Lot Essay
En février 1961, Jean Dubuffet vient de passer sept ans à la campagne, à en arpenter les chemins et les jardins, en observer les sols et en chasser les papillons. Il est, en quelque sorte, « entré dans les ordres rustiques », comme le décrit Max Loreau (Catalogue des travaux de Jean Dubuffet – Paris Circus, Paris, 1989, p. 9). Sept années d’exil bucolique avant de revenir à Paris : « un aussi long éloignement promet d’ardentes retrouvailles » poursuit Loreau (ibid.). Lorsqu’il rejoint la capitale, la ville a bien changé depuis les années sombres de l’Occupation. C’est une cité prospère désormais ; ce sont les Trente Glorieuses, on consomme, on s’agite, on dévale les grands boulevards, on s’attable à la terrasse des cafés, on dévore des yeux les vitrines des magasins, assoiffés de vie, de commerce, de nouveauté. Georges Perec en fait une description saisissante dans Les choses : « Paris entier était une perpétuelle tentation. Ils brûlaient d'y succomber, avec ivresse, tout de suite et à jamais » (G. Perec, Les choses, une histoire des années soixante, 1965, p. 18). Cette ébullition urbaine, Dubuffet va en faire son terrain de jeu et sa matière première. Rompant avec l’austérité des années passées à Vence, avec son ascèse de géologue et d’entomologiste, avec sa palette sombre et ses compositions dépouillées, Jean Dubuffet effectue un retour triomphant à la couleur et à la figure humaine. Ce sera Paris Circus, dont Trime Burine fournit un exemple éclatant.
Ils ne sont pas moins de seize personnages ici, qui dansent et tourbillonnent, comme en lévitation sur toute la surface du tableau. Regards orientés tous azimuts, ils paraissent affairés, pressés : en bas, l’un d’entre eux, bras écartés, semble hâter le pas vers on ne sait quelle direction connue seulement de lui ; un autre, en haut à droite, tend les bras comme pour se saisir d’un objet dont il aurait soudain un besoin impérieux. Il y a là toute l’urgence de ces années heureuses et florissantes. Il suffit de jeter un œil aux mines réjouies de chacun d’eux pour saisir l’euphorie dans laquelle ils se trouvent. Il faut dire que les Trente Glorieuses sont les décennies du plein emploi, des grands chantiers, du bâtiment et de l’industrie. On trime et on burine de toutes parts.
Dubuffet lui aussi, trime et burine. L’épaisse pâte qu’il utilise sur sa toile, vibrionne comme la vie-même dont il cherche à rendre compte. Ici, il choisit d’utiliser un blanc pur, à l’aspect presque crémeux, dont la surface triturée, labourée, grattée, laisse poindre un bleu aux tonalités turquoise. Sur ce fond d’une intense luminosité, dont les atours semblent anticiper à bien des égards les abstractions de Gerhard Richter, jaillissent les personnages à la carnation brune, rehaussés d’orange, de rouges et de pointes de rose et de bleu foncé qui viennent souligner leurs contours. Des matériologies et texturologies qu’il a réalisées pendant ses années campagnardes, Dubuffet a conservé l’approche de la composition en all-over, abolissant les notions de premier et d’arrière plans, et laissant ses personnages vagabonder jusqu’aux marges des tableaux jusqu’à paraître vouloir parfois s’en échapper. L’observation obstinée des formes de la nature, de la façon irrégulière dont se découpent les sols, les écorces et les rocailles infuse également les œuvres de Paris Circus, et se ressent dans Trime Burine par la façon qu’a Dubuffet d’y traiter la figure humaine comme un matériau : « elle a conduit Dubuffet à perfectionner le maniement du trait hésitant, de la maladresse et de la négligence, et à renforcé en lui la conviction que de telles malfaçons, loin de nuire à l’œuvre, peuvent contribuer efficacement à allumer en elle une frénétique agitation et porter la danse au comble de la vitalité » (M. Loreau, « De toutes les peintures qui composent Paris Circus… », catalogue d’exposition, Paris, Centre Pompidou, Jean Dubuffet, septembre-décembre 2001, p. 229).
