Lot Essay
Peinture 92 x 130 cm, 4 mai 2004 est un remarquable exemple des célèbres 'outrenoirs' de Pierre Soulages. Commencées en 1979, ces toiles monochromes marquent un tournant radical dans l’exploration du noir. Dépourvus de toute autre couleur, les 'outrenoirs' plongent le spectateur dans l’obscurité totale, cherchant cependant à faire du noir une source de lumière. Exécutée en 2004, cette œuvre appartient à une série de peintures qui ont en commun leurs bandes horizontales rythmées par des empâtements. Pour obtenir ces textures quasi-sculpturales, évoquant des lignes gravées, l’artiste a utilisé un outil de grattage qu’il a fait glisser sur la surface en suivant un mouvement longitudinal. Cette année-là, Soulages utilise également de l’huile à l’acrylique, dont le séchage rapide favorise une approche intuitive et dynamique de la peinture. Dans le présent tableau, la lumière danse sur sa surface ondulante, scintille sur ses crêtes et ses cratères, tout en s’accumulant dans ses profondeurs riches et veloutées.
Soulages s’est fait connaître dans les années 1950, en Europe ainsi qu’aux États Unis. Ses premières œuvres, définies par de larges barres de peinture noire sur des fonds pâles, ont souvent été comparées aux peintures des expressionnistes abstraits. Bien que son clair-obscur sensuel s’inscrive manifestement dans la lignée du travail de Franz Kline, Mark Rothko et d’autres, Soulages s’est finalement distancié de ses contemporains américains. Ses œuvres ne prétendent pas à la transcendance émotionnelle. Au contraire, intitulées simplement et méthodiquement selon leur taille et leur date de création, elles sont des explorations rigoureuses des propriétés élémentaires du noir. « Les peintures des grottes de Chauvet et de Lascaux, note-t-il, ont été réalisées avec des couleurs sombres sur des murs sombres : le noir est dans l’ADN même de l’art ». En 1979, Soulages a une révélation. « J’ai vu que ce n’était plus le noir qui donnait un sens à la peinture, mais la réflexion de la lumière sur les surfaces sombres », explique-t-il. « Là où il y avait des couches, la lumière dansait, et là où il y avait des surfaces planes, elle restait immobile. Un nouvel espace était né... La lumière venait du tableau vers moi ». (P. Soulages, cité dans la conversation avec H-U. Obrist, Soulages, cat. ex. Centre Georges Pompidou, Paris 2009, p. 123).
« Dans le maniement de la peinture par Soulages, il y a quelque chose qui rappelle la chaude obscurité de l’intérieur au style roman de l’abbatiale Sainte-Foy. Car là, il ne s’agissait pas d’un noir mort, mais d’une obscurité vivante et doucement palpitante, imprégnée d’une subtile illumination qui atteignait sa plénitude dans les éclats de lumière provenant des hautes et étroites fenêtres et dans la douce lueur qui frappait les sols et les murs ». - James Johnson Sweeney
À partir de ce moment, Soulages travaille presque exclusivement en monochrome noir, laissant la couleur imprégner chaque centimètre carré de ses toiles. Il invente le terme outrenoir pour décrire ces peintures. « Tout comme “outre-Manche” désigne un pays “au-delà de la Manche”, explique-t-il, 'outrenoir' désigne un lieu 'au-delà du noir' ». Cette découverte marque l’aboutissement d’une réflexion que Soulages nourrit depuis sa jeunesse. Il avait compris depuis longtemps que le noir pouvait rendre d’autres couleurs plus puissantes par juxtaposition : enfant, en étalant de l’encre foncée sur du papier blanc, il avait expliqué qu’il essayait de peindre de la 'neige'. Élevé à Rodez, le plasticien a également été inspiré par l’intérieur dramatique et voûté de l’église Sainte-Foy de Conques, dans laquelle la lumière et l’obscurité se nourrissent l’une l’autre, à travers les anciennes fissures de l’édifice. Il est intéressant de noter que les textures horizontales de la présente œuvre rappellent les vitraux que Soulages a réalisés pour l’abbaye de Conques entre 1987 et 1994, dont les motifs linéaires vibrent de la même manière avec le mouvement et la vie.
