Lot Essay
"Il n'y a pas de plus grand contraste dans l'oeuvre de Picasso qu'entre le sentiment de mort imminente exprimé dans les oeuvres tardives et l'expression de vie naissante évoquée par ses tableaux d'enfants" (W. Spies, Picasso's World of Children, catalogue d'exposition, Düsseldorf, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, 1995, p.9).
Mère et enfant fait partie d'un groupe d'oeuvres exubérantes exécutées à la fin de la carrière du maître espagnol, en hommage à la maternité. Peint avec six autres huiles dédiées à ce thème et exécutées en trois jours, notre tableau illustre l'ardeur avec laquelle Picasso traite ce sujet, après une vie dédiée à la représentation de portraits trahissant une réalité émotionnelle souvent crue.
Le thème de la mère et l'enfant revient régulièrement dans l'oeuvre de Picasso, faisant écho à certains moments précis de sa vie. Si l'artiste n'y consacre pas au cours de sa carrière autant de temps et d'énergie qu'à d'autres thèmes plus fondateurs, les représentations des liens d'amour et d'affection unissant la mère et son enfant sont néanmoins récurrentes, apparaissant lorsque l'impulsion autobiographique prend le dessus sur son travail. On peut toutefois observer deux traitements distincts du thème au cours de ces périodes: l'un plus traditionnel, inscrit dans l'histoire de l'art et la lignée des grands maîtres du passé, et l'autre plus intime et personnel, très empreint des émotions que lui inspire la paternité. Picasso garde un sens aigu de la famille tout au long de sa vie, sans aucun doute modelé au cours de sa propre éducation, alors que sa mère lui inculque très tôt une idée précise de sa propre valeur: "Quand j'étais enfant, ma mère me disait: 'si tu deviens soldat, tu seras Général. Si tu deviens moine, tu finiras pape'. J'ai voulu être peintre, et je suis devenu Picasso" (cité in catalogue d'exposition, Pablo Picasso, Voyage au bout du tracé, Paris, Galerie Boulakia, 2011, p. 32).
La collection personnelle de Picasso elle-même illustre son intérêt pour le mythe de la figure maternelle, comprenant par exemple des statuettes orantes ibériques des IIIe et IVe siècles avant notre ère. Cette figure porteuse de vie revient ainsi tout au long du début de sa carrière. Au cours des premières années parisiennes elle apparaît comme un élément emprunté aux précurseurs que sont Raphaël et Ingres. En 1904-05, la madone de Picasso est quant à elle une représentation lancinante de la pauvreté et de la mélancolie, souvent associée à la maladie et la souffrance et dont la nature sacrée est remise en cause. Lorsque Picasso devient lui-même père, le thème de la maternité cesse d'être un outil symbolique pour devenir une représentation de l'intime. Son premier enfant, Paulo, naît le 4 février 1921 et au cours des trois années suivantes les scènes d'intimité le représentant avec Olga sont peintes d'un point de vue très personnel. Les oeuvres sur papier et les gravures des années 1921 à 1923 en particulier révèlent une fascination pour les instants fugitifs d'interaction entre la mère et l'enfant dont le peintre est témoin. La figure maternelle présente dans ses oeuvres majeures de l'époque acquiert quant à elle puissance et majesté. Par la suite, à mesure que ses relations avec Olga se détériorent, la mère et l'enfant envahissent les compositions, excluant ostensiblement toute figure paternelle.
À la fin des années 1930, le groupe de la mère et l'enfant est de nouveau présent dans Guernica. Après de nombreux travaux préparatoires sur papier, le tableau dépeint une mère ravagée par la douleur, étreignant son enfant mort, dans une représentation déchirante de la souffrance humaine. La figure maternelle est vidée de sa souveraineté et devient un simple pion sans pouvoir, perdue au sein d'un conflit indifférent à la douleur humaine.
En 1935, Picasso est père pour la seconde fois. La naissance de Maya donne lieu à plusieurs chefs-d'oeuvre sur la maternité la représentant avec Marie-Thérèse. À la fin des années 1940, Claude et Paloma naissent à leur tour de son union avec Françoise Gilot, amenant une série de tableaux plus fantaisistes montrant les enfants à leurs jeux.
