Lot Essay
Cette œuvre est enregistrée dans les Archives de la Fondation Calder, New York, sous le no. A10192.
« De la mer, Valéry disait qu'elle est toujours recommencée. Un objet de Calder est pareil à la mer et envoûtant comme elle: toujours recommencé, toujours neuf. Il ne s'agit pas d'y jeter un coup d'oeil en passant; il faut vivre dans son commerce et se fasciner sur lui. Alors l'imagination se réjouit de ces formes pures qui s'échangent, à la fois libres et réglées. »
“Valéry said the sea is always beginning over again. One of Calder’s objects is like the sea and equally spellbinding: ever changing, always new. A passing glance is not enough; one must live with it, and be bewitched by it. Then the imagination can revel in pure, ever-changing forms, at once free and rule-governed”.
Jean-Paul Sartre
« S’il est vrai que la sculpture doit graver le mouvement dans l’immobile, ce serait une erreur d’apparenter l’art de Calder à celui du sculpteur. La sculpture suggère le mouvement, la peinture suggère la profondeur de la lumière. Calder ne suggère rien : il attrape de vrais mouvements vivants et les façonne. »
Jean-Paul Sartre
Comme un amour en cage, une pierre ovale sert d’ancrage à cette délicate sculpture à trois pieds qui s’élance vers le ciel, jusqu’à un bras horizontal que prolongent, d’un côté, cinq disques blancs, jaunes et bleus, et de l’autre, offrant un parfait contrepoids, une spirale de laiton enroulée sur elle-même. S’animant au moindre souffle d’air, Sans titre révèle une poésie née de la rencontre de deux mondes opposés : celui, d’une part, de la rusticité des matériaux utilisés – la pierre, le fil de fer et le laiton – et celui, de l’autre, de la subtilité du mouvement et de l’équilibre majestueux formé par l’ensemble ; deux univers distincts réconciliés le temps d’une oeuvre. Cette opposition n’est d’ailleurs pas sans en rappeler une autre : d’un côté l’allure massive d’Alexander Calder, sa robustesse, sa taille immense ; de l’autre son art éthéré, l’élégance et la grâce de ses sculptures.
Par son aspect anthropomorphe et la façon qu’il a de faire se rencontrer un objet trouvé – la pierre – à des formes manufacturées, Sans titre rappelle combien l'œuvre de Calder rejoint les préoccupations du mouvement surréaliste. Il faut dire que l’artiste américain fréquente, dès son arrivée à Paris en 1926, plusieurs figures importantes du groupe : Man Ray, Robert Desnos, Kiki de Montparnasse et, surtout, Joan Miró. Ce dernier deviendra vite l’ami le plus proche de Calder et, toute leur vie durant, leurs œuvres seront faites de correspondances et de conversations, l’une et l’autre s’infusant réciproquement. Aux Constellations de Miró, dans lesquelles s’enchevêtrent des formes reliées par des lignes noires gravitant dans l’espace plat de la toile ou du papier, répondent ainsi les mobiles et les stabiles de Calder, où ces mêmes formes se déploient en trois dimensions, en flottaison dans l’espace.
C’est précisément par l’intermédiaire de Joan Miró qu’Alexander Calder rencontre Josep Lluís Sert et son épouse Moncha en 1930. Architecte espagnol né en 1902, à Barcelone, Josep Lluís Sert est le neveu du peintre Josep Maria Sert. Travaillant auprès de Le Corbusier à Paris à la fin des années 1920, il revient en Espagne en 1930 et restera proche de Calder toute sa vie. Il le convainc d’exposer dès 1932 au Saló de Decoradors de Barcelone et l’associera ensuite à de nombreux projets architecturaux. Ainsi, en 1937, Sert le convie à participer au pavillon de la République d’Espagne qu’il construit pour l’exposition universelle de Paris et qui se révèle le symbole de la lutte contre Franco, où exposent les plus grands représentants de l’avant-garde espagnole : Joan Miró, Julio González et Pablo Picasso (qui y dévoile pour la première fois Guernica). Seul artiste étranger invité à participer au pavillon, Calder réalise une fontaine de mercure (qui, dans les années 1970, sera donnée à la Fundació Joan Miró) rendant hommage à la résistance des mineurs d’Almadén face à la montée du franquisme.
