拍品專文
Cette œuvre est répertoriée aux archives de la Galerie Jean Fournier sous le No. CF.3.4.28.
« Le pliage ne procédait de rien. Il fallait simplement se mettre dans l’état de ceux qui n’ont encore rien vu ; se mettre dans la toile. On pouvait remplir la toile pliée sans savoir où était le bord. On ne sait plus alors où cela s’arrête. On pouvait même aller plus loin et peindre les yeux fermés »
“The folding technique didn’t originate anywhere. You simply had to put yourself in the position of someone who hadn’t yet seen anything, immerse yourself in the canvas. The folded canvas could be filled without knowing where the edge was. Then you no longer knew where it would end. You could even go further and paint with your eyes shut”
— SIMON HANTAÏ
Blanc est l’un des tableaux plus spectaculaires de la série d’oeuvres réalisées par Simon Hantaï entre 1973 et 1974. Sur un format magistral et dans un all-over total – sans qu’il ne soit possible, à aucun moment, de distinguer centre et périphérie, premier et arrière plans – jaillit une myriade de champs colorés. Surgissent ici des zones écarlates, fuchsia, violettes ou orange ardent ; là se décline avec une infinie délicatesse la gamme des bleus – allant de l’azur à l’indigo –, tandis qu’ailleurs se déploient bruns et verts, tantôt vifs et frais, tantôt plus sombres et forestiers. Le recours à l’acrylique (beaucoup moins épaisse que l’huile dont l’artiste se servait dans les toiles de la décennie précédente) engendre des jeux de transparences dans lesquelles l’oeil vient se perdre : il n’y a aucun coup de pinceaux visibles, ni empâtements de peinture tels qu’on les voyait dans les Mariales, ni coulures comme on en trouvait dans les Meuns. La surface est parfaitement plane, uniformément lisse. N’y demeure la trace d’aucune espèce d’intervention, comme si l’artiste s’en était retiré, pour que « l’espace sans cadre entre dans la danse. » A ce titre, Blanc, incarne une forme d’aboutissement des recherches menées par Hantaï depuis le tournant des années 1960 autour du pliage.
L’artiste définissait en effet le pliage comme une méthode, c’est-à-dire non pas une technique artistique (suggérant une maîtrise des moyens utilisés et un champ de compétences ayant fait l’objet d’un apprentissage préalable) mais un procédé, un protocole d’actions successives n’exerçant pas de contrôle sur le résultat final ; en somme une formule aveugle : « Matisse disait aux peintres: ‘Coupez-vous la langue !’ Moi j’ajoute : ‘Crevez-vous les yeux ! » (Hantaï cité in Simon Hantaï, catalogue d’exposition, Centre Pompidou, mai-septembre 2013, p. 11). La part laissée au hasard s’inscrit en ce sens dans la prolongation de l’écriture automatique chère aux Surréalistes (dont l’artiste a été l’un des compagnons de route lors de son arrivée à Paris, au début des années 1950). Lorsqu’il réalise l’une de ses oeuvres, Hantaï ne doit se concentrer que sur un nombre restreint de décisions objectives : nul dessein préconçu ; seulement le choix du format et des couleurs. Ensuite, c’est seulement le jeu du pliage – au gré des torsions subies par la toile – qui exerce son oeuvre. Ce faisant, l’artiste contribue à remettre en cause la notion même de composition. Ainsi que le décrit Jean Clair, avec le pliage (et le dépliage), « disparaît surtout la notion d’une composition, c’est-à-dire celle d’un déroulement linéaire, d’une parole discursive, ce mouvement mélodique et continu supposant une origine et une fin. […] Car, une fois dépliée et suspendue à la paroi, la toile n’apparaît plus tant comme discours […] que comme dis-cours, parole indéfiniment rompue, éclatée, non plus tant déroulée qu’enroulée infiniment autour des blancs qu’ont laissés inscrits sur la surface de la toile les pliures » (J. Clair, Art en France, une nouvelle génération, Paris, 1972).
