拍品專文
« La peinture ne doit pas seulement être un mur sur un mur. La peinture doit figurer dans l’espace. […] Je n’oppose pas la peinture abstraite à la peinture figurative. Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative. »
“For me, abstract painting and figurative painting are not opposites. A painting should be both abstract and figurative. Abstract insofar as it is a wall, figurative insofar as it represents a space.”
Nicolas de Staël
Une falaise escarpée, majestueuse et austère, se dessine à l’horizon du Cap Blanc Nez de Nicolas de Staël. Devant les falaises, la juxtaposition des couleurs transporte l’oeil sur une plage de sable fin, surmontée d’une lande verdoyante – celle qui recouvre la côte d’Opale en ce mois de juillet 1954. Pourtant, le peintre n’est en rien le prestidigitateur du réel. « Nicolas de Staël prenait tout à la nature excepté son image », dira le critique Roger van Gindartaël (cité in Nicolas de Staël, rétrospective de l’oeuvre peint, catalogue d’exposition, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, 1991, p. 88). Ce qu’il peint d’abord, c’est la lumière saisissante de la mer nordique, les embruns d’eau salée qui collent à la peau, le bruissement du vent contre les roches froides – l’impression immédiate, en somme, d’un paysage vu.
Cap Blanc Nez s’inscrit dans la reconquête effrénée du réel qui anime Staël depuis 1952 : son vocabulaire abstrait se plie désormais à une perception subjective du monde. Réalisé à l’été 1954 – le dernier du peintre, l’oeuvre témoigne surtout d’un ultime recommencement plastique. La pâte épaisse que Staël sculpte jusque lors au couteau se mue en une matière légère, posée au pinceau par touches fluides, presque diaphanes. Et la couleur seule construit le paysage. Des bleus pâles et opalins forment sur la droite le ciel et l’océan. Au premier plan, ce sont des harmonies scintillantes de vert d’émeraude et de jade, tirant sur l’aigue-marine, qui habillent la dune. Sous la peinture lisse, l’enduit blanc apparaît en transparence. Il vient séparer les touches embrassées, figure même sur la toile le sable blanc et les reflets lumineux de la falaise.
La nouvelle peinture de Staël surprend la critique. En février 1954, il expose chez Paul Rosenberg à New York. Le public américain est conquis et tous les tableaux sont vendus. À Paris, il présente ses dernières oeuvres à la galerie Jacques Dubourg en juin. Mais la presse, très dure, place le peintre en proie au doute. L’année 1954 verra Staël s’isoler de plus en plus, il s’installera même en septembre seul, dans l’atelier qu’il achète à Antibes. Cap Blanc Nez est le fruit de cette période trouble : la solitude du peintre se lit dans le paysage déserté. Peuplé de couleurs vives, son cap n’en demeure pas moins le vecteur d’un émerveillement, tel qu’André Chastel le décrit : « Rarement homme a plus intraitablement préservé cette aptitude à l’éblouissement que l’habitude de vivre peut si bien émousser ou abolir […] La vigilance à l’imprévu. Attitude de vivre, qui sera intégralement projetée dans la peinture » (cité in Nicolas de Staël : l’impatience et la jubilation, catalogue d’exposition, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, 1972).
A steep cliff - majestic and austere - takes shape on the horizon of Cap Blanc Nez by Nicolas de Staël. In front of the cliffs, the juxtaposition of colours draws the eye to a beach of fine sand beneath a verdant moor, the one that covered the Côte d’Opale in July 1954. And yet the painter is not at all a magician of reality. ‘Nicolas de Staël borrowed everything from nature except its image,’ said the critic Roger van Gindartaël (quoted in Nicolas de Staël, Rétrospective de l’oeuvre peint, exhibition catalogue, Saint-Paul-de-Vence, Maeght Foundation, 1991, p. 88). What he painted first was the arresting light of the North Sea, the saline mist that clung to the skin, the murmur of the wind against the cold rocks—an immediate impression, in short, of a landscape observed by an eye witness.
Cap Blanc Nez is part of the frenetic reconquest of the real that took hold of de Staël in 1952: his abstract vocabulary began to bend to a subjective perception of the world. Produced in the summer of 1954—the painter’s last—the work attests first and foremost to a final renewal in his use of materials. The thick paste which de Staël until then had sculpted with a knife morphed into a light material applied with a paintbrush in fluid, nearly diaphanous dabs. Colour alone creates the landscape. Pale, opalescent blues form the sky and ocean on the right. In the foreground, sparkling harmonies of emerald green and jade, verging on aquamarine, adorn the dune. Under the smooth paint, the white plaster appears transparent. It separates the encompassing strokes, and even depicts on the canvas the white sand and luminous reflections of the cliff.
De Staël’s new painting surprised critics. In February 1954, he had a show at Paul Rosenberg’s in New York. The American public was smitten; all the paintings were sold. In Paris, he presented his latest works at Galerie Jacques Dubourg in June the same year. But the press was quite harsh, sparking doubt in the painter. Over the course of 1954, de Staël became increasingly isolated. In September he moved alone into a studio he bought in Antibes. Cap Blanc Nez is the fruit of this troubled period: the painter’s solitude is evident in the deserted landscape. Populated with bright colours, his Cape was no less a subject of wonder, as André Chastel described it: ‘Rarely has a man more uncompromisingly preserved that aptitude for bedazzlement which the routine of life can so easily dull or erase […] Vigilance for the unexpected. This attitude to life was fully projected in the painting’ (quoted in Nicolas de Staël: L’Impatience et la jubilation, exhibition catalogue, Saint-Paul-de-Vence, Maeght Foundation, 1972).
