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« Quand je parle de la couleur, je ne parle pas des couleurs de la nature, mais des couleurs de peinture, les couleurs de notre palette qui sont les mots dont nous formons notre langage de peintre […]. Je fais de la couleur l’élément créateur de la lumière, la couleur à mes yeux n’étant que génératrice de lumière ».
Raoul Dufy
Né le 3 juin 1877 au Havre, Raoul Dufy restera, jusqu’ à la fin de ses jours, fidèle à cette ville qui l’a vu naître. Il a, pour la ville portuaire, un attachement inconditionnel et n’aura de cesse d’en peindre toutes les facettes. Toute sa vie durant, Le Havre demeure son point d’ancrage, sa ville idéale, un paysage mental lui offrant ses motifs favoris. La présente toile, peinte en 1906, confirme l’amour que l’artiste vouait au port du Havre, véritable réservoir d’inspiration pour ce dernier.
Certes, Dufy quittera la cité portuaire pour s’évader vers le Sud, mais il ne s’en séparera jamais artistiquement. Comme Eugène Boudin et Claude Monet, tous deux originaires du Havre, Raoul Dufy conservera un profond attachement à cette ville. Il y conserve d’ailleurs de nombreuses attaches familiales et revient y séjourner régulièrement. Outre les liens familiaux, c’est l’ambiance de cette vie portuaire et de ce lieu de villégiature qui l’intéresse : la plage, les baigneurs, le casino, la jetée, les bateaux et évidemment le port !
Le port et la station balnéaire normande occupent donc une place prépondérante dans son œuvre. Les motifs qu’il y puise lui sont chers et il n’aura de cesse de les revisiter tout au long de sa carrière, privilégiant tour à tour certains d’entre eux, de ses premières œuvres impressionnistes, jusqu’à l’ultime série des « Cargos noirs » en passant par le réalisme, le fauvisme, l’influence de Cézanne,… Le Havre cristallise toutes les recherches picturales et stylistiques d’un artiste que l’on a peine à faire entrer dans une case… La cité côtière incarne à elle seule tout le cheminement artistique du peintre.
Plus que tout, elle incarne les recherches de l’artiste autour de la lumière et de la couleur. Pour Raoul Dufy, Le Havre est avant tout une lumière. Il dira d’ailleurs : « malheur à l’homme qui vit dans un climat éloigné de la mer. Le peintre a besoin d’avoir sans cesse sous ses yeux une certaine qualité de lumière, un scintillement, une palpation aérienne qui baigne ce qu’il voit… ». Nul doute qu’il ait trouvé cette palpation aérienne et lumineuse dans le port du Havre.
Mais le rendu de la lumière ne serait rien sans une palette colorée et une touche dynamique. C’est le cas pour Le Port du Havre, de 1906. Peint en pleine période d’explosion du Fauvisme, ce tableau n’est pas sans rappeler les premiers tableaux fauves de Matisse et de Braque, exposés au salon de 1905. A la vision de ces œuvres, Dufy affirme : « j’ai compris toutes les nouvelles raisons de peindre et le réalisme impressionniste perdit pour moi son charme à la contemplation du miracle de l’imagination introduite dans le dessin et la couleur. J’ai compris tout de suite la nouvelle mécanique picturale ». Le Port du Havre marque ainsi le basculement de Dufy vers la modernité, vers la couleur pure. Les flancs des voiliers amarrés se parent de vert, d’ocre rouge, de mauve, de blanc et de violet, suivant leur plus au moins grande exposition à la lumière. Progressivement, la couleur cesse d’être descriptive pour devenir émotive. Participant à la grande aventure de l’art moderne, Dufy prend part avec cette toile à la révolution coloriste de 1905-06. Pour l’artiste, cette année est celle de l’affirmation de la couleur et de la lumière. C’est durant cette année-là qu’il peint son chef d’œuvre, La rue pavoisée, mais aussi de nombreuses vues du port du Havre. Néanmoins, Dufy abandonnera rapidement le fauvisme pour se pencher vers le cubisme avant de s’épanouir dans un style propre, marqué par le dessin soutenu et des couleurs posées en aplat. Les toiles normandes de l’été 1906 resterons parmi les toiles les plus vives jamais peintes par l’artiste. C’est aussi le cas pour celles de son ami Maurice de Vlaminck avec qui il passera l’été 1906 à peindre le port du Havre. Ces toiles portuaires constituent un tournant décisif pour Dufy, passant de l’imitation à la transposition du motif, organisant ses toiles à partir d’aplats et de couleurs vives pour rendre l’espace et la lumière.
