Lot Essay
Le Savage Club, dont le nom est emprunté à un poète du XVIIIème siècle, Richard Savage, fut fondé à Melbourne à la fin du XIXème siècle. Prônant un esprit "bohème", le premier président du Club, Dr Harvey E. Astles, sélectionnait les membres de ce cercle fermé en fonction de leur intérêt dans des domaines aussi variés que la musique, l'art, le théâtre, la science et la littérature. Aujourd'hui les "Savages", ces gentilshommes des temps modernes, se retrouvent toujours dans cette élégante demeure victorienne.
La statue biwat de la collection Jolika fut acquise auprès de ce Club en février 1977. Ce dernier avait à l'époque de grandes difficultés financières qui s'aggravèrent d'autant plus qu'une nouvelle loi lui obligeait de se munir d'une sortie de secours, impliquant des travaux lourds et coûteux.
Les archives du Club ne précisent pas à quelle date cet objet a fait son entrée dans leurs salons, ni quel membre le lui avait donné. Au cours de son existence, le cercle s'est vu offrir par ses membres de nombreux objets décoratifs et personnels qui allaient constituer l'âme du Savage Club. Dans les années 1930, grâce à l'amélioration des moyens de communication, terrestres et maritimes, un certain nombre de souvenirs de voyage provenant du centre de l'Australie, d'Asie, d'Afrique et d'Océanie lui furent donnés.
Joseph Johnson, qui a publié les mémoires du Club (1994), évoque la liste des gentlemans ayant offert des objets au cercle. Bien qu'il n'y ait aucune mention particulière, l'origine éventuelle de cette oeuvre pourrait être E. A. Wisdom qui donna un ensemble d'objets en 1938. Devenu "Savage" en 1934, ce dernier avait été administrateur en Nouvelle-Guinée pour le compte de l'Australie entre 1921 et 1933. Or c'est précisément au cours de cette décennie que presque toutes les statues biwat de ce type furent collectées par Wauchope et Bateson.
Détail amusant, la sculpture biwat de la collection Jolika figure sur la carte de voeux de Noël 1960, un photomontage réalisé par Jack Cato, l'un des membres du Club.
Les oeuvres exceptionnelles du peuples biwat (mundugumor) sont rares, et bien plus encore les grandes statues de faîtage comme celle de la collection Jolika. Grâce aux nouvelles recherches de Christian Coiffier (communication personnelle, mars 2013), la provenance de ces objets commence à se dessiner. Dans une photographie connue, longtemps attribuée aux membres de La Korrigane, (voir Coiffier 2001, p.21, et Rubin, 1984, vol.1, p.115), se distingue un groupe d'oeuvres biwat immortalisées sur une plage. L'équipage de La Korrigane ne s'étant jamais rendu dans cette région du Sépik, sur la rivière Yuat, il est surprenant que ce cliché ait été retrouvé dans ses archives. Il est probable que cette image leur ait été donnée lors de leur passage en Nouvelle-Guinée. Coiffier est parvenu à identifier un certain nombre des grandes statuettes que l'on aperçoit en arrière-plan et qui sont aujourd'hui conservées à l'Australian Museum de Sydney (inv.E.46362, E.46360, E.46361, voir Specht, J., 1988, couverture). Elles furent certainement collectées par E. J. Wauchope à la fin des années 1920. Ce dernier est soit le photographe soit l'occidental qui apparait sur le cliché. Cette information correspond également à la provenance d'une autre oeuvre comparable, particulièrement similaire à celle de la collection Jolika, faisant partie de la collection du Museum of Archaeology and Anthropology, Université de Cambridge, et qui fut offerte au musée par Gregory Bateson en 1930. Bien que ce dernier n'ait pas recueilli plus d'informations quant à la collecte de l'objet, Firth, dès 1936, indique que l'objet fut acquis dans le village de Avatip (in Firth, 1936) (nous remercions Rachel Hand du MAA pour cette information). Cependant, ces objets n'étant pas originaires d'Avatip, sorte de carrefour dans la région Yuat, ils avaient certainement été rassemblés ici. Nous savons également que Wauchope et Bateson se connaissaient, et il semblerait que Wauchope l'aurait même hébergé en Nouvelle-Guinée (in Chinnery, 1998, p.33), ce qui offre de nouvelles perspectives de connections entre les statues de Cambridge et de Sydney. Une autre statue faisant partie du corpus, peut-être la plus célèbre, conservée au Musée Barbier-Mueller (inv.no.4007), faisait partie de la collection de Speyer depuis 1930. A partir de ces données, il est tout à fait probable que Wisdom soit à l'origine du don de la statue biwat au Savage Club, puisqu'il était lui-même sur le terrain à la même époque.