“For me, abstract painting and figurative painting are not opposites. A painting should be both abstract and figurative. Abstract insofar as it is a wall, figurative insofar as it represents a space.”
Nicolas de Staël
Une falaise escarpée, majestueuse et austère, se dessine à l’horizon du Cap Blanc Nez de Nicolas de Staël. Devant les falaises, la juxtaposition des couleurs transporte l’oeil sur une plage de sable fin, surmontée d’une lande verdoyante – celle qui recouvre la côte d’Opale en ce mois de juillet 1954. Pourtant, le peintre n’est en rien le prestidigitateur du réel. « Nicolas de Staël prenait tout à la nature excepté son image », dira le critique Roger van Gindartaël (cité in Nicolas de Staël, rétrospective de l’oeuvre peint, catalogue d’exposition, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, 1991, p. 88). Ce qu’il peint d’abord, c’est la lumière saisissante de la mer nordique, les embruns d’eau salée qui collent à la peau, le bruissement du vent contre les roches froides – l’impression immédiate, en somme, d’un paysage vu.
Cap Blanc Nez s’inscrit dans la reconquête effrénée du réel qui anime Staël depuis 1952 : son vocabulaire abstrait se plie désormais à une perception subjective du monde. Réalisé à l’été 1954 – le dernier du peintre, l’oeuvre témoigne surtout d’un ultime recommencement plastique. La pâte épaisse que Staël sculpte jusque lors au couteau se mue en une matière légère, posée au pinceau par touches fluides, presque diaphanes. Et la couleur seule construit le paysage. Des bleus pâles et opalins forment sur la droite le ciel et l’océan. Au premier plan, ce sont des harmonies scintillantes de vert d’émeraude et de jade, tirant sur l’aigue-marine, qui habillent la dune. Sous la peinture lisse, l’enduit blanc apparaît en transparence. Il vient séparer les touches embrassées, figure même sur la toile le sable blanc et les reflets lumineux de la falaise.
La nouvelle peinture de Staël surprend la critique. En février 1954, il expose chez Paul Rosenberg à New York. Le public américain est conquis et tous les tableaux sont vendus. À Paris, il présente ses dernières oeuvres à la galerie Jacques Dubourg en juin. Mais la presse, très dure, place le peintre en proie au doute. L’année 1954 verra Staël s’isoler de plus en plus, il s’installera même en septembre seul, dans l’atelier qu’il achète à Antibes. Cap Blanc Nez est le fruit de cette période trouble : la solitude du peintre se lit dans le paysage déserté. Peuplé de couleurs vives, son cap n’en demeure pas moins le vecteur d’un émerveillement, tel qu’André Chastel le décrit : « Rarement homme a plus intraitablement préservé cette aptitude à l’éblouissement que l’habitude de vivre peut si bien émousser ou abolir […] La vigilance à l’imprévu. Attitude de vivre, qui sera intégralement projetée dans la peinture » (cité in Nicolas de Staël : l’impatience et la jubilation, catalogue d’exposition, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, 1972).
A steep cliff - majestic and austere - takes shape on the horizon of Cap Blanc Nez by Nicolas de Staël. In front of the cliffs, the juxtaposition of colours draws the eye to a beach of fine sand beneath a verdant moor, the one that covered the Côte d’Opale in July 1954. And yet the painter is not at all a magician of reality. ‘Nicolas de Staël borrowed everything from nature except its image,’ said the critic Roger van Gindartaël (quoted in Nicolas de Staël, Rétrospective de l’oeuvre peint, exhibition catalogue, Saint-Paul-de-Vence, Maeght Foundation, 1991, p. 88). What he painted first was the arresting light of the North Sea, the saline mist that clung to the skin, the murmur of the wind against the cold rocks—an immediate impression, in short, of a landscape observed by an eye witness.
Cap Blanc Nez is part of the frenetic reconquest of the real that took hold of de Staël in 1952: his abstract vocabulary began to bend to a subjective perception of the world. Produced in the summer of 1954—the painter’s last—the work attests first and foremost to a final renewal in his use of materials. The thick paste which de Staël until then had sculpted with a knife morphed into a light material applied with a paintbrush in fluid, nearly diaphanous dabs. Colour alone creates the landscape. Pale, opalescent blues form the sky and ocean on the right. In the foreground, sparkling harmonies of emerald green and jade, verging on aquamarine, adorn the dune. Under the smooth paint, the white plaster appears transparent. It separates the encompassing strokes, and even depicts on the canvas the white sand and luminous reflections of the cliff.
De Staël’s new painting surprised critics. In February 1954, he had a show at Paul Rosenberg’s in New York. The American public was smitten; all the paintings were sold. In Paris, he presented his latest works at Galerie Jacques Dubourg in June the same year. But the press was quite harsh, sparking doubt in the painter. Over the course of 1954, de Staël became increasingly isolated. In September he moved alone into a studio he bought in Antibes. Cap Blanc Nez is the fruit of this troubled period: the painter’s solitude is evident in the deserted landscape. Populated with bright colours, his Cape was no less a subject of wonder, as André Chastel described it: ‘Rarely has a man more uncompromisingly preserved that aptitude for bedazzlement which the routine of life can so easily dull or erase […] Vigilance for the unexpected. This attitude to life was fully projected in the painting’ (quoted in Nicolas de Staël: L’Impatience et la jubilation, exhibition catalogue, Saint-Paul-de-Vence, Maeght Foundation, 1972).