拍品專文
« Lorsque j'étais en Californie, je me rendais souvent à la Vallée de la Mort. L'idée est venue de là, mais ensuite dans le tableau c'est devenu autre chose. » - Alberto Burri
"When I was in California, I often went to visit Death Valley. The idea came from there, but then in the painting it became something else." - Alberto Burri
Avec son vaste champ blanc parcouru de craquelures délicates, la présente œuvre, qui s'étend sur plus d'un mètre, constitue un magnifique exemple des Cretti d'Alberto Burri. Créée entre 1970 et 1979, cette série s'inspire autant des surfaces lézardées des fresques ancestrales que de la terre desséchée de la Vallée de la Mort, que l'artiste a maintes fois arpentée lors d'un séjour en Californie. Grand expérimentateur de la matière, il invente un support inédit pour explorer les possibilités de ces textures érodées, géologiques : une planche d'isolation en Celotex, sur laquelle il applique un mélange épais de pigment blanc de zinc, de la colle PVA et de la peinture acrylique blanche. En ajoutant une quantité relativement importante d'eau à sa mixture, l'artiste stimule la tendance du blanc de zinc à former une pellicule dure et cassante lorsqu'elle sèche et se fissure. En découle, le plus naturellement du monde, un paysage sillonné de failles et de fêlures. Après un temps de séchage d'une semaine, voire plus, Burri recouvre ensuite la surface d'une ultime couche d'acrylique-vinylique blanc, avant de la vernir, parfois, avec du PVA brillant. Lorsque le présent Cretto voit le jour en 1977, l'artiste maîtrise déjà pleinement ce procédé et module volontiers ses mélanges afin de parvenir à tout une gamme de résultats différents : des crevasses les plus profondes qui creusent des sillons irradiants, aux brisures les plus fines qui dessinent des dentelles régulières, comme celles obtenues ici.
À contre-courant de sa peinture informelle extrêmement gestuelle ou de l'expressionnisme abstrait de ses contemporains, les Cretti permettent à Burri de s'aventurer sur des territoires esthétiques inédits et d'approfondir sa recherche constante de nouveaux modes d'expression. L'illusion ou la représentation ne l'intéressent guère ; seuls les propriétés naturelles des matériaux guident sa démarche artistique. De la toile de jute déchirée et rafistolée des Sacchi (« sacs ») initiés au début des années 1950, aux morceaux de plastique, de bois et de fer brûlés et déformés des Combustioni (« combustions ») et des Ferri (« fers »), Burri trouve dans les matériaux qu'il tire du monde réel une puissance pure, innée. Grâce à la chaleur, à l'oxydation ou à la simple usure du temps, ses expériences engendrent des effets plastiques surprenants.
L'approche ingénieuse de Burri dérive à bien des égards de son passé de chirurgien militaire au sein de l'armée italienne, d'abord au milieu des années 1930 puis au début de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle il est fait prisonnier et envoyé dans un camp à Hereford, au Texas, pendant cinq ans. Ses œuvres sont nombreuses à effleurer les thèmes de la blessure et de la guérison. Leurs surfaces cisaillées, meurtries ou rongées par les flammes évoquent les bleus et les cicatrices, ou encore la dévastation du paysage italien qu'il découvre au lendemain du confit. S'ils sont moins viscéraux que d'autres séries de Burri, les Cretti s'imposent par leur forte présence physique. Cette œuvre-ci, qui évoque le cuir gercé d'un grand animal autant que la boue craquelée d'un désert ou les fêlures d'une peinture fatiguée, semble ainsi porter en elle une mémoire vivante, gravée dans sa chair.
