拍品專文
Cette œuvre sera incluse dans Robert Ryman. Catalogue raisonné actuellement en préparation par David Gray sous le No. RR.63.0523.
« La question n’est jamais quoi peindre mais seulement comment peindre »
“There is never a question of what to paint but only how to paint”
– Robert Ryman
Sur une toile de lin brut non préparée, Robert Ryman dépose une série d’épais coups de pinceau. Organisées sans ordre apparent, ces marques blanches, vertes et rouges paraissent pourtant élégantes et poétiques, contrastant avec le support brut sur lequel elles reposent. Avec des gestes simples, Ryman met ici au défi l’hégémonie de l’art, à l’oeuvre depuis plus de mille ans, abandonnant la figuration et le gestuel tout en les célébrant pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des éléments essentiels et fondateurs de la peinture abstraite.
Ryman est avant tout un artiste qui se concentre intensément sur la nature expressive de ses surfaces. Ses tableaux célèbrent des qualités qui naissent simplement de sa technique et de son traitement des matériaux avec l’intention de libérer tout le potentiel du pigment, de la toile (ou de tout matériau utilisé) « pour qu’ils agissent pour leur propre compte » (A. Rorimer, New Art in the 60s and 70s: Redefining reality, London, 2001). L’oeuvre même, plutôt qu’image représentative ou série de gestes abstraits de peintre, crée un champ ouvert où l’oeil se promène. Dans Untitled #32, sa présence impérieuse s’imprime de manière indélébile de façon à la fois matérielle et optique dans l’oeil du spectateur: aucune distinction n’existe entre le processus de création et son résultat final. « La question n’est jamais quoi peindre mais seulement comment peindre. La question du comment a toujours été l’image - le produit final » (R. Ryman, cité in R. Storr, « Robert Ryman », On the Edge: Contemporary Art from the Werner and Elaine Dannheisser Collection, New York, 1998, p. 114). Le rapprochement entre forme et contenu, processus et produit final est fondateur dans la pratique artistique de Ryman depuis plus de soixante ans. Ceci est particulièrement visible dans le vocabulaire esthétique évocateur d’Untitled #32. Aucune zone spécifique de la surface n’exige plus d’attention qu’une autre - la totalité du champ est ouverte. Pourtant, pour un regard plus attentif, ce qui au premier abord parait dépourvu d’intérêt devient une invitation à examiner les détails des variations tonales. Comme le remarque l’historien d’art Robert Storr, face à une oeuvre de Ryman, le regard est ralenti (R. Storr, ibid., p. 116).
On commence à comprendre que dans un tableau comme celui-ci, rien n’est laissé au hasard ou n’apparait involontairement ; chaque fibre, chaque coulure, chaque rencontre entre pigment et support et chaque variation de la surface est voulue par l’artiste. Ce qui est en jeu ici, c’est notre perception, le temps que nous prenons pour examiner les liens entre les détails et l’oeuvre dans son ensemble, une étape « où la forme pure devient pure poésie visuelle » (ibid.)
La carrière de Ryman est remarquable dans sa rigueur intellectuelle ; afin de concentrer toute son attention sur la pratique qui consiste à poser de la peinture sur la toile, il s’impose un certain nombre de contraintes. Le format carré de cette oeuvre et sa palette restreinte assurent à l’oeuvre de demeurer dans ces limites. Pour Ryman, le format carré, avec son sens inhérent de l’équilibre est important parce qu’il élimine le besoin pour l’artiste d’assigner un ordre visuel. Rejetant l’idée traditionnelle de la peinture comme signifiant, Ryman élimine toute notion de pigment comme agent représentatif pour ne garder qu’une surface concentrée sur les qualités physiques inhérentes à la peinture - texture, densité, lumière et réflexivité. Bâtis en coups de pinceaux courts, appliqués avec la souplesse et la fluidité caractéristiques des oeuvres qu’il réalise à cette époque (où il analyse les différents effets esthétiques de divers types de pinceaux et de longueurs de traits), les pics et les zones d’empâtements d’Untitled #32 créent une texture particulièrement riche et diverse où lumière et ombre se répondent en engendrent une euphorie visuelle à la surface de l’oeuvre. Ce sentiment d’activité est alors souligné par des flashs choisis de vert frais et de rouges enflammés que Ryman insère de façon ponctuelle à la surface de la toile. Parlant de son travail à l’époque, Ryman se rappelle : « Je me suis aperçu que j’éliminais beaucoup. Je posais la peinture, puis je la recouvrais, j’essayais d’en arriver à quelques éléments essentiels. C’était comme effacer quelque chose pour le recouvrir de blanc » (R. Ryman cité in N.Grimes, ‘White Magic’, Art News, Été 1986, p.90).
