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« De combien de peintres de la génération de Fautrier pouvons- nous dire aujourd'hui qu'ils ne doivent rien à personne ? Voici un peintre que d'éclatants écarts depuis vingt ans ramènent toujours au tragique. — En le représentant toujours moins, en l'exprimant toujours davantage [...] et la première tentative pour décharner la douleur contemporaine jusqu'à trouver ses idéogrammes pathétiques, — jusqu'à la faire pénétrer de force, dès aujourd'hui, dans le monde de l'éternel. »
André Malraux
Sur un fond pastel se détachent en pâtes épaisses les formes d’un buste, les courbes d’une poitrine, le rebond des hanches d’une femme, encadrés par le tracé d’un dessin gris, émergeant des sédiments de matière. Ce Nu, que Jean Fautrier achève en 1956, et dont la matérialité appelle à l’abandon et la volupté, côtoie les Partisans anonymes qu’il débute la même année, en hommage à la révolte de Budapest étouffée par l’arrivée des chars soviétiques. Rejouant la dichotomie qui existait déjà entre ces Nus lascifs et ses Otages fusillés des années 1940, Fautrier porte dans ces œuvres de maturité les pulsions de vie et de mort à leur paroxysme. Comme l’écrit Yves Peyré, dans ses Nus, il « épelle le corps pour soi, presque gratuitement, dans l’extrême de la sensualité […], affirmant picturalement la proximité troublante, affolante, de l’érotisme et du supplice » (in Y. Peyré, Fautrier, ou les outrages de l’impossible, Paris, 1990, p. 31).
L’œuvre participe d’un thème topique pour l’artiste, celui du corps féminin, qu’il parcourt inlassablement depuis les années 1920. Elle appartient toutefois plus particulièrement à son dernier corpus de Nus, peints en 1955-1958. Bien plus que tout autres, ces tableaux invitent à une sensualité ostentatoire, ils sont l’expression brute du désir :« Plus chair que jamais, ils sont un état inédit de l’érotisme » (in Y. Peyré, ibid, p. 222). Son ami poète Francis Ponge écrira à leur sujet, par comparaison au monde végétal : « Une chair mélangée à ses robes, comme toute pétrie de satin, voilà la substance des fleurs. Chacune à la fois robe et cuisse, sein et corsage aussi bien – qu’on peut tenir entre deux doigts, enfin ! et manier pour telle : approcher, éloigner de sa narine, saisir, disposer, regarder, entrouvrir, délaisser et reprendre » (in « Paroles à propos des nus de Fautrier », Paris, galerie Rive Droite, 1956).
La femme se trouve parfaitement réifiée, son individualité s’efface, il ne subsiste que la plus intense émotion de ses formes alanguies. Le Nu de 1956 en est un remarquable exemple, les courbes rêvées du corps étant entièrement fondues à la texture de l’œuvre, presque vivante. Ici, plus qu’ailleurs, « [l’appétence de Fautrier] pour la matière rejoint son appétence pour le corps féminin : aucune trivialité mais une fougue élancée dans la possession charnelle comme dans le faire en peinture » (in catalogue d’exposition, Martigny, Fondation Pierre Gianadda, 2005, p.14). Ce sont les épais empâtements de blanc d’Espagne, travaillés directement à la spatule, qui forment les plis et les émois de la peau frémissante. Appliquant à plat sur le papier les couches d’enduit, Fautrier travaille par strates la matière, qu’il mêle successivement à des poudres de pigments purs et à l’ébauche d’un dessin. Dans ce Nu, ce sont des projections explosives de jade, d’émeraude, de rose chair et pêche qui colorent le corps ; et derrière, le bleu azur et l’incarnadin qui lui donnent sa légèreté aérienne. L’artiste ne s’arrête que lorsque sa feuille, imprégnée de sa vision, prend l’apparence d’un bas-relief, qu’il sèche et maroufle alors sur toile.
Depuis près de dix ans, Fautrier travaille sujet et forme simultanément, sa peinture est singulière dans le paysage artistique d’après-guerre. Sa technique célébrée des hautes pâtes va conduire le critique Michel Tapié à le placer, en 1952, en tête de pont du mouvement de l’art « Informel », un art nouveau, défait des héritages cubistes, lyriques ou géométriques. Le peintre, toutefois, n’est pas homme grégaire. Préférant la compagnie des écrivains à celle des artistes, il fréquente Malraux et Paulhan, mais vit aussi dans la confidence de sa maison à Châtenay-Malabry, près de Paris. Il rejettera jusque son appartenance à un art informel qui ne serait qu’abstraction. Car pour Fautrier, à l’image de son Nu de 1956, la matière n’est jamais que la mise en pâte d’un toucher, d’un souvenir : « Aucune forme d’art ne peut donner d’émotion s’il ne s’y mêle une part de réel. Si informe qu’elle soit, si impalpable, cette allusion, cette parcelle irréductible est comme la clef de l’œuvre […] On ne fait jamais que réinventer ce qui est, restituer en nuances d’émotion la réalité qui s’est incorporée à la matière, à la forme, à la couleur, produits de l’instant, changé en ce qui ne change plus ». (in J. Fautrier, À chacun sa réalité, XXè siècle, n°9, juin 1957).