Lorsqu'il revient une nouvelle fois sur le thème de la maternité au milieu des années 1960, Picasso en développe son approche la plus exaltante et la plus porteuse de vie. Notre tableau est le second de la série, et est exécuté le 16 octobre 1965. Comme pour six des sept tableaux du groupe, seuls la mère et l'enfant sont représentés - le quatrième étant en effet le seul à comprendre également la figure du père). L'ensemble de la série est caractérisé par l'utilisation d'une palette argileuse ponctuée d'éclats de bleus et de verts. Cette harmonie de couleurs met en exergue l'utilisation énergique du pinceau, technique souvent employée par l'artiste lorsqu'il considère la forme primordiale. Le présent tableau contraste dans la série avec le tableau qui le précède et celui qui le suit chronologiquement, plus particulièrement du point de vue des dimensions de la tête de la mère. Ici son profil occupe toute la partie droite et sa bouche est placée à hauteur de la tête du nouveau-né, renforçant l'intimité de la scène. De sa main droite elle berce son enfant, le protégeant et le serrant contre elle.
Quelques semaines seulement après avoir peint ce tableau, Picasso fut hospitalisé pour une intervention chirurgicale qui l'immobilisa longuement. C'est peut-être avec une certaine appréhension de sa propre mortalité qu'il apporta à Mère et enfant une tendresse jusqu'alors absente de ses oeuvres traitant du sujet.
"Perhaps no greater contrast can be found in Picasso's oeuvre than that between the sense of imminent demise conveyed by the later works and the expression of burgeoning life evoked by his pictures of children" (W. Spies, Picasso's World of Children, exhibition catalogue, Düsseldorf, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, 1995, p. 9) Mère et enfant belongs to an exuberant group of late works which sees the Spanish master glorifying the subject of Motherhood. Painted as part of a group of seven works on the theme executed over a three day period, the present picture illustrates the vivacity which Picasso brought to the subject after a lifetime portraying an often raw emotional reality.
The Mother and Child was a theme to which Picasso would return at certain specific moments throughout his life. Although not ranked among the major themes to which he devoted significant periods of time and energy, Picasso's images of affection or attachment between mother and child emerged when his autobiographical impulse came to the fore. A distinction can be drawn, however, between his use of the subject 'Mother and Child' as part of an objective purpose, as distinct from subjects of 'maternity' where we see the artist expressing a much more personal viewpoint.
Picasso retained a strong sense of family throughout his life, the bond having been no doubt modeled by his own upbringing where his mother had apparently given him a solid indication of his own worth: "When I was a child, my mother told me "if you become a soldier, you will be a General. If you become a monk, you will end up as Pope. I wanted to be a painter, and so I became Picasso"" (cited in Pablo Picasso, Voyage au bout du tracé, exhibition catalogue, Paris, Galerie Boulakia, 2011, p. 32).
Picasso's personal collection illustrated his interest in the myth of the Mother Figure, including for example ancient Iberian Orant figurines of the third and fourth century BCE. The life-giving Mother Figure made frequent appearances throughout Picasso's early career. In the first Parisian years she appears as a device Picasso used to emulate precursors such as Raphael and Ingres. In 1904-05, Picasso's Madonna however is a haunting figure of poverty and melancholy, often placed within a context of illness and suffering and whose preternatural status is in doubt.
The moment when motherhood in Picasso's art transitioned from a symbolic device to a tangible interaction of intimacy arose when he himself became a father. On 4th February 1921 Picasso's first child, Paulo, was born and over the next three years Picasso would portray intimate scenes of Olga and Paulo from a distinctly personal vantage point. The works on paper and prints dating from 1921-23 in particular reveal a fascination with the fleeting moments of maternal interaction which he observed. Meanwhile the mother figure depicted in his major paintings of the same period had become a powerful and majestic force. Consequently, when Picasso's marriage with Olga began to break down his images of family groups portray a mother and child bond which dominates the configuration, visibly excluding the father figure.
In the late 1930s the Mother and Child device returns in his work on Guernica. Subsequent to numerous preparatory works on paper, the final painting features a grief-stricken mother clutching her dead child in a heart-wrenching depiction of human suffering. The Mother Figure is stripped of her sovereignty and now takes her place as a powerless pawn lost within the scope of a conflict which is indifferent to human existence.
Picasso was to become a father again in 1935, heralding several maternity masterpieces depicting Marie-Thérèse with their child Maya. In the late 1940s Claude and Paloma we born to Françoise Gilot, giving rise to a number of family portraits as well as more whimsical works depicting the children at play.
