出版
P.G. Van Hecke (dir.), 'Le surréalisme en 1929' in Variétés, juin 1929 (illustré en couverture).
Galerie des Beaux-Arts (éd.), Dictionnaire abrégé du surréalisme, Paris, 1938, p. 22 (illustré; titré 'Quintessence').
A. Breton, 'What Tanguy veils and reveals' in View, no. 2, New York, 1942.
A. Breton, Yves Tanguy, New York, 1946, p. 43.
M. Jean, 'Yves Tanguy, peintre de la voie lactée' in Les lettres nouvelles, no. 25, Paris, 1955, p. 371.
A. Thirion, Révolutionnaires sans Révolution, Paris, 1972, p. 95-96.
M. Gooding (éd.), A Book of surrealist games, Boston et Londres, 1995, p. 11 (illustré).
G. Durozoi, Histoire du Mouvement surréaliste, Paris, 1997, p. 155 (illustré).
G. Sebbag, 'L'objet-mannequin surréaliste' in L'architecture d'aujourd'hui, no. 326, Paris, février 2000, p. 43 et 45 (illustré en couleurs en couverture).
K. von Maur, Yves Tanguy and Surrealism, Ostfildern, 2001, p. 79-80, fig. 67 (illustré en couleurs, p. 79).
A. Jolles, Curating Surrealism: The French Avant-Garde in Exhibition, 1925-1938, Chicago, 2002, p. 210 (illustré, fig. 3.17).
G. Sebbag, 'L'objet surréaliste et la durée' in Equinoxe, no. 20-21, Kyoto, printemps 2002.
Dada e surrealismo riscoperti, A cura di Arturo Schwarz, cat. exp., Rome, 2009, p. 136.
D. Ottinger (éd.), Dictionnaire de l'objet surréaliste, Paris, 2013, no. 259 (illustré en couleurs).
E. Guigon et G. Sebbag, Sur l'objet surréaliste, Paris, 2013, p. 58 (illustré en couleurs).
A. Jolles, The Curatorial Avant-Garde, Surrealism and Exhibition Practice in France, 1925-1941, Pennsylvanie, 2013, p. 129.
Centre dor Dalinian Studies (éd.), Figueres, 2015, Figueras, p. 15-16.
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Quintessence de l’objet trouvé
Placé au centre de l’autel dans une église, le tabernacle est cette petite armoire où sont conservées les hosties consacrées. En 1927 ou 1928, le peintre surréaliste Yves Tanguy découvre au marché aux puces un objet bouleversant et fascinant, magique et envoûtant. C’est un tabernacle en bois qui a été transformé et détourné en vue d’un culte démoniaque. Enveloppé d’une fourrure rayée, le tabernacle est surmonté d’une tête dont la fourrure du visage contraste avec celle de la chevelure; les lèvres, le nez et les oreilles sont façonnés à l’aide de cuir. Avec ses deux chandeliers, tels deux bras déployés, l’objet trouvé donne l’apparence d’un diablotin ou d’un diable sorti de sa boîte. Sont particulièrement troublants les deux énormes yeux de verre marrons, l’abondante moustache, la bouche ouverte exhibant des dents en céramique, mais aussi les dizaines d’yeux de verre, bleus ou marrons, faisant office de boutons décoratifs pour la livrée ou l’uniforme du démon.
En juin 1929, l’objet élu par Tanguy est reproduit en couverture de la revue bruxelloise Variétés pour un numéro hors-série intitulé «Le Surréalisme en 1929». Cela marque un jalon dans l’histoire et la conception de l’objet chez les surréalistes. Un beau samedi de mai 1934, au marché aux puces de Saint-Ouen, Alberto Giacometti et André Breton sont arrêtés par un demi-masque de métal puis par une cuillère en bois dont le manche repose sur un petit soulier. Giacometti acquiert le masque, Breton la cuillère. Sous le titre «Équation de l’objet trouvé», Breton relate aussitôt dans Documents 34 la trouvaille. En mai 1936, lors de l’Exposition surréaliste d’Objets chez Charles Ratton, les objets sont ainsi classés: naturels / naturels interprétés / naturels incorporés / perturbés / trouvés / trouvés interprétés / américains / océaniens / mathématiques / ready-made et ready-made aidé / surréalistes. Hormis les objets surréalistes qui ont la part belle dans l’exposition, la catégorie «objets trouvés» se distingue par son nombre élevé de contributeurs: dix-huit. Parmi les objets trouvés, le tabernacle de Tanguy est sans doute celui qui a frappé le plus les visiteurs. On peut noter que Meret Oppenheim expose alors, à titre d’objet surréaliste, Tasse, soucoupe et cuillère revêtues de fourrure qui sera bientôt appelé Le Déjeuner en fourrure.
Dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme d’André Breton et Paul Éluard, catalogue de l’Exposition internationale du surréalisme de janvier-février 1938, galerie Beaux-Arts à Paris, sont reproduits trois objets trouvés: le tabernacle de Tanguy, la cuillère de Breton et un «crucifix en bois servant de gaine à un poignard aiguisé». L’objet trouvé par Tanguy illustre l’entrée «Quintessence» qui est ainsi rédigée: «Quintessence – Objet trouvé : tabernacle en fourrure boutonnée d’yeux de verre (messes noires)».Pour Tanguy, Breton et leurs amis, ce tabernacle, qui relève des messes noires ou de la magie noire, nous permet d’appréhender l’essence suprême de la réalité, autrement dit la surréalité. Rappelons que les surréalistes sont familiers du romancier Huysmans qui dans Là-Bas, paru en 1891, relatait une messe noire à laquelle assistait son héros Durtal conduit par Madame de Chantelouve: «Alors l’autel apparut, un autel d’église ordinaire, surmonté d’un tabernacle au-dessus duquel se dressait un Christ dérisoire, infâme».
À New York, André Breton publie dans View de mai 1942 «What Tanguy Veils and Reveals» (Ce que Tanguy voile et révèle). S’appuyant sur ses souvenirs, il procède à un collage de deux maisons habitées par Yves Tanguy, la maison familiale de Locronan dans le Finistère et la maison surréaliste de la rue du Château dans le XIVe arrondissement de Paris qui a abrité Marcel Duhamel, Jacques et Simone Prévert, Yves et Jeannette Tanguy, Benjamin Péret, Georges Sadoul, André Thirion et occasionnellement Louis Aragon. Breton n’oublie pas de signaler que Le Tabernacle occupait une place de choix dans les deux domiciles: «En place d’honneur, un objet d’un style unique: tabernacle anthropomorphe en fourrure, à bras de chandeliers, boutonné d’yeux de verre.» Breton s’essaie même à compter le nombre d’yeux de verre. Trente ans après, André Thirion, dans Révolutionnaires sans révolution, viendra confirmer le témoignage de Breton concernant la place éminente du Tabernacle au 54, rue du Château: «L’objet le plus extraordinaire était une sorte de tabernacle habillé de fourrure rayée, piquetée d’une ligne verticale d’yeux en verre; ce tabernacle supportait une tête en fourrure, de la grosseur d’une tête humaine qui avait des yeux de verre, un nez de cuir et de vraies dents. Peut-être était-ce une tête d’homme momifiée et recouverte de fourrure. De chaque côté du tabernacle était accroché un bras de lumière en bronze doré, de style Louis XV. Ce meuble inquiétant venait, je crois, du Marché aux Puces. […] Sadoul le mit à une place d’honneur, sous la loggia».
Les surréalistes s’inclinaient devant l’art magique océanien ou amérindien et dédaignaient le monothéisme. Ainsi, dans le numéro de Variétés de juin 1929, deux photos de Man Ray montrent comment Aragon avait pu transformer les toilettes de la rue du Château en chapelle blasphématoire en suspendant notamment un lourd crucifix à la chaîne de la chasse d’eau. Mais Le Tabernacle ne se réduit pas à une charge anticléricale; il est autrement fascinant; objet trouvé, il conserve tout son mystère. La Révolution surréaliste de décembre 1926 annonçait une «Exposition d’objets surréalistes» accompagnée d’un catalogue définissant les différents types d’objets. Malheureusement, l’exposition n’a pas vu le jour. Si elle s’était tenue en 1927 ou 1928, Le Tabernacle aurait été le clou de cette exposition. Le Tabernacle se rattache enfin à l’objet onirique qui a donné le coup d’envoi à l’aventure de l’objet surréaliste. En 1924, Breton avait rêvé que, dans un marché en plein air près de Saint-Malo, il découvrait un livre aux pages de grosse laine noire et dont le dos était constitué par un gnome barbu en bois. Ce gnome aperçu en rêve par Breton a pris figure dans Le Tabernacle de Tanguy.
Quintessential found object
A tabernacle is a small chest placed at the centre of the altar in a church and used to store consecrated hosts. In 1927 or 1928, the Surrealist painter Yves Tanguy visited a flea market, where he found a magical, enchanting object that moved and fascinated him. It was a wooden tabernacle that had been appropriated and transformed for use by an evil cult. The tabernacle is wrapped in striped fur and topped with a head whose facial fur contrasts with the fur of the hair; the lips, nose and ears are worked in leather. With two candlesticks resembling outstretched arms, the found object looks like an imp or a devil escaped from its box. Viewers are especially troubled by the two giant brown glass eyes, the bushy moustache, the open mouth with seemingly human teeth, as well as the dozens of blue and brown glass eyes which serve as decorative buttons for the demon's livery or uniform.
