拍品專文
Cette œuvre est inscrite à l'inventaire de l'œuvre de Martial Raysse sous le numéro IMR-0093 et est accompagnée d'un certificat d'authenticité de l'artiste daté de 2018.
« Disons que mes tableaux sont peut-être un exorcisme. Il faut chasser l’idée de mort, se rassurer. Par le travail, par la beauté. »
“ What I really mean is that my paintings are perhaps an exorcism. One needs to drive away the idea of death, reassure oneself. Through work, through beauty.“
MARTIAL RAYSSE
LA JOCONDE DES SIXTIES
Drapée dans un élégant voile vert d’eau que retient une épingle à tête rouge et coiffée d’un étonnant couvre-chef de houppettes bigarrées, Béatrice semble presque absente, abandonnée à ses pensées. Ses paupières rehaussées de fard orange cachent son regard. Elle se tient en retrait, inaccessible à qui voudrait l’interpeler, et en est de ce fait d’autant plus magnétique. Elle revêt les atours de la féminité des années soixante telle qu’elle s’affiche alors dans les magazines et en devanture des Prisunic. Ses accessoires sont faits d’artefacts de la société de consommation qui soulignent l’artificialité de sa beauté : la futilité vaporeuse des pompons, les plumes d’autruche des cheveux et des cils, le voile synthétique, le flacon de shampooing à demi-consommé. Sur sa joue, une mouche est dessinée au crayon. Symbole ambivalent par excellence et motif récurrent chez Martial Raysse (qui a parfois recours à de « véritables » mouches en plastique dans ses compositions), la mouche sublime les traits en même temps qu’elle immisce au coeur-même du visage l’idée de sa décrépitude à venir.
En ce début des années 1960, Martial Raysse prend le contrepied du sérieux et de la morosité qui lui semblent régner chez ses contemporains. « La tristesse humaine était à la mode et Buffet du dernier chic avec ses figures tragiques et ses cernes sous les yeux. Je voulais exalter le monde moderne, l’optimisme et le soleil. Peindre la tristesse ne peut être que le jeu snob d’une inconscience maladive ! » (Martial Raysse cité in Martial Raysse, catalogue d’exposition, Paris, Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, mai-septembre 2014, p. 21). Ses oeuvres s’emploient à exalter la beauté et la joie, ayant recours aux images que lui offre la publicité triomphante de cette époque que l’on appellera bientôt les Trente Glorieuses. C’est dans l’imaginaire de la réclame populaire qu’il puise ses matériaux, en découpant notamment des visages de femmes (à l’instar de celui de Béatrice) qu’il réutilise ensuite dans ses oeuvres.
Béatrice fait partie d’une rare série de huit oeuvres réalisées sur miroir par Martial Raysse dès 1961 (dont La France Miroir, 1961, conservée dans les collections du Mumok, Vienne), anticipant d’une année l’usage qu’en fera un autre artiste majeur de la seconde partie du XXe siècle, Michelangelo Pistoletto. Le miroir, accessoire indispensable de la coquetterie féminine, offre à l’artiste la faculté d’une mise abyme de la condition du spectateur qui se contemple lui-même en même temps qu’il regarde l’oeuvre qui lui fait face. Se définissant comme un « ingénieur de la vision » (Martial Raysse, catalogue d’exposition, Paris, Musée du Jeu de Paume, novembre 1992-janvier 1993, p. 47), Raysse utilise les propriétés réflexives du miroir pour happer le spectateur et le faire entrer au coeur-même de ses oeuvres, de la même façon que la publicité pousse celui qui la regarde à se projeter en elle et à faire siennes les aspirations qu’elle suscite.
Très tôt, l’oeuvre de Martial Raysse entretient un lien naturel avec celle de ses pairs d’outre- Atlantique. Ainsi, en 1962, il participe à l’exposition « The New Realists » à la Sidney Janis Gallery de New York, qui confronte artistes européens (Arman, Christo, Tinguely, Klein, Rotella, Spoerri) et américains (Warhol, Lichtenstein, Segal, Oldenburg, Dine, Wesselmann). Quelques mois plus tard, c’est sur la côte ouest qu’il pose ses valises et que son exposition à la Dwan Gallery – tête de pont entre les scènes d’avant-garde de France et des États- Unis – connait un important succès. L’exaltation de la féminité et le déploiement d’une palette éclatante et joyeuse sont autant de thématiques qui résonnent avec l’émergence d’un Pop Art américain, dont Andy Warhol est à l’époque le chef de file. Pour autant, à la différence des oeuvres de ce dernier, les icônes de l’artiste français ne sont pas les intouchables stars d’Hollywood (Liz Taylor, Marylin Monroe, etc.) : ce sont au contraire des figures anonymes, incarnant un idéal à portée de main. Béatrice se révèle en ce sens un exemple emblématique de la tension qui est au coeur de la beauté telle que Martial Raysse la célèbre dans ses oeuvres : une beauté mise en scène par des accessoires que l’on trouve dans les rayons des grands magasins, si proche que l’on s’y identifierait volontiers ; mais une beauté de papier glacé, comme vouée à demeurer à jamais un mirage inaccessible, caché derrière le mystère d’yeux mi-clos.
