trouve clairement sa source dans un autel de Van Eyck à Ghent'. Contrairement à ses deux plus proches associés, D.G. Rossetti et William Morris, Burne-Jones n'avait jamais vu cette oeuvre célèbre, mais il lui était indéniablement familier grâce aux reproductions.
Tout au long de sa carrière, Burne-Jones fut un créateur de vitraux prolifique. Pendant des années, ce travail assura sa subsistance, mais ne lui fut jamais pénible. Au contraire, il y puisa ses étonnants pouvoirs d'invention et son amour de l'expression linéaire. Ayant déjà acquis une longue expérience lors de la fondation de la compagnie Morris en 1861, il fut, à partir de cette date, le principal fournisseur de cartons de celle-ci, assumant ensuite leur entière responsabilité après la fin de leur partenariat en en 1875. Entre 1872 et 1878, à l'apogée de sa création, il dessina plus de 270 cartons, soit une moyenne de 39 par an.
Certains des premiers cartons de Burne-Jones sont colorés, mais après 1861 ils deviennent presque tous monochromes, réalisés au lavis d'encre sépia, au fusain ou au crayon. Le choix des couleurs était laissé à Morris, Burne-Jones fournissant simplement les contours ombrés. Dans la mesure où il était beaucoup admiré pour son sens de la couleur, cette pratique a souvent été source de surprise. 'Qui aussi bien que lui, rappelait son ami W. Graham Robertson, aurait pu agencer la splendeur ornementale du vitrail, insérant les touches de couleur éclatante dans leur décor de dentelle de plomb ? Pourtant, (certains de ses tous premiers vitraux) constituent ses seules tentatives.'
Peut-être conscient de cette anomalie, Burne-Jones a parfois effectivement repris ses cartons pour les colorer. Un certain nombre d'entre eux, datant des années 1860, étaient exécutés en couleurs à sec pour former des tableaux de chevalet, le lavis d'encre sépia devenant en effet un dessous de tableau monochrome. Il revint à cette idée à la fin des années 1870, tout en y ajoutant de la couleur au moyen du crayon gras. Ce n'est pas un hasard si ses dessins de vitraux évoluèrent logiquement, au cours de cette période, en quasi-toiles ou peintures murales.
Les dessins du Paradis présentés sont des exemples de ce phénomène tardif. Le Jugement dernier (Birmingham Museums and Art Gallery), également conçu en 1875 pour la fenêtre Est de l'église de saint Michael et sainte Mary Magdalene à Easthampstead dans le Berkshire, et deux magnifiques compositions, Angeli Laudantes et Angeli Ministrantes (Fitzwilliam Museum, Cambridge), développées à partir de cartons dessinés en 1878 pour un vitrail de la cathédrale de Salisbury, ainsi qu'un groupe de dessins (William Morris Gallery, Walthamstow, et ailleurs) effectués en 1880 pour la fenêtre Est de l'église de saint Martin, à Brampton, dans le Cumberland, en sont d'autres très beaux exemples. Réalisés à la suite d'une commande particulièrement prestigieuse de George Howard, Earl of Carlisle, ancien ami et mécène de Burne-Jones, ils sont néanmoins des compositions complexes, uniques, destinées aux vitraux principaux, qui par définition ne pouvaient être répétés. A l'exception peut-être des deux Angeli (aujourd'hui au Fitzwilliam), tous les cartons ont été colorés en 1880 - l'artiste adoptant une palette pâle, iridescente, très éloignée des tons riches et saturés des vitraux correspondants.
Bien que déjà payé par Morris (notamment £ 180 pour le Paradis d'Allerton), Burne-Jones espérait sans doute en tirer un avantage financier supplémentaire en les colorant. Mais il n'a que partiellement réussi : si les deux Angeli ont été achetés par l'un de ses plus dévoués mécènes, le futur premier ministre conservateur Arthur Balfour, le Paradis et le Jugement dernier n'étaient toujours pas vendus à sa mort, bien qu'exposés à la Grosvenor Gallery au cours de l'hiver 1881, et à cette occasion très admirés des critiques, en particulier le Paradis. The Academy notait son 'merveilleux pouvoir d'expression et son talent de dessinateur', tandis que F. G. Stephens, dans The Anthenaeum, vantait 'la composition extraordinaire de la couleur générale (et) la merveilleuse variété ainsi que l'harmonie des teintes locales,(...) particulièrement notable sur les robes blanches, la verdure luxuriante, et le scintillement des ailes des esprits (...). Pour toutes ces qualités exquises, ce grand tableau est sans égal dans la salle.'