La statue biwat de la collection Jolika, par Robert L. Welsch
Les sculptures biwat font partie des objets sculptés les plus mystérieux que produisent et utilisent les néo-guinéens au cours de leur vie rituelle. Un grand nombre de ces objets sont entrés dans des collections privées et dans des musées.
Certains sont sculptés ou peints, tandis que d'autres - comme les célèbres bouchons de flûte, peuvent recevoir de nombreux ornements. Margaret Mead passa plusieurs mois avec son second mari, Reo Fortune, parmi les Biwat ou les Mundugumor près de la rivière Yuat en 1932. Dans son essai sur les masques et les rituels (in Natural History, 1934), elle publia une photographie d'un bouchon portant de lourds ornements. Cet objet lui avait été offert pendant son voyage de recherches et est aujourd'hui conservé à l'American Museum of Natural History. D'autres bouchons de flûte présents dans les collections ont été déshabillés, laissant apparaître le bois et les pigments d'origine, comme c'est le cas de la sculpture présentée ici.
La sculpture de la collection Jolika, caractérisée par une tête surdimensionnée, un diadème surmontant son crâne, un front dégagé, de larges yeux cernés de noir et une bouche menaçante, possède un style comparable à plusieurs bouchons de flûte connus, qui sont plus proches que des sculptures de tailles similaires comme celle de la Fondation Beyeler, Riehen, ou l'importante sculpture du dieu Ambossangmakan au Museum der Kulturen de Bâle.
La plupart des rituels pratiqués par les Biwat ou les Mundugumor n'ont jamais pu être observés par les étrangers. Les Biwat avaient abandonné leur initiation rituelle et la plupart de leurs coutumes dans les années 1930, pensant ne jamais avoir à les pratiquer de nouveau. A l'automne 1932, Mead et Fortune ont commandé une performance de flûte lors d'un rituel d'initiation. Dans ses notes, Mead décrit en détail le rituel qu'ils ont pu observer (voir Nancy McDowell's, The Mundugumor, Washington: Smithsonian Institution Press, 1991, pp.130-152). Elle (1935, p.181ff) a également écrit à propos des initiations dans Sex and Temperament in Three Primitive Societies (New York, Morrow) et dans un bref article daté de 1934 "Tamberans et Tumbuans in New Guinea" (Natural History 34, pp.234-246).
Les autres observations significatives sur l'art biwat, réalisées sur place proviennent du Père Karl Laumann, un prêtre roman catholique situé à Kanduanum Mission sur la rivière Sépik, non loin de l'embouchure du fleuve Yuat. Dans sa mission pastorale, Laumann rendit visite à la majorité des villages bordant le Bas et le Moyen-Yuat, où il rendit compte d'un grand nombre de sculptures qui dépassaient la hauteur d'un homme. Au début des années 1950, Laumann publia plusieurs de ces photos dans deux articles dans Anthropos ("Vliss, der Kriegs- und Jagdgott am unteren Yuat River, Neuguinea," 47(5/6), pp.897-908, 1952, et, "Geisterfiguren am mittleren Yuat River in Neuguinea," 49(1/2), pp.27-57, 1954).
D'après les notes de Mead et de Laumann qui décrivent les images anthropomorphes et zoomorphes de la sculpture biwat, il parait évident que ces objets sculptés représentaient plutôt des esprits de la rivière ou de la forêt, et non pas des esprits humains ou animaux ni des fantômes. Les esprits peuvent prendre une forme d'humains ou d'animaux chez les Biwat, mais les esprits eux-mêmes ne sont ni humains, ni animaliers. Cette distinction entre la rivière et la brousse reflète la plus grande différence présente dans l'environnement des Biwat. Les Biwat dépendaient entièrement de ces deux éléments pour leurs besoins élémentaires, se nourrir et s'abriter. Lorsqu'ils dégagent un coin de forêt pour créer des jardins ou établir des campements, ils savent pertinemment que cet espace humain est éphémère et qu'il sera bientôt recouvert par une brousse envahissante ou une crue de la rivière. Ces deux puissantes forces sont symbolisées par deux esprits distincts. Malheureusement pour les collectionneurs de notre temps, il est impossible d'associer les sculptures biwat à des esprits de la forêt ou de la rivière, à moins que la sculpture ne prenne la forme d'un crocodile, permettant aisément de l'associer à un esprit de la rivière. Les représentations des esprits de la forêt sont plus ambiguës.