"Of how many painters of Fautrier's generation can we say today that they owe nothing to anyone? Here is a painter that dazzling deviations for twenty years always bring back to the tragic, - by representing it always less, by expressing it always more. [...] And the first attempt to unburden contemporary pain until finding its pathetic ideograms, - until forcing it into the world of the eternal as of today."
André Malraux
Against a pastel background, a thick paste-like substance suggests the shape of a torso, the curves of a bustline, the bulge of a woman’s hips, framed by an outline drawn in grey, emerging from deposited matter. This Nu, completed by Jean Fautrier in 1956, and whose materiality is an invitation to abandon and sensuality, is a companion to the anonymous Partisans which he unveiled the same year as an homage to the revolution in Budapest that was stifled by the arrival of Soviet tanks. Playing again with the dichotomy that was already there between these lascivious Nus and his shot-up Otages of the 1940s, Fautrier, in these mature works, brings the instincts of life and death to a climax. As Yves Peyré wrote, in his Nus, he “spells out the body for its own sake, almost gratuitously, to the extremes of sensuality […], confirming in pictorial language the troubling and maddening proximity of eroticism to torture” (in Y. Peyré, Fautrier, ou les outrages de l’impossible, Paris, 1990, p. 31).
The work addresses a relevant theme for the artist, the female body, which he had been covering tirelessly since the 1920s. However, it is aligned more particularly with his last set of Nus, painted in 1955-1958. Far more than any others, these paintings beckon to an ostentatious sensuality. They are the raw expression of desire: “More carnal than ever, they are an unprecedented state of eroticism” (in Y. Peyré, ibid, p. 222). His friend, the poet Francis Ponge, would write about them, comparing them to the plant world: “Flesh mingled with its gowns, as if moulded in satin, it is the stuff of flowers. Each is simultaneously gown and thigh, breast and bodice as well – which one could hold between one’s fingers, at last! and handle as such: lift to one’s nostrils, then drop, grasp, arrange, observe, pry open, relinquish and return to” (in “Paroles à propos des nus de Fautrier”, Paris, Galerie Rive Droite, 1956).
The woman is utterly reified, her individuality erased ‒ what remains is the most intense emotion of her languid forms. The Nu of 1956 is a remarkable example of this, the ideal curves of the body blend entirely into the texture of the work itself, which is nearly alive. Here, more than elsewhere, “[Fautrier’s affinity] for matter meets his affinity for the female body: not trivial, but rather a soaring incursion into carnal possession and into the act of painting” (in exhibition catalogue, Martigny, Pierre Gianadda Foundation, 2005, p.14). The thick impasto treatment with whiting applied directly with a spatula forms the folds and agitations of the trembling skin. Fautrier coats the paper with broad, flat layers, then works the matter by stratum, which he blends in turn with pure powdered pigments and a vaguely sketched drawing. In this Nu, the body is coloured with explosive projections of jade, emerald, fleshy pink and peach; and behind them, azure and incarnadine lend an airy lightness. The artist did not stop until his sheet, soaked with his vision, began to look like a bas-relief, which he then dried and mounted on canvas.
For nearly 10 years, Fautrier worked subject and form simultaneously, which made his painting unique in the post-war art world. In 1952, his famous hautes pâtes (“thick paste”) technique prompted the critic Michel Tapié to position Fautrier as the bridgehead of the “Art Informel” movement, breaking with cubist, lyrical and geometric traditions. The painter, however, was not a social creature. He preferred the company of writers to artists, spending time with Malraux and Paulhan, but he also lived a discreet life at his home in Châtenay-Malabry, close to Paris. He rejected the association with a kind of Art Informel that was mere abstraction. Because, for Fautrier, as seen in his Nu of 1956, matter is never the mere inscription of a touch or a memory in paint: “No art form can create emotion if it does not bear some trace of the real. As formless or impalpable as it might be, this allusion, this irreducible parcel is the key to the work […] All one ever does is reinvent what is, rendering in shades of emotion the reality that worked its way into the matter, the form, the colour, produced in the moment, changed in what can no longer change”. (in J. Fautrier, À chacun sa réalité, XXè siècle, no. 9, June 1957).