L’histoire de Trime Burine contribue enfin à son caractère exceptionnel : propriété de Marina Picasso, l’œuvre provient originellement de la galerie Daniel Cordier, qui fut l’inlassable défenseur de Jean Dubuffet dans les années d’après-guerre. Se faisant, elle s’inscrit au cœur d’une série d’œuvres majeures réalisées entre la fin mai et la mi-juin 1961, et dont les exemples les plus emblématiques sont conservés dans certaines des plus importantes collections publiques du monde, dont Guette éclarcie, achevé le même jour que Trime Burine (Fondation Dubuffet, Paris), Vire-Volte (Tate Gallery, Londres) et Le commerce prospère (Museum of Modern Art, New York).
In February 1961, Jean Dubuffet had just spent seven years in the country, walking the lanes and gardens, observing the soil and chasing butterflies. He had, in a way, “joined the rustic ranks”, as Max Loreau puts it (Catalogue des travaux de Jean Dubuffet – Paris Circus, Paris, 1989, p. 9). Seven years of bucolic exile before returning to Paris: “such a long absence promises some intense discoveries“ continues Loreau (ibid.). When he got back to the capital, the city had changed considerably since the dark years of the Occupation. It was now a prosperous city; this was the “Trente Glorieuses’, the 30 year post war boom, people bustled about, tore along the grands boulevards, sat in pavement cafés, gazed wide-eyed at shop window displays, thirsty for life, shopping and novelty. Georges Perec provided a striking description of it in Les choses (Things) : “The whole of Paris was a constant temptation. They longed to succumb to it, with gusto, immediately and forever” (G. Perec, Les choses, une histoire des années soixante (Things, a history of the nineteen sixties), 1965, p. 18). Dubuffet would make this urban pressure cooker his field of play and his raw material. Breaking away from the austerity of the years spent in Vence, with his geologist’s and entomologist’s aesthetic, his murky palette and pared down compositions, Jean Dubuffet effected a triumphant return to colour and the human figure. This would be Paris Circus, of which Trime Burine is a brilliant example.
There are no fewer than sixteen figures here, dancing and twirling around as if levitating over the entire surface of the painting. Their gaze directed here, there and everywhere, they seem busy, in a hurry: at the bottom, one of them, arms extended, seems to be hastening in who knows what direction known only to himself; another, top right, has his arms open as if to grasp an object for which he suddenly has a compelling need. All the urgency of these carefree boom years can be seen here. You can see at a glance how happy they all are and understand the euphoria they are feeling. It must be said that the Trente Glorieuses were decades of full employment and major projects in construction and industry. People everywhere worked extraordinarily hard and carved out their own path.
Dubuffet too, worked extraordinarily hard and carved out his own path. The thick texture he used on his canvas vibrates like the life itself that he sought to depict. Here he chose to use a pure white, with an almost creamy appearance, whose crushed, furrowed, scratched and scraped surface reveals glimpses of a blue with turquoise tones. From this intensely bright background, whose decorative quality seems, in a number of ways, to anticipate the abstractions of Gerhard Richter, brown skinned figures spring out, enhanced by orange, reds and dabs of pink and dark blue that emphasise their contours – employing materials and textures in ways he devised during his years in the country, Dubuffet retained the all-over approach to composition, discarding the notions of foreground and background and letting his figures wander around to the edges of the paintings until they sometimes appear to want to escape. The determined observation of natural forms, of the irregular way in which soil, bark and stones are thrown into relief also infuses the works of Paris Circus, and are felt in Trime Burine by the way Dubuffet here treats the human figure as a material: “it led Dubuffet to perfect the handling of the hesitant, clumsy or careless line, and to strengthen his conviction that such faults, far from spoiling the work, could effectively help to ignite a frenzied activity in it and invigorate the dance to its maximum energy” (M. Loreau, “Of all the paintings that make up Paris Circus…”, exhibition catalogue, Paris, Centre Pompidou, Jean Dubuffet, September-December 2001, p. 229).