It was in the mid-1960s that Picasso would revisit the subject of the Mother and Child, but this time bringing his most uplifting and life-affirming approach to the subject. The present picture was the second work in the series, executed on the 26th October 1965. As with six of the seven paintings, the subject is the Mother and Child (the fourth in the series being the only painting where a father figure features). The series as a whole is characterized by the use of a cool palette of earth tones punctuated by flashes of blues and green. This color harmony allows a boisterous use of the brush to come to the fore, a device the artist often employed when he considered the importance of form as paramount. The present painting, Mère et enfant contrasts to the immediately proceeding work (Zervos 185) and the immediately following work (Zervos 187) most notably by the size given to the mother's head. In our work her profile occupies fully the right-hand side of the painting, and her mouth is placed at the height of the baby's head, enhancing the sensation of intimacy. The mother's right hand cradles her child, protecting and drawing it against her.
A matter of weeks after the present work was painted Picasso was hospitalized for an operation which would incapacitate him for some time. It was perhaps with a certain sense of his own mortality that he brought to Mère et enfant a degree of tenderness hitherto unknown in his treatment of the subject.
Mère et enfant fait partie d'un groupe d'oeuvres exubérantes exécutées à la fin de la carrière du maître espagnol, en hommage à la maternité. Peint avec six autres huiles dédiées à ce thème et exécutées en trois jours, notre tableau illustre l'ardeur avec laquelle Picasso traite ce sujet, après une vie dédiée à la représentation de portraits trahissant une réalité émotionnelle souvent crue.
Le thème de la mère et l'enfant revient régulièrement dans l'oeuvre de Picasso, faisant écho à certains moments précis de sa vie. Si l'artiste n'y consacre pas au cours de sa carrière autant de temps et d'énergie qu'à d'autres thèmes plus fondateurs, les représentations des liens d'amour et d'affection unissant la mère et son enfant sont néanmoins récurrentes, apparaissant lorsque l'impulsion autobiographique prend le dessus sur son travail. On peut toutefois observer deux traitements distincts du thème au cours de ces périodes: l'un plus traditionnel, inscrit dans l'histoire de l'art et la lignée des grands maîtres du passé, et l'autre plus intime et personnel, très empreint des émotions que lui inspire la paternité. Picasso garde un sens aigu de la famille tout au long de sa vie, sans aucun doute modelé au cours de sa propre éducation, alors que sa mère lui inculque très tôt une idée précise de sa propre valeur: "Quand j'étais enfant, ma mère me disait: 'si tu deviens soldat, tu seras Général. Si tu deviens moine, tu finiras pape'. J'ai voulu être peintre, et je suis devenu Picasso" (cité in catalogue d'exposition, Pablo Picasso, Voyage au bout du tracé, Paris, Galerie Boulakia, 2011, p. 32).
La collection personnelle de Picasso elle-même illustre son intérêt pour le mythe de la figure maternelle, comprenant par exemple des statuettes orantes ibériques des IIIe et IVe siècles avant notre ère. Cette figure porteuse de vie revient ainsi tout au long du début de sa carrière. Au cours des premières années parisiennes elle apparaît comme un élément emprunté aux précurseurs que sont Raphaël et Ingres. En 1904-05, la madone de Picasso est quant à elle une représentation lancinante de la pauvreté et de la mélancolie, souvent associée à la maladie et la souffrance et dont la nature sacrée est remise en cause. Lorsque Picasso devient lui-même père, le thème de la maternité cesse d'être un outil symbolique pour devenir une représentation de l'intime. Son premier enfant, Paulo, naît le 4 février 1921 et au cours des trois années suivantes les scènes d'intimité le représentant avec Olga sont peintes d'un point de vue très personnel. Les oeuvres sur papier et les gravures des années 1921 à 1923 en particulier révèlent une fascination pour les instants fugitifs d'interaction entre la mère et l'enfant dont le peintre est témoin. La figure maternelle présente dans ses oeuvres majeures de l'époque acquiert quant à elle puissance et majesté. Par la suite, à mesure que ses relations avec Olga se détériorent, la mère et l'enfant envahissent les compositions, excluant ostensiblement toute figure paternelle.
À la fin des années 1930, le groupe de la mère et l'enfant est de nouveau présent dans Guernica. Après de nombreux travaux préparatoires sur papier, le tableau dépeint une mère ravagée par la douleur, étreignant son enfant mort, dans une représentation déchirante de la souffrance humaine. La figure maternelle est vidée de sa souveraineté et devient un simple pion sans pouvoir, perdue au sein d'un conflit indifférent à la douleur humaine.
En 1935, Picasso est père pour la seconde fois. La naissance de Maya donne lieu à plusieurs chefs-d'oeuvre sur la maternité la représentant avec Marie-Thérèse. À la fin des années 1940, Claude et Paloma naissent à leur tour de son union avec Françoise Gilot, amenant une série de tableaux plus fantaisistes montrant les enfants à leurs jeux.
