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«Éclatement, signes indéchiffrables marquent ces blocs richement colorés d’une vie intense. On croirait une catastrophe heureuse ; celle d’un camion de tubes de couleurs écrasé par une bombe». Ces quelques mots, écrits par le critique Pierre Descargues au sujet des toiles de Jean Paul Riopelle réalisées en 1950 et 1951, semblent être la parfaite illustration de l’effet produit, dès le premier regard, par Sans titre. Véritable explosion de couleurs et de matière, cette œuvre reflète toute la tension qui traverse la peinture de l’artiste lors de cette période charnière que fut le début des années cinquante.
Au début de l’année 1950, Riopelle s’installe avec sa femme Françoise et ses deux filles dans un minuscule appartement du douzième arrondissement de Paris. L’espace y est trop restreint pour peindre et il trouve à louer un hangar près du métro Edgar-Quinet qui lui offre la possibilité de travailler sans relâche à plus d’une quarantaine de toiles cette année-là. Le succès est alors encore fugace et les conditions de vie difficiles malgré sa première exposition personnelle à la galerie La Dragonne en 1949 dont la préface est signée d’un certain André Breton. En effet, à son arrivée à Paris, Riopelle noue rapidement avec le milieu surréaliste du fait de ses affinités avec ce mouvement qu’il a découvert au Canada et de son exploration progressive des questions de l’automatisme en peinture. Breton le surnomme alors le « trappeur supérieur », tant sa personnalité détonne dans le milieu feutré et intellectuel de l’après-guerre parisienne. Sans titre porte en héritage ces premières années de recherches où l’émancipation de la peinture à travers l’exécution automatique anime le peintre. Néanmoins, rapidement, Riopelle ne se satisfait pas de cette seule approche et du dogme surréaliste rigide. Il tend vers plus de liberté créatrice, une découverte sans cesse renouvelée des possibilités offertes par la peinture. Cette même année, il fait également une rencontre déterminante, celle du critique et poète Georges Duthuit qui admire son travail et rédige le tout premier texte sur sa peinture. Traduit en anglais par Samuel Beckett, ce texte lui ouvre les portes de la scène artistique internationale et tout particulièrement New York. De plus, Duthuit n’est autre que le gendre d’Henri Matisse, et, par son intermédiaire, va lui présenter Pierre Matisse, dont la galerie de New York expose déjà les plus grands et qui sera le premier à offrir à Sans titre la possibilité d’être présenté au public américain.
Souvent comparé à Pollock en raison de son emploi du « dripping » - ces giclées de peinture liquide projetées sur la toile – Riopelle se démarque pourtant considérablement de ce dernier. En effet, Pollock procède par courbes, par circonvolutions, par nœuds, qui colonisent la surface en un labyrinthe de couleurs et de matières qui ouvre l’espace du tableau en son centre. Riopelle, quant à lui, travaille par saillies, lance des traits, donnant un rythme, une direction à la matière. Il fait exploser l’espace du tableau vers l’extérieur, fait jaillir sa dimension au-delà des bords de la toile. De plus, au tournant des années 1950-1951, et comme le montre parfaitement Sans titre, le peintre tend à combiner ces riches enchevêtrements de coulures à des aplats, des empâtements, soigneusement composés en une mosaïque qui se structure et joue des transparences et superpositions qu’il crée. Son ami et critique d’art Patrick Waldberg écrit d’ailleurs à ce moment-là: « Parfois la surface de la toile se filigrane d’un réseau de fibrilles échevelées, entrelacs arachnéens dont les teintes d’un raffinement extrême accentuent la somptuosité grave du fond, ici et là entrevu, et que modulent les splendeurs du ciel lunaire ou les éclats du plein soleil».
"An explosion - indecipherable signs mark these blocks richly coloured with intense life. One is reminded of a fortunate disaster; that of a lorry full of tubes of colour that has been smashed by a bomb." These words, written by the critic Pierre Descargues about the paintings produced by Jean-Paul Riopelle in 1950 and 1951, seem to illustrate perfectly the effect produced when one first looks at Untitled. A true explosion of colours and material, this work reflects all the tension running through the artist's painting at this pivotal time at the beginning of the fifties.