In June 1929, the object chosen by Tanguy was reproduced on the front cover of the Brussels-based review Variétés for a special edition entitled "Surrealism in 1929"(fig.1).It was a milestone in the history and conception of objects among the Surrealists.
In May 1934, on a Saturday outing to the Saint-Ouen flea market, Alberto Giacometti and André Breton were stopped in their tracks by a metal half-mask and then by a wooden spoon whose handle was resting on a miniature shoe (fig.3). Giacometti bought the mask, Breton the spoon. Breton immediately recounted the find in Documents 34 under the title "Equation of the Found Object". In May 1936, at the Exposition surréaliste d’Objets shown at the Galerie Charles Ratton (fig.2), the objects were categorised: natural, natural interpreted, natural incorporated, disturbed, found, found interpreted, American, Oceanic, mathematic, ready-made, ready-made assisted, Surrealist. Apart from the Surrealist objects which featured prominently in the exhibition, the "found objects" category stood out for its high number of contributors: eighteen. Of these found objects, Tanguy's tabernacle is undoubtedly the one which struck the most visitors. It is worth noting that this is where Meret Oppenheim showed as a Surrealist object her Tasse, soucoupe et cuillère revêtues de fourrure, which would soon be dubbed Le Déjeuner en fourrure (fig.4).
In the Dictionnaire abrégé du surréalisme by André Breton and Paul Éluard, bundled with the catalogue for the Exposition internationale du surréalisme of January-February 1938 (Galerie Beaux-Arts, Paris), three found objects were reproduced: Tanguy's tabernacle, Breton's spoon and a "wooden crucifix used as a sheath for a sharpened dagger". The object found by Tanguy illustrated the "Quintessence" entry, which was written as follows: "Quintessence – Found object: fur tabernacle with glass eye buttons (black mass)." For Tanguy, Breton and their friends, this tabernacle which was used for black masses or black magic, allows us to understand the supreme essence of reality, in other words, surreality. Remember that the Surrealists were familiar with the novelist Huysmans who, in Là-Bas (published in 1891), described a black mass attended by his protagonist Durtal presided over by Madame de Chantelouve: "Then an altar appeared, an ordinary church altar, topped with a tabernacle above which stood a pathetic, loathsome Christ".
In New York, André Breton published in View in May 1942 "What Tanguy Veils and Reveals". Drawing on his memories, he assembles a collage of two houses inhabited by Yves Tanguy: the family home in Locronan, Finistère, and the Surrealist house on Rue du Château in Paris's 14th arrondissement, which hosted Marcel Duhamel, Jacques and Simone Prévert, Yves and Jeannette Tanguy, Benjamin Péret, Georges Sadoul, André Thirion and, occasionally, Louis Aragon. Breton did not fail to relate that Le Tabernacle occupied a choice spot in both homes: "Pride of place was reserved for an object of unique styling: an anthropomorphic tabernacle covered in fur with candlestick arms and covered in glass eyes standing in for buttons." Breton even tried to count the glass eyes. Thirty years later, in Révolutionnaires sans révolution, André Thirion confirmed Breton's story about the prominent placement of Le Tabernacle at 54, Rue du Château: "The most extraordinary object was a sort of tabernacle dressed in striped fur punctuated by a vertical line of glass eyes; this tabernacle carried a fur head the size of a human head with glass eyes, a leather nose and real teeth. Perhaps it was the head of a mummified man covered in fur. To each side of the tabernacle were appended gilded bronze candelabra in the style of Louis XV. This troubling furnishing, I believe, came from the Flea Market. […] Sadoul granted it pride of place, under the loggia".
The Surrealists bowed to the magical art of Oceania and Native Americans and looked down on monotheism. Thus, in the June 1929 issue of Variétés, two Man Ray photographs showed how Aragon had managed to transform the WC at Rue du Château into a blasphemous chapel, in particular by hanging a heavy crucifix from the pull-chain. But Le Tabernacle cannot simply be reduced to an anticlerical prop; it is fascinating in other ways. As a found object, it retains all its mystery. La Révolution surréaliste in December 1926 announced an "Exhibition of Surrealist Objects" accompanied by a catalogue defining the different types of objects. Unfortunately, the exhibition was never held. If it had taken place in 1927 or 1928, Le Tabernacle would have been the show's star attraction. Le Tabernacle is ultimately connected to the fantastical object which kicked off the Surrealist object movement. In 1924, Breton had dreamed that, in an open-air market near Saint-Malo, he came upon a book with thick, black wool pages whose spine was a bearded gnome carved in wood. This gnome glimpsed in a dream by Breton came to life in Tanguy's Tabernacle.
Georges Sebbag, août 2018.