拍品专文
« Dès le début de ces toiles découpées, j'ai senti que j'allais y trouver ce que j'avais vainement cherché par d'autres moyens... Par cette utilisation entièrement différente de la couleur, en lui ôtant toute qualité décorative et en visant uniquement à obtenir un effet saisissant de vie intense, il m'a semblé que j'ouvrais un champ très vaste d'explorations nouvelles. »
Jean Dubuffet
À l’été 1956, lorsqu’il peint L’africain, Jean Dubuffet est installé depuis près d’un an à Vence, en Provence, pour soigner les lésions pulmonaires de sa compagne Émilie, dite Lili. Il vient tout juste d’aménager son nouvel atelier L’Ubac, construit sous les remparts de la ville, et dont le vaste espace de travail doit lui permettre de développer pleinement ses nouvelles recherches plastiques. Dans le prolongement de ses Assemblages d’empreintes, collages composites sur papier, Dubuffet s’est lancé dans des Tableaux d’assemblages, qui sont le fruit d’un processus d’abandon, d’hasards heureux, d’oublis et de retour entre les œuvres et lui. Cela nécessite une grande liberté dans le mouvement, mais surtout de la place, l’artiste travaillant simultanément à plusieurs tableaux.
Pour parvenir à l’œuvre finale, Dubuffet peint, d’abord, à même le sol de grands rouleaux de toile sur lesquels il va venir brosser, gratter, éroder les huiles, usant de tout type d’outils – chiffons, journaux – dans un rapport direct et univoque à la matière. Mais surtout, dans une indifférence jubilatoire au résultat, en neutralisant par le seul labeur de la couleur toute idée préconçue de composition. Ensuite, il découpe aux ciseaux de petites parcelles de tissus, prolongeant l’aléa dans la succession des formes qu’il choisit, dictées par la seule envie de l’instant. Enfin, comme dans L’africain, il compose sur une nouvelle toile sa vision mentale, à partir d’une sélection d’échantillons peints qu’il va coller ensemble, chacun trouvant son utilité dans la reconstitution d’une image fantasmée. Dubuffet éprouve dans ce processus un plaisir certain, dont il parle avec délectation : « Cette technique, pour qui voudrait la considérer au moins comme un facteur d’improvisation et d’imagination, comme une gymnastique de libération des conventions reçues et préjugés inhibiteurs, comme une excitation à l’invention en tous domaines (…) est de toute manière extrêmement excitante et féconde » (« Mémoire sur le développement de mes travaux à partir de 1952 » in J. Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, tome II, Paris, Gallimard, 1967, p. 116). La technique des Tableaux d’assemblage lui permet ainsi de pousser plus loin encore sa quête permanente d’un art viscéral qui traduirait les mécanismes de la pensée, abandonnée au jeu du hasard.
Plastiquement, L’africain s’inscrit dans le continuum des œuvres de la décennie 1950. La juxtaposition heureuse des textiles colorés produit l’effet d’un nacre scintillant, qui évoque sans ambages les œuvres d’ailes de papillon commencées en 1952. Mais surtout, ce patchwork vivant s’inscrit pleinement dans les expérimentations matiéristes, botaniques et naturalistes de l’artiste, qui s’étendent de ses Sols et terrain, Terres radieuses du début de la décennie à ses Matériologies qui la clôturent. Particulièrement inspiré par le cadre pastoral de Vence, Dubuffet se passionne pour les menus détails de la vie naturelle, les brindilles, mauvaises herbes, plantes mais aussi pierres et cailloux qui l’entourent. Son Africain repose sur un paysage aux tonalités minérales, presque austères, terreuses, desquelles se détachent des cellules scintillantes rouges, vertes ou jaunes, ces jeux de matière rappelant les fleurs d’un jardin sauvage né d’une terre féconde.
L’originalité de L’africain tient toutefois à ce qu’il révèle les chemins de la pensée de Dubuffet. Si le hasard a fait son irruption, l’insondable profondeur de l’être rejaillit dans le sujet. Ce n’est pas un thème nouveau qui est ici exploré, mais bien le rappel d’un souvenir encore fort à son esprit, celui des voyages qu’il fait au Sahara entre 1947 et 1949. Voici ainsi surgir les évocations du passé dans le jeu de la fortune, la réminiscence d’un paysage aride et singulier : « Les montagnes sont noires le sol noir complanté de pierres noires les hommes noirs teints de bleu (…) Les Touaregs tiennent du chevalier Tristan, du guerrier samouraï, de la statue du Commandeur » (in catalogue de l'exposition Jean Dubuffet, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, 2001, p. 368). Synthèse d’un temps d’introspection pour l’artiste, au contact direct de la nature, L’africain matérialise alors avec force les propos de Max Loreau : « Tous les lieux de la petite mythologie vençoise se mettent à s’agiter ici avec vivacité sous l’effet de poussées discordantes : à sauter vers l’esprit comme un jeu de ressorts anarchiques qui se propulsent sans règle dans une succession rapide de bons, éparpillés, au gré de la pensée vagabonde sollicitée en toutes directions à la fois – à la fantaisie d’une imagination tiraillée et désarticulée » (in M. Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XII : Tableaux d’assemblages, Paris, 1960, p.10).
