拍品专文
Cette œuvre figurera dans le Catalogue raisonné Vie et Œuvre de Germaine Richier dont Françoise Guiter est l'auteur.
Réalisée en 1955-1956, La Montagne est l’une des plus grandes réalisations de Germaine Richier. Les amis de l’artiste rapportent qu’elle en imagina les traits en les dessinant à l’aide d’un bâton sur le sable de la plage des Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue. Ici, deux formes se font face. D’un côté, une sorte d’être replet, dont la panse dodue se révèle creuse comme une vasque et le visage percé de deux grands orbites, est fiché dans le sol par un seul et massif pied central. Pour réaliser cette partie, l’artiste a fait poser Nardone, ancien modèle de Rodin qui avait déjà servi pour l’Ogre. De l’autre côté, une forme beaucoup plus anguleuse, aux membres décharnés et à la posture plus nerveuse, rappelle davantage la Mante ou la Fourmi. Pour la créer, Germaine Richier a eu recours à des matériaux végétaux. En particulier des branches et des souches d’arbres, qui confèrent à la sculpture un aspect à la frontière de l’animal et du végétal. La relation qui unit les deux êtres est ambiguë : si le long bras du plus corpulent d’entre eux semble pointé comme une épée vers les mandibules aiguisées de son vis-à-vis, suggérant qu’est en train de se jouer un combat (une thématique que l’on trouvait déjà dans l’Escrimeuse, plus d’une décennie plus tôt), il n’en demeure pas moins que chacune des deux parties basculerait inévitablement à la renverse sans la présence de l’autre, et que par conséquent elles forment ensemble davantage un couple qu’une paire d’adversaires, lancé dans ce qui serait plutôt un ballet qu’une bataille. Comme chez d’autres sculpteurs – Alberto Giacometti ou Marino Marini notamment – les œuvres de Germaine Richier portent la trace des stigmates de la Seconde Guerre mondiale. Les atrocités du confit ont en effet posé un défi à celles et ceux qui, après-guerre, ont cherché à représenter la figure humaine. Par son traitement singulier qui confine presque à l’abstraction, La Montagne fait siennes ces préoccupations. « Créatures fantastiques d’un âge que nous sommes incapables de reconnaître, mais qui est le nôtre, puisque le monde des formes survient incessamment pendant notre recherche et notre observation », comme les décrit l’artiste (G. Richier citée in Germaine Richier. Rétrospective, catalogue d’exposition, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, avril-juin 1996, p. 162), les deux êtres – l’un anthropomorphe, l’autre plus proche du règne animal – sont habités d’une charge profondément existentialiste. La tension des membres, l’équilibre précaire, le recours à des matériaux naturels ; tout concourt ici à rendre compte d’une forme d’énergie primitive, de puissance de vie logée au cœur même de la matière. Au fond, par son art, Germaine Richier « nous fait apercevoir des fièvres et des peurs qui sont primordiales […] et qu’un certain mode d’existence, dit état de civilisation, a mises en veilleuse », comme le déclare André Pieyre de Mandiargues (cité in Germaine Richier. Rétrospective, op. cit.).
Présentée pour la première fois à l’occasion de l’exposition monographique du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1956, La Montagne suscite l’enthousiasme des commentateurs. Ainsi, Jean Paulhan déclarera, admiratif : « Germaine Richier a fait une statue (à mon sens) merveilleuse, qu’elle appelle La Montagne, mais qui s’appellerait mieux, à cause de la caverne ou grotte qu’elle contient, la Caverne ou l’Œuf du monde » (J. Paulhan, lettre à Marcel Jouhandeau, 26 août 1956, cité in Germaine Richier. Rétrospective, op. cit.). La Montagne, dont certains exemplaires sont notamment conservés dans les collections du Musée National d’Art Moderne (Paris), du Sprengel Museum (Hanovre) ou de la Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence), incarne en ce sens une certaine apogée de la trajectoire artistique de Germaine Richier. Ainsi, à la question que lui posait le critique Denys Chevalier, « pourquoi ce titre ? », l’artiste répondit : « c’est un peu un sommet ».
Executed in 1955-1956, La Montagne is one of Germaine Richier’s greatest works. Friends of the artist report that she imagined its lines by drawing them in the sand with a stick on Les Saintes-Maries-de-la-Mer beach, in Camargue. Here, two forms face each other. On one side, a sort of roundish being, whose big belly proves hollow as a bowl with a face pierced by two large eye sockets, is stuck into the ground by a single, solid foot. To make this part, the artist got Nardone to pose, one of Rodin’a former models who had already served for the Ogre. On the other side, a much more angular form, with bony limbs and a more nervous posture, more reminiscent of the Mante (Mantis) or the Fourmi (Ant). To create it, Germaine Richier turned to plant materials, particularly branches and tree stumps, which makes the sculpture appear to be on the borderline between animal and plant. The relationship that unites the two beings is ambiguous: while the long arm of the more corpulent figure seems to point like a sword towards the sharp jaws of the being facing it suggests that they are engaged in combat (a theme found previously in l’Escrimeuse [The Fencer], more than decade earlier), it remains true that each of the two parties would inevitably fall backwards without the presence of the other, and that consequently, together they form more a couple than two adversaries, launched into what is more of a ballet than a battle.