Comme l'indique Laumann (1952), ces sculptures sont très importantes pour la guerre et la chasse puisqu'elles apportent force et succès. Enfin, ces sculptures doivent être maîtrisées afin de garantir la santé, la prospérité et l'ordre social dans les espaces civilisés du village, ce qui parait être le rôle de la figure de faîtage de la collection Jolika.
Il existe très peu de ces grandes figures de faîtage. Les autres exemplaires connus sont conservés dans des collections muséales, la plus proche, par son style et son ancienneté, étant celle qui se trouve à l'University Museum of Archaeology and Anthropology de Cambridge (inv. no.1930.487), collectée par Gregory Bateson en 1930 (voir Schmitz, 1971, pl.93). Une autre sculpture comparable se trouve dans la collection du Musée Barbier-Mueller (inv.4077) et avait appartenu à Arthur Speyer (Berlin) et par la suite à L. et E. Eckert-Voegelin. Les décorations présentes sur chacune de ces figures indiquent que la sculpture de la collection Jolika aurait également reçu des ornements de fibres et de plumes autour du nez ainsi qu'une couronne sur la tête.
Dans ses commentaires à propos de la sculpture de Barbier-Mueller, Christian Kaufmann (in Peltier et Morin, 2007, pp.132-33 et 416) explique que ces grandes figures de faîtage avaient probablement une fonction allégorique. Avec des têtes allongées et saillantes, elles avaient été sculptées pour être vues par en-dessous. Ceci n'est pas sans nous rappeler les sculptures réalisées par Donatello pour Il Duomo qui comportaient les mêmes modifications anatomiques permettant de s'adapter à la perspective. Selon Kaufmann (op.cit., 416) "Si l'on se réfère au mythe recueilli dans le village de Kinakaten, et qui met en scène Bilishoi, nous pouvons probablement saisir une allusion à l'image de cette sculpture. La position accroupie de l'homme se réfère implicitement à la scène où Bilishoi, redevenu malveillant après avoir quitté ses soeurs et son village d'origine, tue des hommes en train de construire une maison cérémonielle. Contraint de se défendre contre les hommes qui l'attaquent avec leurs arcs et leurs flèches, il se réfugie au faîte de la maison. Avec ses coudes, il dévie les lances mais est finalement atteint par l'une d'elles, envoyée à l'aide d'un propulseur appartenant à un homme originaire du Sépik. Son corps sera bouilli puis mangé par ceux qu'il vient d'agresser. (Mc Dowell, ibid., p. 159). Cette effigie ranimait la mémoire sur l'origine de la mort due la guerre et sur le destin d'un homme trop puissant pour respecter les règles sociales."
La statue biwat de la collection Jolika fut acquise auprès de ce Club en février 1977. Ce dernier avait à l'époque de grandes difficultés financières qui s'aggravèrent d'autant plus qu'une nouvelle loi lui obligeait de se munir d'une sortie de secours, impliquant des travaux lourds et coûteux.
Les archives du Club ne précisent pas à quelle date cet objet a fait son entrée dans leurs salons, ni quel membre le lui avait donné. Au cours de son existence, le cercle s'est vu offrir par ses membres de nombreux objets décoratifs et personnels qui allaient constituer l'âme du Savage Club. Dans les années 1930, grâce à l'amélioration des moyens de communication, terrestres et maritimes, un certain nombre de souvenirs de voyage provenant du centre de l'Australie, d'Asie, d'Afrique et d'Océanie lui furent donnés.
Joseph Johnson, qui a publié les mémoires du Club (1994), évoque la liste des gentlemans ayant offert des objets au cercle. Bien qu'il n'y ait aucune mention particulière, l'origine éventuelle de cette oeuvre pourrait être E. A. Wisdom qui donna un ensemble d'objets en 1938. Devenu "Savage" en 1934, ce dernier avait été administrateur en Nouvelle-Guinée pour le compte de l'Australie entre 1921 et 1933. Or c'est précisément au cours de cette décennie que presque toutes les statues biwat de ce type furent collectées par Wauchope et Bateson.
Détail amusant, la sculpture biwat de la collection Jolika figure sur la carte de voeux de Noël 1960, un photomontage réalisé par Jack Cato, l'un des membres du Club.