"From the start of these canvas cut-outs I sensed that I was going to find in them what I had vainly looked for in other means... By this entirely different use of colour, by taking away from it all decorative qualities and aiming uniquely at obtaining a striking effect of intense life, it seemed to me that I would be opening up a very vast field of new exporations."
Jean Dubuffet
In summer 1956, when he painted L’Africain, Jean Dubuffet had recently settled in Vence, Provence, to treat the pulmonary lesions of his partner, Émilie, known as Lili. He had just furnished his new studio, L'Ubac, built under the city's ramparts with a vast workspace where he could fully explore his new plastic pursuits. A continuation of his Assemblages d’empreintes, composite collages on paper, Dubuffet launched into the Tableaux d’assemblages, which are the result of a process of abandon, happy accidents, oversights and feedback between the works and him. This required extensive freedom of movement and ‒ more importantly ‒ an abundance of space as the artist worked simultaneously on multiple paintings.
To arrive at the finished work, Dubuffet first painted the canvases on the ground with large rollers, then worked the paint by brushing, scraping, diluting the oils, using any kind of tools – rags, newspapers – in a direct, one-to-one relationship with the matter. More importantly, he worked with a jubilant indifference as to the result, neutralising through the toil of the colour any preconceived idea of composition. Next, he used scissors to cut out small pieces of fabric, pushing the random factor in the succession of shapes he chose, dictated solely by his whims in the moment. Finally, as in L’Africain, on a new canvas he composed his mental vision from a selection of painted samples he would glue together, each finding its utility in the reconstitution of a dreamed up image. This process gave Dubuffet an unmistakable pleasure, which he discussed with relish: "The technique, for those who would like to consider it at least as a factor of improvisation and imagination, like an exercise in liberation from common wisdom and inhibiting prejudices, like an incitement to invent in all fields (…) is, in any event, extremely exciting and fertile" ("Mémoire sur le développement de mes travaux à partir de 1952" in J. Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, tome II, Paris, Gallimard, 1967, p. 116). Thus, the technique in Tableaux d’assemblage enabled him to push the boundaries of his ongoing quest for a visceral art that would convey the mechanisms of thought, turned over to the game of chance.
Artistically, L’Africain falls along the continuum of works in the 1950s. The pleasing juxtaposition of the colourful textiles gives the effect of shimmering mother of pearl, which plainly evokes the butterfly wing works begun in 1952. But above al, this patchwork is fully aligned with the artist's material, botanical and naturalist experiments which run from his Sols et terrain, Terres radieuses at the start of the decade to the Matériologies which closed it. Especially inspired by the pastoral setting of Vence, Dubuffet was passionate about the tiniest details of the natural world: blades of grass, weeds and plants, as well as the stones and pebbles that surrounded him. His Africain rests against a backdrop of mineral tones that are almost austere in their earthiness, contrasting with the glimmering red, green and yellow cells that spring from them. This interplay of colour calls to mind the flowers of a wild garden rooted in fertile soil.
However, the originality of L’Africain is what it reveals about Dubuffet's thought patterns. While chance has made an appearance, the unknowable profoundness of being re-emerges in the subject. The theme explored here is not a new one, but rather an echo of memory that was still fresh in his mind: the recollections of his trips to the Sahara between 1947 and 1949. To see the evocations of the past erupt in the game of chance, the reminiscences of an arid and singular landscape: "The mountains are black the earth black imprinted with black stones the black men dressed in blue (…) The Tuaregs have an air of Tristan, the knight, a samurai warrior, the statue of the Commander" (in exhibition catalogue for Jean Dubuffet, Centre National d'Art et de Culture Georges Pompidou, 2001, p. 368). Summarising a period of introspection for the artist, in direct contact with nature, L’Africain is a forceful embodiment of the words of Max Loreau: "All the places in the modest mythology of Vence are summoned here, working vivaciously under the effect of discordant thrusts: they jump about in the mind like a set of anarchic springs propelled without rhyme or reason in a rapid succession of dispersed leaps, according to the whims of a wandering mind torn in many directions at once – toward the fantasies of a beset and disorganised imagination" (in M Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XII: Tableaux d’assemblages, Paris, 1960, p.10).