In early 1950, Riopelle moved to a tiny apartment in the twelfth arrondissement of Paris, with his wife Françoise and their two daughters. There was not enough room in the apartment to paint, so he found a warehouse to rent near the Edgar-Quinet Metro station, which gave him the opportunity to work tirelessly that year on more than forty paintings. Success was still fleeting at this time and living conditions difficult, despite his first solo exhibition at gallery La Dragonne in 1949, the catalogue preface for which was signed by André Breton. Indeed, when he arrived in Paris, Riopelle quickly formed connections with the Surrealist set because of his affinity with the movement, which he had discovered in Canada, and because of his progressive exploration of the issues surrounding automatism in painting. Breton nicknamed him the 'master trapper', such was the clashing impact of his personality on the hushed and intellectual milieu of post-war Paris. Untitled carries the legacy of those early years of research, in which painters were driven by the emancipation of painting through automatic execution. However, Riopelle soon became dissatisfied with this single approach and the rigid Surrealist dogma. He strove for more creative freedom, aiming to constantly rediscover the possibilities offered by painting. That same year, he also made an important acquaintance: that of the critic and poet, Georges Duthuit, who admired his work and would write the very first text about his painting. This text, which was translated into English by Samuel Beckett, opened the doors of the international art scene to Riopelle, and in particular that of New York. Moreover, Duthuit was none other than the son-in-law of Henri Matisse, and, through him, would introduce Riopelle to Pierre Matisse. The latter had a gallery in New York that already showed the big names in art. This gallery would be the first to offer to present Untitled to the American public.
Often compared to Pollock because of his use of 'dripping' - those squirts of liquid paint splattered over the canvas - there were however considerable differences between the two artists. In fact, Pollock employed curves, convolutions and nodes that colonised the surface in a labyrinth of colours and materials, and opened up the space of the painting at its centre. Riopelle, on the other hand, worked with raised surfaces and lines thrown down to give rhythm and direction to the material. He made the space of the painting burst outwards, so its dimension seemed to spring beyond the edges of the canvas. In addition, at the turn of the years 1950-1951, as perfectly demonstrated in Untitled, the painter was tending to combine these rich meshes of drippings with flat areas and impasto, carefully composing them in a mosaic, formed from and playing with the transparencies and overlays he created. His friend and art critic, Patrick Waldberg, wrote at that time, "Sometimes the surface of the canvas becomes a filigree network of unbridled fibrils, gossamer tracery, whose highly refined hues accentuate the serious sumptuousness of the background, glimpsed here and there, and that modulate the splendours of the lunar sky or the bursts of sunlight."
Au début de l’année 1950, Riopelle s’installe avec sa femme Françoise et ses deux filles dans un minuscule appartement du douzième arrondissement de Paris. L’espace y est trop restreint pour peindre et il trouve à louer un hangar près du métro Edgar-Quinet qui lui offre la possibilité de travailler sans relâche à plus d’une quarantaine de toiles cette année-là. Le succès est alors encore fugace et les conditions de vie difficiles malgré sa première exposition personnelle à la galerie La Dragonne en 1949 dont la préface est signée d’un certain André Breton. En effet, à son arrivée à Paris, Riopelle noue rapidement avec le milieu surréaliste du fait de ses affinités avec ce mouvement qu’il a découvert au Canada et de son exploration progressive des questions de l’automatisme en peinture. Breton le surnomme alors le « trappeur supérieur », tant sa personnalité détonne dans le milieu feutré et intellectuel de l’après-guerre parisienne. Sans titre porte en héritage ces premières années de recherches où l’émancipation de la peinture à travers l’exécution automatique anime le peintre. Néanmoins, rapidement, Riopelle ne se satisfait pas de cette seule approche et du dogme surréaliste rigide. Il tend vers plus de liberté créatrice, une découverte sans cesse renouvelée des possibilités offertes par la peinture. Cette même année, il fait également une rencontre déterminante, celle du critique et poète Georges Duthuit qui admire son travail et rédige le tout premier texte sur sa peinture. Traduit en anglais par Samuel Beckett, ce texte lui ouvre les portes de la scène artistique internationale et tout particulièrement New York. De plus, Duthuit n’est autre que le gendre d’Henri Matisse, et, par son intermédiaire, va lui présenter Pierre Matisse, dont la galerie de New York expose déjà les plus grands et qui sera le premier à offrir à Sans titre la possibilité d’être présenté au public américain.