Peut-être l'immense taille des cartons a-t-elle dissuadé les acheteurs, et le Jugement Dernier constituait par ailleurs un sujet difficile. Quoi qu'il en soit, ces deux oeuvres furent présentées lors de la première vente de l'atelier de Burne-Jones, chez Christie's à peine un mois après sa mort en juin 1898, et furent achetées, probablement sur commission, par Agnew's. Le Jugement dernier fut légué à la Birmingham Art Gallery la même année par deux amateurs locaux, le Juge William Kenrick et J.R. Holliday. Burne-Jones était natif de Birmingham, et ce fut là une première tentative de la campagne visant à faire de l'Art Gallery le grand dépositaire de l'oeuvre de Burne-Jones qu'elle est devenue aujourd'hui. Parallèlement, le Paradis, pour lequel Agnew avait payé 520 guinées, fut acquis par un autre fervent admirateur, Lord Windsor, plus tard premier Earl of Plymouth.
Né en 1857, le Earl of Plymouth était un homme fort cultivé et d'une immense fortune. Sa connaissance de l'art et de l'architecture lui valut le poste de surintendant ainsi que la Tutelle de la National Gallery, et en 1903 il publia une étude sur le peintre John Constable longtemps le livre de référence sur le sujet. En 1883, il épousa Alberta Paget, une beauté célèbre qui partageait ses intérêts artistiques. Ils furent les principaux membres du groupe social connu sous le nom de 'The Souls', un groupe aristocratique soucieux de son image intellectuelle par opposition à la chasse, au tir et au jeu, qui obsédaient la plupart des membres de leur classe.
Burne-Jones était l'artiste favori des Souls. Férus de son intense spiritualité, nombre d'entre eux furent les commanditaires ou les acheteurs de ses oeuvres. Cependant, le point culminant de cette relation exceptionnelle entre la haute société et l'art progressif fut le portrait grandeur nature de Lady Windsor entamé par l'artiste en 1893 et exposé deux ans plus tard à la New Gallery (collection particulière, sur prêt aux Birmingham Museums and Art Gallery). Dans son style tardif austère et presque dénué de couleur, il incarne l'image symboliste suprême, comparables à d'autres exemples majeurs du genre, de James McNeill Whistler ou de Fernand Khnopff.
A la lumière de cette oeuvre éthérée et énigmatique, il n'est pas surprenant que les Windsors se soient pris de passion pour le dessin du Paradis. Ils achetèrent par la suite une autre image dans la veine la plus transcendantale de l'artiste, un ensemble nuageux d'anges et d'esprits abstraits et désincarnés. Le portrait de Lady Windsor était destiné à Hewell Grange, un vaste hôtel particulier du Worcestershire de style Reine Anne, que le couple avait fait construire au cours des premières années de leur mariage. Le Paradis aurait été exposé dans cet hôtel ou bien dans l'une de leurs deux autres résidences, à Londres au 39 Mount Street, Mayfair, et une maison de campagne élisabéthaine, le château de St Fagan, près de Cardiff, bâtiment typique que George Wyndham, une autre Soul, surnommait 'le territoire enchanté de la romance arthurienne'.
Fig. 1 :
Le vitrail Est du choeur de l'église de All Hallows, Allerton, Liverpool, dessiné par Burne Jones et réalisé par Morris & Co., 1875.
Burne-Jones les a tous deux mentionnés dans son livre de comptes avec Morris & Co, l'atelier chargé de la réalisation du vitrail, ainsi que dans le propre registre de ses oeuvres de cette année ('une grande fenêtre du Paradis'). Une fois les vitraux réalisés, les cartons lui ont été renvoyés, et leur évolution ultérieure est notée dans son registre pour 1880 ('coloration à la cire d'un ancien motif du Paradis').