Please note that the artist resale right does apply to this lot.
« De combien de peintres de la génération de Fautrier pouvons- nous dire aujourd'hui qu'ils ne doivent rien à personne ? Voici un peintre que d'éclatants écarts depuis vingt ans ramènent toujours au tragique. — En le représentant toujours moins, en l'exprimant toujours davantage [...] et la première tentative pour décharner la douleur contemporaine jusqu'à trouver ses idéogrammes pathétiques, — jusqu'à la faire pénétrer de force, dès aujourd'hui, dans le monde de l'éternel. »
André Malraux
Sur un fond pastel se détachent en pâtes épaisses les formes d’un buste, les courbes d’une poitrine, le rebond des hanches d’une femme, encadrés par le tracé d’un dessin gris, émergeant des sédiments de matière. Ce Nu, que Jean Fautrier achève en 1956, et dont la matérialité appelle à l’abandon et la volupté, côtoie les Partisans anonymes qu’il débute la même année, en hommage à la révolte de Budapest étouffée par l’arrivée des chars soviétiques. Rejouant la dichotomie qui existait déjà entre ces Nus lascifs et ses Otages fusillés des années 1940, Fautrier porte dans ces œuvres de maturité les pulsions de vie et de mort à leur paroxysme. Comme l’écrit Yves Peyré, dans ses Nus, il « épelle le corps pour soi, presque gratuitement, dans l’extrême de la sensualité […], affirmant picturalement la proximité troublante, affolante, de l’érotisme et du supplice » (in Y. Peyré, Fautrier, ou les outrages de l’impossible, Paris, 1990, p. 31).
L’œuvre participe d’un thème topique pour l’artiste, celui du corps féminin, qu’il parcourt inlassablement depuis les années 1920. Elle appartient toutefois plus particulièrement à son dernier corpus de Nus, peints en 1955-1958. Bien plus que tout autres, ces tableaux invitent à une sensualité ostentatoire, ils sont l’expression brute du désir :« Plus chair que jamais, ils sont un état inédit de l’érotisme » (in Y. Peyré, ibid, p. 222). Son ami poète Francis Ponge écrira à leur sujet, par comparaison au monde végétal : « Une chair mélangée à ses robes, comme toute pétrie de satin, voilà la substance des fleurs. Chacune à la fois robe et cuisse, sein et corsage aussi bien – qu’on peut tenir entre deux doigts, enfin ! et manier pour telle : approcher, éloigner de sa narine, saisir, disposer, regarder, entrouvrir, délaisser et reprendre » (in « Paroles à propos des nus de Fautrier », Paris, galerie Rive Droite, 1956).
La femme se trouve parfaitement réifiée, son individualité s’efface, il ne subsiste que la plus intense émotion de ses formes alanguies. Le Nu de 1956 en est un remarquable exemple, les courbes rêvées du corps étant entièrement fondues à la texture de l’œuvre, presque vivante. Ici, plus qu’ailleurs, « [l’appétence de Fautrier] pour la matière rejoint son appétence pour le corps féminin : aucune trivialité mais une fougue élancée dans la possession charnelle comme dans le faire en peinture » (in catalogue d’exposition, Martigny, Fondation Pierre Gianadda, 2005, p.14). Ce sont les épais empâtements de blanc d’Espagne, travaillés directement à la spatule, qui forment les plis et les émois de la peau frémissante. Appliquant à plat sur le papier les couches d’enduit, Fautrier travaille par strates la matière, qu’il mêle successivement à des poudres de pigments purs et à l’ébauche d’un dessin. Dans ce Nu, ce sont des projections explosives de jade, d’émeraude, de rose chair et pêche qui colorent le corps ; et derrière, le bleu azur et l’incarnadin qui lui donnent sa légèreté aérienne. L’artiste ne s’arrête que lorsque sa feuille, imprégnée de sa vision, prend l’apparence d’un bas-relief, qu’il sèche et maroufle alors sur toile.
Depuis près de dix ans, Fautrier travaille sujet et forme simultanément, sa peinture est singulière dans le paysage artistique d’après-guerre. Sa technique célébrée des hautes pâtes va conduire le critique Michel Tapié à le placer, en 1952, en tête de pont du mouvement de l’art « Informel », un art nouveau, défait des héritages cubistes, lyriques ou géométriques. Le peintre, toutefois, n’est pas homme grégaire. Préférant la compagnie des écrivains à celle des artistes, il fréquente Malraux et Paulhan, mais vit aussi dans la confidence de sa maison à Châtenay-Malabry, près de Paris. Il rejettera jusque son appartenance à un art informel qui ne serait qu’abstraction. Car pour Fautrier, à l’image de son Nu de 1956, la matière n’est jamais que la mise en pâte d’un toucher, d’un souvenir : « Aucune forme d’art ne peut donner d’émotion s’il ne s’y mêle une part de réel. Si informe qu’elle soit, si impalpable, cette allusion, cette parcelle irréductible est comme la clef de l’œuvre […] On ne fait jamais que réinventer ce qui est, restituer en nuances d’émotion la réalité qui s’est incorporée à la matière, à la forme, à la couleur, produits de l’instant, changé en ce qui ne change plus ». (in J. Fautrier, À chacun sa réalité, XXè siècle, n°9, juin 1957).