Souvent comparé à Pollock en raison de son emploi du « dripping » - ces giclées de peinture liquide projetées sur la toile – Riopelle se démarque pourtant considérablement de ce dernier. En effet, Pollock procède par courbes, par circonvolutions, par nœuds, qui colonisent la surface en un labyrinthe de couleurs et de matières qui ouvre l’espace du tableau en son centre. Riopelle, quant à lui, travaille par saillies, lance des traits, donnant un rythme, une direction à la matière. Il fait exploser l’espace du tableau vers l’extérieur, fait jaillir sa dimension au-delà des bords de la toile. De plus, au tournant des années 1950-1951, et comme le montre parfaitement Sans titre, le peintre tend à combiner ces riches enchevêtrements de coulures à des aplats, des empâtements, soigneusement composés en une mosaïque qui se structure et joue des transparences et superpositions qu’il crée. Son ami et critique d’art Patrick Waldberg écrit d’ailleurs à ce moment-là: « Parfois la surface de la toile se filigrane d’un réseau de fibrilles échevelées, entrelacs arachnéens dont les teintes d’un raffinement extrême accentuent la somptuosité grave du fond, ici et là entrevu, et que modulent les splendeurs du ciel lunaire ou les éclats du plein soleil».
"An explosion - indecipherable signs mark these blocks richly coloured with intense life. One is reminded of a fortunate disaster; that of a lorry full of tubes of colour that has been smashed by a bomb." These words, written by the critic Pierre Descargues about the paintings produced by Jean-Paul Riopelle in 1950 and 1951, seem to illustrate perfectly the effect produced when one first looks at Untitled. A true explosion of colours and material, this work reflects all the tension running through the artist's painting at this pivotal time at the beginning of the fifties.
In early 1950, Riopelle moved to a tiny apartment in the twelfth arrondissement of Paris, with his wife Françoise and their two daughters. There was not enough room in the apartment to paint, so he found a warehouse to rent near the Edgar-Quinet Metro station, which gave him the opportunity to work tirelessly that year on more than forty paintings. Success was still fleeting at this time and living conditions difficult, despite his first solo exhibition at gallery La Dragonne in 1949, the catalogue preface for which was signed by André Breton. Indeed, when he arrived in Paris, Riopelle quickly formed connections with the Surrealist set because of his affinity with the movement, which he had discovered in Canada, and because of his progressive exploration of the issues surrounding automatism in painting. Breton nicknamed him the 'master trapper', such was the clashing impact of his personality on the hushed and intellectual milieu of post-war Paris. Untitled carries the legacy of those early years of research, in which painters were driven by the emancipation of painting through automatic execution. However, Riopelle soon became dissatisfied with this single approach and the rigid Surrealist dogma. He strove for more creative freedom, aiming to constantly rediscover the possibilities offered by painting. That same year, he also made an important acquaintance: that of the critic and poet, Georges Duthuit, who admired his work and would write the very first text about his painting. This text, which was translated into English by Samuel Beckett, opened the doors of the international art scene to Riopelle, and in particular that of New York. Moreover, Duthuit was none other than the son-in-law of Henri Matisse, and, through him, would introduce Riopelle to Pierre Matisse. The latter had a gallery in New York that already showed the big names in art. This gallery would be the first to offer to present Untitled to the American public.
Often compared to Pollock because of his use of 'dripping' - those squirts of liquid paint splattered over the canvas - there were however considerable differences between the two artists. In fact, Pollock employed curves, convolutions and nodes that colonised the surface in a labyrinth of colours and materials, and opened up the space of the painting at its centre. Riopelle, on the other hand, worked with raised surfaces and lines thrown down to give rhythm and direction to the material. He made the space of the painting burst outwards, so its dimension seemed to spring beyond the edges of the canvas. In addition, at the turn of the years 1950-1951, as perfectly demonstrated in Untitled, the painter was tending to combine these rich meshes of drippings with flat areas and impasto, carefully composing them in a mosaic, formed from and playing with the transparencies and overlays he created. His friend and art critic, Patrick Waldberg, wrote at that time, "Sometimes the surface of the canvas becomes a filigree network of unbridled fibrils, gossamer tracery, whose highly refined hues accentuate the serious sumptuousness of the background, glimpsed here and there, and that modulate the splendours of the lunar sky or the bursts of sunlight."