Lastly, the history of Trime Burine is part of its exceptional character: owned by Marina Picasso, the work originally came from the Daniel Cordier gallery, who was Jean Dubuffet’s tireless defender in the post-war years. As such, it is central to a series of major works made between the end of May and mid June 1961, the most emblematic examples of which are held by some of the most important public collections in the world, including Guette éclarcie, completed on the same day as Trime Burine (Fondation Dubuffet, Paris), Vire-Volte (Tate Gallery, London) and Le commerce prospère (Museum of Modern Art, New York).
Ils ne sont pas moins de seize personnages ici, qui dansent et tourbillonnent, comme en lévitation sur toute la surface du tableau. Regards orientés tous azimuts, ils paraissent affairés, pressés : en bas, l’un d’entre eux, bras écartés, semble hâter le pas vers on ne sait quelle direction connue seulement de lui ; un autre, en haut à droite, tend les bras comme pour se saisir d’un objet dont il aurait soudain un besoin impérieux. Il y a là toute l’urgence de ces années heureuses et florissantes. Il suffit de jeter un œil aux mines réjouies de chacun d’eux pour saisir l’euphorie dans laquelle ils se trouvent. Il faut dire que les Trente Glorieuses sont les décennies du plein emploi, des grands chantiers, du bâtiment et de l’industrie. On trime et on burine de toutes parts.
Dubuffet lui aussi, trime et burine. L’épaisse pâte qu’il utilise sur sa toile, vibrionne comme la vie-même dont il cherche à rendre compte. Ici, il choisit d’utiliser un blanc pur, à l’aspect presque crémeux, dont la surface triturée, labourée, grattée, laisse poindre un bleu aux tonalités turquoise. Sur ce fond d’une intense luminosité, dont les atours semblent anticiper à bien des égards les abstractions de Gerhard Richter, jaillissent les personnages à la carnation brune, rehaussés d’orange, de rouges et de pointes de rose et de bleu foncé qui viennent souligner leurs contours. Des matériologies et texturologies qu’il a réalisées pendant ses années campagnardes, Dubuffet a conservé l’approche de la composition en all-over, abolissant les notions de premier et d’arrière plans, et laissant ses personnages vagabonder jusqu’aux marges des tableaux jusqu’à paraître vouloir parfois s’en échapper. L’observation obstinée des formes de la nature, de la façon irrégulière dont se découpent les sols, les écorces et les rocailles infuse également les œuvres de Paris Circus, et se ressent dans Trime Burine par la façon qu’a Dubuffet d’y traiter la figure humaine comme un matériau : « elle a conduit Dubuffet à perfectionner le maniement du trait hésitant, de la maladresse et de la négligence, et à renforcé en lui la conviction que de telles malfaçons, loin de nuire à l’œuvre, peuvent contribuer efficacement à allumer en elle une frénétique agitation et porter la danse au comble de la vitalité » (M. Loreau, « De toutes les peintures qui composent Paris Circus… », catalogue d’exposition, Paris, Centre Pompidou, Jean Dubuffet, septembre-décembre 2001, p. 229).
L’histoire de Trime Burine contribue enfin à son caractère exceptionnel : propriété de Marina Picasso, l’œuvre provient originellement de la galerie Daniel Cordier, qui fut l’inlassable défenseur de Jean Dubuffet dans les années d’après-guerre. Se faisant, elle s’inscrit au cœur d’une série d’œuvres majeures réalisées entre la fin mai et la mi-juin 1961, et dont les exemples les plus emblématiques sont conservés dans certaines des plus importantes collections publiques du monde, dont Guette éclarcie, achevé le même jour que Trime Burine (Fondation Dubuffet, Paris), Vire-Volte (Tate Gallery, Londres) et Le commerce prospère (Museum of Modern Art, New York).