Cette entreprise de déconstruction de la peinture atteint son paroxysme avec les Blancs. Si Hantaï, avec les Etudes de la fin des années 1960, avait semblé poser comme principe la stricte équivalence entre le peint et le non-peint – fruits du hasard du pliage et du dépliage, les zones colorées revêtaient une importance égale à celles restées en réserve –, le rapport de force semble désormais s’inverser au bénéfice du blanc. « Diffusée, éclatée sur la toile, en un semis de fragments de transparences colorées, la peinture occupe dans cette série de 1973-1974 le rôle qu’occupaient les réserves blanches dans les études de 1969. […] Ce sont les éclats peints qui prennent dans les toiles de 1973-1974 la fonction du non-peint pour faire apparaître la multiplicité des blancs de la toile comme constituant la structure dominante du tableau » (M. Pleynet, « Identité de la lumière », Hantaï, Marseille, 1983, non paginé). En réduisant la couleur à la portion congrue, l’artiste poursuit son entreprise d’effacement derrière son oeuvre. « Il m’a fallu plusieurs années pour digérer la tactilité. Maintenant, ce n’est pas ce que je peins qui compte mais ce que je ne peins pas – c’est le blanc. » (Simon Hantaï cité in G. Bonnefoi, Hantaï, Beaulieu-en-Rouergue, 1973, p. 24).
Blanc is one of the most spectacular of the series of works Simon Hantaï created between 1973 and 1974. From its colossal format and all-over effect a myriad of coloured washes emerges, although it is impossible to distinguish the middle from the edge or the foreground from the background at any point. Here are areas of scarlet, fuchsia, purple or blazing orange; there, an infinitely delicate series of blues – ranging from azure to indigo, while elsewhere browns and greens are applied, sometimes vivid and fresh, sometimes the darker tones of a forest. Hantaï’s use of acrylics (not nearly as thick as the oils he used to deploy in the canvases of the previous decade) generates transparencies where the eye loses its way: no brush strokes can be discerned, none of the impasto he used in his Meuns paintings, none of the colours of his Mariales. The surface is perfectly flat, uniformly smooth. No trace remains of any kind of intervention, as if the artist had departed, to enable “unframed space to join the dance”. In that respect, Blanc thus incarnates the completion of the research into folding which Hantaï had been pursuing since the early 1960s.
Hantaï in fact defined folding as a method rather than an artistic technique (suggesting the artist’s mastery of the materials used and the fruit of a previous learning process), as a procedure, a protocol of successive actions which do not control the end result; all in all, a formula of blindness: “Matisse used to tell painters: ‘Cut out your tongue’! To which I would add ‘Put out your eyes’!” (Hantaï quoted in Simon Hantaï, exhibition catalogue, Centre Pompidou, May - September 2013, p. 11). In that sense, the share left to chance is a continuation of the automatic writing technique so beloved of the Surrealists (whose travelling companion the artist became when he reached Paris in the early 1950s). When creating one of his works, Hantaï would concentrate only on a limited number of objective decisions: no preconceived drawing, simply a choice of format and colours. Then, he would let the folding take effect – according to the twists and turns of the canvas – to create his work. In so doing, he helped challenge the very idea of composition. To quote Jean Clair, with the folding (and unfolding), “above all, the notion of composition disappears, that is to say a linear progress, a discursive speech, that melodious and continuous movement which presupposes a beginning and an end. { … } For, once the canvas is unfolded and hung on the wall, it ceases to look like a discourse and appears more of a dis–course, a speech indefinitely interrupted, burst, no longer so much unrolled but rather infinitely rolled up round the whites which the folds have left on the surface of the canvas”. (J. Clair, Art en France, une nouvelle génération, Paris, 1972).
The determination to deconstruct painting reached its apogee in Hantaï’s Blancs. Although in his Études of the late 1960s Hantaï seems to have adopted the principle of strict equivalence between what is painted and what is not – the fruit of chance produced by folding and unfolding the canvas, the coloured washes became as important as those left uncoloured, the relationship of strength seems to have been reversed in favour of what is left white. “Diffused, broken up on the canvas, in a strewing of fragments of coloured transparencies, painting takes over, in this 1973-1974 series, the role played by white reserves in the 1969 studies. […] The bursts of colour assume, in the 1973-1974 canvases, the function of the unpainted, revealing the multiplicity of blanks in the canvas as constituting the dominant structure of the painting” (M. Pleynet, « Identité de la lumière », Hantaï, Marseille, 1983, unpaged).
By reducing colour to the congruous portion, the artist pursued his determination to disappear behind his work. “It took me several years to digest tactility. Nowadays, it is not what I paint which counts, but what I do not paint. What counts is the white”. (Simon Hantaï quoted in G. Bonnefoi, Hantaï, Beaulieu-en-Rouergue, 1973, p. 24).