Fidèle à sa générosité, l’artiste américain offrira de nombreuses oeuvres au couple Sert, dont Sans titre ainsi que la broche de Moncha, le plus beau et les plus abouti des nombreux bijoux - bracelet, collier, boucles d'oreilles, bagues, et même une louche à paella – que Calder offrira à l’épouse de l’architecte et qu’on la voit porter sur de nombreuses photographies prises dans les années 1940. Quittant l’Europe en 1939, les Sert s’installent aux Etats-Unis et continuent de fréquenter Calder, notamment dans leur maison de Locust Valley (Long Island), près de l’océan. En 1953, Josep Lluís Sert prend la tête de la Graduate School of Design de l’Université d’Harvard, succédant à Walter Gropius. L’architecte développera alors de nombreux projets à travers le monde, notamment la Fundació Joan Miró de Barcelone, la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence ou l’ambassade américaine de Bagdad.
Like a clasped heart, an oval stone anchors this delicate tripod sculpture, which stretches upwards to a horizontal branch, extended on one side by five white, yellow and blue disks, and on the other – to form a perfect counterbalance – a brass spiral that coils in upon itself. Untitled comes to life at the slightest draught of air, revealing a poetry that arises from an encounter between two opposite worlds: on one hand, the rusticity of the materials used – stone, wire and brass –, and on the other hand, the subtlety of movement and the majestic balance formed by their assembly. The two distinct universes are reconciled in this work. Moreover, this opposition conjures up another contradiction: on one hand, the massive appearance of Alexander Calder, his sturdiness and immense size; on the other hand, his ethereal art and the elegance and grace of his sculptures.
Through its anthropomorphic appearance and the way that it juxtaposes manufactured shapes with a found object – the stone – Untitled reminds us how Calder’s work echoes the issues explored by the Surrealist movement. It must be said that as soon as the American artist arrived in Paris in 1926, he encountered several important figures of the group: Man Ray, Robert Desnos, Kiki de Montparnasse and, most importantly, Joan Miró. Miró quickly became Calder’s closest friend, and throughout their lives, their works were the carriers of their correspondence and conversations, each of which reciprocally inspired the other. The Constellations of Miró – in which overlapping shapes linked together by black lines gravitate in the flat space of the canvas or paper – are acknowledged by Calder’s mobiles and stabiles, where the same shapes materialise in three dimensions, floating in space.
Indeed, it was through the intermediary of Joan Miró that Alexander Calder met Josep Lluís Sert and his wife Moncha in 1930. A Spanish architect born in 1902, in Barcelona, Josep Lluís Sert was the nephew of Josep Maria Sert. After working with Le Corbusier at the end of the 1920s in Paris, he returned to Spain in 1930 and remained close to Calder throughout his life. He convinced him to exhibit his work at the Saló de Decoradors of Barcelona in 1932, and then got him involved in a number of architectural projects. In 1937, Sert invited him to participate in the Spanish Pavilion that he was building for the Exposition Universelle of Paris, which revealed itself to be the symbol of the struggle against Franco and an opportunity for the greatest representatives of the Spanish avant-garde to exhibit their work: Joan Miró, Julio González and Pablo Picasso (who revealed Guernica for the first time). The only foreign artist invited to participate in the pavilion, Calder crafted a fountain of mercury (which went on to be donated to the Fundació Joan Miró in the 1970s) that paid homage to the resistance of the miners of Almadén in the face of the rise of Francoism.
The consistently generous American artist donated a number of his works to the Sert couple, including Untitled and Moncha’s brooch, the most beautiful and accomplished of the many pieces of jewellery – bracelet, necklace, earrings, rings and even a paella ladle – that Calder crafted for the architect’s wife, and that she can be seen wearing in a number of photos taken in the 1940s. When the Serts left Europe to emigrate to the United States in 1939, they continued to see Calder, particularly at their house in Locust Valley (Long Island), just off the coast. In 1953, Josep Lluís Sert succeeded to Walter Gropius as the head of the Graduate School of Design of Harvard University. The architect designed a number of buildings throughout the world, and in particular the Fundació Joan Miró of Barcelona, the Maeght Foundation of Saint-Paul-de-Vence, and the American Embassy of Bagdad.
