拍品專文
"Un artiste ne doit jamais être prisonnier de lui-même, prisonnier d'une manière. Les Goncourt n'ont-ils pas écrit que les artistes japonais de la grande époque changeaient de nom plusieurs fois dans leur vie. J'aime ça ! Ils voulaient sauvegarder leurs libertés." (H. Matisse, Hommage à Tériade, Paris, 1973, p. 128).
Les papiers découpés d'Henri Matisse constituent l'un des exemples plastique les plus aboutis et les plus réussis de la recherche de nouveaux chemins artistiques et sensoriels jamais entrepris par un artiste. Marqués par leur simplicité et célébrés pour leurs effets visuels, ces oeuvres majeures du XXème siècle sont considérées comme des créations résolument modernes, véritable héritage artistique de leur époque.
En 1943 Henri Matisse s'installe à Vence, petit village ancré sur les hauteurs de Nice, à l'abri des possibles bombardements à venir. Retranché dans sa villa, le Rêve, il affine sa technique du découpage. Matisse est en proie à la tension permanente de la guerre et vit dans un état de convalescence permanent depuis une grave opération subie dix années auparavant. En 1944, il reste alité pratiquement toute l'année. Ses mouvements restreints, associés à un état d'esprit plus prompt à explorer les souvenirs et les sensations, favorisent la naissance d'une technique particulièrement originale. Découpant des feuilles de papier de couleur à l'aide d'une paire de ciseaux à larges lames, Matisse construit ses oeuvres en opposant et associant les formes et les couleurs.
L'artiste franchit une nouvelle étape lorsqu'il choisit de colorer lui-même le papier : en appliquant de la gouache avec différentes largeurs de pinceaux et charges de pigment, il maîtrise précisément les couleurs et les tonalités. C'est cette façon de maîtriser le processus, alliée à la liberté d'action de la paire de ciseaux qui propulse le peintre vers de nouvelles explorations. Matisse trouve en effet le moyen de combiner l'ensemble de ses techniques en une seule action décisive : découper dans la couleur comme un sculpteur sculpte dans la pierre.
Le découpage devient une activité nocturne. Matisse y consacre de longues heures, absorbé par la réalisation d'une multitude de combinaisons de formes et de couleurs. Exécutés à la lumière artificielle plutôt qu'à celle du jour, ces papiers découpés sont si saisissants, si vibrants que son médecin lui conseille de les regarder avec des lunettes de soleil. Un conseil avisé que l'artiste apprécie.
L'utilisation des papiers découpés remonte à l'époque où Matisse travaillait sur les plans de la fresque murale La Danse pour la villa d'Alfred Barnes en 1932. Par la suite, le critique et éditeur grec Tériade s'intéresse à la technique et commande trois couvertures à Matisse pour sa publication Verve. En 1944, Tériade commande la série Jazz pour un ouvrage illustré. Cette série de papiers découpés, devenue emblématique du travail de Matisse, occupe l'artiste pendant les deux années suivantes.
La série, composée de vingt images, correspond au désir de l'artiste, confiné dans sa villa, de progresser dans son art à la même vitesse que le monde extérieur avance. Jazz est à considérer comme la transcription graphique des rythmes de la musique de jazz et des découvertes contemporaines, à l'instar de la conquête de l'air, tant par le texte que Matisse rédige lui-même que par ses images. Le voyage visuel dans Jazz commence avec Icare, premier homme à avoir voulu conquérir le ciel, et se poursuit par des scènes de cirque, des personnages plongeant et une abondante faune tropicale.
En 1947, Jazz est publié dans une édition de 250 exemplaires accompagnés d'un texte manuscrit de Matisse, ainsi qu'une édition de 100 portfolios deluxe sans texte manuscrit. La série connait un succès immédiat. Elle consacre les papiers découpés comme une technique à part entière dont la portée esthétique égale celle de la peinture à l'huile et du dessin. Jazz, oeuvre emblématique des dernières années de l'artiste, influencera le travail d'artistes contemporains tels que Mark Rothko et David Hockney
"Un artiste ne doit jamais être prisonnier de lui-même, prisonnier d'une manière. Les Goncourt n'ont-ils pas écrit que les artistes japonais de la grande époque changeaient de nom plusieurs fois dans leur vie. J'aime ça ! Ils voulaient sauvegarder leurs libertés." (H. Matisse, Hommage à Tériade, Paris, 1973, p. 128).
The paper cut-outs of Henri Matisse represent one of the most successful and profound examples of an artist consciously re-inventing their style in order to remain free to explore new sensory experiences. Defined by their simplicity and celebrated for their visual joy, these seminal works of 20th Century art continue to be recognised as works at the heart of Matisse's artistic legacy.