Faisant partie des oeuvres fondamentales qu’il réalise dans les années 1960, Untitled #32 donne à voir Ryman découvrant la richesse de ses matériaux épurés, qui à son tour le poussent à se consacrer plus résolument à la recherche des propriétés esthétiques de la peinture blanche, qu’il poursuivra au cours des cinquante années suivantes. Ryman explore sans relâche le lyrisme du signe individuel, rendant le geste du peintre d’autant plus puissant qu’il s’exprime de la façon la plus pure, par le simple biais de la peinture blanche. En se concentrant sur la substance matérielle de la peinture, à la fois comme forme et sujet de son travail, il crée des oeuvres d’art à l’esthétique puissante et méditative. Comme il l’explique lui-même : « Depuis mes débuts ou presque j’ai eu une approche intuitive de la peinture. L’utilisation du blanc dans mes tableaux est arrivée quand je me suis aperçu qu’il ne crée pas d’interférence. C’est une couleur neutre qui permet de clarifier des nuances de la peinture. Je dirais que la poésie de la peinture a un lien avec la sensation. Ça doit être une sorte de révélation, une expérience pleine de révérence même » (R.Ryman, cité in K.Stiles & P. Seltz ((éditeurs), Theories and Documents of Contemporary Art, Berkeley, 1996, pp. 607-608).
On a piece of raw, unprimed linen Robert Ryman arranges a series of highly textured brushstrokes. Assembled without any discernable order, these white, green and red marks nevertheless appear elegant and poetic as they lie upon the surface of the roughly hewn support. With simple gestures such as these, Ryman challenged the reigning hegemony of art that had transpired for over a millennia. Dispensing with the figurative or gestural, and celebrating them for what they were, the essential and foundational elements of abstract painting.
Above everything else, Ryman is an artist who focuses deeply on the expressive nature of his surfaces. His paintings celebrate qualities that arise purely through his technique, through his handling of materials, and it is his intention to release the full potential of the pigment, canvas (or whichever material he uses) “to act on their own behalf” (A. Rorimer, New Art in the 60s and 70s: Redefining Reality, London, 2001). The work itself, rather than a representational image or a series of painterly abstract gestures, creates an open field over which the eye can wander. Here, in Untitled #32, its compelling presence is indelibly imprinted both materially and optically on the eye of the viewer: no distinction exists between the process of creation and its final result. “There is never a question of what to paint but only how to paint. The how of painting has always been the image – the end product” (R. Ryman, quoted in R. Storr, “Robert Ryman,” On the Edge: Contemporary Art from the Werner and Elaine Dannheisser Collection, New York, 1998, p. 114). Bringing together form and content, process and product, has been foundational for Ryman’s art practice for over six decades, and the result is nowhere more in evidence than in the evocative aesthetic vocabulary of the present work. No-one section of the surface demands specific attention—the entire field is an open arena. Yet, with more focused looking, what at first appears devoid of interest actually becomes an invitation to examine the details of tonal variation that occupy it. As the curator and art historian Robert Storr has remarked, it slows viewing down (R. Storr, ibid., p. 116). One begins to understand that in a painting such as this, nothing is left to chance or appears by accident; every fiber, every “bleed,” every meeting of pigment and support and every variation in its surface is intended by the artist. What is at stake here is our perception, the time we take to consider the relationships between its details and the whole, a stage “where pure form becomes pure pictorial poetry” (Ibid.).
Ryman’s career is distinguished by its intellectual rigor, and in order to focus his complete attention on his interrogations into the practice of putting paint on canvas, he placed a number of clearly defined parameters on himself. The present work’s square format and restrictive palette ensures that this work falls resolutely within these boundaries. For Ryman, the square format, with its inherent sense of balance, was important as it did away with the need for the artist to assign pictorial order. Rejecting tradition ideas of paint acting as a signifier, Ryman removed all notion of pigment as a representative agent to leave a surface that focuses on the inherent physical qualities of the paint – texture, density, light and reflectivity. Constructed of short strokes applied with supple ease and fluidity, typical in his works from this period, in which he investigated the different aesthetic effects of different types of brushes and lengths of strokes. Untitled #32’s peaks and valleys of impasto creates an opulent and diverse texture in which light and shadow tussle for attention and make the surface of the work dance with visual delight. This sense of activity is then enhanced by the selective flashes of fresh green and fiery reds that Ryman inserts sporadically across the surface of the work. In discussing his work during this period, Ryman recalled, “I found that I was eliminating a lot. I would put the color down, then paint over it, trying to get down a few crucial elements. It was like erasing something to put white over it” (R. Ryman quoted in N. Grimes,’White Magic’, Art News, Summer 1986, p.90).