Jean Dubuffet
À l’été 1956, lorsqu’il peint L’africain, Jean Dubuffet est installé depuis près d’un an à Vence, en Provence, pour soigner les lésions pulmonaires de sa compagne Émilie, dite Lili. Il vient tout juste d’aménager son nouvel atelier L’Ubac, construit sous les remparts de la ville, et dont le vaste espace de travail doit lui permettre de développer pleinement ses nouvelles recherches plastiques. Dans le prolongement de ses Assemblages d’empreintes, collages composites sur papier, Dubuffet s’est lancé dans des Tableaux d’assemblages, qui sont le fruit d’un processus d’abandon, d’hasards heureux, d’oublis et de retour entre les œuvres et lui. Cela nécessite une grande liberté dans le mouvement, mais surtout de la place, l’artiste travaillant simultanément à plusieurs tableaux.
Pour parvenir à l’œuvre finale, Dubuffet peint, d’abord, à même le sol de grands rouleaux de toile sur lesquels il va venir brosser, gratter, éroder les huiles, usant de tout type d’outils – chiffons, journaux – dans un rapport direct et univoque à la matière. Mais surtout, dans une indifférence jubilatoire au résultat, en neutralisant par le seul labeur de la couleur toute idée préconçue de composition. Ensuite, il découpe aux ciseaux de petites parcelles de tissus, prolongeant l’aléa dans la succession des formes qu’il choisit, dictées par la seule envie de l’instant. Enfin, comme dans L’africain, il compose sur une nouvelle toile sa vision mentale, à partir d’une sélection d’échantillons peints qu’il va coller ensemble, chacun trouvant son utilité dans la reconstitution d’une image fantasmée. Dubuffet éprouve dans ce processus un plaisir certain, dont il parle avec délectation : « Cette technique, pour qui voudrait la considérer au moins comme un facteur d’improvisation et d’imagination, comme une gymnastique de libération des conventions reçues et préjugés inhibiteurs, comme une excitation à l’invention en tous domaines (…) est de toute manière extrêmement excitante et féconde » (« Mémoire sur le développement de mes travaux à partir de 1952 » in J. Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, tome II, Paris, Gallimard, 1967, p. 116). La technique des Tableaux d’assemblage lui permet ainsi de pousser plus loin encore sa quête permanente d’un art viscéral qui traduirait les mécanismes de la pensée, abandonnée au jeu du hasard.
Plastiquement, L’africain s’inscrit dans le continuum des œuvres de la décennie 1950. La juxtaposition heureuse des textiles colorés produit l’effet d’un nacre scintillant, qui évoque sans ambages les œuvres d’ailes de papillon commencées en 1952. Mais surtout, ce patchwork vivant s’inscrit pleinement dans les expérimentations matiéristes, botaniques et naturalistes de l’artiste, qui s’étendent de ses Sols et terrain, Terres radieuses du début de la décennie à ses Matériologies qui la clôturent. Particulièrement inspiré par le cadre pastoral de Vence, Dubuffet se passionne pour les menus détails de la vie naturelle, les brindilles, mauvaises herbes, plantes mais aussi pierres et cailloux qui l’entourent. Son Africain repose sur un paysage aux tonalités minérales, presque austères, terreuses, desquelles se détachent des cellules scintillantes rouges, vertes ou jaunes, ces jeux de matière rappelant les fleurs d’un jardin sauvage né d’une terre féconde.
L’originalité de L’africain tient toutefois à ce qu’il révèle les chemins de la pensée de Dubuffet. Si le hasard a fait son irruption, l’insondable profondeur de l’être rejaillit dans le sujet. Ce n’est pas un thème nouveau qui est ici exploré, mais bien le rappel d’un souvenir encore fort à son esprit, celui des voyages qu’il fait au Sahara entre 1947 et 1949. Voici ainsi surgir les évocations du passé dans le jeu de la fortune, la réminiscence d’un paysage aride et singulier : « Les montagnes sont noires le sol noir complanté de pierres noires les hommes noirs teints de bleu (…) Les Touaregs tiennent du chevalier Tristan, du guerrier samouraï, de la statue du Commandeur » (in catalogue de l'exposition Jean Dubuffet, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, 2001, p. 368). Synthèse d’un temps d’introspection pour l’artiste, au contact direct de la nature, L’africain matérialise alors avec force les propos de Max Loreau : « Tous les lieux de la petite mythologie vençoise se mettent à s’agiter ici avec vivacité sous l’effet de poussées discordantes : à sauter vers l’esprit comme un jeu de ressorts anarchiques qui se propulsent sans règle dans une succession rapide de bons, éparpillés, au gré de la pensée vagabonde sollicitée en toutes directions à la fois – à la fantaisie d’une imagination tiraillée et désarticulée » (in M. Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XII : Tableaux d’assemblages, Paris, 1960, p.10).