Peinture 92 x 130 cm, 4 mai 2004 is a splendid example of Pierre Soulages’ celebrated 'outrenoirs'. Begun in 1979, these extraordinary monochrome canvases marked a radical new chapter in his exploration of black. Dispensing with all other colours, the 'outrenoirs' plunged into total darkness, seeking—conversely—to expose black as a source of light. Executed in 2004, the present work belongs to a subgroup of paintings from this period defined by their rhythmic horizontal bands of impasto. These near-sculptural textures, resembling engraved lines, were created by dragging a scraping tool over the surface in longitudinal motion. That year, Soulages also made the pivotal switch from oil to acrylic, whose quick-drying properties gave rise to a new sense of intuitive, dynamic immediacy. The present work is an early example of this new approach: light dances across its undulating surface, flickering over its ridges and craters and pooling in its rich, velvety depths.
Soulages rose to prominence in the 1950s, gaining recognition in both Europe and America. His early works, defined by broad bars of black paint on pale backgrounds, were frequently compared to the paintings of the Abstract Expressionists. While his sensuous chiaroscuro certainly chimed with the works of Franz Kline, Mark Rothko and others, Soulages ultimately distanced himself from his American contemporaries. His works made no claim to emotional transcendence. Instead—titled simply and methodically after their size and date—they were rigorous explorations of black’s elemental properties. The cave paintings at Chauvet and Lascaux, he noted, had been daubed in dark colours on dark walls: black was in art’s very DNA. In 1979, Soulages experienced an epiphany. ''I saw that it was no longer black that gave meaning to the painting but the reflection of light on dark surfaces,'' he explained. ''Where it was layered the light danced, and where it was flat it lay still. A new space had come into being … The light was coming from the painting towards me'' (P. Soulages, quoted in conversation with H-U. Obrist, Soulages, exh. cat. Centre Georges Pompidou, Paris 2009, p. 123).
''… in Soulages’ handling of paint, there is something which recalls the warm darkness of that Romanesque interior of Sainte-Foy. For, there, it was no dead blackness, but a live and gently palpitating dark suffused with a subtle illumination which reached its fullness in slashes of light from the high narrow windows and the soft glow where it struck the floors and walls.'' - James Johnson Sweeney
From this point onwards, Soulages worked almost exclusively in black monochrome, allowing the colour to permeate every inch of his canvases. He coined the term ‘outrenoir’ to describe these paintings. Just as ‘outre-Manche’ indicated a land ‘across the Channel’, he explained, so too did ‘outrenoir’ denote a place ‘beyond black’. This discovery marked the culmination of ideas that Soulages had nurtured since his youth. He had long understood that black could render other colours more potent by juxtaposition: famously, while spreading dark ink upon white paper as a child, he had explained that he was attempting to paint ‘snow’. Raised in Rodez, he had also been inspired by the dramatic, vaulted interior of Sainte-Foy de Conques, where light and darkness nourished one another in the building’s ancient crevices. Interestingly, the present work’s sweeping horizontal textures recall the stained glass windows that Soulages made for the abbey between 1987 and 1994, whose linear patterns similarly vibrate with life and movement.
Soulages s’est fait connaître dans les années 1950, en Europe ainsi qu’aux États Unis. Ses premières œuvres, définies par de larges barres de peinture noire sur des fonds pâles, ont souvent été comparées aux peintures des expressionnistes abstraits. Bien que son clair-obscur sensuel s’inscrive manifestement dans la lignée du travail de Franz Kline, Mark Rothko et d’autres, Soulages s’est finalement distancié de ses contemporains américains. Ses œuvres ne prétendent pas à la transcendance émotionnelle. Au contraire, intitulées simplement et méthodiquement selon leur taille et leur date de création, elles sont des explorations rigoureuses des propriétés élémentaires du noir. « Les peintures des grottes de Chauvet et de Lascaux, note-t-il, ont été réalisées avec des couleurs sombres sur des murs sombres : le noir est dans l’ADN même de l’art ». En 1979, Soulages a une révélation. « J’ai vu que ce n’était plus le noir qui donnait un sens à la peinture, mais la réflexion de la lumière sur les surfaces sombres », explique-t-il. « Là où il y avait des couches, la lumière dansait, et là où il y avait des surfaces planes, elle restait immobile. Un nouvel espace était né... La lumière venait du tableau vers moi ». (P. Soulages, cité dans la conversation avec H-U. Obrist, Soulages, cat. ex. Centre Georges Pompidou, Paris 2009, p. 123).