« De la mer, Valéry disait qu'elle est toujours recommencée. Un objet de Calder est pareil à la mer et envoûtant comme elle: toujours recommencé, toujours neuf. Il ne s'agit pas d'y jeter un coup d'oeil en passant; il faut vivre dans son commerce et se fasciner sur lui. Alors l'imagination se réjouit de ces formes pures qui s'échangent, à la fois libres et réglées. »
“Valéry said the sea is always beginning over again. One of Calder’s objects is like the sea and equally spellbinding: ever changing, always new. A passing glance is not enough; one must live with it, and be bewitched by it. Then the imagination can revel in pure, ever-changing forms, at once free and rule-governed”.
Jean-Paul Sartre
« S’il est vrai que la sculpture doit graver le mouvement dans l’immobile, ce serait une erreur d’apparenter l’art de Calder à celui du sculpteur. La sculpture suggère le mouvement, la peinture suggère la profondeur de la lumière. Calder ne suggère rien : il attrape de vrais mouvements vivants et les façonne. »
Jean-Paul Sartre
Comme un amour en cage, une pierre ovale sert d’ancrage à cette délicate sculpture à trois pieds qui s’élance vers le ciel, jusqu’à un bras horizontal que prolongent, d’un côté, cinq disques blancs, jaunes et bleus, et de l’autre, offrant un parfait contrepoids, une spirale de laiton enroulée sur elle-même. S’animant au moindre souffle d’air, Sans titre révèle une poésie née de la rencontre de deux mondes opposés : celui, d’une part, de la rusticité des matériaux utilisés – la pierre, le fil de fer et le laiton – et celui, de l’autre, de la subtilité du mouvement et de l’équilibre majestueux formé par l’ensemble ; deux univers distincts réconciliés le temps d’une oeuvre. Cette opposition n’est d’ailleurs pas sans en rappeler une autre : d’un côté l’allure massive d’Alexander Calder, sa robustesse, sa taille immense ; de l’autre son art éthéré, l’élégance et la grâce de ses sculptures.
Par son aspect anthropomorphe et la façon qu’il a de faire se rencontrer un objet trouvé – la pierre – à des formes manufacturées, Sans titre rappelle combien l'œuvre de Calder rejoint les préoccupations du mouvement surréaliste. Il faut dire que l’artiste américain fréquente, dès son arrivée à Paris en 1926, plusieurs figures importantes du groupe : Man Ray, Robert Desnos, Kiki de Montparnasse et, surtout, Joan Miró. Ce dernier deviendra vite l’ami le plus proche de Calder et, toute leur vie durant, leurs œuvres seront faites de correspondances et de conversations, l’une et l’autre s’infusant réciproquement. Aux Constellations de Miró, dans lesquelles s’enchevêtrent des formes reliées par des lignes noires gravitant dans l’espace plat de la toile ou du papier, répondent ainsi les mobiles et les stabiles de Calder, où ces mêmes formes se déploient en trois dimensions, en flottaison dans l’espace.
C’est précisément par l’intermédiaire de Joan Miró qu’Alexander Calder rencontre Josep Lluís Sert et son épouse Moncha en 1930. Architecte espagnol né en 1902, à Barcelone, Josep Lluís Sert est le neveu du peintre Josep Maria Sert. Travaillant auprès de Le Corbusier à Paris à la fin des années 1920, il revient en Espagne en 1930 et restera proche de Calder toute sa vie. Il le convainc d’exposer dès 1932 au Saló de Decoradors de Barcelone et l’associera ensuite à de nombreux projets architecturaux. Ainsi, en 1937, Sert le convie à participer au pavillon de la République d’Espagne qu’il construit pour l’exposition universelle de Paris et qui se révèle le symbole de la lutte contre Franco, où exposent les plus grands représentants de l’avant-garde espagnole : Joan Miró, Julio González et Pablo Picasso (qui y dévoile pour la première fois Guernica). Seul artiste étranger invité à participer au pavillon, Calder réalise une fontaine de mercure (qui, dans les années 1970, sera donnée à la Fundació Joan Miró) rendant hommage à la résistance des mineurs d’Almadén face à la montée du franquisme.