THE SIXTIES MONA LISA
Draped in an elegant sea-green scarf held in place by a red-topped pin, her hair styled with an amazing headdress of multicoloured powder puffs, Béatrice seems almost absent, lost in thought. Her eyelids, emphasised with orange eye-shadow, conceal her gaze. She holds back, inaccessible to anyone who might want to address her, and this makes her all the more magnetic. She has the attributes of sixties’ femininity as it was portrayed in magazines and bargain store fronts. Her accessories are made up of artefacts from a consumer society, which serve to emphasise the artificialness of her beauty: the fluffy triviality of the pompoms, the ostrich feathers in her hair and eyelashes, the synthetic scarf, the half-empty shampoo bottle. On her cheek is a fly drawn in pencil. An ambivalent symbol par excellence, and a recurrent motif in Martial Raysse’s work (he sometimes uses “real” plastic flies in his compositions), the fly enhances her features whilst simultaneously inserting the idea of their inevitable decay at the focal point of the face.
At the start of the 1960’s, Martial Raysse flew in the face of the seriousness and moroseness that he thought prevailed amongst his contemporaries. “Human sadness was in fashion and Buffet was the latest in chic, with his tragic figures and their dark circles under their eyes. I wanted to extol the modern world, optimism and the sun. Painting sadness can only be a snobbish game of pathological unconsciousness!” (Martial Raysse quoted in Martial Raysse, exhibition catalogue, Paris, Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, May-September 2014, p. 21). His works extolled beauty and joy, using images provided by the triumphant advertising of this period that would soon become known as the Glorious Thirty. It was from the imaginary world of popular advertising that he sourced his materials, cutting out women’s faces in particular (like that of Béatrice) and re-using them in his artwork.
Béatrice belongs to a series of eight works that Martial Raysse created on mirror in 1961 (La France Miroir, 1961, from this collection is kept in the Mumok collections in Vienna), a year before this medium was used by another prominent artist from the second half of the 20th century, Michelangelo Pistoletto. The mirror, that essential tool of female vanity, allowed the artist to incorporate a “mise en abyme” or image within an image of the appearance of the viewer, who then contemplates himself or herself at the same time as viewing the work in front of him or her. Describing himself as a “vision engineer” (Martial Raysse, exhibition catalogue, Paris, Musée du Jeu de Paume, November 1992 - January 1993, p. 47), Raysse uses the reflective properties of the mirror to grab hold of the viewer and bring him or her right into the heart of his work, in the same way that advertising pushes the viewer to project themselves into it and take on the aspirations that it arouses.
Very early on, Martial Raysse’ work found a natural connection with that of his counterparts on the other side of the Atlantic. And so in 1962, he took part in the “The New Realists” exhibition at the Sidney Janis Gallery in New York, which showcased European artists (Arman, Christo, Tinguely, Klein, Rotella, Spoerri) alongside American artists (Warhol, Lichtenstein, Segal, Oldenburg, Dine, Wesselmann). A few months later, he arrived on the West Coast, where his exhibition at the Dwan Gallery – a bridgehead between the French and American avant-garde scenes – was a major success. The extolment of femininity and the use of an exuberant, joyous palette are also themes which resonated with the emerging American Pop Art movement led by Andy Warhol at that time. However unlike Warhol’s work, the icons who appeared in the French artist’s pieces were not untouchable Hollywood stars (Liz Taylor, Marilyn Monroe, etc.) but anonymous figures who embodied a more accessible ideal. With that in mind, Béatrice is an iconic example of the tension which is at the heart of beauty as it is celebrated by Martial Raysse in his art: it is a beauty staged with the accessories found on the shelves of large stores and therefore so close that we readily identify with it; but at the same time it is a beauty made from glazed paper, destined to remain forever an inaccessible mirage, hidden behind the mystery of those half-open eyes.