« Dans le maniement de la peinture par Soulages, il y a quelque chose qui rappelle la chaude obscurité de l’intérieur au style roman de l’abbatiale Sainte-Foy. Car là, il ne s’agissait pas d’un noir mort, mais d’une obscurité vivante et doucement palpitante, imprégnée d’une subtile illumination qui atteignait sa plénitude dans les éclats de lumière provenant des hautes et étroites fenêtres et dans la douce lueur qui frappait les sols et les murs ». - James Johnson Sweeney
À partir de ce moment, Soulages travaille presque exclusivement en monochrome noir, laissant la couleur imprégner chaque centimètre carré de ses toiles. Il invente le terme outrenoir pour décrire ces peintures. « Tout comme “outre-Manche” désigne un pays “au-delà de la Manche”, explique-t-il, 'outrenoir' désigne un lieu 'au-delà du noir' ». Cette découverte marque l’aboutissement d’une réflexion que Soulages nourrit depuis sa jeunesse. Il avait compris depuis longtemps que le noir pouvait rendre d’autres couleurs plus puissantes par juxtaposition : enfant, en étalant de l’encre foncée sur du papier blanc, il avait expliqué qu’il essayait de peindre de la 'neige'. Élevé à Rodez, le plasticien a également été inspiré par l’intérieur dramatique et voûté de l’église Sainte-Foy de Conques, dans laquelle la lumière et l’obscurité se nourrissent l’une l’autre, à travers les anciennes fissures de l’édifice. Il est intéressant de noter que les textures horizontales de la présente œuvre rappellent les vitraux que Soulages a réalisés pour l’abbaye de Conques entre 1987 et 1994, dont les motifs linéaires vibrent de la même manière avec le mouvement et la vie.
Peinture 92 x 130 cm, 4 mai 2004 is a splendid example of Pierre Soulages’ celebrated 'outrenoirs'. Begun in 1979, these extraordinary monochrome canvases marked a radical new chapter in his exploration of black. Dispensing with all other colours, the 'outrenoirs' plunged into total darkness, seeking—conversely—to expose black as a source of light. Executed in 2004, the present work belongs to a subgroup of paintings from this period defined by their rhythmic horizontal bands of impasto. These near-sculptural textures, resembling engraved lines, were created by dragging a scraping tool over the surface in longitudinal motion. That year, Soulages also made the pivotal switch from oil to acrylic, whose quick-drying properties gave rise to a new sense of intuitive, dynamic immediacy. The present work is an early example of this new approach: light dances across its undulating surface, flickering over its ridges and craters and pooling in its rich, velvety depths.
Soulages rose to prominence in the 1950s, gaining recognition in both Europe and America. His early works, defined by broad bars of black paint on pale backgrounds, were frequently compared to the paintings of the Abstract Expressionists. While his sensuous chiaroscuro certainly chimed with the works of Franz Kline, Mark Rothko and others, Soulages ultimately distanced himself from his American contemporaries. His works made no claim to emotional transcendence. Instead—titled simply and methodically after their size and date—they were rigorous explorations of black’s elemental properties. The cave paintings at Chauvet and Lascaux, he noted, had been daubed in dark colours on dark walls: black was in art’s very DNA. In 1979, Soulages experienced an epiphany. ''I saw that it was no longer black that gave meaning to the painting but the reflection of light on dark surfaces,'' he explained. ''Where it was layered the light danced, and where it was flat it lay still. A new space had come into being … The light was coming from the painting towards me'' (P. Soulages, quoted in conversation with H-U. Obrist, Soulages, exh. cat. Centre Georges Pompidou, Paris 2009, p. 123).
''… in Soulages’ handling of paint, there is something which recalls the warm darkness of that Romanesque interior of Sainte-Foy. For, there, it was no dead blackness, but a live and gently palpitating dark suffused with a subtle illumination which reached its fullness in slashes of light from the high narrow windows and the soft glow where it struck the floors and walls.'' - James Johnson Sweeney
From this point onwards, Soulages worked almost exclusively in black monochrome, allowing the colour to permeate every inch of his canvases. He coined the term ‘outrenoir’ to describe these paintings. Just as ‘outre-Manche’ indicated a land ‘across the Channel’, he explained, so too did ‘outrenoir’ denote a place ‘beyond black’. This discovery marked the culmination of ideas that Soulages had nurtured since his youth. He had long understood that black could render other colours more potent by juxtaposition: famously, while spreading dark ink upon white paper as a child, he had explained that he was attempting to paint ‘snow’. Raised in Rodez, he had also been inspired by the dramatic, vaulted interior of Sainte-Foy de Conques, where light and darkness nourished one another in the building’s ancient crevices. Interestingly, the present work’s sweeping horizontal textures recall the stained glass windows that Soulages made for the abbey between 1987 and 1994, whose linear patterns similarly vibrate with life and movement.