L'iconographie du vitrail est fondée sur la vision du Paradis de saint Jean décrite dans le livre de la Révélation (chapitre 7, versets 9-17). Sur une colline se tient le saint Agneau, symbolisant le Christ dans son rôle sacrificiel. Quatre rivières, emblématiques des Evangiles partent de la colline; à gauche et à droite se tiennent les quatre animaux de l'apocalypse devenus les attributs des Evangélistes : l'Ange de saint Matthieu, le Veau de saint Luc, l'Aigle de saint Jean lui-même, et le Lion de saint Marc. Sur les panneaux avant et latéraux, des anges et des 'anciens' étonnamment jeunes vénèrent la présence divine. Comme l'observait A.C. Sewter, 'la conception de base de ce dessin à la fois remarquable et magnifique trouve clairement sa source dans un autel de Van Eyck à Ghent'. Contrairement à ses deux plus proches associés, D.G. Rossetti et William Morris, Burne-Jones n'avait jamais vu cette oeuvre célèbre, mais il lui était indéniablement familier grâce aux reproductions.
Tout au long de sa carrière, Burne-Jones fut un créateur de vitraux prolifique. Pendant des années, ce travail assura sa subsistance, mais ne lui fut jamais pénible. Au contraire, il y puisa ses étonnants pouvoirs d'invention et son amour de l'expression linéaire. Ayant déjà acquis une longue expérience lors de la fondation de la compagnie Morris en 1861, il fut, à partir de cette date, le principal fournisseur de cartons de celle-ci, assumant ensuite leur entière responsabilité après la fin de leur partenariat en en 1875. Entre 1872 et 1878, à l'apogée de sa création, il dessina plus de 270 cartons, soit une moyenne de 39 par an.
Certains des premiers cartons de Burne-Jones sont colorés, mais après 1861 ils deviennent presque tous monochromes, réalisés au lavis d'encre sépia, au fusain ou au crayon. Le choix des couleurs était laissé à Morris, Burne-Jones fournissant simplement les contours ombrés. Dans la mesure où il était beaucoup admiré pour son sens de la couleur, cette pratique a souvent été source de surprise. 'Qui aussi bien que lui, rappelait son ami W. Graham Robertson, aurait pu agencer la splendeur ornementale du vitrail, insérant les touches de couleur éclatante dans leur décor de dentelle de plomb ? Pourtant, (certains de ses tous premiers vitraux) constituent ses seules tentatives.'
Peut-être conscient de cette anomalie, Burne-Jones a parfois effectivement repris ses cartons pour les colorer. Un certain nombre d'entre eux, datant des années 1860, étaient exécutés en couleurs à sec pour former des tableaux de chevalet, le lavis d'encre sépia devenant en effet un dessous de tableau monochrome. Il revint à cette idée à la fin des années 1870, tout en y ajoutant de la couleur au moyen du crayon gras. Ce n'est pas un hasard si ses dessins de vitraux évoluèrent logiquement, au cours de cette période, en quasi-toiles ou peintures murales.
Les dessins du Paradis présentés sont des exemples de ce phénomène tardif. Le Jugement dernier (Birmingham Museums and Art Gallery), également conçu en 1875 pour la fenêtre Est de l'église de saint Michael et sainte Mary Magdalene à Easthampstead dans le Berkshire, et deux magnifiques compositions, Angeli Laudantes et Angeli Ministrantes (Fitzwilliam Museum, Cambridge), développées à partir de cartons dessinés en 1878 pour un vitrail de la cathédrale de Salisbury, ainsi qu'un groupe de dessins (William Morris Gallery, Walthamstow, et ailleurs) effectués en 1880 pour la fenêtre Est de l'église de saint Martin, à Brampton, dans le Cumberland, en sont d'autres très beaux exemples. Réalisés à la suite d'une commande particulièrement prestigieuse de George Howard, Earl of Carlisle, ancien ami et mécène de Burne-Jones, ils sont néanmoins des compositions complexes, uniques, destinées aux vitraux principaux, qui par définition ne pouvaient être répétés. A l'exception peut-être des deux Angeli (aujourd'hui au Fitzwilliam), tous les cartons ont été colorés en 1880 - l'artiste adoptant une palette pâle, iridescente, très éloignée des tons riches et saturés des vitraux correspondants.