Le temps long qu'il faut pour que les Cretti prennent forme – pour que le mélange de colle et de pigment se brise lentement en séchant et se contractant, pour que l'eau s'évapore progressivement – leur confère un caractère serein, contemplatif qui les distingue d'autres séries telles que les Combustioni. Plutôt que l'immédiateté brutale de la combustion, de la déchirure ou de l'entaille, les Cretti portent sur leur écorce le souvenir d'un processus méthodique et d'une énergie libérée en douceur. Si Burri intervient de temps à autre dans le processus de séchage, leurs surfaces sont principalement sculptées par l'action même des matériaux, laissant largement le résultat final au hasard. En ce sens, l'esprit de ces œuvres monochromes n'est pas sans rappeler les Achromes de Piero Manzoni. Imaginés dans les années 1950, les premiers Achromes sont conçus selon un procédé qui consiste à tremper une toile froissée et pliée dans un mélange de colle et de kaolin liquide (une argile blanche de Chine), puis de la laisser sécher naturellement : selon Manzoni, l'aspect définitif est ainsi obtenu de manière purement autonome, grâce aux propriétés physiques intrinsèques des matériaux, et non à la main de l'artiste. N'étant plus le vecteur de références extérieures, le tableau, affirme Manzoni, est alors ramené à son état premier, vierge, et redevient un territoire de découverte et de liberté. Pour Burri, cependant, les Cretti sont profondément ancrés dans la poésie du monde réel. Intensément organique, tellurique, la présente œuvre est habitée par ses allusions et ses métaphores ; et par le sentiment poignant, et tellement humain, du temps qui passe.
With its delicate field of fine white craquelure spanning more than a metre in width, the present work is a beautiful example of Alberto Burri’s Cretti. Created between 1970 and 1979, this series was inspired both by the cracked surfaces of ancient frescoes and by the parched earth of Death Valley, which Burri visited frequently while staying in California. With his typical interest in material experimentation, Burri created a new medium to explore these weathered, geological textures: upon a backing of Celotex insulation board he applied a thick mixture of zinc white pigment, PVA binder and white acrylic paint. By adding a relatively large amount of water to the blend, he encouraged the zinc white’s tendency to form a hard, brittle film as it dried and cracked, forming a natural scape of fractured pattern. After a week or more of drying, the surface was sealed with a final layer of white acryl-vinyl paint, and sometimes varnished with a gleaming layer of PVA. By the time he made the present Cretto, in 1977, he had mastered the process, modulating his mixtures to form an array of results: the Cretti range from deep, radially massed crevasses to the delicate, even filigree achieved here.
The Cretti furthered the search for new modes of art-making that defined Burri’s practice, taking a radically different route to the gestural painting of his Art Informel and Abstract Expressionist contemporaries. Uninterested in illusion or representation, he was always guided by the innate properties of his materials. From the torn and stitched burlap Sacchi (‘Sacks’) he began making in the early 1950s to the burnt, buckled plastic, wood and iron of his Combustioni (‘Combustions’) and Ferri (‘Irons’), he found an elemental power in matter taken from the real world, uncovering astonishing painterly effects through heat, oxidation and the marks of everyday wear and tear. Burri’s resourceful approach was informed by his time as a military surgeon in the Italian army, first in the mid-1930s and later in the Second World War, during which he spent five years as a prisoner of war in Hereford, Texas. Many of his works explore themes of injury and healing, with their seared, shorn and blemished surfaces echoing bruises, scars, and the wrecked Italian landscape to which he had returned after the war. If less visceral than some of Burri’s other series, the Cretti nonetheless have a powerfully physical presence: the present work recalls the cracked hide of a great animal as much as the crazing of desert mud or ancient paintwork, and carries a sense of living history in its surface.
The length of time necessary for the Cretti’s formation—the pigment-binder mixture ruptured slowly as it dried and contracted, with water evaporating gradually from beneath its skin—lends them a serene, contemplative aspect that is distinct from series such as the Combustioni. Rather than the violent immediacy of burning, cutting or tearing, the picture bears witness to a methodical process and slow release of energy. While Burri made occasional manipulations to the Cretti as they dried, their surfaces were determined primarily by the action of the materials themselves, allowing chance to play a greater role in the final result. In this sense—as well as in their pure monochrome surfaces—these works share something of the spirit of Piero Manzoni’s Achromes, commenced in the 1950s. The earliest Achromes were made by soaking creased and folded canvas in a mixture of glue and liquid kaolin, a white china clay, and left to dry naturally: Manzoni saw their final forms as in effect self-directed, determined by their intrinsic physical properties rather than by the artist’s hand. No longer a vehicle for external references, the painting, Manzoni claimed, was returned to its primal virgin state, and born anew as a zone of liberation and discovery. For Burri, however, the Cretti were rooted firmly in the poetry of the real world. Insistently earthy and organic, the present work is rich in associations and alive with a poignant, human sense of the passage of time.