"From the start of these canvas cut-outs I sensed that I was going to find in them what I had vainly looked for in other means... By this entirely different use of colour, by taking away from it all decorative qualities and aiming uniquely at obtaining a striking effect of intense life, it seemed to me that I would be opening up a very vast field of new exporations."
Jean Dubuffet
In summer 1956, when he painted L’Africain, Jean Dubuffet had recently settled in Vence, Provence, to treat the pulmonary lesions of his partner, Émilie, known as Lili. He had just furnished his new studio, L'Ubac, built under the city's ramparts with a vast workspace where he could fully explore his new plastic pursuits. A continuation of his Assemblages d’empreintes, composite collages on paper, Dubuffet launched into the Tableaux d’assemblages, which are the result of a process of abandon, happy accidents, oversights and feedback between the works and him. This required extensive freedom of movement and ‒ more importantly ‒ an abundance of space as the artist worked simultaneously on multiple paintings.
To arrive at the finished work, Dubuffet first painted the canvases on the ground with large rollers, then worked the paint by brushing, scraping, diluting the oils, using any kind of tools – rags, newspapers – in a direct, one-to-one relationship with the matter. More importantly, he worked with a jubilant indifference as to the result, neutralising through the toil of the colour any preconceived idea of composition. Next, he used scissors to cut out small pieces of fabric, pushing the random factor in the succession of shapes he chose, dictated solely by his whims in the moment. Finally, as in L’Africain, on a new canvas he composed his mental vision from a selection of painted samples he would glue together, each finding its utility in the reconstitution of a dreamed up image. This process gave Dubuffet an unmistakable pleasure, which he discussed with relish: "The technique, for those who would like to consider it at least as a factor of improvisation and imagination, like an exercise in liberation from common wisdom and inhibiting prejudices, like an incitement to invent in all fields (…) is, in any event, extremely exciting and fertile" ("Mémoire sur le développement de mes travaux à partir de 1952" in J. Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, tome II, Paris, Gallimard, 1967, p. 116). Thus, the technique in Tableaux d’assemblage enabled him to push the boundaries of his ongoing quest for a visceral art that would convey the mechanisms of thought, turned over to the game of chance.
Artistically, L’Africain falls along the continuum of works in the 1950s. The pleasing juxtaposition of the colourful textiles gives the effect of shimmering mother of pearl, which plainly evokes the butterfly wing works begun in 1952. But above al, this patchwork is fully aligned with the artist's material, botanical and naturalist experiments which run from his Sols et terrain, Terres radieuses at the start of the decade to the Matériologies which closed it. Especially inspired by the pastoral setting of Vence, Dubuffet was passionate about the tiniest details of the natural world: blades of grass, weeds and plants, as well as the stones and pebbles that surrounded him. His Africain rests against a backdrop of mineral tones that are almost austere in their earthiness, contrasting with the glimmering red, green and yellow cells that spring from them. This interplay of colour calls to mind the flowers of a wild garden rooted in fertile soil.
However, the originality of L’Africain is what it reveals about Dubuffet's thought patterns. While chance has made an appearance, the unknowable profoundness of being re-emerges in the subject. The theme explored here is not a new one, but rather an echo of memory that was still fresh in his mind: the recollections of his trips to the Sahara between 1947 and 1949. To see the evocations of the past erupt in the game of chance, the reminiscences of an arid and singular landscape: "The mountains are black the earth black imprinted with black stones the black men dressed in blue (…) The Tuaregs have an air of Tristan, the knight, a samurai warrior, the statue of the Commander" (in exhibition catalogue for Jean Dubuffet, Centre National d'Art et de Culture Georges Pompidou, 2001, p. 368). Summarising a period of introspection for the artist, in direct contact with nature, L’Africain is a forceful embodiment of the words of Max Loreau: "All the places in the modest mythology of Vence are summoned here, working vivaciously under the effect of discordant thrusts: they jump about in the mind like a set of anarchic springs propelled without rhyme or reason in a rapid succession of dispersed leaps, according to the whims of a wandering mind torn in many directions at once – toward the fantasies of a beset and disorganised imagination" (in M Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XII: Tableaux d’assemblages, Paris, 1960, p.10).