Fidèle à sa générosité, l’artiste américain offrira de nombreuses oeuvres au couple Sert, dont Sans titre ainsi que la broche de Moncha, le plus beau et les plus abouti des nombreux bijoux - bracelet, collier, boucles d'oreilles, bagues, et même une louche à paella – que Calder offrira à l’épouse de l’architecte et qu’on la voit porter sur de nombreuses photographies prises dans les années 1940. Quittant l’Europe en 1939, les Sert s’installent aux Etats-Unis et continuent de fréquenter Calder, notamment dans leur maison de Locust Valley (Long Island), près de l’océan. En 1953, Josep Lluís Sert prend la tête de la Graduate School of Design de l’Université d’Harvard, succédant à Walter Gropius. L’architecte développera alors de nombreux projets à travers le monde, notamment la Fundació Joan Miró de Barcelone, la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence ou l’ambassade américaine de Bagdad.
Like a clasped heart, an oval stone anchors this delicate tripod sculpture, which stretches upwards to a horizontal branch, extended on one side by five white, yellow and blue disks, and on the other – to form a perfect counterbalance – a brass spiral that coils in upon itself. Untitled comes to life at the slightest draught of air, revealing a poetry that arises from an encounter between two opposite worlds: on one hand, the rusticity of the materials used – stone, wire and brass –, and on the other hand, the subtlety of movement and the majestic balance formed by their assembly. The two distinct universes are reconciled in this work. Moreover, this opposition conjures up another contradiction: on one hand, the massive appearance of Alexander Calder, his sturdiness and immense size; on the other hand, his ethereal art and the elegance and grace of his sculptures.
Through its anthropomorphic appearance and the way that it juxtaposes manufactured shapes with a found object – the stone – Untitled reminds us how Calder’s work echoes the issues explored by the Surrealist movement. It must be said that as soon as the American artist arrived in Paris in 1926, he encountered several important figures of the group: Man Ray, Robert Desnos, Kiki de Montparnasse and, most importantly, Joan Miró. Miró quickly became Calder’s closest friend, and throughout their lives, their works were the carriers of their correspondence and conversations, each of which reciprocally inspired the other. The Constellations of Miró – in which overlapping shapes linked together by black lines gravitate in the flat space of the canvas or paper – are acknowledged by Calder’s mobiles and stabiles, where the same shapes materialise in three dimensions, floating in space.
Indeed, it was through the intermediary of Joan Miró that Alexander Calder met Josep Lluís Sert and his wife Moncha in 1930. A Spanish architect born in 1902, in Barcelona, Josep Lluís Sert was the nephew of Josep Maria Sert. After working with Le Corbusier at the end of the 1920s in Paris, he returned to Spain in 1930 and remained close to Calder throughout his life. He convinced him to exhibit his work at the Saló de Decoradors of Barcelona in 1932, and then got him involved in a number of architectural projects. In 1937, Sert invited him to participate in the Spanish Pavilion that he was building for the Exposition Universelle of Paris, which revealed itself to be the symbol of the struggle against Franco and an opportunity for the greatest representatives of the Spanish avant-garde to exhibit their work: Joan Miró, Julio González and Pablo Picasso (who revealed Guernica for the first time). The only foreign artist invited to participate in the pavilion, Calder crafted a fountain of mercury (which went on to be donated to the Fundació Joan Miró in the 1970s) that paid homage to the resistance of the miners of Almadén in the face of the rise of Francoism.
The consistently generous American artist donated a number of his works to the Sert couple, including Untitled and Moncha’s brooch, the most beautiful and accomplished of the many pieces of jewellery – bracelet, necklace, earrings, rings and even a paella ladle – that Calder crafted for the architect’s wife, and that she can be seen wearing in a number of photos taken in the 1940s. When the Serts left Europe to emigrate to the United States in 1939, they continued to see Calder, particularly at their house in Locust Valley (Long Island), just off the coast. In 1953, Josep Lluís Sert succeeded to Walter Gropius as the head of the Graduate School of Design of Harvard University. The architect designed a number of buildings throughout the world, and in particular the Fundació Joan Miró of Barcelona, the Maeght Foundation of Saint-Paul-de-Vence, and the American Embassy of Bagdad.