Les oeuvres exceptionnelles du peuples biwat (mundugumor) sont rares, et bien plus encore les grandes statues de faîtage comme celle de la collection Jolika. Grâce aux nouvelles recherches de Christian Coiffier (communication personnelle, mars 2013), la provenance de ces objets commence à se dessiner. Dans une photographie connue, longtemps attribuée aux membres de La Korrigane, (voir Coiffier 2001, p.21, et Rubin, 1984, vol.1, p.115), se distingue un groupe d'oeuvres biwat immortalisées sur une plage. L'équipage de La Korrigane ne s'étant jamais rendu dans cette région du Sépik, sur la rivière Yuat, il est surprenant que ce cliché ait été retrouvé dans ses archives. Il est probable que cette image leur ait été donnée lors de leur passage en Nouvelle-Guinée. Coiffier est parvenu à identifier un certain nombre des grandes statuettes que l'on aperçoit en arrière-plan et qui sont aujourd'hui conservées à l'Australian Museum de Sydney (inv.E.46362, E.46360, E.46361, voir Specht, J., 1988, couverture). Elles furent certainement collectées par E. J. Wauchope à la fin des années 1920. Ce dernier est soit le photographe soit l'occidental qui apparait sur le cliché. Cette information correspond également à la provenance d'une autre oeuvre comparable, particulièrement similaire à celle de la collection Jolika, faisant partie de la collection du Museum of Archaeology and Anthropology, Université de Cambridge, et qui fut offerte au musée par Gregory Bateson en 1930. Bien que ce dernier n'ait pas recueilli plus d'informations quant à la collecte de l'objet, Firth, dès 1936, indique que l'objet fut acquis dans le village de Avatip (in Firth, 1936) (nous remercions Rachel Hand du MAA pour cette information). Cependant, ces objets n'étant pas originaires d'Avatip, sorte de carrefour dans la région Yuat, ils avaient certainement été rassemblés ici. Nous savons également que Wauchope et Bateson se connaissaient, et il semblerait que Wauchope l'aurait même hébergé en Nouvelle-Guinée (in Chinnery, 1998, p.33), ce qui offre de nouvelles perspectives de connections entre les statues de Cambridge et de Sydney. Une autre statue faisant partie du corpus, peut-être la plus célèbre, conservée au Musée Barbier-Mueller (inv.no.4007), faisait partie de la collection de Speyer depuis 1930. A partir de ces données, il est tout à fait probable que Wisdom soit à l'origine du don de la statue biwat au Savage Club, puisqu'il était lui-même sur le terrain à la même époque.
La statue biwat de la collection Jolika, par Robert L. Welsch
Les sculptures biwat font partie des objets sculptés les plus mystérieux que produisent et utilisent les néo-guinéens au cours de leur vie rituelle. Un grand nombre de ces objets sont entrés dans des collections privées et dans des musées.
Certains sont sculptés ou peints, tandis que d'autres - comme les célèbres bouchons de flûte, peuvent recevoir de nombreux ornements. Margaret Mead passa plusieurs mois avec son second mari, Reo Fortune, parmi les Biwat ou les Mundugumor près de la rivière Yuat en 1932. Dans son essai sur les masques et les rituels (in Natural History, 1934), elle publia une photographie d'un bouchon portant de lourds ornements. Cet objet lui avait été offert pendant son voyage de recherches et est aujourd'hui conservé à l'American Museum of Natural History. D'autres bouchons de flûte présents dans les collections ont été déshabillés, laissant apparaître le bois et les pigments d'origine, comme c'est le cas de la sculpture présentée ici.
La sculpture de la collection Jolika, caractérisée par une tête surdimensionnée, un diadème surmontant son crâne, un front dégagé, de larges yeux cernés de noir et une bouche menaçante, possède un style comparable à plusieurs bouchons de flûte connus, qui sont plus proches que des sculptures de tailles similaires comme celle de la Fondation Beyeler, Riehen, ou l'importante sculpture du dieu Ambossangmakan au Museum der Kulturen de Bâle.
La plupart des rituels pratiqués par les Biwat ou les Mundugumor n'ont jamais pu être observés par les étrangers. Les Biwat avaient abandonné leur initiation rituelle et la plupart de leurs coutumes dans les années 1930, pensant ne jamais avoir à les pratiquer de nouveau. A l'automne 1932, Mead et Fortune ont commandé une performance de flûte lors d'un rituel d'initiation. Dans ses notes, Mead décrit en détail le rituel qu'ils ont pu observer (voir Nancy McDowell's, The Mundugumor, Washington: Smithsonian Institution Press, 1991, pp.130-152). Elle (1935, p.181ff) a également écrit à propos des initiations dans Sex and Temperament in Three Primitive Societies (New York, Morrow) et dans un bref article daté de 1934 "Tamberans et Tumbuans in New Guinea" (Natural History 34, pp.234-246).