« Le pliage ne procédait de rien. Il fallait simplement se mettre dans l’état de ceux qui n’ont encore rien vu ; se mettre dans la toile. On pouvait remplir la toile pliée sans savoir où était le bord. On ne sait plus alors où cela s’arrête. On pouvait même aller plus loin et peindre les yeux fermés »
“The folding technique didn’t originate anywhere. You simply had to put yourself in the position of someone who hadn’t yet seen anything, immerse yourself in the canvas. The folded canvas could be filled without knowing where the edge was. Then you no longer knew where it would end. You could even go further and paint with your eyes shut”
— SIMON HANTAÏ
Blanc est l’un des tableaux plus spectaculaires de la série d’oeuvres réalisées par Simon Hantaï entre 1973 et 1974. Sur un format magistral et dans un all-over total – sans qu’il ne soit possible, à aucun moment, de distinguer centre et périphérie, premier et arrière plans – jaillit une myriade de champs colorés. Surgissent ici des zones écarlates, fuchsia, violettes ou orange ardent ; là se décline avec une infinie délicatesse la gamme des bleus – allant de l’azur à l’indigo –, tandis qu’ailleurs se déploient bruns et verts, tantôt vifs et frais, tantôt plus sombres et forestiers. Le recours à l’acrylique (beaucoup moins épaisse que l’huile dont l’artiste se servait dans les toiles de la décennie précédente) engendre des jeux de transparences dans lesquelles l’oeil vient se perdre : il n’y a aucun coup de pinceaux visibles, ni empâtements de peinture tels qu’on les voyait dans les Mariales, ni coulures comme on en trouvait dans les Meuns. La surface est parfaitement plane, uniformément lisse. N’y demeure la trace d’aucune espèce d’intervention, comme si l’artiste s’en était retiré, pour que « l’espace sans cadre entre dans la danse. » A ce titre, Blanc, incarne une forme d’aboutissement des recherches menées par Hantaï depuis le tournant des années 1960 autour du pliage.
L’artiste définissait en effet le pliage comme une méthode, c’est-à-dire non pas une technique artistique (suggérant une maîtrise des moyens utilisés et un champ de compétences ayant fait l’objet d’un apprentissage préalable) mais un procédé, un protocole d’actions successives n’exerçant pas de contrôle sur le résultat final ; en somme une formule aveugle : « Matisse disait aux peintres: ‘Coupez-vous la langue !’ Moi j’ajoute : ‘Crevez-vous les yeux ! » (Hantaï cité in Simon Hantaï, catalogue d’exposition, Centre Pompidou, mai-septembre 2013, p. 11). La part laissée au hasard s’inscrit en ce sens dans la prolongation de l’écriture automatique chère aux Surréalistes (dont l’artiste a été l’un des compagnons de route lors de son arrivée à Paris, au début des années 1950). Lorsqu’il réalise l’une de ses oeuvres, Hantaï ne doit se concentrer que sur un nombre restreint de décisions objectives : nul dessein préconçu ; seulement le choix du format et des couleurs. Ensuite, c’est seulement le jeu du pliage – au gré des torsions subies par la toile – qui exerce son oeuvre. Ce faisant, l’artiste contribue à remettre en cause la notion même de composition. Ainsi que le décrit Jean Clair, avec le pliage (et le dépliage), « disparaît surtout la notion d’une composition, c’est-à-dire celle d’un déroulement linéaire, d’une parole discursive, ce mouvement mélodique et continu supposant une origine et une fin. […] Car, une fois dépliée et suspendue à la paroi, la toile n’apparaît plus tant comme discours […] que comme dis-cours, parole indéfiniment rompue, éclatée, non plus tant déroulée qu’enroulée infiniment autour des blancs qu’ont laissés inscrits sur la surface de la toile les pliures » (J. Clair, Art en France, une nouvelle génération, Paris, 1972).