« Disons que mes tableaux sont peut-être un exorcisme. Il faut chasser l’idée de mort, se rassurer. Par le travail, par la beauté. »
“ What I really mean is that my paintings are perhaps an exorcism. One needs to drive away the idea of death, reassure oneself. Through work, through beauty.“
MARTIAL RAYSSE
LA JOCONDE DES SIXTIES
Drapée dans un élégant voile vert d’eau que retient une épingle à tête rouge et coiffée d’un étonnant couvre-chef de houppettes bigarrées, Béatrice semble presque absente, abandonnée à ses pensées. Ses paupières rehaussées de fard orange cachent son regard. Elle se tient en retrait, inaccessible à qui voudrait l’interpeler, et en est de ce fait d’autant plus magnétique. Elle revêt les atours de la féminité des années soixante telle qu’elle s’affiche alors dans les magazines et en devanture des Prisunic. Ses accessoires sont faits d’artefacts de la société de consommation qui soulignent l’artificialité de sa beauté : la futilité vaporeuse des pompons, les plumes d’autruche des cheveux et des cils, le voile synthétique, le flacon de shampooing à demi-consommé. Sur sa joue, une mouche est dessinée au crayon. Symbole ambivalent par excellence et motif récurrent chez Martial Raysse (qui a parfois recours à de « véritables » mouches en plastique dans ses compositions), la mouche sublime les traits en même temps qu’elle immisce au coeur-même du visage l’idée de sa décrépitude à venir.
En ce début des années 1960, Martial Raysse prend le contrepied du sérieux et de la morosité qui lui semblent régner chez ses contemporains. « La tristesse humaine était à la mode et Buffet du dernier chic avec ses figures tragiques et ses cernes sous les yeux. Je voulais exalter le monde moderne, l’optimisme et le soleil. Peindre la tristesse ne peut être que le jeu snob d’une inconscience maladive ! » (Martial Raysse cité in Martial Raysse, catalogue d’exposition, Paris, Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, mai-septembre 2014, p. 21). Ses oeuvres s’emploient à exalter la beauté et la joie, ayant recours aux images que lui offre la publicité triomphante de cette époque que l’on appellera bientôt les Trente Glorieuses. C’est dans l’imaginaire de la réclame populaire qu’il puise ses matériaux, en découpant notamment des visages de femmes (à l’instar de celui de Béatrice) qu’il réutilise ensuite dans ses oeuvres.
Béatrice fait partie d’une rare série de huit oeuvres réalisées sur miroir par Martial Raysse dès 1961 (dont La France Miroir, 1961, conservée dans les collections du Mumok, Vienne), anticipant d’une année l’usage qu’en fera un autre artiste majeur de la seconde partie du XXe siècle, Michelangelo Pistoletto. Le miroir, accessoire indispensable de la coquetterie féminine, offre à l’artiste la faculté d’une mise abyme de la condition du spectateur qui se contemple lui-même en même temps qu’il regarde l’oeuvre qui lui fait face. Se définissant comme un « ingénieur de la vision » (Martial Raysse, catalogue d’exposition, Paris, Musée du Jeu de Paume, novembre 1992-janvier 1993, p. 47), Raysse utilise les propriétés réflexives du miroir pour happer le spectateur et le faire entrer au coeur-même de ses oeuvres, de la même façon que la publicité pousse celui qui la regarde à se projeter en elle et à faire siennes les aspirations qu’elle suscite.
Très tôt, l’oeuvre de Martial Raysse entretient un lien naturel avec celle de ses pairs d’outre- Atlantique. Ainsi, en 1962, il participe à l’exposition « The New Realists » à la Sidney Janis Gallery de New York, qui confronte artistes européens (Arman, Christo, Tinguely, Klein, Rotella, Spoerri) et américains (Warhol, Lichtenstein, Segal, Oldenburg, Dine, Wesselmann). Quelques mois plus tard, c’est sur la côte ouest qu’il pose ses valises et que son exposition à la Dwan Gallery – tête de pont entre les scènes d’avant-garde de France et des États- Unis – connait un important succès. L’exaltation de la féminité et le déploiement d’une palette éclatante et joyeuse sont autant de thématiques qui résonnent avec l’émergence d’un Pop Art américain, dont Andy Warhol est à l’époque le chef de file. Pour autant, à la différence des oeuvres de ce dernier, les icônes de l’artiste français ne sont pas les intouchables stars d’Hollywood (Liz Taylor, Marylin Monroe, etc.) : ce sont au contraire des figures anonymes, incarnant un idéal à portée de main. Béatrice se révèle en ce sens un exemple emblématique de la tension qui est au coeur de la beauté telle que Martial Raysse la célèbre dans ses oeuvres : une beauté mise en scène par des accessoires que l’on trouve dans les rayons des grands magasins, si proche que l’on s’y identifierait volontiers ; mais une beauté de papier glacé, comme vouée à demeurer à jamais un mirage inaccessible, caché derrière le mystère d’yeux mi-clos.