Les autres observations significatives sur l'art biwat, réalisées sur place proviennent du Père Karl Laumann, un prêtre roman catholique situé à Kanduanum Mission sur la rivière Sépik, non loin de l'embouchure du fleuve Yuat. Dans sa mission pastorale, Laumann rendit visite à la majorité des villages bordant le Bas et le Moyen-Yuat, où il rendit compte d'un grand nombre de sculptures qui dépassaient la hauteur d'un homme. Au début des années 1950, Laumann publia plusieurs de ces photos dans deux articles dans Anthropos ("Vliss, der Kriegs- und Jagdgott am unteren Yuat River, Neuguinea," 47(5/6), pp.897-908, 1952, et, "Geisterfiguren am mittleren Yuat River in Neuguinea," 49(1/2), pp.27-57, 1954).
D'après les notes de Mead et de Laumann qui décrivent les images anthropomorphes et zoomorphes de la sculpture biwat, il parait évident que ces objets sculptés représentaient plutôt des esprits de la rivière ou de la forêt, et non pas des esprits humains ou animaux ni des fantômes. Les esprits peuvent prendre une forme d'humains ou d'animaux chez les Biwat, mais les esprits eux-mêmes ne sont ni humains, ni animaliers. Cette distinction entre la rivière et la brousse reflète la plus grande différence présente dans l'environnement des Biwat. Les Biwat dépendaient entièrement de ces deux éléments pour leurs besoins élémentaires, se nourrir et s'abriter. Lorsqu'ils dégagent un coin de forêt pour créer des jardins ou établir des campements, ils savent pertinemment que cet espace humain est éphémère et qu'il sera bientôt recouvert par une brousse envahissante ou une crue de la rivière. Ces deux puissantes forces sont symbolisées par deux esprits distincts. Malheureusement pour les collectionneurs de notre temps, il est impossible d'associer les sculptures biwat à des esprits de la forêt ou de la rivière, à moins que la sculpture ne prenne la forme d'un crocodile, permettant aisément de l'associer à un esprit de la rivière. Les représentations des esprits de la forêt sont plus ambiguës.
Comme l'indique Laumann (1952), ces sculptures sont très importantes pour la guerre et la chasse puisqu'elles apportent force et succès. Enfin, ces sculptures doivent être maîtrisées afin de garantir la santé, la prospérité et l'ordre social dans les espaces civilisés du village, ce qui parait être le rôle de la figure de faîtage de la collection Jolika.
Il existe très peu de ces grandes figures de faîtage. Les autres exemplaires connus sont conservés dans des collections muséales, la plus proche, par son style et son ancienneté, étant celle qui se trouve à l'University Museum of Archaeology and Anthropology de Cambridge (inv. no.1930.487), collectée par Gregory Bateson en 1930 (voir Schmitz, 1971, pl.93). Une autre sculpture comparable se trouve dans la collection du Musée Barbier-Mueller (inv.4077) et avait appartenu à Arthur Speyer (Berlin) et par la suite à L. et E. Eckert-Voegelin. Les décorations présentes sur chacune de ces figures indiquent que la sculpture de la collection Jolika aurait également reçu des ornements de fibres et de plumes autour du nez ainsi qu'une couronne sur la tête.
Dans ses commentaires à propos de la sculpture de Barbier-Mueller, Christian Kaufmann (in Peltier et Morin, 2007, pp.132-33 et 416) explique que ces grandes figures de faîtage avaient probablement une fonction allégorique. Avec des têtes allongées et saillantes, elles avaient été sculptées pour être vues par en-dessous. Ceci n'est pas sans nous rappeler les sculptures réalisées par Donatello pour Il Duomo qui comportaient les mêmes modifications anatomiques permettant de s'adapter à la perspective. Selon Kaufmann (op.cit., 416) "Si l'on se réfère au mythe recueilli dans le village de Kinakaten, et qui met en scène Bilishoi, nous pouvons probablement saisir une allusion à l'image de cette sculpture. La position accroupie de l'homme se réfère implicitement à la scène où Bilishoi, redevenu malveillant après avoir quitté ses soeurs et son village d'origine, tue des hommes en train de construire une maison cérémonielle. Contraint de se défendre contre les hommes qui l'attaquent avec leurs arcs et leurs flèches, il se réfugie au faîte de la maison. Avec ses coudes, il dévie les lances mais est finalement atteint par l'une d'elles, envoyée à l'aide d'un propulseur appartenant à un homme originaire du Sépik. Son corps sera bouilli puis mangé par ceux qu'il vient d'agresser. (Mc Dowell, ibid., p. 159). Cette effigie ranimait la mémoire sur l'origine de la mort due la guerre et sur le destin d'un homme trop puissant pour respecter les règles sociales."