In 1943 Matisse moved to Vence, a small hilltop village south west of Nice, in order to avoid the predicted bombardment of the coastal town. It was here, secluded in his Villa, le Rêve, that he would develop the technique of the paper cut-out or découpage. Additional to feeling the stresses of the war, Matisse was in a perpetual state of convalesce from a serious operation he had undergone some ten years earlier.
In 1944 he was confined to bed for most of the year, and it was this restriction of his physical movements, combined with a mind still eager to explore memories and sensations, which spurred his adoption of a profoundly new technique. Cutting through pre-colored sheets of paper using large bladed scissors, the artist then assembled compositions by matching or contrasting colors and forms. A major advance in the artist's approach came when he began to color the paper himself. By applying gouache using varied brushes and weight of pigment, he controlled precisely both color and tone. It was this element of control, combined with the freedom of action given by the cutting action of the scissors, which spurred the artist in his explorations. In effect, he had found an ability to combine all of his creative activities in a single, decisive action: cutting into color as a sculptor carves into raw material. Découpage became a nocturnal activity for Matisse, who spent the long hours of the night absorbed in the activity of inventing intensely contrasted compositions. Executed under electric rather than daylight, the combinations were so startling that Matisse's doctor advised him to look at them only through dark glasses, a piece of advice which the artist relished.
Matisse first explored the integration of cut paper in to designs for of a mural on the theme of the Dance commissioned by Alfred Barnes in 1932. The Greek critic and publisher Tériade then became interested in the technique and in turn commissioned three covers from Matisse for his periodical Verve. The series Jazz, which was to become arguably the artist's most influential series of cut-outs, was commissioned as an illustrated book by Tériade in 1944 and would occupy Matisse for the next two years.
The suite of twenty images, produced by Matisse for Jazz, corresponded to the artist's aspiration to progress his art at the same speed as he felt world outside Le Rêve was being transformed. Jazz was intended as a visual accompaniment to the rhythm of Jazz music and to experiences such as airplane flight. His reactions to these sensations were also described in Matisse's own text written to accompany the book edition of the cut-outs. Matisse's visual journey in Jazz begins with Icarus, a pioneering aviator and continues through circus scenes, diving figures and luxurious tropical fauna.
In 1947, Jazz was published in an edition of 250 books with the manuscript text by Matisse, plus an edition of 100 deluxe portfolios without the text. The series was an instant success, confirming the cut-out technique as a tour de force of visual brilliance and Jazz as one of the foremost works of Matisse's mature legacy whose influence would be felt in the works of future artists such as Mark Rothco and David Hockney.
Les papiers découpés d'Henri Matisse constituent l'un des exemples plastique les plus aboutis et les plus réussis de la recherche de nouveaux chemins artistiques et sensoriels jamais entrepris par un artiste. Marqués par leur simplicité et célébrés pour leurs effets visuels, ces oeuvres majeures du XXème siècle sont considérées comme des créations résolument modernes, véritable héritage artistique de leur époque.
En 1943 Henri Matisse s'installe à Vence, petit village ancré sur les hauteurs de Nice, à l'abri des possibles bombardements à venir. Retranché dans sa villa, le Rêve, il affine sa technique du découpage. Matisse est en proie à la tension permanente de la guerre et vit dans un état de convalescence permanent depuis une grave opération subie dix années auparavant. En 1944, il reste alité pratiquement toute l'année. Ses mouvements restreints, associés à un état d'esprit plus prompt à explorer les souvenirs et les sensations, favorisent la naissance d'une technique particulièrement originale. Découpant des feuilles de papier de couleur à l'aide d'une paire de ciseaux à larges lames, Matisse construit ses oeuvres en opposant et associant les formes et les couleurs.
L'artiste franchit une nouvelle étape lorsqu'il choisit de colorer lui-même le papier : en appliquant de la gouache avec différentes largeurs de pinceaux et charges de pigment, il maîtrise précisément les couleurs et les tonalités. C'est cette façon de maîtriser le processus, alliée à la liberté d'action de la paire de ciseaux qui propulse le peintre vers de nouvelles explorations. Matisse trouve en effet le moyen de combiner l'ensemble de ses techniques en une seule action décisive : découper dans la couleur comme un sculpteur sculpte dans la pierre.
Le découpage devient une activité nocturne. Matisse y consacre de longues heures, absorbé par la réalisation d'une multitude de combinaisons de formes et de couleurs. Exécutés à la lumière artificielle plutôt qu'à celle du jour, ces papiers découpés sont si saisissants, si vibrants que son médecin lui conseille de les regarder avec des lunettes de soleil. Un conseil avisé que l'artiste apprécie.