"Of how many painters of Fautrier's generation can we say today that they owe nothing to anyone? Here is a painter that dazzling deviations for twenty years always bring back to the tragic, - by representing it always less, by expressing it always more. [...] And the first attempt to unburden contemporary pain until finding its pathetic ideograms, - until forcing it into the world of the eternal as of today."
André Malraux
Against a pastel background, a thick paste-like substance suggests the shape of a torso, the curves of a bustline, the bulge of a woman’s hips, framed by an outline drawn in grey, emerging from deposited matter. This Nu, completed by Jean Fautrier in 1956, and whose materiality is an invitation to abandon and sensuality, is a companion to the anonymous Partisans which he unveiled the same year as an homage to the revolution in Budapest that was stifled by the arrival of Soviet tanks. Playing again with the dichotomy that was already there between these lascivious Nus and his shot-up Otages of the 1940s, Fautrier, in these mature works, brings the instincts of life and death to a climax. As Yves Peyré wrote, in his Nus, he “spells out the body for its own sake, almost gratuitously, to the extremes of sensuality […], confirming in pictorial language the troubling and maddening proximity of eroticism to torture” (in Y. Peyré, Fautrier, ou les outrages de l’impossible, Paris, 1990, p. 31).
The work addresses a relevant theme for the artist, the female body, which he had been covering tirelessly since the 1920s. However, it is aligned more particularly with his last set of Nus, painted in 1955-1958. Far more than any others, these paintings beckon to an ostentatious sensuality. They are the raw expression of desire: “More carnal than ever, they are an unprecedented state of eroticism” (in Y. Peyré, ibid, p. 222). His friend, the poet Francis Ponge, would write about them, comparing them to the plant world: “Flesh mingled with its gowns, as if moulded in satin, it is the stuff of flowers. Each is simultaneously gown and thigh, breast and bodice as well – which one could hold between one’s fingers, at last! and handle as such: lift to one’s nostrils, then drop, grasp, arrange, observe, pry open, relinquish and return to” (in “Paroles à propos des nus de Fautrier”, Paris, Galerie Rive Droite, 1956).
The woman is utterly reified, her individuality erased ‒ what remains is the most intense emotion of her languid forms. The Nu of 1956 is a remarkable example of this, the ideal curves of the body blend entirely into the texture of the work itself, which is nearly alive. Here, more than elsewhere, “[Fautrier’s affinity] for matter meets his affinity for the female body: not trivial, but rather a soaring incursion into carnal possession and into the act of painting” (in exhibition catalogue, Martigny, Pierre Gianadda Foundation, 2005, p.14). The thick impasto treatment with whiting applied directly with a spatula forms the folds and agitations of the trembling skin. Fautrier coats the paper with broad, flat layers, then works the matter by stratum, which he blends in turn with pure powdered pigments and a vaguely sketched drawing. In this Nu, the body is coloured with explosive projections of jade, emerald, fleshy pink and peach; and behind them, azure and incarnadine lend an airy lightness. The artist did not stop until his sheet, soaked with his vision, began to look like a bas-relief, which he then dried and mounted on canvas.
For nearly 10 years, Fautrier worked subject and form simultaneously, which made his painting unique in the post-war art world. In 1952, his famous hautes pâtes (“thick paste”) technique prompted the critic Michel Tapié to position Fautrier as the bridgehead of the “Art Informel” movement, breaking with cubist, lyrical and geometric traditions. The painter, however, was not a social creature. He preferred the company of writers to artists, spending time with Malraux and Paulhan, but he also lived a discreet life at his home in Châtenay-Malabry, close to Paris. He rejected the association with a kind of Art Informel that was mere abstraction. Because, for Fautrier, as seen in his Nu of 1956, matter is never the mere inscription of a touch or a memory in paint: “No art form can create emotion if it does not bear some trace of the real. As formless or impalpable as it might be, this allusion, this irreducible parcel is the key to the work […] All one ever does is reinvent what is, rendering in shades of emotion the reality that worked its way into the matter, the form, the colour, produced in the moment, changed in what can no longer change”. (in J. Fautrier, À chacun sa réalité, XXè siècle, no. 9, June 1957).