"When I was in California, I often went to visit Death Valley. The idea came from there, but then in the painting it became something else." - Alberto Burri
Avec son vaste champ blanc parcouru de craquelures délicates, la présente œuvre, qui s'étend sur plus d'un mètre, constitue un magnifique exemple des Cretti d'Alberto Burri. Créée entre 1970 et 1979, cette série s'inspire autant des surfaces lézardées des fresques ancestrales que de la terre desséchée de la Vallée de la Mort, que l'artiste a maintes fois arpentée lors d'un séjour en Californie. Grand expérimentateur de la matière, il invente un support inédit pour explorer les possibilités de ces textures érodées, géologiques : une planche d'isolation en Celotex, sur laquelle il applique un mélange épais de pigment blanc de zinc, de la colle PVA et de la peinture acrylique blanche. En ajoutant une quantité relativement importante d'eau à sa mixture, l'artiste stimule la tendance du blanc de zinc à former une pellicule dure et cassante lorsqu'elle sèche et se fissure. En découle, le plus naturellement du monde, un paysage sillonné de failles et de fêlures. Après un temps de séchage d'une semaine, voire plus, Burri recouvre ensuite la surface d'une ultime couche d'acrylique-vinylique blanc, avant de la vernir, parfois, avec du PVA brillant. Lorsque le présent Cretto voit le jour en 1977, l'artiste maîtrise déjà pleinement ce procédé et module volontiers ses mélanges afin de parvenir à tout une gamme de résultats différents : des crevasses les plus profondes qui creusent des sillons irradiants, aux brisures les plus fines qui dessinent des dentelles régulières, comme celles obtenues ici.
À contre-courant de sa peinture informelle extrêmement gestuelle ou de l'expressionnisme abstrait de ses contemporains, les Cretti permettent à Burri de s'aventurer sur des territoires esthétiques inédits et d'approfondir sa recherche constante de nouveaux modes d'expression. L'illusion ou la représentation ne l'intéressent guère ; seuls les propriétés naturelles des matériaux guident sa démarche artistique. De la toile de jute déchirée et rafistolée des Sacchi (« sacs ») initiés au début des années 1950, aux morceaux de plastique, de bois et de fer brûlés et déformés des Combustioni (« combustions ») et des Ferri (« fers »), Burri trouve dans les matériaux qu'il tire du monde réel une puissance pure, innée. Grâce à la chaleur, à l'oxydation ou à la simple usure du temps, ses expériences engendrent des effets plastiques surprenants.
L'approche ingénieuse de Burri dérive à bien des égards de son passé de chirurgien militaire au sein de l'armée italienne, d'abord au milieu des années 1930 puis au début de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle il est fait prisonnier et envoyé dans un camp à Hereford, au Texas, pendant cinq ans. Ses œuvres sont nombreuses à effleurer les thèmes de la blessure et de la guérison. Leurs surfaces cisaillées, meurtries ou rongées par les flammes évoquent les bleus et les cicatrices, ou encore la dévastation du paysage italien qu'il découvre au lendemain du confit. S'ils sont moins viscéraux que d'autres séries de Burri, les Cretti s'imposent par leur forte présence physique. Cette œuvre-ci, qui évoque le cuir gercé d'un grand animal autant que la boue craquelée d'un désert ou les fêlures d'une peinture fatiguée, semble ainsi porter en elle une mémoire vivante, gravée dans sa chair.