Ainsi, ce tableau nous conte une histoire d’amour entre un artiste et sa ville natale, entre un peintre et la mer. Pour Dufy, Le Havre est et restera à jamais le lieu de l'expérimentation de la lumière, un paysage intérieur qui se grave à jamais dans sa mémoire, avec d'autant plus de force qu'il remonte à son enfance.
La présente œuvre témoigne également de la volonté de l’artiste de donner au tableau sa propre lumière par la couleur. Tour de force de l’artiste normand, Le Port du Havre, est la preuve que Dufy était à la fois un paysagiste né et un coloriste né !
“When I talk about colour, I am not talking about the colours of nature, but about the colours of painting, about the colour of our palettes, the words from which we form our painterly language [...]. I make colour the creative element of light since I see colour itself as nothing but a generator of light.”
Raoul Dufy
Born on 3 June 1877 in Le Havre, Raoul Dufy would remain loyal to the city of his birth until his very last days. His devotion to the port city was unconditional and he never tired of painting it from every possible perspective. Throughout his entire life, Le Havre was his home port, his ideal city, a mental landscape that served up his favourite themes. This canvas, painted in 1906, affirms the artist’s love for the port of Le Havre, which was an inexhaustible source of inspiration to him.
Of course Dufy left the port city to escape to the south, but he would never abandon it artistically. Like Eugène Boudin and Claude Monet, who were also natives of Le Havre, Raoul Dufy remained deeply attached to the city. He had many family ties there and returned regularly to visit. Beyond his family bonds, the holiday ambiance and port life intrigued him: the beach, the bathers, the casino, the pier, the boats and, of course, the port.
Thus, the Normandy port and resort town figured heavily in his work. The themes he depicted there were dear to him and he continued to revisit them over the course of his career, focusing by turns on different subjects, from his first impressionist works to the final series of “Cargos noirs” ‒ flirting along the way with realism, fauvism, the influence of Cézanne and more. Le Havre crystallised all the pictorial and stylistic investigations of an artist who defies categorisation. The coastal town itself embodies the painter’s artistic journey.
Above all, it embodies the artist’s inquiries into light and colour. For Raoul Dufy, Le Havre was, first and foremost, light. In fact, he said: “Unhappy the man who lives in a climate far from the sea. The painter constantly needs to be able to see a certain quality of light, a flickering, an airy palpitation bathing what he sees...”. There is no doubt that he found that airy palpitation and luminosity in Le Havre’s port.
But his treatment of light would be nothing without a colourful palette and dynamic touch. Such is the case for Le Port du Havre, from 1906. Painted during the explosion of fauvism, this painting calls to mind the earliest fauvist paintings by Matisse and Braque which were presented at the 1905 salon. Upon viewing those works, Dufy asserted: “Looking at this painting […], I understood all the new reasons to paint and impressionistic realism lost its charm for me as I contemplated the miracle of imagination ingrained in the drawing and the colours. I instantly understood the new pictorial mechanics”. Le Port du Havre, therefore, marked Dufy’s shift toward modernity and toward pure colour. The sides of the moored sail boats are adorned with green, red ochre, mauve, white and purple, depending on their degree of exposure to the light. Colour gradually ceases to be descriptive, becoming pure emotion. As a participant in the great adventure of modern art, Dufy joined the colourist revolution of 1905-06 with this canvas. This was the year that cemented Dufy’s attitude toward colour and light. It was the year in which he painted his masterpiece, La rue pavoisée, as well as several views of the port in Le Havre. Nevertheless, Dufy would quickly move on from fauvism to lean into cubism before finding self-fulfilment in his own unique style characterised by pronounced drawing and blocks of colour. His Norman canvases from the summer of 1906 would stand as some of the liveliest ever painted by the artist. The same is true of the paintings by his friend Maurice de Vlaminck with whom he spent the summer of 1906 painting the port of Le Havre. These port paintings represent a turning point for Dufy, as he transitioned from imitation to transposition of the subject, organising his canvases around blocks of bright colours to render space and light.