Lorsqu'il revient une nouvelle fois sur le thème de la maternité au milieu des années 1960, Picasso en développe son approche la plus exaltante et la plus porteuse de vie. Notre tableau est le second de la série, et est exécuté le 16 octobre 1965. Comme pour six des sept tableaux du groupe, seuls la mère et l'enfant sont représentés - le quatrième étant en effet le seul à comprendre également la figure du père). L'ensemble de la série est caractérisé par l'utilisation d'une palette argileuse ponctuée d'éclats de bleus et de verts. Cette harmonie de couleurs met en exergue l'utilisation énergique du pinceau, technique souvent employée par l'artiste lorsqu'il considère la forme primordiale. Le présent tableau contraste dans la série avec le tableau qui le précède et celui qui le suit chronologiquement, plus particulièrement du point de vue des dimensions de la tête de la mère. Ici son profil occupe toute la partie droite et sa bouche est placée à hauteur de la tête du nouveau-né, renforçant l'intimité de la scène. De sa main droite elle berce son enfant, le protégeant et le serrant contre elle.
Quelques semaines seulement après avoir peint ce tableau, Picasso fut hospitalisé pour une intervention chirurgicale qui l'immobilisa longuement. C'est peut-être avec une certaine appréhension de sa propre mortalité qu'il apporta à Mère et enfant une tendresse jusqu'alors absente de ses oeuvres traitant du sujet.
"Perhaps no greater contrast can be found in Picasso's oeuvre than that between the sense of imminent demise conveyed by the later works and the expression of burgeoning life evoked by his pictures of children" (W. Spies, Picasso's World of Children, exhibition catalogue, Düsseldorf, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, 1995, p. 9) Mère et enfant belongs to an exuberant group of late works which sees the Spanish master glorifying the subject of Motherhood. Painted as part of a group of seven works on the theme executed over a three day period, the present picture illustrates the vivacity which Picasso brought to the subject after a lifetime portraying an often raw emotional reality.
The Mother and Child was a theme to which Picasso would return at certain specific moments throughout his life. Although not ranked among the major themes to which he devoted significant periods of time and energy, Picasso's images of affection or attachment between mother and child emerged when his autobiographical impulse came to the fore. A distinction can be drawn, however, between his use of the subject 'Mother and Child' as part of an objective purpose, as distinct from subjects of 'maternity' where we see the artist expressing a much more personal viewpoint.
Picasso retained a strong sense of family throughout his life, the bond having been no doubt modeled by his own upbringing where his mother had apparently given him a solid indication of his own worth: "When I was a child, my mother told me "if you become a soldier, you will be a General. If you become a monk, you will end up as Pope. I wanted to be a painter, and so I became Picasso"" (cited in Pablo Picasso, Voyage au bout du tracé, exhibition catalogue, Paris, Galerie Boulakia, 2011, p. 32).
Picasso's personal collection illustrated his interest in the myth of the Mother Figure, including for example ancient Iberian Orant figurines of the third and fourth century BCE. The life-giving Mother Figure made frequent appearances throughout Picasso's early career. In the first Parisian years she appears as a device Picasso used to emulate precursors such as Raphael and Ingres. In 1904-05, Picasso's Madonna however is a haunting figure of poverty and melancholy, often placed within a context of illness and suffering and whose preternatural status is in doubt.
The moment when motherhood in Picasso's art transitioned from a symbolic device to a tangible interaction of intimacy arose when he himself became a father. On 4
In the late 1930s the Mother and Child device returns in his work on Guernica. Subsequent to numerous preparatory works on paper, the final painting features a grief-stricken mother clutching her dead child in a heart-wrenching depiction of human suffering. The Mother Figure is stripped of her sovereignty and now takes her place as a powerless pawn lost within the scope of a conflict which is indifferent to human existence.
Picasso was to become a father again in 1935, heralding several maternity masterpieces depicting Marie-Thérèse with their child Maya. In the late 1940s Claude and Paloma we born to Françoise Gilot, giving rise to a number of family portraits as well as more whimsical works depicting the children at play.
It was in the mid-1960s that Picasso would revisit the subject of the Mother and Child, but this time bringing his most uplifting and life-affirming approach to the subject. The present picture was the second work in the series, executed on the 26
A matter of weeks after the present work was painted Picasso was hospitalized for an operation which would incapacitate him for some time. It was perhaps with a certain sense of his own mortality that he brought to Mère et enfant a degree of tenderness hitherto unknown in his treatment of the subject.