THE SIXTIES MONA LISA
Draped in an elegant sea-green scarf held in place by a red-topped pin, her hair styled with an amazing headdress of multicoloured powder puffs, Béatrice seems almost absent, lost in thought. Her eyelids, emphasised with orange eye-shadow, conceal her gaze. She holds back, inaccessible to anyone who might want to address her, and this makes her all the more magnetic. She has the attributes of sixties’ femininity as it was portrayed in magazines and bargain store fronts. Her accessories are made up of artefacts from a consumer society, which serve to emphasise the artificialness of her beauty: the fluffy triviality of the pompoms, the ostrich feathers in her hair and eyelashes, the synthetic scarf, the half-empty shampoo bottle. On her cheek is a fly drawn in pencil. An ambivalent symbol par excellence, and a recurrent motif in Martial Raysse’s work (he sometimes uses “real” plastic flies in his compositions), the fly enhances her features whilst simultaneously inserting the idea of their inevitable decay at the focal point of the face.
At the start of the 1960’s, Martial Raysse flew in the face of the seriousness and moroseness that he thought prevailed amongst his contemporaries. “Human sadness was in fashion and Buffet was the latest in chic, with his tragic figures and their dark circles under their eyes. I wanted to extol the modern world, optimism and the sun. Painting sadness can only be a snobbish game of pathological unconsciousness!” (Martial Raysse quoted in Martial Raysse, exhibition catalogue, Paris, Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, May-September 2014, p. 21). His works extolled beauty and joy, using images provided by the triumphant advertising of this period that would soon become known as the Glorious Thirty. It was from the imaginary world of popular advertising that he sourced his materials, cutting out women’s faces in particular (like that of Béatrice) and re-using them in his artwork.
Béatrice belongs to a series of eight works that Martial Raysse created on mirror in 1961 (La France Miroir, 1961, from this collection is kept in the Mumok collections in Vienna), a year before this medium was used by another prominent artist from the second half of the 20th century, Michelangelo Pistoletto. The mirror, that essential tool of female vanity, allowed the artist to incorporate a “mise en abyme” or image within an image of the appearance of the viewer, who then contemplates himself or herself at the same time as viewing the work in front of him or her. Describing himself as a “vision engineer” (Martial Raysse, exhibition catalogue, Paris, Musée du Jeu de Paume, November 1992 - January 1993, p. 47), Raysse uses the reflective properties of the mirror to grab hold of the viewer and bring him or her right into the heart of his work, in the same way that advertising pushes the viewer to project themselves into it and take on the aspirations that it arouses.
Very early on, Martial Raysse’ work found a natural connection with that of his counterparts on the other side of the Atlantic. And so in 1962, he took part in the “The New Realists” exhibition at the Sidney Janis Gallery in New York, which showcased European artists (Arman, Christo, Tinguely, Klein, Rotella, Spoerri) alongside American artists (Warhol, Lichtenstein, Segal, Oldenburg, Dine, Wesselmann). A few months later, he arrived on the West Coast, where his exhibition at the Dwan Gallery – a bridgehead between the French and American avant-garde scenes – was a major success. The extolment of femininity and the use of an exuberant, joyous palette are also themes which resonated with the emerging American Pop Art movement led by Andy Warhol at that time. However unlike Warhol’s work, the icons who appeared in the French artist’s pieces were not untouchable Hollywood stars (Liz Taylor, Marilyn Monroe, etc.) but anonymous figures who embodied a more accessible ideal. With that in mind, Béatrice is an iconic example of the tension which is at the heart of beauty as it is celebrated by Martial Raysse in his art: it is a beauty staged with the accessories found on the shelves of large stores and therefore so close that we readily identify with it; but at the same time it is a beauty made from glazed paper, destined to remain forever an inaccessible mirage, hidden behind the mystery of those half-open eyes.