L'utilisation des papiers découpés remonte à l'époque où Matisse travaillait sur les plans de la fresque murale La Danse pour la villa d'Alfred Barnes en 1932. Par la suite, le critique et éditeur grec Tériade s'intéresse à la technique et commande trois couvertures à Matisse pour sa publication Verve. En 1944, Tériade commande la série Jazz pour un ouvrage illustré. Cette série de papiers découpés, devenue emblématique du travail de Matisse, occupe l'artiste pendant les deux années suivantes.
La série, composée de vingt images, correspond au désir de l'artiste, confiné dans sa villa, de progresser dans son art à la même vitesse que le monde extérieur avance. Jazz est à considérer comme la transcription graphique des rythmes de la musique de jazz et des découvertes contemporaines, à l'instar de la conquête de l'air, tant par le texte que Matisse rédige lui-même que par ses images. Le voyage visuel dans Jazz commence avec Icare, premier homme à avoir voulu conquérir le ciel, et se poursuit par des scènes de cirque, des personnages plongeant et une abondante faune tropicale.
En 1947, Jazz est publié dans une édition de 250 exemplaires accompagnés d'un texte manuscrit de Matisse, ainsi qu'une édition de 100 portfolios deluxe sans texte manuscrit. La série connait un succès immédiat. Elle consacre les papiers découpés comme une technique à part entière dont la portée esthétique égale celle de la peinture à l'huile et du dessin. Jazz, oeuvre emblématique des dernières années de l'artiste, influencera le travail d'artistes contemporains tels que Mark Rothko et David Hockney
"Un artiste ne doit jamais être prisonnier de lui-même, prisonnier d'une manière. Les Goncourt n'ont-ils pas écrit que les artistes japonais de la grande époque changeaient de nom plusieurs fois dans leur vie. J'aime ça ! Ils voulaient sauvegarder leurs libertés." (H. Matisse, Hommage à Tériade, Paris, 1973, p. 128).
The paper cut-outs of Henri Matisse represent one of the most successful and profound examples of an artist consciously re-inventing their style in order to remain free to explore new sensory experiences. Defined by their simplicity and celebrated for their visual joy, these seminal works of 20th Century art continue to be recognised as works at the heart of Matisse's artistic legacy.
In 1943 Matisse moved to Vence, a small hilltop village south west of Nice, in order to avoid the predicted bombardment of the coastal town. It was here, secluded in his Villa, le Rêve, that he would develop the technique of the paper cut-out or découpage. Additional to feeling the stresses of the war, Matisse was in a perpetual state of convalesce from a serious operation he had undergone some ten years earlier.
In 1944 he was confined to bed for most of the year, and it was this restriction of his physical movements, combined with a mind still eager to explore memories and sensations, which spurred his adoption of a profoundly new technique. Cutting through pre-colored sheets of paper using large bladed scissors, the artist then assembled compositions by matching or contrasting colors and forms. A major advance in the artist's approach came when he began to color the paper himself. By applying gouache using varied brushes and weight of pigment, he controlled precisely both color and tone. It was this element of control, combined with the freedom of action given by the cutting action of the scissors, which spurred the artist in his explorations. In effect, he had found an ability to combine all of his creative activities in a single, decisive action: cutting into color as a sculptor carves into raw material. Découpage became a nocturnal activity for Matisse, who spent the long hours of the night absorbed in the activity of inventing intensely contrasted compositions. Executed under electric rather than daylight, the combinations were so startling that Matisse's doctor advised him to look at them only through dark glasses, a piece of advice which the artist relished.
Matisse first explored the integration of cut paper in to designs for of a mural on the theme of the Dance commissioned by Alfred Barnes in 1932. The Greek critic and publisher Tériade then became interested in the technique and in turn commissioned three covers from Matisse for his periodical Verve. The series Jazz, which was to become arguably the artist's most influential series of cut-outs, was commissioned as an illustrated book by Tériade in 1944 and would occupy Matisse for the next two years.
The suite of twenty images, produced by Matisse for Jazz, corresponded to the artist's aspiration to progress his art at the same speed as he felt world outside Le Rêve was being transformed. Jazz was intended as a visual accompaniment to the rhythm of Jazz music and to experiences such as airplane flight. His reactions to these sensations were also described in Matisse's own text written to accompany the book edition of the cut-outs. Matisse's visual journey in Jazz begins with Icarus, a pioneering aviator and continues through circus scenes, diving figures and luxurious tropical fauna.
In 1947, Jazz was published in an edition of 250 books with the manuscript text by Matisse, plus an edition of 100 deluxe portfolios without the text. The series was an instant success, confirming the cut-out technique as a tour de force of visual brilliance and Jazz as one of the foremost works of Matisse's mature legacy whose influence would be felt in the works of future artists such as Mark Rothco and David Hockney.