Bien que déjà payé par Morris (notamment £ 180 pour le Paradis d'Allerton), Burne-Jones espérait sans doute en tirer un avantage financier supplémentaire en les colorant. Mais il n'a que partiellement réussi : si les deux Angeli ont été achetés par l'un de ses plus dévoués mécènes, le futur premier ministre conservateur Arthur Balfour, le Paradis et le Jugement dernier n'étaient toujours pas vendus à sa mort, bien qu'exposés à la Grosvenor Gallery au cours de l'hiver 1881, et à cette occasion très admirés des critiques, en particulier le Paradis. The Academy notait son 'merveilleux pouvoir d'expression et son talent de dessinateur', tandis que F. G. Stephens, dans The Anthenaeum, vantait 'la composition extraordinaire de la couleur générale (et) la merveilleuse variété ainsi que l'harmonie des teintes locales,(...) particulièrement notable sur les robes blanches, la verdure luxuriante, et le scintillement des ailes des esprits (...). Pour toutes ces qualités exquises, ce grand tableau est sans égal dans la salle.'
Peut-être l'immense taille des cartons a-t-elle dissuadé les acheteurs, et le Jugement Dernier constituait par ailleurs un sujet difficile. Quoi qu'il en soit, ces deux oeuvres furent présentées lors de la première vente de l'atelier de Burne-Jones, chez Christie's à peine un mois après sa mort en juin 1898, et furent achetées, probablement sur commission, par Agnew's. Le Jugement dernier fut légué à la Birmingham Art Gallery la même année par deux amateurs locaux, le Juge William Kenrick et J.R. Holliday. Burne-Jones était natif de Birmingham, et ce fut là une première tentative de la campagne visant à faire de l'Art Gallery le grand dépositaire de l'oeuvre de Burne-Jones qu'elle est devenue aujourd'hui. Parallèlement, le Paradis, pour lequel Agnew avait payé 520 guinées, fut acquis par un autre fervent admirateur, Lord Windsor, plus tard premier Earl of Plymouth.
Né en 1857, le Earl of Plymouth était un homme fort cultivé et d'une immense fortune. Sa connaissance de l'art et de l'architecture lui valut le poste de surintendant ainsi que la Tutelle de la National Gallery, et en 1903 il publia une étude sur le peintre John Constable longtemps le livre de référence sur le sujet. En 1883, il épousa Alberta Paget, une beauté célèbre qui partageait ses intérêts artistiques. Ils furent les principaux membres du groupe social connu sous le nom de 'The Souls', un groupe aristocratique soucieux de son image intellectuelle par opposition à la chasse, au tir et au jeu, qui obsédaient la plupart des membres de leur classe.
Burne-Jones était l'artiste favori des Souls. Férus de son intense spiritualité, nombre d'entre eux furent les commanditaires ou les acheteurs de ses oeuvres. Cependant, le point culminant de cette relation exceptionnelle entre la haute société et l'art progressif fut le portrait grandeur nature de Lady Windsor entamé par l'artiste en 1893 et exposé deux ans plus tard à la New Gallery (collection particulière, sur prêt aux Birmingham Museums and Art Gallery). Dans son style tardif austère et presque dénué de couleur, il incarne l'image symboliste suprême, comparables à d'autres exemples majeurs du genre, de James McNeill Whistler ou de Fernand Khnopff.
A la lumière de cette oeuvre éthérée et énigmatique, il n'est pas surprenant que les Windsors se soient pris de passion pour le dessin du Paradis. Ils achetèrent par la suite une autre image dans la veine la plus transcendantale de l'artiste, un ensemble nuageux d'anges et d'esprits abstraits et désincarnés. Le portrait de Lady Windsor était destiné à Hewell Grange, un vaste hôtel particulier du Worcestershire de style Reine Anne, que le couple avait fait construire au cours des premières années de leur mariage. Le Paradis aurait été exposé dans cet hôtel ou bien dans l'une de leurs deux autres résidences, à Londres au 39 Mount Street, Mayfair, et une maison de campagne élisabéthaine, le château de St Fagan, près de Cardiff, bâtiment typique que George Wyndham, une autre Soul, surnommait 'le territoire enchanté de la romance arthurienne'.
Fig. 1 :
Le vitrail Est du choeur de l'église de All Hallows, Allerton, Liverpool, dessiné par Burne Jones et réalisé par Morris & Co., 1875.