« La question n’est jamais quoi peindre mais seulement comment peindre »
“There is never a question of what to paint but only how to paint”
– Robert Ryman
Sur une toile de lin brut non préparée, Robert Ryman dépose une série d’épais coups de pinceau. Organisées sans ordre apparent, ces marques blanches, vertes et rouges paraissent pourtant élégantes et poétiques, contrastant avec le support brut sur lequel elles reposent. Avec des gestes simples, Ryman met ici au défi l’hégémonie de l’art, à l’oeuvre depuis plus de mille ans, abandonnant la figuration et le gestuel tout en les célébrant pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des éléments essentiels et fondateurs de la peinture abstraite.
Ryman est avant tout un artiste qui se concentre intensément sur la nature expressive de ses surfaces. Ses tableaux célèbrent des qualités qui naissent simplement de sa technique et de son traitement des matériaux avec l’intention de libérer tout le potentiel du pigment, de la toile (ou de tout matériau utilisé) « pour qu’ils agissent pour leur propre compte » (A. Rorimer, New Art in the 60s and 70s: Redefining reality, London, 2001). L’oeuvre même, plutôt qu’image représentative ou série de gestes abstraits de peintre, crée un champ ouvert où l’oeil se promène. Dans Untitled #32, sa présence impérieuse s’imprime de manière indélébile de façon à la fois matérielle et optique dans l’oeil du spectateur: aucune distinction n’existe entre le processus de création et son résultat final. « La question n’est jamais quoi peindre mais seulement comment peindre. La question du comment a toujours été l’image - le produit final » (R. Ryman, cité in R. Storr, « Robert Ryman », On the Edge: Contemporary Art from the Werner and Elaine Dannheisser Collection, New York, 1998, p. 114). Le rapprochement entre forme et contenu, processus et produit final est fondateur dans la pratique artistique de Ryman depuis plus de soixante ans. Ceci est particulièrement visible dans le vocabulaire esthétique évocateur d’Untitled #32. Aucune zone spécifique de la surface n’exige plus d’attention qu’une autre - la totalité du champ est ouverte. Pourtant, pour un regard plus attentif, ce qui au premier abord parait dépourvu d’intérêt devient une invitation à examiner les détails des variations tonales. Comme le remarque l’historien d’art Robert Storr, face à une oeuvre de Ryman, le regard est ralenti (R. Storr, ibid., p. 116).
On commence à comprendre que dans un tableau comme celui-ci, rien n’est laissé au hasard ou n’apparait involontairement ; chaque fibre, chaque coulure, chaque rencontre entre pigment et support et chaque variation de la surface est voulue par l’artiste. Ce qui est en jeu ici, c’est notre perception, le temps que nous prenons pour examiner les liens entre les détails et l’oeuvre dans son ensemble, une étape « où la forme pure devient pure poésie visuelle » (ibid.)
La carrière de Ryman est remarquable dans sa rigueur intellectuelle ; afin de concentrer toute son attention sur la pratique qui consiste à poser de la peinture sur la toile, il s’impose un certain nombre de contraintes. Le format carré de cette oeuvre et sa palette restreinte assurent à l’oeuvre de demeurer dans ces limites. Pour Ryman, le format carré, avec son sens inhérent de l’équilibre est important parce qu’il élimine le besoin pour l’artiste d’assigner un ordre visuel. Rejetant l’idée traditionnelle de la peinture comme signifiant, Ryman élimine toute notion de pigment comme agent représentatif pour ne garder qu’une surface concentrée sur les qualités physiques inhérentes à la peinture - texture, densité, lumière et réflexivité. Bâtis en coups de pinceaux courts, appliqués avec la souplesse et la fluidité caractéristiques des oeuvres qu’il réalise à cette époque (où il analyse les différents effets esthétiques de divers types de pinceaux et de longueurs de traits), les pics et les zones d’empâtements d’Untitled #32 créent une texture particulièrement riche et diverse où lumière et ombre se répondent en engendrent une euphorie visuelle à la surface de l’oeuvre. Ce sentiment d’activité est alors souligné par des flashs choisis de vert frais et de rouges enflammés que Ryman insère de façon ponctuelle à la surface de la toile. Parlant de son travail à l’époque, Ryman se rappelle : « Je me suis aperçu que j’éliminais beaucoup. Je posais la peinture, puis je la recouvrais, j’essayais d’en arriver à quelques éléments essentiels. C’était comme effacer quelque chose pour le recouvrir de blanc » (R. Ryman cité in N.Grimes, ‘White Magic’, Art News, Été 1986, p.90).