Le temps long qu'il faut pour que les Cretti prennent forme – pour que le mélange de colle et de pigment se brise lentement en séchant et se contractant, pour que l'eau s'évapore progressivement – leur confère un caractère serein, contemplatif qui les distingue d'autres séries telles que les Combustioni. Plutôt que l'immédiateté brutale de la combustion, de la déchirure ou de l'entaille, les Cretti portent sur leur écorce le souvenir d'un processus méthodique et d'une énergie libérée en douceur. Si Burri intervient de temps à autre dans le processus de séchage, leurs surfaces sont principalement sculptées par l'action même des matériaux, laissant largement le résultat final au hasard. En ce sens, l'esprit de ces œuvres monochromes n'est pas sans rappeler les Achromes de Piero Manzoni. Imaginés dans les années 1950, les premiers Achromes sont conçus selon un procédé qui consiste à tremper une toile froissée et pliée dans un mélange de colle et de kaolin liquide (une argile blanche de Chine), puis de la laisser sécher naturellement : selon Manzoni, l'aspect définitif est ainsi obtenu de manière purement autonome, grâce aux propriétés physiques intrinsèques des matériaux, et non à la main de l'artiste. N'étant plus le vecteur de références extérieures, le tableau, affirme Manzoni, est alors ramené à son état premier, vierge, et redevient un territoire de découverte et de liberté. Pour Burri, cependant, les Cretti sont profondément ancrés dans la poésie du monde réel. Intensément organique, tellurique, la présente œuvre est habitée par ses allusions et ses métaphores ; et par le sentiment poignant, et tellement humain, du temps qui passe.
With its delicate field of fine white craquelure spanning more than a metre in width, the present work is a beautiful example of Alberto Burri’s Cretti. Created between 1970 and 1979, this series was inspired both by the cracked surfaces of ancient frescoes and by the parched earth of Death Valley, which Burri visited frequently while staying in California. With his typical interest in material experimentation, Burri created a new medium to explore these weathered, geological textures: upon a backing of Celotex insulation board he applied a thick mixture of zinc white pigment, PVA binder and white acrylic paint. By adding a relatively large amount of water to the blend, he encouraged the zinc white’s tendency to form a hard, brittle film as it dried and cracked, forming a natural scape of fractured pattern. After a week or more of drying, the surface was sealed with a final layer of white acryl-vinyl paint, and sometimes varnished with a gleaming layer of PVA. By the time he made the present Cretto, in 1977, he had mastered the process, modulating his mixtures to form an array of results: the Cretti range from deep, radially massed crevasses to the delicate, even filigree achieved here.
The Cretti furthered the search for new modes of art-making that defined Burri’s practice, taking a radically different route to the gestural painting of his Art Informel and Abstract Expressionist contemporaries. Uninterested in illusion or representation, he was always guided by the innate properties of his materials. From the torn and stitched burlap Sacchi (‘Sacks’) he began making in the early 1950s to the burnt, buckled plastic, wood and iron of his Combustioni (‘Combustions’) and Ferri (‘Irons’), he found an elemental power in matter taken from the real world, uncovering astonishing painterly effects through heat, oxidation and the marks of everyday wear and tear. Burri’s resourceful approach was informed by his time as a military surgeon in the Italian army, first in the mid-1930s and later in the Second World War, during which he spent five years as a prisoner of war in Hereford, Texas. Many of his works explore themes of injury and healing, with their seared, shorn and blemished surfaces echoing bruises, scars, and the wrecked Italian landscape to which he had returned after the war. If less visceral than some of Burri’s other series, the Cretti nonetheless have a powerfully physical presence: the present work recalls the cracked hide of a great animal as much as the crazing of desert mud or ancient paintwork, and carries a sense of living history in its surface.
The length of time necessary for the Cretti’s formation—the pigment-binder mixture ruptured slowly as it dried and contracted, with water evaporating gradually from beneath its skin—lends them a serene, contemplative aspect that is distinct from series such as the Combustioni. Rather than the violent immediacy of burning, cutting or tearing, the picture bears witness to a methodical process and slow release of energy. While Burri made occasional manipulations to the Cretti as they dried, their surfaces were determined primarily by the action of the materials themselves, allowing chance to play a greater role in the final result. In this sense—as well as in their pure monochrome surfaces—these works share something of the spirit of Piero Manzoni’s Achromes, commenced in the 1950s. The earliest Achromes were made by soaking creased and folded canvas in a mixture of glue and liquid kaolin, a white china clay, and left to dry naturally: Manzoni saw their final forms as in effect self-directed, determined by their intrinsic physical properties rather than by the artist’s hand. No longer a vehicle for external references, the painting, Manzoni claimed, was returned to its primal virgin state, and born anew as a zone of liberation and discovery. For Burri, however, the Cretti were rooted firmly in the poetry of the real world. Insistently earthy and organic, the present work is rich in associations and alive with a poignant, human sense of the passage of time.