As with other sculptors –Alberto Giacometti and Marino Marini in particular – Germaine Richier’s works bear traces of the scars of the Second World War. The atrocities of the conflict posed a challenge for those men and women who sought to portray the human figure after the war. In its singular treatment verging on abstraction, La Montagne makes these preoccupations its own. “Fantastic creatures from an age we are incapable of recognising, but that is our own, since the world of forms arises incessantly during our research and observation”, as the artist described it (G. Richier quoted in Germaine Richier. Rétrospective, exhibition catalogue, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, April-June 1996, p. 162), the two beings – one anthropomorphic, the other closer to the animal kingdom – are sufused with a profoundly existentialist charge. The tension of the limbs, the precarious balance, the reference to natural materials; everything here contributes to the realisation of a form of primitive energy, of a living power lodged at the very heart of the material. Fundamentally, through her art, Germaine Richier “gives us a glimpse of primordial fevers and fears [É]that a certain state of existence, called civilisation, has pushed out of mind”, as André Pieyre de Mandiargues observed (quoted in Germaine Richier. Rétrospective, op. cit.).
Presented for the frst time at the monographic exhibition at the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris in 1956, La Montagne was greeted with enthusiasm by commentators. As Jean Paulhan declared, admiringly: “Germaine Richier has made (in my opinion) a marvelous statue, that she calls La Montagne, but would be better called, because of the cavern or grotto it contains, the Cavern or Egg of the World” (J. Paulhan, letter to Marcel Jouhandeau, 26 August 1956, quoted in Germaine Richier. Rétrospective, op. cit.). La Montagne, copies of which are held in the collections of the Musée National d’Art Moderne (Paris), the Sprengel Museum (Hanover) and the Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence), embody in that respect a high point in Germaine Richier’s artistic career. Thus, to the question put to her by the critic Denys Chevalier, “Why this title?”, the artist replied: “it’s a bit of a summit”.
Réalisée en 1955-1956, La Montagne est l’une des plus grandes réalisations de Germaine Richier. Les amis de l’artiste rapportent qu’elle en imagina les traits en les dessinant à l’aide d’un bâton sur le sable de la plage des Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue. Ici, deux formes se font face. D’un côté, une sorte d’être replet, dont la panse dodue se révèle creuse comme une vasque et le visage percé de deux grands orbites, est fiché dans le sol par un seul et massif pied central. Pour réaliser cette partie, l’artiste a fait poser Nardone, ancien modèle de Rodin qui avait déjà servi pour l’Ogre. De l’autre côté, une forme beaucoup plus anguleuse, aux membres décharnés et à la posture plus nerveuse, rappelle davantage la Mante ou la Fourmi. Pour la créer, Germaine Richier a eu recours à des matériaux végétaux. En particulier des branches et des souches d’arbres, qui confèrent à la sculpture un aspect à la frontière de l’animal et du végétal. La relation qui unit les deux êtres est ambiguë : si le long bras du plus corpulent d’entre eux semble pointé comme une épée vers les mandibules aiguisées de son vis-à-vis, suggérant qu’est en train de se jouer un combat (une thématique que l’on trouvait déjà dans l’Escrimeuse, plus d’une décennie plus tôt), il n’en demeure pas moins que chacune des deux parties basculerait inévitablement à la renverse sans la présence de l’autre, et que par conséquent elles forment ensemble davantage un couple qu’une paire d’adversaires, lancé dans ce qui serait plutôt un ballet qu’une bataille. Comme chez d’autres sculpteurs – Alberto Giacometti ou Marino Marini notamment – les œuvres de Germaine Richier portent la trace des stigmates de la Seconde Guerre mondiale. Les atrocités du confit ont en effet posé un défi à celles et ceux qui, après-guerre, ont cherché à représenter la figure humaine. Par son traitement singulier qui confine presque à l’abstraction, La Montagne fait siennes ces préoccupations. « Créatures fantastiques d’un âge que nous sommes incapables de reconnaître, mais qui est le nôtre, puisque le monde des formes survient incessamment pendant notre recherche et notre observation », comme les décrit l’artiste (G. Richier citée in Germaine Richier. Rétrospective, catalogue d’exposition, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, avril-juin 1996, p. 162), les deux êtres – l’un anthropomorphe, l’autre plus proche du règne animal – sont habités d’une charge profondément existentialiste. La tension des membres, l’équilibre précaire, le recours à des matériaux naturels ; tout concourt ici à rendre compte d’une forme d’énergie primitive, de puissance de vie logée au cœur même de la matière. Au fond, par son art, Germaine Richier « nous fait apercevoir des fièvres et des peurs qui sont primordiales […] et qu’un certain mode d’existence, dit état de civilisation, a mises en veilleuse », comme le déclare André Pieyre de Mandiargues (cité in Germaine Richier. Rétrospective, op. cit.).