Cette entreprise de déconstruction de la peinture atteint son paroxysme avec les Blancs. Si Hantaï, avec les Etudes de la fin des années 1960, avait semblé poser comme principe la stricte équivalence entre le peint et le non-peint – fruits du hasard du pliage et du dépliage, les zones colorées revêtaient une importance égale à celles restées en réserve –, le rapport de force semble désormais s’inverser au bénéfice du blanc. « Diffusée, éclatée sur la toile, en un semis de fragments de transparences colorées, la peinture occupe dans cette série de 1973-1974 le rôle qu’occupaient les réserves blanches dans les études de 1969. […] Ce sont les éclats peints qui prennent dans les toiles de 1973-1974 la fonction du non-peint pour faire apparaître la multiplicité des blancs de la toile comme constituant la structure dominante du tableau » (M. Pleynet, « Identité de la lumière », Hantaï, Marseille, 1983, non paginé). En réduisant la couleur à la portion congrue, l’artiste poursuit son entreprise d’effacement derrière son oeuvre. « Il m’a fallu plusieurs années pour digérer la tactilité. Maintenant, ce n’est pas ce que je peins qui compte mais ce que je ne peins pas – c’est le blanc. » (Simon Hantaï cité in G. Bonnefoi, Hantaï, Beaulieu-en-Rouergue, 1973, p. 24).
Blanc is one of the most spectacular of the series of works Simon Hantaï created between 1973 and 1974. From its colossal format and all-over effect a myriad of coloured washes emerges, although it is impossible to distinguish the middle from the edge or the foreground from the background at any point. Here are areas of scarlet, fuchsia, purple or blazing orange; there, an infinitely delicate series of blues – ranging from azure to indigo, while elsewhere browns and greens are applied, sometimes vivid and fresh, sometimes the darker tones of a forest. Hantaï’s use of acrylics (not nearly as thick as the oils he used to deploy in the canvases of the previous decade) generates transparencies where the eye loses its way: no brush strokes can be discerned, none of the impasto he used in his Meuns paintings, none of the colours of his Mariales. The surface is perfectly flat, uniformly smooth. No trace remains of any kind of intervention, as if the artist had departed, to enable “unframed space to join the dance”. In that respect, Blanc thus incarnates the completion of the research into folding which Hantaï had been pursuing since the early 1960s.
Hantaï in fact defined folding as a method rather than an artistic technique (suggesting the artist’s mastery of the materials used and the fruit of a previous learning process), as a procedure, a protocol of successive actions which do not control the end result; all in all, a formula of blindness: “Matisse used to tell painters: ‘Cut out your tongue’! To which I would add ‘Put out your eyes’!” (Hantaï quoted in Simon Hantaï, exhibition catalogue, Centre Pompidou, May - September 2013, p. 11). In that sense, the share left to chance is a continuation of the automatic writing technique so beloved of the Surrealists (whose travelling companion the artist became when he reached Paris in the early 1950s). When creating one of his works, Hantaï would concentrate only on a limited number of objective decisions: no preconceived drawing, simply a choice of format and colours. Then, he would let the folding take effect – according to the twists and turns of the canvas – to create his work. In so doing, he helped challenge the very idea of composition. To quote Jean Clair, with the folding (and unfolding), “above all, the notion of composition disappears, that is to say a linear progress, a discursive speech, that melodious and continuous movement which presupposes a beginning and an end. { … } For, once the canvas is unfolded and hung on the wall, it ceases to look like a discourse and appears more of a dis–course, a speech indefinitely interrupted, burst, no longer so much unrolled but rather infinitely rolled up round the whites which the folds have left on the surface of the canvas”. (J. Clair, Art en France, une nouvelle génération, Paris, 1972).
The determination to deconstruct painting reached its apogee in Hantaï’s Blancs. Although in his Études of the late 1960s Hantaï seems to have adopted the principle of strict equivalence between what is painted and what is not – the fruit of chance produced by folding and unfolding the canvas, the coloured washes became as important as those left uncoloured, the relationship of strength seems to have been reversed in favour of what is left white. “Diffused, broken up on the canvas, in a strewing of fragments of coloured transparencies, painting takes over, in this 1973-1974 series, the role played by white reserves in the 1969 studies. […] The bursts of colour assume, in the 1973-1974 canvases, the function of the unpainted, revealing the multiplicity of blanks in the canvas as constituting the dominant structure of the painting” (M. Pleynet, « Identité de la lumière », Hantaï, Marseille, 1983, unpaged).
By reducing colour to the congruous portion, the artist pursued his determination to disappear behind his work. “It took me several years to digest tactility. Nowadays, it is not what I paint which counts, but what I do not paint. What counts is the white”. (Simon Hantaï quoted in G. Bonnefoi, Hantaï, Beaulieu-en-Rouergue, 1973, p. 24).