In February 1961, Jean Dubuffet had just spent seven years in the country, walking the lanes and gardens, observing the soil and chasing butterflies. He had, in a way, “joined the rustic ranks”, as Max Loreau puts it (Catalogue des travaux de Jean Dubuffet – Paris Circus, Paris, 1989, p. 9). Seven years of bucolic exile before returning to Paris: “such a long absence promises some intense discoveries“ continues Loreau (ibid.). When he got back to the capital, the city had changed considerably since the dark years of the Occupation. It was now a prosperous city; this was the “Trente Glorieuses’, the 30 year post war boom, people bustled about, tore along the grands boulevards, sat in pavement cafés, gazed wide-eyed at shop window displays, thirsty for life, shopping and novelty. Georges Perec provided a striking description of it in Les choses (Things) : “The whole of Paris was a constant temptation. They longed to succumb to it, with gusto, immediately and forever” (G. Perec, Les choses, une histoire des années soixante (Things, a history of the nineteen sixties), 1965, p. 18). Dubuffet would make this urban pressure cooker his field of play and his raw material. Breaking away from the austerity of the years spent in Vence, with his geologist’s and entomologist’s aesthetic, his murky palette and pared down compositions, Jean Dubuffet effected a triumphant return to colour and the human figure. This would be Paris Circus, of which Trime Burine is a brilliant example.
There are no fewer than sixteen figures here, dancing and twirling around as if levitating over the entire surface of the painting. Their gaze directed here, there and everywhere, they seem busy, in a hurry: at the bottom, one of them, arms extended, seems to be hastening in who knows what direction known only to himself; another, top right, has his arms open as if to grasp an object for which he suddenly has a compelling need. All the urgency of these carefree boom years can be seen here. You can see at a glance how happy they all are and understand the euphoria they are feeling. It must be said that the Trente Glorieuses were decades of full employment and major projects in construction and industry. People everywhere worked extraordinarily hard and carved out their own path.
Dubuffet too, worked extraordinarily hard and carved out his own path. The thick texture he used on his canvas vibrates like the life itself that he sought to depict. Here he chose to use a pure white, with an almost creamy appearance, whose crushed, furrowed, scratched and scraped surface reveals glimpses of a blue with turquoise tones. From this intensely bright background, whose decorative quality seems, in a number of ways, to anticipate the abstractions of Gerhard Richter, brown skinned figures spring out, enhanced by orange, reds and dabs of pink and dark blue that emphasise their contours – employing materials and textures in ways he devised during his years in the country, Dubuffet retained the all-over approach to composition, discarding the notions of foreground and background and letting his figures wander around to the edges of the paintings until they sometimes appear to want to escape. The determined observation of natural forms, of the irregular way in which soil, bark and stones are thrown into relief also infuses the works of Paris Circus, and are felt in Trime Burine by the way Dubuffet here treats the human figure as a material: “it led Dubuffet to perfect the handling of the hesitant, clumsy or careless line, and to strengthen his conviction that such faults, far from spoiling the work, could effectively help to ignite a frenzied activity in it and invigorate the dance to its maximum energy” (M. Loreau, “Of all the paintings that make up Paris Circus…”, exhibition catalogue, Paris, Centre Pompidou, Jean Dubuffet, September-December 2001, p. 229).
Lastly, the history of Trime Burine is part of its exceptional character: owned by Marina Picasso, the work originally came from the Daniel Cordier gallery, who was Jean Dubuffet’s tireless defender in the post-war years. As such, it is central to a series of major works made between the end of May and mid June 1961, the most emblematic examples of which are held by some of the most important public collections in the world, including Guette éclarcie, completed on the same day as Trime Burine (Fondation Dubuffet, Paris), Vire-Volte (Tate Gallery, London) and Le commerce prospère (Museum of Modern Art, New York).