Faisant partie des oeuvres fondamentales qu’il réalise dans les années 1960, Untitled #32 donne à voir Ryman découvrant la richesse de ses matériaux épurés, qui à son tour le poussent à se consacrer plus résolument à la recherche des propriétés esthétiques de la peinture blanche, qu’il poursuivra au cours des cinquante années suivantes. Ryman explore sans relâche le lyrisme du signe individuel, rendant le geste du peintre d’autant plus puissant qu’il s’exprime de la façon la plus pure, par le simple biais de la peinture blanche. En se concentrant sur la substance matérielle de la peinture, à la fois comme forme et sujet de son travail, il crée des oeuvres d’art à l’esthétique puissante et méditative. Comme il l’explique lui-même : « Depuis mes débuts ou presque j’ai eu une approche intuitive de la peinture. L’utilisation du blanc dans mes tableaux est arrivée quand je me suis aperçu qu’il ne crée pas d’interférence. C’est une couleur neutre qui permet de clarifier des nuances de la peinture. Je dirais que la poésie de la peinture a un lien avec la sensation. Ça doit être une sorte de révélation, une expérience pleine de révérence même » (R.Ryman, cité in K.Stiles & P. Seltz ((éditeurs), Theories and Documents of Contemporary Art, Berkeley, 1996, pp. 607-608).
On a piece of raw, unprimed linen Robert Ryman arranges a series of highly textured brushstrokes. Assembled without any discernable order, these white, green and red marks nevertheless appear elegant and poetic as they lie upon the surface of the roughly hewn support. With simple gestures such as these, Ryman challenged the reigning hegemony of art that had transpired for over a millennia. Dispensing with the figurative or gestural, and celebrating them for what they were, the essential and foundational elements of abstract painting.
Above everything else, Ryman is an artist who focuses deeply on the expressive nature of his surfaces. His paintings celebrate qualities that arise purely through his technique, through his handling of materials, and it is his intention to release the full potential of the pigment, canvas (or whichever material he uses) “to act on their own behalf” (A. Rorimer, New Art in the 60s and 70s: Redefining Reality, London, 2001). The work itself, rather than a representational image or a series of painterly abstract gestures, creates an open field over which the eye can wander. Here, in Untitled #32, its compelling presence is indelibly imprinted both materially and optically on the eye of the viewer: no distinction exists between the process of creation and its final result. “There is never a question of what to paint but only how to paint. The how of painting has always been the image – the end product” (R. Ryman, quoted in R. Storr, “Robert Ryman,” On the Edge: Contemporary Art from the Werner and Elaine Dannheisser Collection, New York, 1998, p. 114). Bringing together form and content, process and product, has been foundational for Ryman’s art practice for over six decades, and the result is nowhere more in evidence than in the evocative aesthetic vocabulary of the present work. No-one section of the surface demands specific attention—the entire field is an open arena. Yet, with more focused looking, what at first appears devoid of interest actually becomes an invitation to examine the details of tonal variation that occupy it. As the curator and art historian Robert Storr has remarked, it slows viewing down (R. Storr, ibid., p. 116). One begins to understand that in a painting such as this, nothing is left to chance or appears by accident; every fiber, every “bleed,” every meeting of pigment and support and every variation in its surface is intended by the artist. What is at stake here is our perception, the time we take to consider the relationships between its details and the whole, a stage “where pure form becomes pure pictorial poetry” (Ibid.).
Ryman’s career is distinguished by its intellectual rigor, and in order to focus his complete attention on his interrogations into the practice of putting paint on canvas, he placed a number of clearly defined parameters on himself. The present work’s square format and restrictive palette ensures that this work falls resolutely within these boundaries. For Ryman, the square format, with its inherent sense of balance, was important as it did away with the need for the artist to assign pictorial order. Rejecting tradition ideas of paint acting as a signifier, Ryman removed all notion of pigment as a representative agent to leave a surface that focuses on the inherent physical qualities of the paint – texture, density, light and reflectivity. Constructed of short strokes applied with supple ease and fluidity, typical in his works from this period, in which he investigated the different aesthetic effects of different types of brushes and lengths of strokes. Untitled #32’s peaks and valleys of impasto creates an opulent and diverse texture in which light and shadow tussle for attention and make the surface of the work dance with visual delight. This sense of activity is then enhanced by the selective flashes of fresh green and fiery reds that Ryman inserts sporadically across the surface of the work. In discussing his work during this period, Ryman recalled, “I found that I was eliminating a lot. I would put the color down, then paint over it, trying to get down a few crucial elements. It was like erasing something to put white over it” (R. Ryman quoted in N. Grimes,’White Magic’, Art News, Summer 1986, p.90).