Présentée pour la première fois à l’occasion de l’exposition monographique du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1956, La Montagne suscite l’enthousiasme des commentateurs. Ainsi, Jean Paulhan déclarera, admiratif : « Germaine Richier a fait une statue (à mon sens) merveilleuse, qu’elle appelle La Montagne, mais qui s’appellerait mieux, à cause de la caverne ou grotte qu’elle contient, la Caverne ou l’Œuf du monde » (J. Paulhan, lettre à Marcel Jouhandeau, 26 août 1956, cité in Germaine Richier. Rétrospective, op. cit.). La Montagne, dont certains exemplaires sont notamment conservés dans les collections du Musée National d’Art Moderne (Paris), du Sprengel Museum (Hanovre) ou de la Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence), incarne en ce sens une certaine apogée de la trajectoire artistique de Germaine Richier. Ainsi, à la question que lui posait le critique Denys Chevalier, « pourquoi ce titre ? », l’artiste répondit : « c’est un peu un sommet ».
Executed in 1955-1956, La Montagne is one of Germaine Richier’s greatest works. Friends of the artist report that she imagined its lines by drawing them in the sand with a stick on Les Saintes-Maries-de-la-Mer beach, in Camargue. Here, two forms face each other. On one side, a sort of roundish being, whose big belly proves hollow as a bowl with a face pierced by two large eye sockets, is stuck into the ground by a single, solid foot. To make this part, the artist got Nardone to pose, one of Rodin’a former models who had already served for the Ogre. On the other side, a much more angular form, with bony limbs and a more nervous posture, more reminiscent of the Mante (Mantis) or the Fourmi (Ant). To create it, Germaine Richier turned to plant materials, particularly branches and tree stumps, which makes the sculpture appear to be on the borderline between animal and plant. The relationship that unites the two beings is ambiguous: while the long arm of the more corpulent figure seems to point like a sword towards the sharp jaws of the being facing it suggests that they are engaged in combat (a theme found previously in l’Escrimeuse [The Fencer], more than decade earlier), it remains true that each of the two parties would inevitably fall backwards without the presence of the other, and that consequently, together they form more a couple than two adversaries, launched into what is more of a ballet than a battle.
As with other sculptors –Alberto Giacometti and Marino Marini in particular – Germaine Richier’s works bear traces of the scars of the Second World War. The atrocities of the conflict posed a challenge for those men and women who sought to portray the human figure after the war. In its singular treatment verging on abstraction, La Montagne makes these preoccupations its own. “Fantastic creatures from an age we are incapable of recognising, but that is our own, since the world of forms arises incessantly during our research and observation”, as the artist described it (G. Richier quoted in Germaine Richier. Rétrospective, exhibition catalogue, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, April-June 1996, p. 162), the two beings – one anthropomorphic, the other closer to the animal kingdom – are sufused with a profoundly existentialist charge. The tension of the limbs, the precarious balance, the reference to natural materials; everything here contributes to the realisation of a form of primitive energy, of a living power lodged at the very heart of the material. Fundamentally, through her art, Germaine Richier “gives us a glimpse of primordial fevers and fears [É]that a certain state of existence, called civilisation, has pushed out of mind”, as André Pieyre de Mandiargues observed (quoted in Germaine Richier. Rétrospective, op. cit.).
Presented for the frst time at the monographic exhibition at the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris in 1956, La Montagne was greeted with enthusiasm by commentators. As Jean Paulhan declared, admiringly: “Germaine Richier has made (in my opinion) a marvelous statue, that she calls La Montagne, but would be better called, because of the cavern or grotto it contains, the Cavern or Egg of the World” (J. Paulhan, letter to Marcel Jouhandeau, 26 August 1956, quoted in Germaine Richier. Rétrospective, op. cit.). La Montagne, copies of which are held in the collections of the Musée National d’Art Moderne (Paris), the Sprengel Museum (Hanover) and the Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence), embody in that respect a high point in Germaine Richier’s artistic career. Thus, to the question put to her by the critic Denys Chevalier, “Why this title?”, the artist replied: “it’s a bit of a summit”.